La citation du jour n°62 du 17 mars 2024 #tentative d’épuisement n°1 – suite

« … le noir n’est pas un genre, le noir est un regard »*

* Aurélien Masson, dans Libération du 29 février 2024

La citation du jour attire l’œil du lecteur, de la lectrice, sur un passage particulièrement frappant d’un livre ou d’une déclaration tout aussi fracassante. Ce n’est évidemment qu’un prétexte pour aller au-delà de cet extrait, de cette déclaration. C’est ainsi que j’ajoute aux mots de l’auteur(e) quelques lignes, parfois, et que je vous demande d’en faire autant (tentative d’épuisement). La tentative d’épuisement consiste à tordre et essorer un mot, une notion, un concept, un créateur, un livre appartenant au « genre que nous aimons ». FB.

Se pencher sur une définition, c’est toujours creuser l’abime, disais-je ce dernier 5 mars* sur ce même blog, .

* pour ceux qui penseraient à ma déclaration tonitruante du 5 mars 2008 ou à mon aveu désespéré du 5 mars 2014…

Hé bien, on est allé profond. Parmi les milliers de définitions du roman noir reçus à la rédaction, en voici quelques-unes qui valent ce qu’elles valent.

La définition la plus célère dégainée par Hervé Jaouen : « Le roman noir, c’est un roman blanc surexposé. »

La plus tortueuse méandrée par Boris Lamot :  » Ma définition est simpliste :  le noir ? par opposition au blanc ? Le noir est une notion française (en Italie, il est jaune). Je trouve certains romans trop noirs ? surtout les derniers de Le Corre. Le noir s’oppose au rose, ça, c’est indéniable. Le noir est social, sombre, il ignore l’humour, il dénonce. Goodis est un roi du noir, mais pas que lui. Balzac aussi et Flaubert, Maupassant… Bon, ça n’est pas vraiment une définition mais trop noir m’embête. Et puis, Ferey est noir mais aussi sanglant et violent. Baste, c’est quasiment impossible à définir.  Chacun sa version, je suis sûr. »

Celle, capitale, de celui qui pense que le roman noir a déjà enfoui tout le monde dans les poubelles de l’histoire, Jean-Bernard Pouy : « LE ROMAN NOIR N’EST PAS ROSE. »

La plus définitivement désespérante et drôle provient de Marc Villard : « Un roman noir, c’est l’histoire d’un homme en fuite, brusquement happé par les sables mouvants. Il veut s’en extraire et sort un tournevis de sa poche. »

Et, pour finir, aujourd’hui, la plus décalée et sonore, œuf corse dirait SanA, est avouée, et pardonnée, par Pierre Bilou-Seguelas ici et .

Et même Dominique Manotti y est allée de son commentaire : « Je découvre, grâce à toi et Hannelore Cayre, ma définition du roman noir. Ca me flatte et ça me fait plaisir. Je la trouve pas mal. »

On pourrait croire que tout est dit. Que nenni ! L’épuisement est loin, la route est encore longue et le trou profond et c’est Aurélien Masson, éditeur, qui l’empruntait et creusait déjà dans Libération le 29 février 2024 : « Le noir appartiendrait à la littérature de genre. Mais le noir n’est pas un genre, le noir est un regard. (..) Pour qui sait regarder, par-delà les classifications et les catégories, le noir est partout. Le noir, ce n’est pas un genre, c’est une vision. »

 (Photo Fred Kihn pour Libération)

Et pour ceux qui pensaient s’endormir sur ça, détrompez-vous : « Les livres ne sont pas là pour nous coudre les paupières avec de jolis fils d’or, les livres sont faits pour nous ouvrir les yeux, voire nous scotcher les paupières comme dans Orange mécanique. Nous ne lisons pas pour nous endormir mais pour nous réveiller même si le réveil est dur… »

N’empêche, quand Aurélien Masson affirme : « L’enfer c’est les autres, et ce n’est sûrement pas un hasard si Sartre aimait les romans noirs et disait lire plus volontiers des Série noire que Wittgenstein. », on pourrait lui rétorquer qu’on peut faire les deux en même temps comme dirait Manu.

Dans La Pêche au anges, Série noire n°2042, Jean-Bernard Pouy évoque Ludwig Wittgenstein et lui fait dire : « Il est évident que si différent que puisse être du monde réel un monde imaginé – il doit encore avoir quelque chose de commun – une forme – avec le monde réel. » Alors là, forcément.

François Braud