Neige révélée neige révélatrice

« La neige noircit sur les trottoirs, s’incruste de détritus. La poudre qui tombe du ciel blanc ne parvient pas à couvrir cette crasse. »*

* page 43 de La Neige était sale de Simenon, adapté par Fromental et Yslaire (Dargaud)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, focus sur un roman dur de Georges Simenon, La Neige état sale, mis en mots par Jean-Luc Fromental et en images par Yslaire (Dargaud, 2024, 100 pages, 23€50).

C’est un sale gamin. Élevé dans un bordel et déniaisé par une pute, Franck Friedmaier a tout juste 18 ans quand, pour voir, il cède à la tentation du crime gratuit dans une ville occupée et ravagée par la guerre : « Ce qui eut lieu cette nuit-là fut très différent d’un dépucelage. » (incipit, p.5) Il tue l’eunuque, un sergent des forces d’occupation, un vicieux, pas pour débarrasser la ville d’une saloperie, non, ni pour jouir de l’acte mais pour montrer l’étendue de son pouvoir à Holst, le père de Sissy, follement amoureuse de lui. Car Franck a un plan, un plan aussi sale que la neige lorsqu’elle est foulée par des bottes.

Ne pas trop en dire avant pour pouvoir en lire pendant. Sans pour autant privilégier le suspense dont l’histoire est vaccinée. Les arrangements de Franck avec le temps et avec ceux qui l’entourent sont de ceux qui terminent mal.

Je ne sais le travail effectué par Jean-Luc Fromental sur ce roman car il est aujourd’hui indisponible à l’achat* et atteint parfois des records à la vente d’occasion mais à la façon dont l’histoire est découpée, on se dit qu’il n’a dû que suivre le romancier et ne s’en détacher que pour recevoir les compliments des aficionados qui savent reconnaître quand on sert une œuvre avant de se servir soi-même. Yslaire quant à lui travaille toujours dans le ton (lisez Sambre et aussi XXe siècle.com) dans les nuances du gris et des pastels délavés de bleu nuit et de rouge sang.

* et je manque de temps pour faire une analyse comparée. J’y reviendrai peut-être quand j’aurais mis la main dessus…

Le récit est raconté – en partie – à la deuxième personne du singulier, ce qui lui donne un ton de morale, de fatalité, de récit édifiant. Une voix off sans fard ni pitié mais au plus près de l’âme : « Avec cette carte, tu deviens quelqu’un d’important. » (p.37), « Le vide te prend, tu sens ton cœur battre à tes temps. » (p.49) Qui accompagne Franck jusqu’au bout, comme pour le sauver, non, mais pour le sauver de ses abjections. Sur le chemin de la rédemption.

Divisée en trois parties, la vie de Franck file dans sa vie comme une comète : apparition, apogée, descente ou comme un triptyque religieux : annonciation, crucifixion et ascension. La Neige était sale est le chemin de croix parcouru par un jeune homme vers ce qu’il croit être la maturité ou l’expérience mais qui n’est que son destin et sa finalité. L’indifférence prend parfois de drôles de sentiers. La neige est le révélateur de l’histoire. Foulée par les hommes elle est sale, révélée. « Et du ciel si blanc, une neige immaculée s’est mise à tomber. » (excipit, p.101) C’est ainsi. Il suffit que l’homme touche pour.

François Braud

BD achetée en librairie aux Instants libres. L’occasion de réunir Simenon et Yslaire grâce au travail de JL Fromental, ça nous ramène aux débuts de Métal Hurlant et à Bidouille et Violette de Bernard Hislaire… et tient aujoud’hui de l’évidence. Papier écrit en écoutant Il neige de Murat.