Les yeux dans les yeux

« Un connard arrogant avec les dents du bonheur »*

* p.16 de La Résistance des matériaux de François Médéline

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, retour sur La Résistance des matériaux, de François Médéline, La Manufacture de livres (2024, 488 pages, 21€90).*

* Papier, dont une 1ère version a été publiée dans le CDAP (Lettre M, partie 2),

Ce courant français de politique fiction est en verve ces temps-ci et tant mieux. Il était temps que les écrivains français s’emparent de leur présent pour le tordre, le triturer un peu afin de lui donner ce goût de crédibilité que la politique perd ou a déjà perdu. Bronnec (lire ici), Leroy (lire ici) – de la maison de La Manufacture, Paulin (lire ) pour ne citer qu’eux, tracent le sillon. François Médéline le laboure aussi.

Ce dernier s’attaque, en gros, à l’affaire Cahuzac, retentissante histoire – les yeux dans les yeux – dont l’actualité nous rappelle ce qu’il fit puisqu’il revient. Mais François Médéline va bien au-delà en imaginant évidemment que le mieux pour camoufler une grosse histoire est d’en inventer une plus grosse pour détourner l’attention…

Et La Résistance des matériaux démarre fort, très fort. Sans introduction ou presque. Djamila Garrand-Boushaki, beurette de banlieue députée suppléante du ministre de l’intérieur Serge Ruggieri apprend que ce dernier aurait, selon Mediapart, un compte au Luxembourg. « Il est juste dans la merde. » Mais Djamila pense « qu’elle survivra » (p.32). On a à peine eu le temps d’apprendre que Macron était « un connard arrogant avec les dents du bonheur » (p.16), Hollande un « pépère » qui « aime les gens » sauf Fabius, « bouffer », faire « des blagues«  (p.28), Ayrault « une tête d’endive » dont le « patronyme n’entrera dans aucun livre d’histoire. » (p.27) que le cartel de Médéline s’étoffe de personnages plus complexes, comme le commandant Dubak (rencontré dans L’Ange rouge) borgne qui va jeter son œil comme on jetterait autre chose dans la soupe, Gérald Hébert, barbouze dont les enfants Louis et Maximilien prêtent au personnage un aspect révolutionnaire terrorisant… On comprend alors qu’on ne va pas être dans le politiquement correct – et c’est rafraichissant – tout en étant dans le crédiblement possible (on navigue entre Plenel et Arfi, Le Foll et Jean-Luc Mélenchon, la NSA et la DGSE et même si les personnages principaux du roman sont fictifs, on pourrait presque les (re)connaître – c’est ballot, c’est même saisissant. On lit entraîné dans un tourbillon vers l’abime d’une bonde… dans laquelle même le mythe en airain che guevarresque est écorné : « cet enfoiré de transfuge de classe qui chopait la trique à chaque exécution sommaire ». (p.358) Un coup à mettre son tee-shirt ou son poster au clou.

Dans un style percutant, dépouillé, syncopé, elliptique (on sent l’influence de ou l’hommage à Ellroy) sujet-verbe-complément, bâtissant des phrases courtes, qui valsent, allant souvent à la ligne, comme on recharge un flingue, l’enquête ressemble à un compte rendu vachard qu’on pourrait afficher sur le mur des cons. Je ne sais si François Médéline sert la politique mais il dessert la vanité ambitieuse, le pragmatisme cynique et surtout, la manipulation dédaigneuse, et il accroche la médaille d’or à la violence d’où qu’elle vienne.

En mêlant le vrai à la fiction, on ne peut s’empêcher de penser que le plus étonnant n’est pas toujours cellui qu’on croit. Le trouble s’empare alors de nous et on regarde d’un autre filtre, sans complotisme mais sans naïveté, l’actualité politique brûlante que l’on trouve alors tiède si on pense à ce qu’elle cache. Elle seule l’histoire jugera.

« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil« *. Le pouvoir est maudit par essence alors qu’est-ce qu’on attend pour y mettre le feu ?

* René Char

François Braud

Livre reçu en service de presse ; merci à Flora Moricet. Papier, dont une 1ère version a été publiée dans le CDAP (Lettre M, partie 2), écrit en écoutant Le vrai changement, c’est quand ? de François Béranger.