Feuilleton, épisode 8

Résumé des épisodes précédents : Pour en savoir plus sur cette affaire (un appartement puant, une chambre retapissée de sang…), les deux représentants de l’ordre vont devoir refermer le cahier du locataire (un temps) et ouvrir d’autres portes (que ce couloir semble long…).

Conte à rebours

Feuilleton

Épisode 8

 Chapitre 7

 Fausse piste ?

 Je suis Marc et, comme lui, je danse sur ses traces. À nous de jouer les peaux-rouges.

Nous arrivons devant une nouvelle porte. On se regarde. Toi ? Moi ?

Je finis par le faire. J’ouvre une nouvelle porte. C’est un boulot ça. Ouvrir les portes. Ce n’est pas donné tout le monde. Faut un diplôme, faire un stage et tout le bastringue. Faut pas croire qu’on ne suit pas une formation continue, nous la maison bleue, les archers du roi, les poulets. Nous sommes à la pointe et on nous apprend à toucher une poignée sans laisser d’empreintes. Je l’ai ouverte du coude. Faut pas me la faire à moi.

C’est une buanderie avec une tonne, à vue d’œil, de torchons, chemises, slips et autres pantalons qui partouzent allègrement sous les yeux éteints d’un fer à repasser nostalgique d’une époque où le travail lui permettait de défroisser tout ce qui lui passait et repassait sous la fonte.

Au mur, un poster, comme ceux que l’on pouvait voir autrefois à l’école, du temps où les professeurs des écoles étaient encore des maîtres et des maîtresses, détaillant les différentes parties corporelles d’un cochon. Étonnant. La caisse du chat déborde et l’odeur me saute au nez, un mélange acide et prégnant d’urine et d’excréments. Où est la bête ? Écrasée ? Mangée ? Perdue ?

– Tu as vu un chat ?

Marc ne répond pas. Il doit être en train de lire le cahier.

– Minou ? Minette ?

Pas plus de réussite qu’avec le collègue.

Sur la gauche, je trouve un casier à bouteilles. Du rouge, du blanc, pas de rosé. Une bouteille d’huile d’olive, trois de Contrex. Au régime le garçon ? Sans doute la maman. Du cassis. Deux bouteilles non identifiables et un marteau rangé soigneusement et proprement comme un morgon 76. Mystère…

Sur la droite une caisse à outils aussi bien rangée que le linge sur la table à repasser. J’ai beau regarder, je ne trouve aucune bouteille. Par contre, le vieux tee-shirt d’anniversaire, autrefois blanc, enveloppe, non, pas un revolver, ça n’arrive que dans les polars, mais la montre qui indique 10h10. Ça, au moins, c’est clair…

Une étagère recueille du PQ, des ampoules, des revues (Rustica et de vieux Échos des savanes) et une série impressionnante de cutters qui semblent mouillés, baignant dans une boîte en plastique.

Que penser de tout ça ?

Rien.

Quand on ouvre une porte, on croit toujours ouvrir une piste

Là, rien.

Une fausse piste.

Il paraît que ça fait avancer. Je recule et referme la porte. J’ai perdu du temps mais, en réfléchissant, le temps, j’en ai, c’est pas ça qui me manque.

J’interpelle Marc toujours plongé dans le cahier :

– Quoi de neuf ?

Il ne répond pas.

– Ici, rien. Une buanderie. Une putain de conne de buanderie. C’est tout. Merde, fait iech. Et toi ?

Je jure souvent. Ce n’est pas le cas de Marc. Un modèle de vertu. Il est plongé dans le cahier. Je me tourne vers l’étagère de livres. Et je fouille. Je me baffre des incipit par dizaines (« Ça a débuté comme ça. », « Andréas Schaltzmann s’est mis à tuer parce que son estomac pourrissait. », « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » – tiens, celui-là, il aurait pu l’utiliser pour le chapitre de son anniversaire -, « Vivante, je ne l’ai jamais connue, des choses de sa vie je n’ai rien partagé. »…) jusqu’à ce que je tombe sur celui de Fata morgana de William Kotzwinkle. Dans la foule, se pressaient des hommes aux visages basanés venus d’Espagne, du Maroc, de Constantinople, et un parfum de sensualité, exotique et violent, envahissait l’atmosphère.

