Je préfère les garçons #10 (Le feuilleton de l’été 2020, saison 5)

Si vous avez manqué les épisodes précédents : Après sa tentative de suicide, Roméo retourne au lycée. Il n’attend rien sinon des nouvelles de Tristan, ce Janus au baiser cuisant qui a révélé, pour s’en moquer, son homosexualité. Mais ce dernier le fuit alors Roméo II passe à l’attaque ; il lui écrit une lettre. Et c’est aujourd’hui qu’il va lui donner.

Bonne lecture.

Vous me direz, hein ?

FB

 

 

 

Je préfère les garçons

par François Braud

 

Ce récit est pour ceux et celles qui se cherchent…

L’insulte la plus entendue dans une cour de récréation est « pédé ». Un élève l’entend en moyenne 15 fois par jour…

 

 

 

« J’ai le cœur random, d’Homme, d’Homme »

 Eddy De Pretto

 

 

Épisode 10 / Un truc

 

Chapitre 10 : Il / Absent

Absent. Merde !

Je m’attendais à tout mais pas à ça.

La lettre me brûlait dans ma poche sur ma cuisse. Je devais la lui donner aujourd’hui, mercredi. Je n’avais pas envoyé en mail. Pas question qu’il la reçoive vite et réponde vite comme un post ou un like automatique, un réflexe. Je voulais du temps. Je voulais que le temps soit long pour lui comme il s’était raccourci pour moi. Je voulais qu’il entende mon cri, qu’il le prenne pour de l’amour ou pas ; libre à lui de l’interpréter, ce n’était que l’affirmation de ce que je suis, et aussi, quoiqu’il pense, de ce qu’il est, de ce que nous sommes. Je suis homosexuel. Il ne sait pas ce qu’il est. Je le plains.

Là il ne risquait pas de répondre vite.

Rapha n’était pas là lui aussi. Je réfléchissais. J’avais tout imaginé.

Tristan pourrait venir vers moi, me tendre la main, s’expliquer, s’excuser, regretter, faire le fier, le fanfaron, ou me fuir, ne rien dire, m’éviter. De toute façon, il allait devoir prendre cette lettre. Mais là, rien de tout cela. Il était absent, pas en retard, absent.

J’ai sorti mon portable, m’avait-il envoyé un sms ? Non, calme plat à part deux sms. Un de maman : bonne journée mon chéri à 8h34 et un de Rapha à 8h45 : à toute suite.

C’était nouveau ça, des sms de Rapha pour me dire qu’il arriverait en retard. Pfff… Puis Tristan est revenu me hanter. Absent, il arrivait à s’en tirer. C’est lui qui menait le temps. Pas possible. J’ai décidé de sécher les cours et d’aller le voir. Les mots du médecin me sont revenus en tête : avant de trouver la solution, il faut connaître le problème.

Je connaissais son adresse. C’était à cinq minutes. Je suis sorti du cours la sonnerie n’avait pas fini de retentir.

– Tu vas où, m’a crié Charlotte.

– Faire un truc.

Je l’ai laissé dans le couloir comme un pot de fleur.

Et j’ai marché couru vers chez Tristan, pressentant… un truc.

 

* * *

 

Et je suis là. Devant son immeuble en écoutant la sirène des pompiers – ou est-ce une ambulance ? – s’exténuer et se taire.

Loin derrière les barrières tenues par les policiers.

J’ai du mal à déglutir.

On se presse dans le quartier pour voir. Moi je ne veux pas. Mais je n’ai pas le choix. Je ne suis pas sourd. J’entends. Et j’écoute.

Des bribes. Des mots. Des bouts de phrases.

Ce matin…

… vers 8 heures.

Sauté !

Un choc !

… si jeune.

… un lycéen.

… passé par la tête ?

Sa mère est effondrée.

Et puis un refrain :

Suicide…

Suicide.

Suicide !

Je fais demi-tour comme un fantôme et marche, marche, marche.

Jusqu’à ce que mon phone sonne.

– Roméo, c’est Rapha. T’es où ?

– Tristan s’est suicidé.

– Quoi ?

Je ne peux pas le répéter.

– C’est dingue.

Je suis muet.

– Il faut que je te parle, hoqueta-t-il.

J’arrive à souffler :

– Pas maintenant.

– Si. J’ai un truc à te dire. Tout de suite, derrière le blockhaus.

Il raccroche, sans attendre ma réponse, persuadé que je vais lui obéir.

Et je ne sais pas pourquoi mais c’est ce que je fais. J’y vais. Je sens qu’il faut que j’y aille. Au-devant de ce truc.

Je file alors vers le lieu du RV.

 

* * *

Rapha est en pleurs.

Je suis mal à l’aise. Je ne l’ai jamais vu pleurer. Alors, je fais ce que je fais de mieux. Surtout en ce moment. Je fais le taiseux.

