Les ZAD de Pascale Dietrich

« Lorsque j’ai commencé à écrire de la fiction, j’ai fait le choix du noir pour l’enjeu dramatique, sans jamais y mettre un seul policier, mais en misant sur l’humour. »

* Pascale Dietrich, Télérama, 14 mai 2021

Qu’est-ce qu’elle fait ? Qu’est-ce qu’elle dit ? est une rubrique qui s’ouvre aux créatrices, qui leur donne la parole afin qu’elles s’expriment sur tout et surtout sur rien. Elles y laissent la trace de leurs obsessions, quelquefois des vestiges de leurs nouvelles, le plus souvent elles y disent ce qu’elles ont à y dire. Elles répondent parfois aux questions saugrenues de l’auteur de ce blog, comme dans Les ZAD de (Zones À Défendre) ; elles peuvent ainsi se lâcher comme le fait le critique au clavier qui met en avant un roman, un livre de la créatrice dans  » ce genre que nous aimons ». FB

Au programme ce jour : Les ZAD de Pascale Dietrich et la critique de son dernier roman, Faut pas rêver (Liana Levi, 2021, 201 pages, 17€)

Les ZAD de Pascale Dietrich

À l’heure de la retraite de la constitution (né en 1958), j’ai cru bon de demander en ces temps subsahariens à Pascale Dietrich non pas ses conseils congélation et ce qu’elle pensait de la cryogénisation de findus humains mais ses ZAD, Zones À Défendre. Ce sont mes questions, ce sont ses réponses.

(PHILIPPE MATSAS / OPALE / ÉDITIONS LIANA LEVI)

Une ZAD littéraire ?

La comédie noire.

Une ZAD politique ?

La liberté d’expression.

Une ZAD médiatique ?

Les journaux papier.

Une ZAD sémantique ?

Les métaphores.

Une ZAD argotique ?

Toutes les formes d’argot : c’est le langage des marges de la société, là où se situent la plupart de mes histoires.

Une ZAD sexuelle ?

Aucune : chacun fait ce qu’il veut dans son intimité !

Une ZAD alimentaire ?

Arrêtons de manger n’importe quoi : le saumon et le jambon roses n’existent pas.

Une ZAD viticole ?

Un verre de blanc bien frais, avec des huîtres.

Une ZAD SFCDT ?

Si ça veut bien dire « Se Foutre Carrément de Tout », c’est une attitude qu’il faudrait s’astreindre à adopter plusieurs fois par jour. En particulier face aux injonctions idiotes dans le monde du travail.

Une ZAD picturale ?

Les dessins de Franquin. Je les ai tant regardés et reproduits étant enfant.

Une ZAD historique ?

L’histoire qui aborde les évènements non pas du point de vue des dirigeants, des armées ou des personnalités médiatiques, mais de celui des gens ordinaires.

Une ZAD sportive ?

Depuis que mon fils joue au PSG-Hand-Ball, le hand ! « Ici c’est ? Paris !!!! »

Une ZAD populaire ?

Les fanfares de supporters de clubs sportifs.

Une ZAD vestimentaire ?

Les blousons en cuir du type de celui que porte Maggie Cheung dans le film Clean.

Une ZAD animale ?

Il faut étendre les zones où l’homme fiche la paix aux animaux. Et aussi arrêter l’élevage industriel, représentatif de la violence organisée à grande échelle dont sont capables nos sociétés.

Une ZAD cinématographique ?

Les films de Jacques Tati. Intelligents, critiques et drôles. J’adore aussi les films de Michel Hazanavicius.

Une ZAD architecturale ?

Les villes portuaires.

Une ZAD photographique ?

Les photos anciennes qui témoignent d’une autre époque.

Une ZAD offensive ?

La désobéissance civile, quand c’est nécessaire.

Une ZAD musicale ?

Le droit de chanter comme une casserole par-dessus un morceau qu’on aime.

Une ZAD finale ?

La fiction, y’a que ça de vrai !