– Marc.

Je vais lui dire que j’ai trouvé une nouvelle source d’inspiration de Simon quand je vois Marc se manger les joues. Il va parler, c’est sûr.

– Merde en branche.

– Marc ?

Il lève la tête :

– Oui ?

– Tu dis ?

– Je lis.

– …

Je hausse les sourcils.

– … Simon…

Je m’approche de lui, baisse les yeux et me replonge dans le récit de Simon.

 

Journal

 Avant

 7. Accident

 

– Merde en branche.

Là, c’est mon voisin qui parle, celui d’en-dessous. Un amateur de polar, un fan de Ken Bruen, un Irlandais. Il l’aime tellement qu’il m’a offert un de ses livres : Calibre, ça s’appelle. Et avant de me l’offrir, il ne peut s’empêcher de le lire. Du moins le début. L’incipit, il appelle ça. Moi, ça m’embête, personne ne m’a jamais fait de cadeau et en plus, je sors de l’hôpital et maman m’attend. Le dos à la porte, j’attends qu’il ait fini sa lecture. C’est long. Il finit par me coller le livre dans la main en me disant tu m’en diras des nouvelles. Je lis peu ou alors juste les débuts des livres et la fin. C’est suffisant. Ça suffit pour déterminer l’essence du truc, non ?

Je referme la porte, toujours le dos calé sur elle.

– Maman ?

Évidemment, elle ne répond pas. Jamais là quand on a besoin d’elle. Elle fait n’importe quoi, l’autre conne.

Il faut que je fasse attention quand même. Maman déteste que je jure. Surtout quand je reprends ceux de papa. Il est vrai que papa, il jure comme quelqu’un qui se taperait le petit os du coude en permanence. Il en connaît un rayon, et maman en prend régulièrement dans la tronche.

Je parle mal des fois.

Maman me menace toujours des pires supplices, comme dans la BD :

– Qu’est-ce que j’entends Jo ? Ma va te laver la bouche avec du savon.

Mais, elle ne le fait jamais. Maman est gentille mais elle ne doit pas entrer dans ma chambre sans frapper. Maman elle dit que rien ne vaut le dentifrice. Aussi je sais que je peux continuer à jurer.

– Tu vois ce marteau ?

Oui, je le vois.

– Tu vois ta petite voiture là ?

Oui, je la vois. C’est papa qui me l’a achetée. Il m’en achète toujours une putain de bagnole quand on revient de chez cet enfoiré de dentiste il dit toujours papa. Avec sa roulette, il creuse comme s’il voulait s’évader de notre monde et entrer dans mon corps par son tunnel dentaire, comme un envahisseur. Il hurle Ne te crispe pas, ne te crispe pas.

Et d’une seul coup maman écrase la petite automobile, une R8 Gordini bleue gagnées après un pansement sur une carie, en criant :

– Accident ! Évidemment ! En jurant, on n’est pas concentré en conduisant et voilà ce qui arrive.

– Merde, je lâche.

– Accident !

C’est au tour d’une DS noire et de sa caravane arrachées avec mes dents de sagesse.

– Récidive, punition doublée.

Je ravale un fais chier pour éviter la triple peine.

– À ce rythme-là, tu vas finir édenté si tu veux reconstituer un parc.

Elle rit de sa blague. Elle se calme.

Mes larmes prennent le chemin de ma bouche.

Elle semble s’attendrir, la vache :

– C’est vrai que tu es à bonne école avec… ton père là.

– Qu’est-ce qu’elle dit la grosse vache ?

Je pars avant que ça continue. Ma chambre n’est pas insonorisée mais j’arrive à rêver dedans. Je rêve de vengeance et de marteau. Tu périras par là où tu as péché. Et de clous. La sanction va tomber. Et de cutters. Mes larmes sont sèches.

Je te jure papa, pardon maman, c’était un accident.

FB

La suite la semaine prochaine…