« Depuis que je suis sur terre, c’est toujours la même chose, et je vais vous dire un truc, jamais, mais alors jamais, je n’ai souffert pour le bon motif. »*
* Jim Nisbet, page 47, Injection mortelle
![](https://broblogblack.wordpress.com/wp-content/uploads/2024/04/livres-rivages.jpg?w=459)
La citation du jour attire l’œil du lecteur, de la lectrice, sur un passage particulièrement frappant d’un livre ou d’une déclaration tout aussi fracassante. Ce n’est évidemment qu’un prétexte pour aller au-delà de cet extrait, de cette déclaration. C’est ainsi que j’ajoute aux mots de l’auteur(e) quelques lignes, parfois. FB.
L’aveu du négro Mencken au doc Royce (Franklyn, pas Rolls sinon il n’en serait pas là, à jouer à Thanatos pour 400 dollars) résonne comme un aveu d’innocence mais Royce va tout de même faire le job : injecter au prisonnier 61-204 un cocktail mortel (le barbiturique, le thiopental de sodium, la mort en suspension, le chlorure de sel de potassium et le décontracturant, le Pavulon), sa peine nouvellement remise au goût du jour par le Texas en 1976. Au dernier moment, Mencken l’embrasse sur la bouche alors que le doc se penche pour écouter ses derniers mots : « Collen, je… ne l’ai pas… » Aussi décide-t-il d’aller la voir, Colleen, la femme de Mencken…
![](https://broblogblack.wordpress.com/wp-content/uploads/2024/06/nisbet-demon-1.jpeg?w=712)
« C’était ainsi que les choses s’étaient passées plusieurs années auparavant, lorsque que Colleen avait été très amoureuse de Bobby Mencken. Ils étaient tous plus jeunes alors ; le monde entier était plus jeune. L’exubérance était bon marché et disponible en vastes quantités, comme l’essence dans les années ciquante. Mais quelque part en chemin, au fil du temps, les choses avaient commencé à prendre un tour plus grave. L’idée d’argent était présente partout, mais le pognon lui-même se transformait chaque jour un peu plus en une réalité qui relevait du on-dit, simple rumeur sur quelque chose que les autres possédaient ailleurs. Les amis commencèrent à tomber malades et mourir de causes non naturelles. Blessures par armes à feu, overdoses… injections mortelles. Elle ne réussissait pas à placer exactement le moment où la souffrance avait pris le pas sur le plaisir de vivre comme cadre d’existence quotidienne, pas plus qu’elle ne réussissait à placer exactement le moment où la came avait pris plus d’importance que tout le reste. Pourtant ces choses-là s’étaient ébruitées. C’était comme si, du jour au lendemain, quelqu’un avait changé tous les décors du théâtre depuis la dernière fois. La pièce précédente, une farce comique, était arrivée à son terme. La nouvelle pièce, une farce tragique venait d’ouvrir. Tout comme dans l’ancienne, le rôle qu’elle tenait dans la nouvelle pièce était essentiellement indéterminé. Dans l’ancienne pièce, on lui avait accordé une grande liberté d’improvisation, à tous égards. Dans la nouvelle pièce, cependant, quelque force cachée, dont elle n’était pas maîtresse, dont elle ne comprenait pas la nature, lui disait toujours ce qu’il fallait faire. Et quand il fallait le faire. » (page 158-159)
Injection mortelle de Jim Nisbet (Death Puppet, traduit par Freddy Michalski, Rivages/Noir °103, 1991, 201 pages) est un grand roman noir digne de Jim Thompson selon Patrick Raynal et de Goodis selon moi. C’est vous qui lirez.
François Braud
Papier écrit en suivant les infos brunâtres dans lesquelles surnagent quelques baumes comme la qualification de l’union des droites par le ministre de l’intérieur (hé oui) d’union de l’extrême droite – alors que le Conseil d’État continue de valider, lui, le Nouveau Front Populaire comme une union de la gauche et pas de de l’extrême gauche comme le clame l’extrême centre macronien (le boss à Darmanin) ou l’étonnante conversion à la gauche de Dominique de Villepin, je galèje, qui écrit dans le Monde Diplomatique et n’exclue pas de voter le Nouveau Front Populaire (hé oui) en face d’un RN. Bon, c’est léger mais ça change des On a pas essayé et autres Faut voir non ?. Le livre qui date de 1991 (merci au service de presse de l’époque) est d’une actualité brûlante puisqu’au Texas, on injecte encore (587 exécutions depuis 1977, dont Ivan Cantu le 28 février 2024)… Papier écrit dans le silence qui nous mangera tous et toutes.