Il parle le premier :

– Il fallait que je te parle.

Il me l’a déjà dit au téléphone.

– Je l’ai vu hier soir. Il n’allait pas bien. On est… est… était proches.

Il est à deux doigts de se remettre à pleurer. Mais non. Et puis ça tape dans mon cerveau. Il l’a vu. Tristan. Hier soir. Rapha a vu Tristan hier soir ? Lui ? Tristan et lui ? Proches ? Je n’y crois pas.

– J’ai sonné et il est venu m’ouvrir. Nous sommes allés dans sa chambre. Au fond du couloir.

Les chambres, les pièces, sont toujours au fond du couloir. Le couloir est toujours un long corridor qu’il faut suivre pour aller au bout de ce que l’on refuse.

– Je suis content de te voir m’a-t-il dit alors que j’avançais vers sa chambre. Il a poussé la porte et s’est allongé sur son lit, un bras sur les yeux. Tristan ? ai-je dit. Il n’a pas bougé. Je n’ai pas avancé. Tristan ? Ça va ? Son bras a libéré ses yeux, humides et honteux. Du moins, c’est ce que j’ai cru voir. Il s’est relevé un peu, en tassant son oreiller sous son dos : Tu viens voir le méchant ? Je ne savais même pas ce que je venais chercher. C’était lui qui m’avait demandé de passer. Le méchant a du plomb dans l’aile. Il cuve, a-t-il lâché, comme à regret. Tu n’es pas méchant Tristan.

Il s’arrête. Se mouche. Il reprend.

– Je ne comprenais pas ce qu’il avait, ce qu’il voulait, ce qu’il attendait de moi. Ce que je veux te dire, c’est que je suis un salaud. Ce que j’ai fait à Roméo, je l’ai fait, je l’ai voulu, j’avais envie de rire, de pousser le bouchon jusqu’au bout. Roméo par ci, Roméo par là. Les filles n’ont que ça à la bouche. Je voulais juste remettre les choses dans l’ordre, rétablir comme une sorte de vérité. Je n’ai… du moins je crois… pas senti le mal que je pouvais faire. Lui faire. J’ai ri, dans un premier temps. Si tu savais comme j’ai ri, comme j’ai pu passer pour le gars gonflé qui n’hésite pas à embrasser un…

– Un homo ? Il l’a dit ?

J’ouvre enfin ma bouche.

– Non, mais c’était tout comme. Il a dit : … un pédé. On peut appeler ça comme ça….

Le double « ça » me fait mal mais, après tout, comment pouvait-il le nommer, lui qui avait fait « ça » comme un pari, un « t’es pas cap » de cour de récré…

– C’est alors qu’il a ajouté : Et alors que je m’étais bien amusé, ça s’est retourné contre moi, j’ai compris que j’avais fait du mal, j’ai culpabilisé, je me suis posé des questions, et j’ai fini par lui écrire… Et il m’a répondu.

Nouvel arrêt. Rapha me fixe :

– Tu ne m’avais pas dit qu’il t’avait écrit.

Et alors ? Tu crois que je te dis tout. Je lui ai même répondu.

Silence.

– … et que tu lui avais répondu.

Nouveau silence.

Il reprend :

– Alors… tu l’aimes… encore ?

Après ce qu’il m’a fait ? Je l’attendais mais ça n’est pas venu. Le silence lui fait ravaler sa question.

– Et c’est à ce moment qu’il m’a avoué le truc.

Il baisse les yeux. Je lève les miens :

– Le truc ? Quel truc ?

– Il m’a dit : Tu comprends, au départ, j’ai bien rigolé mais c’est après que j’ai commencé à douter, je me suis senti mal. Et quand il est entré dans la salle de classe en se mettant minable… Alors là… C’est là que j’ai compris que j’avais poussé le bouchon trop loin. J’étais en quelque sorte éclaboussé. J’étais sali. Je m’étais sali. Je l’avais sali.

Je souris. Intérieurement. C’est lui. C’est Tristan qui a écrit cette phrase sans point dans mon cahier journal. Et pour cela, il l’avait lu, et là, il employait le même terme que moi.

– Il a continué à se confesser : C’est pour ça que je lui ai envoyé un mail. Pour essayer de lui faire comprendre que je m’en voulais mais qu’il pouvait croire en ma sincère repentance. Je regrette le geste mais pas le baiser, tu comprends ?

Je suis à deux doigts de craquer.

– Il a continué : je regrette l’intention et les conséquences mais pas l’acte. Je crois même que j’y ai cru quand je l’ai embrassé. Ça me fait mal de l’avouer mais c’est vrai. J’ai ri de Roméo à mes dépends. C’est ça dont je viens de me rendre compte. Je me suis moqué de moi-même… Il semblait mieux, reposé, soulagé. Je l’ai rassuré en lui disant que tout irait bien, ne pas s’inquiéter. J’ai même dit : Tout va aller bien. Alors pourquoi il a sauté par la fenêtre. Dis-moi pourquoi ? hurla-t-il.