François Braud / Pascale Dietrich

Maintenant, on sait ce qu’elle dit… Mais qu’est-ce qu’elle fait ?

Rêver à côté

La somniloquie de son compagnon l’inquiète. Il n’est pas le premier à parler la nuit dans son sommeil mais il faut reconnaître que le ton qu’il emploie apparaît virulent. D’autant plus que Carlos jacte en espagnol et qu’il ne se souvient de rien au réveil. Alors Louise a l’idée du dictaphone allié à sa copine hispanophone Jeanne ; à eux deux, ils vont lui ouvrir la boîte à rêves de Carlos. Elle va enfin comprendre. Louise est-elle consciente qu’elle prend le risque que cet attrape cauchemar ne soit une boîte de Pandore. Mais que voulez-vous ? Quand on veut savoir, on en paye le prix.

« Écoute, j’ai un collègue au labo qui est spécialiste du sommeil. Je peux lui demander conseil. La prochaine fois que je le vois. Il connaît tout sur le sujet. La fois passée, il m’a parlé d’un livre passionnant sur les rêves des Allemands sous le IIIème Reich. Tu sais qu’à cette époque, leurs rêves anticipaient l’horreur qui allait se prédire ? » (page 30)

Pascal Dietrich tricote là, de manière concise, comme à son habitude quand elle rédige nouvelles et novellas, un roman épatant, limpide, roboratif (le choix du noir) et addictif (ce fameux enjeu dramatique) qui pourrait pousser les critiques à dire qu’il se lit d’une traite mais c’est vous qui lisez et établissez le tempo.

Quand Zhuangzi rêve qu’il est un papillon et qu’il se réveille, il ne sait pas s’il est Zhuangzi qui avait rêvé qu’il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu’il était Zhuangzi. (Tchouang-tseu)

Justement , de tempo, il est question ici d’un tango, danse langoureuse dans laquelle un guide l’autre. Oui mais lequel ? Qui rêve le plus ? Le rêveur ou celui qui l’écoute.

Jeanne mène l’enquête. Son petit cluedo quotidien lui apporte des indices troublants, un expert en rêve l’inquiète assez pour qu’elle franchisse le pas : aller voir ailleurs, sur place, sur les lieux de. Les lieux de quoi d’ailleurs ? Du meurtre, du crime, de l’assassinat, de l’homicide. Comment qualifie-t-on l’acte qui consiste à zigouiller quelqu’un en rêve ? Carlos en rêve ou il l’a fait ?

« Le sommeil était peut-être l’un des derniers lieux où on pouvait s’exprimer sans avoir à se censurer et à se conformer au politiquement correct. » (page 49)

Carlos, le suspect absent , le mari parfait, le père en devenir modèle, maïeuticien de profession, est loin du suspect idéal. Et sous le prétexte qu’il ne faut pas le brusquer, ses interrogatoires matrimoniaux prennent la forme de questions anodines qui le rétractent comme une huître sous l’effet du citron. Il subit sans subir. Il fige l’intrigue. Il maroufle les doutes de sa compagne enceinte. De là à dire qu’il camoufle…

Du quotidien bohême urbain parisien (« Ils avaient emménagé dans un appartement du Xème arrondissement de Paris. Cuisine américaine et vue sur cour verdoyante. », page 9) au faste touristique balnéaire et piscinal de Marbella (« Tout ce qui ne devait pas tomber dans l’objectif des touristes se trouvait relégué loin du littoral : putes, toxicos, décharges sauvages au coin de la rue, pauvreté… », page 121), le rêve s’effiloche, s’étiole, s’évapore dans des brumes noires, au soleil étincelant du sud, le présent se fondant dans le passé. Car parler c’est se condamner parfois. Se taire, rêver à côté.

François Braud

livre acheté d’occasion

papier écrit en écoutant la plailiste de France inter, un jour de grève (la radio et moi) et notamment Les Cent prochaines années d’Albin de la Simone