Les ZAD de Jérémy Bouquin

* page 64 , Jérémy Bouquin, Bad run (Éditions du Caïman)

Qu’est-ce qu’il fait ? Qu’est-ce qu’il dit ? est une rubrique qui s’ouvre aux créateurs, qui leur donne la parole afin qu’ils s’expriment sur tout et surtout sur rien. Ils y laissent la trace de leurs obsessions, quelquefois des vestiges de leurs nouvelles, le plus souvent ils y disent ce qu’ils ont à y dire. Ils répondent parfois aux questions saugrenues de l’auteur de ce blog, comme dans Les ZAD de (Zones À Défendre) ; ils peuvent ainsi se lâcher comme le fait le critique au clavier qui met en avant un roman, un livre du créateur dans  » ce genre que nous aimons ». FB

Aujourd’hui, c’est Jérémy Bouquin qui s’y colle. L’auteur est un autodidacte de tout. Rien ne lui fait peur. Il réalise, il écrit, il scénarise, il invente et partage (la série N*). Finaliste pour le Trophée 813 de la nouvelle avec Maurice, il l’obtient l’an dernier pour Baraque à frites (In8). Récemment, c’est un roman au centre de son actualité littéraire, Bad run. J’en rends compte après lui avoir laissé le premier mot.

* Dans le CDAP, lettre N, on évoquera, avec Jérémy Bouquin, cette série de textes percutants…

Les ZAD de Jérémy Bouquin

Au moment où Macron distribue les breloques à qui lève le doigt et où les drones s’abattent comme la pluie, j’ai cru sain de demander à Jérémy Bouquin non pas d’annoncer son vote de 2027 mais de dévoiler ses ZAD, ses Zones À Défendre. Ce sont mes questions, voici ses réponses.

Une ZAD littéraire ?

Le roman noir, court, serré, intense.

Une ZAD politique ?

La place pour tous. Le respect. Le droit d’être heureux.

Une ZAD médiatique ?

Le journaliste libre, indépendant, poil à gratter.

Une ZAD sémantique ?

Le rapport entre l’homme et sa langue.

Une ZAD argotique ?

ADG.

Une ZAD sexuelle ?

L’imagination.

Une ZAD alimentaire ?

Le chocolat très noir.

Une ZAD viticole ?

Agnostique voir Athée (je ne bois pas).

Une ZAD SFCDT ?

Tout le temps, Soyons-désinvolte !

Une ZAD picturale ?

Le graffiti (j’en fait toujours).

Une ZAD historique ?

26 août 1970, des femmes se rendent à l’Arc de Triomphe,  déploient une banderole: « Il y a plus inconnu encore que le soldat : sa femme ».

Une ZAD sportive ?

L’écriture. Nécessite un entrainement régulier.

Une ZAD populaire ?

Le troquet.

Une ZAD vestimentaire ?

Le Bob.

Une ZAD animale ?

Le ciel.

Une ZAD cinématographique ?

Michael Cimino.

Une ZAD architecturale ?

Les usines Michelin (abandonnées).

Une ZAD photographique ?

Francesca Woodman.

Une ZAD offensive ?

Les colleuses.

Une ZAD musicale ?

Bérurier noir.

Une ZAD finale ?

Qu’est-ce qu’on attend ?

François Braud Jérémy Bouquin

Maintenant, on sait ce qu’il dit mais qu’est-ce qu’il fait ?

Un bon Bouquin

« Pas de photos, pas de réseaux sociaux, donc pas de photos en ligne non plus… C’est rare, voire presque intriguant. Juste cette adresse. »*

* page 64 , Jérémy Bouquin, Bad run

Bad run se dit au poker pour un mauvais cycle, une mauvaise passe. Harry s’en passerait bien vu qu’il a morflé sévère récemment : sa ferme sans sa femme est restée non restaurée. Elle lui manque. Gendarme à la retraite, il s’est recyclé comme « détroncheur » chez Lionnel dans un trou du Berry : il enquête et surveille ceux qui participent à la partie de poker aussi discrète que clandestine. Et pour une fois, un de ceux est une celle. Mais le problème est qu’il ne trouve rien du tout sur elle, comme si elle n’existait pas ou comme si elle était morte. Muriel est un fantôme. Ou celle par qui la mauvaise donne vous arrive en mains…

À l’os, à l’économie, phrases courtes, peu d’effet stylistique, des efforts de concision, Bad run carbure à la tension narrative et à l’introspection de Harry, les deux se répondant nous entraînent dans la danse, sur le tapis. Ça ne tourne pas, ça avance, vite, droit, la tête sur les épaules vacille mais quand il faut y aller, le choix n’en est plus un. On croit qu’on a les cartes en mains mais ce ne sont que des briques, des cartes sans importance, le jeu est ailleurs, on oublie qu’il y toujours quelqu’un qui distribue les rôles comme des cartes biseautées.

Tout y est si fluide que je n’ai pas réussi à m’arrêter pour coller sur une page un passage avec un post-it coloré. Tout semble juste, vrai, sans fioritures, comme un film aux dialogues qui ne sonnent pas juste ; ils le sont. Le silence est assourdissant, la neige crisse, le froid craquèle, les engelures tirent : c’est la musique d’un auteur qui ne prend pas la nature pour un décor mais pour ce qu’elle est : un personnage à part entière.

Jérémy Bouquin est décidément un auteur à suivre qui étonne, c’est évident, qui détonne, c’est rassurant, qui bétonne, c’est bluffant.

François Braud

J’ai découvert Jérémy Bouquin grâce à Marc Villard et sa collection Polaroïd chez In8, Marco si tu me lis… Livre acheté chez le Caïman, lors de sa souscription au début de l’année. Bande originale idéale : Michel Sardou. Ben quoi, la cassette est bloquée dans l’autoradio de Harry. Et c’est parti : « Terre-brû-lée-au-vent »… (ad libitum). En plus, il va l’avoir sa breloque… Papier recensé par bibliosurf (merci !) et déjà publié le 20 février 2024, .

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