La femme qui disait non

* Harlem, Tome 2, (p.7), Mikaël

Au programme ce jour : Harlem, Tomes 1 et 2 de Mikaël (Dargaud, 2022 et 2023, 56 pages* et 15€95 pour chaque tome)

* plus un cahier graphique de huit pages pour le 1er tirage

Queenie est la reine des loteries à Harlem. Elle prête de l’argent, fournit du travail tout en récoltant l’espoir sous forme de billets. Bishop un scribouillard, un journaliste qui se confesse au début du récit : « Ce que j’ai fait est impardonnable. Je le sais. » (p.3, Tome 1) Elle, est avant une femme noire, une étrangère, frenchie, venue des Antilles (Martinique). Lui, c’est un enfariné qui couche avec Tillie, qui s’abandonne parfois à une autre farine que la peau de son amant, elle, Tillie, c’est l’amie de Queenie. Queenie va embaucher Bishop pour corriger les écrits qu’elle fait passer hebdomadairement dans le journal dans lequel elle se plaint du racisme et de la corruption des flics comme l’Irlandais McCann et de l’ambition de Dutch le Hollandais qui veut mettre la main sur le quartier des Harlémites. Lui, Bishop, il rêve d’un grand article niveau Pulitzer pour raconter comment une petite noire est parvenue au sommet de Harlem. Elle, Queenie, refuse. Elle ne sait que dire non. Non à l’article, non à Dutch, non à Lucky Luciano. Non. Non. Non.

* Le personnage a réellement existé (on peut lire aussi Queenie, la marraine de Harlem, un roman graphique de Aurélie Lévy et Elisabeth Colomba (Éditions Anne Carrière, 2021)

C’est l’histoire de deux êtres qui n’écoutent pas les autres et qui ont la ténacité nécessaire à accepter la perte de ceuw qu’ils aiment. C’est l’histoire d’une guerre des gangs, d’un quartier et d’une ville. C’est l’histoire pyramidale de ses chefs : Queenie, Dutch Schultz, Lucky Luciano… C’est l’histoire de leurs inimitiés et de leurs amours. C’est l’histoire de Harlem par Mikaël, le portrait d’un quartier des années trente, de ses habitants, d’un peuple et d’une nation.

On navigue sur le temps, présent, au cœur de la dispute pour tenir le marché des loteries, passé, aux côtés de Queenie qui n’est pas encore Queenie mais Stéphanie St Clair (1897-1969), une petite fille femme noire qui refuse qu’on lui impose sa vie et qui agit et s’enfuit vers New York. On lui prête deux maris, assassinés, elle n’a que deux amis avec qui elle aime danser.

« As ye sow, so shall ye reap » (on récolte ce qu’on a semé)*

* contenu du télégramme envoyé par Queenie au chevet de Dutch à l’hôpital ; il fit les gros titres de la presse à l’époque.

Alternant action et dialogue, planches sombres du présent surchargés de détails et cadres bleutés du passé garnis de sous-entendus, Mikaël offre aux lecteurs sa vision d’une Harlem des années trente dans laquelle les pauvres jouent leur vie à la loterie, se saoulent de musique et tentent de survivre malgré la crise qui met au chômage la moitié d’entre eux. Le frontière entre la légalité et l’illégalité est ténue, la barrière quasi inexistante à tel point que même le maire, les flics n’en connaissent pas les limites et en jouent.

Une balade sombre et mélancolique dans l’âme de la dépression qui ne s’arrête jamais à l’économique…

François Braud

En veux-tu du Harlem, en voilà : Viper’s dream de Jake Lamar, Harlem shuffle de Colson Whitehead et toute l’œuvre de Chester Himes

papier écrit en écoutant Feeling good de Nina Simone

source et passeuse : Hélène, bon anniversaire, ma libraire des Instants libres