Je ne réponds pas.

Nous sommes là, tous les deux, derrière le blockhaus face à quelque chose que nous ne comprenons pas. Lui son geste. Moi son mutisme. La nuit tombe comme nos bras. Le sien, le droit, celui de Rapha vient toucher le mien, le gauche.

– On va s’en sortir. Tous les deux, murmure-t-il…

Puis, il me glisse un papier dans la poche.

– Je t’ai écrit quelques… mots…

Son papier vient se coller à la lettre…

Je lui caresse la joue et je pars, en souriant mais sans rien dire.

Je laisse Rapha seul. Avec son incompréhension. Son ridicule mais gentil souci de m’aider. Je pars sans me retourner mais je suis aussi seul que lui. Aussi seul que cette lettre dans ma poche. La lettre qu’il ne lirait jamais.

– Merci pour ce baiser… Tristan, je murmure en levant les yeux au ciel. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, je ne crois pas en Dieu, au ciel, aux anges, à toute cette clique… Mais il me semble que c’est plus juste de lever la tête que de la baisser, contempler le ciel, l’imaginer étoile plutôt que de m’enterrer, à ses côtés, avec les vers.

Je me mets à pleurer.

Tristan s’est tué. Pour moi ? À cause de moi ?

Il s’est tué comme moi.

Mais lui, il ne s’est pas raté.

 

 

Je / Le cahier journal

 

Et maintenant ?

 

Extraits du Journal intime de Roméo

 

Tu sais tout de moi.

N’importe quoi ! Je parle à mon cahier Journal maintenant. C’est ridicule. On dirait une gamine de 10 ans. À quand le cadenas. À quand l’écriture en rose ? Avec des cœurs si les « i » ? Et une règle pour écrire bien droit, quitte à amputer les « f », les « q », les « g », les « j »… ?

Tristan. Il n’a aucune lettre à jambage. Comme moi. Nous flottons sur la ligne et, au moindre coup de page, nous coulons, nous n ‘avons aucune béquille, aucun gouvernail pour nous implanter dans l’eau comme Rapha et son « p » pied, Sofia et son « f » ferme, Yasmina avec son « y » yack…

Tristan…

Je ne comprends pas ce que tu voulais, ce que tu as fait, ce que je veux, ce que je vais faire. Maintenant.

Tu te comportes comme un salaud de première, tu m’enfonces d’un coup de talon et puis, tu doutes, tu regrettes, tu m’écris, tu te confies à un ami, à Rapha !? Et tu fais le saut de l’ange le lendemain matin. Non, il y a quelque chose qui cloche. Le récit de Rapha est la pièce qui termine le puzzle. Mais l’image finale n’est pas celle de la boîte. Il y a quelqu’un qui a retaillé les pièces parce qu’il voulait redessiner l’image ou parce qu’il voulait mystifier quelqu’un.

Je ne comprends pas. L’incompréhension est telle qu’elle reflue la douleur, phase 1, choc, phase 2, déni. Je sens monter la phase 3 : la colère qui va marchander mon attitude. On recommence tout, on réécrit le scénario, si je, alors tu, si tu, alors je, on rejoue la pièce et alors tout redeviendra comme avant, comme le jeudi du baiser. Il faut que je rejette la faute sur quelqu’un, me décharger sur un autre, culpabiliser, assommer le messager pour éviter qu’il ne délivre son message. Je sais bien au fond de moi-même que ça ne changera rien mais je ne peux m’empêcher d’y penser, j’ai envie de fermer les yeux, de boucher mes oreilles, ne pas entendre la vie qui coule, qui s’assèche et la mort qui rampe, se love et ruisselle en nous.

Ce n’est pas de ma faute. C’est ta faute. À toi. Tu as joué et tu as perdu. C’était pourtant un beau prénom Tristan. Une caresse sensuelle avec ses syllabes envoûtantes de voyelles sonores et odorifères. Une promesse comme un claquement de doigts, à l’image de tes deux « t »…

Il y a quelque chose qui me chiffonne, là, tout à coup. Un lien que je n’arrive pas à faire. Tourne en boucle, et je ne sais pourquoi, une question : Pourquoi est-ce à Rapha que tu es allé te confier ? Rapha ? Non, sérieux…

Je repense à son mot glissé dans ma main. Je fouille ma poche.

Le voilà :

C’est un moment difficile pour nous Mais je suis à tes côtés J’ai toujours été à tes côtés et tu le sais bien

On va s’en sortir

Rapha

Putain ! Je n’en crois pas mes yeux.

 

À suivre…

Prochain (et dernier) épisode, le mercredi 2 septembre.

FB