« Marcher en permanence le long d’un dangereux précipice »

« Un homme qui laisse devenir son gamin homo, c’est qu’il a échoué. »*

* page 218, La Colère de S.A. Cosby (Sonatine)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, gros plan sur La Colère de S.A. Cosby (Razorblade Tears, traduit par Pierre Szczeciner), Sonatine (2023, 363 pages, 23€) finaliste du Prix Mystère de la Critique et que j’aurais pu évoquer dans le H du CDAP car, si les deux protagonistes, Ike Randolph, le Noir et Buddy Lee Jenkins, le Blanc, ne sont pas des privés homosexuels mais des pères qui n’ont pas digéré l’homosexualité de leurs fils, Isiah et Derek. Maintenant qu’on a les a assassinés, leur colère ne peut plus se tromper de cible et ce sont leurs assassins qui doivent prendre peur. Le tout se passe dans le sud des États-Unis d’Amérique, en Virginie occidentale. L’ancrage géographique a son importance pour y dénoncer l’homophobie et le racisme.

Alors que j’écrivais et travaillais à la lettre H de mon CDAP, c’est Pierre Faverolle qui attiré mon attention sur ce livre, que j’ai acquis (d’occasion) et qui est venu chanceler sur ma pile à lire d’urgence. Et les priorités de lecture étant ce qu’elles sont, aléatoires, j’ai eu l’occasion de lire autre chose. Le livre est revenu me titiller l’œil avec les finalistes du Prix Mystère de la Critique. C’en était trop. Il fallait que je lise.

S’il est des livres difficiles à lâcher, sans galvauder l’expression, c’est bien celui-là. S’il est des livres qui mouillent les yeux, c’est bien celui-là. S’il est des livres qui s’ancrent en vous plus qu’ils ne déteignent, c’est bien celui-là.

La Colère passe en revue les grands problèmes d’une société malade de ses préjugés raciaux (« C’est juste qu’il y a une époque pas si lointaine [les Noirs] pouvaient pas protester sous peine de se retrouver pendus à un lampadaire par un [Blanc]. », p.145), sexuels (« En tant que père, on a une seule mission : faire en quelque sorte que nos filles finissent pas strip-teaseuses et que nos fils finissent pas avec une bite dans la bouche. », p.218*), familiaux (« Un homme qui laisse devenir son gamin homo, c’est qu’il a échoué. », p.218) et de sa fascination de la violence (« Ike n’avait pas peur de se salir les mains, ni de faire couler le sang. Sa seule crainte, c’était de ne pas réussir à s’arrêter. », p.40)

La lucidité n’empêchant le sourire, S.A. Cosby manie la langue avec perfection : « … il avait un strabisme qui devait lui permettre de vérifier les priorités à droite sans tourner la tête. », p.209, « Quand il se mettait à chanter, même les casseroles se bouchaient les oreilles. », p.263) et nous entraîne dans un « tourne page » affolant et addictif. On ne repose le livre que quand on l’a fini.

* Citation attribué à Chris Rock même si un personnage assure que la 2e partie de la citation, il ne l’a jamais dite.

Car on sait que les pères ne peuvent pas vivre en sachant que leurs fils sont morts en les détestant aussi prient-ils de les venger afin de les retrouver, avant de les retrouver…

Car même si Ike Randolph et Buddy Lee Jenkins savent qu’ils empruntent « une route qui [ne] mènent nulle part » (p.138), ils foncent car ils ont une vocation : « Peut-être c’est pour ça qu’on est encore vivants. Pour finir cette mission. » (p.213)

La Colère est un grand roman et une grande claque. S.A. Cosby, un auteur à suivre. Les deux réconciliant le roman noir et le thriller. Une paille.

François Braud

Merci au passeur Pierre (blacknovel1). Livre acheté d’occasion. Papier écrit un jour de grève. Papier recensé par bibliosurf, .