« La police de répression est une grande tradition française. » (G. Bulteau)

« …je voulais juste écrire un roman noir. »

Dans le rétro se propose de regarder un peu en arrière car tout va trop vite et l’actualité couchant avec l’immédiateté, très vite, tout devient caduque. Le livre est périssable et certains aimerait voir sa date de péremption égaler trois mois (ce qui est le cas, paraît-il, en librairie). Sur BBB, que nenni morbleu. L’avenir appartient au passé toujours présent en nous comme celles qui nous ont quitté (Mo Hayder) et ceux qui sont morts (Jean-Jacques Reboux). Dans le rétro puisera donc dans CaïnShanghai Express, Noir comme polar ou Émancipation (dans lesquels le critique qui joue du clavier aujourd’hui était/est un membre de l’orchestre) un peu d’eau pour nous rafraîchir en ces temps subsahariens. FB

Aujourd’hui au programme : Retour sur un entretien avec Gwenaël Bulteau publié par Émancipation en octobre 2022 (n°2, pages 28 à 31) avec, en prime, à suivre, une critique de son dernier roman, Le Grand Soir, un livre de la sélection broblogblack Polars 2022

Gwenaël Bulteau le présente tellement bien que j’aurais tort de m’en priver. Voilà ce qu’il disait de son second roman, Le Grand Soir dans l’entretien que vous venez de lire :  » « Il s’intitule Le Grand Soir et sortira au début du mois d’octobre. C’est un roman qui se passe quelques années après La République des faibles, en 1906, mais il ne s’agit pas d’une suite à proprement parler puisqu’il ne contient aucun personnage récurrent. L’histoire commence le jour de l’enterrement de Louise Michel, quand une jeune fille de bonne famille disparaît sans laisser de trace. Un an plus tard, sa cousine mène l’enquête pour la retrouver et entre dans les milieux révolutionnaires et féministes de l’époque. La toile de fond historique s’étend entre mars 1906, où une catastrophe minière provoque plus de 1000 morts dans le Nord, à Courrières, et le 1er mai 1906, première grande journée de manifestation nationale, quand la CGT appelle tous les ouvriers à venir manifester à Paris pour l’obtention de la journée de travail de huit heures. Cette journée avait créé beaucoup de fantasmes de part et d’autre de la société. Dans ce roman, on retrouvera des thèmes qui me sont chers, les revendications sociales et la défense des droits des femmes et des ouvriers. » 

Disons-le avec ambages s’il le faut, peu importe le flacon, l’ivresse de la lecture suffit, et ce n’est pas ripoliner au vernis l’auteur que je ne connais que par papiers interposés et numériquement, même si la rencontre devrait se faire à la Librairie des Instants Libres au Poiré sur vie très bientôt (voir flyer) mais Le Grand soir est un grand roman noir social qui peint les classes laborieuses/dangereuses (ouvrières) et les classes inférieures/dominées (femmes) avec justesse, soutien mais sans concession, de la tendresse lucide à la Hugo, pas de « vacheté » aveugle à la Zola.

Sélection broblogblack Polars 2022

La mémoire des vaincues

La mémoire des vaincues a trouvé son romancier et s’il a du poil au menton, il ne met pas sa testostérone en avant, on est loin du polar baston/roustons comme le surnomme JiBé Pouy. Nous ne sommes pas non plus dans de la littérature en dentelles avec une tasse d’arsenic. C’est simplement du roman noir qui ajuste une époque, autour du 1er mai 1906, quand la République chancelait (elle mettra des années à s’imposer et s’écroulera comme un château de cartes dans un casino à Vichy), quand certaines tentaient de relever leur jupe, non pas pour aguicher le mâle, mais pour donner un bon coup de pied aux couilles aux patrons et à leurs larbins.

« Nous ne sommes pas du même côté de la barricade, qu’il avait dit ! » (page 26)

Si, le jour de l’enterrement de Louise Michel, la vierge rouge, Jeanne « ignorait qu’elle vivait le dernier jour de son existence » (page 11), Antoinette, dite Sorgue, l’a pris bien en main la sienne. Arrivant pour soutenir les ouvrières de Roquefort, elle se « dressait sur le marchepied, en levant le poing, parée de sa tenue de combat : une robe noire cintrée à la taille d’une bande de tissu écarlate, ainsi qu’un chapeau surmonté d’un panache de plumes flamboyantes. » Ces dernières, « les six cents ouvrières des caves de Roquefort avaient obtenu l’impensable : terminés les journées à rallonge, les salaires minables, les amendes en cas de retard ou de journées d’absence ; terminés l’interdiction de parler, la pension forcée chez les sœurs, les tutoiements et les privautés des contremaitres. » (page 14) Madeleine aussi, son destin, elle l’a bien en pognes la « petite dame courtaude, habillée en pantalon et veste de costume, avec un melon sur la tête qu’elle ôta pour dévoiler des cheveux coupés en une brosse hommasse. » (page 27) Lucie, à la recherche de sa cousine Jeanne, va aussi affronter les réticences familiales et se manger des bâtons dans les roues.

Portraits de femmes, portraits de militantes.

Le ton est donné. La lutte passera par elles, malgré le mépris absolu des hommes « une fois gratté le vernis des convenances », page 62, (« C’est vulgaire de se travestir en place publique. Vous êtes quoi ? Une invertie ? », page 37), leur incompréhension génétique (« – Qu’est-ce qui vous a pris ? (…) Nous étions morts d’inquiètude. », page 49) et le retournement de veste du plus illustre d’entre eux, Clemenceau, « le bel homme de gauche », « Nous ne sommes pas du même côté de la barricade, qu’il avait dit ! »

Il n’existait pas d’autre solution que la révolte. » (page 128)

Elles défendent leurs idées, elles les tractent même, appelant à détruire « les chaînes dont la société entravait les femmes : la famille, le mariage, la maternité, le patriarcat. Il n’existait pas d’autre solution que la révolte. » (page 128)

Parce qu’elles font peur ces femmes, leur donner un droit serait inutile, voire dangereux : « – (…) vous accorder le droit de vote serait une erreur. Vous en sauriez quoi en faire. Les curés vous souffleraient à qui accorder votre voix, ce qui ferait la victoire éternelle des réactionnaires. » (page 138)

Elles ont aussi dans leurs rangs leurs brebis galeuses et malheureuses, comme Suzanne, imbibée du soir au matin et du matin au soir, de l’aube à l’aube ou Madeleine qui comprend que les regrets pèsent parfois plus lourds que les remords.

« Et le peu qui viendra d’eux à vous, c’est leur fiente. » (Jean Richepin)

On qualifiera Le Grand soir de roman historique. On qualifiera Le Grand soir de roman policier. Mais Le Grand Soir est un roman noir.

Et ce 1er mai tant attendu va faire flop. Et on regardera horrifié ces prolétaires, ces « sauvages« , « ces fils de la Chimère », ces monstres jaloux de la réussite des uns, qui ne veulent pas « devenir volailles » comme les bourgeois.

« Mais le peu qui viendra d’eux à [eux], c’est leur fiente. Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux ». Et « l’air qu’ils boivent ferait éclater [leurs] poumons. »

François Braud

papier écrit en écoutant Les oiseaux de passage, poème de Jean Richepin mis en musique et chanté par Georges Brassens.