La poupée qui dit oui #8 – (Le feuilleton de l’été 2021, saison 6)

Résumé des épisodes précédents : Zéphir a enfin parlé à Céleste. Le secret est partagé. Le cousin est cerné. Mais Flore est en danger. Céleste trop grande, il va sans doute s’en prendre à leur petite sœur. En attendant, le cousin n’est plus là. Il est parti. Où ? Va-t-il revenir ?

Bonne lecture.

Et rendez-vous tous les lundis sur BBB pour un nouvel épisode.

Et, selon la formule que le monde entier (du feuilleton) m’envie, vous me direz, hein ?

FB

La Poupée qui dit oui

François Braud

Épisode 8

Des âneries

Je suis descendu par l’escalier en colimaçon. Perdu dans mes pensées, j’ai cru qu’il tournait sans arrêt, que je n’allais jamais arrêter de descendre marche sur marche. Comme une vis sans fin. J’ai mis le pied par terre avec une légère impression de tournis. Et un mal de crâne tonitruant, le genre à faire la fête sans se soucier des voisins. J’ai eu alors comme une bouffée de chaleur. Le besoin d’eau s’est fait sentir de manière urgente. J’ai déambulé vers la salle de bains et me suis aspergé le visage avec l’eau du robinet. Ça allait mieux. Un peu. J’ai vu dans la glace la tête de quelqu’un de tourmenté, quelqu’un cherchant une solution à un problème qui ne semblait pas en avoir. On tournait en rond. Céleste tournait depuis bien plus longtemps que moi mais j’avais l’impression de la rattraper… et d’en être au même point qu’elle. Un cercle vicieux, voilà. Sauf que depuis peu de temps, la ronde se jouait à trois. Flore ne le savait pas mais elle était concernée. J’en frémis. Il n’était pas possible de ne rien faire. Oui, mais faire quoi ?

Pour s’en sortir, il faudrait parler. Parler, c’était se faire du mal. C’était faire du mal à papa, à maman et, évidemment à Flore. Ne rien dire aussi. Se taire paraissait alors la meilleure solution. Mais se taire c’était laisser une menace planer sur Flore.

Je regardais à nouveau droit devant moi. J’étais le même qu’hier ou qu’il y a quinze jours et pourtant. Quelque chose avait changé. Pourtant, à part quelques poils de barbe sur le menton, rien ne se voyait. C’était dans les yeux. J’y vis de la détermination. J’ouvris la bouche et, devant la glace, dis : 

– Ce n’est pas seulement son problème, c’est aussi le mien.

Et, avant que cela ne devienne celui de Flore, je décidai d’en parler tout de suite à papa et maman.

* * *

Papa lisait son journal, la Gazette de l’ouest, et touillait son café machinalement alors qu’il ne met pas de sucre.

– Bonjour, lançai-je à la cantonade.

À la cantonade, c’est le bon terme. Personne ne me répond. Papa semble être un personnage de la scène qui fait de la figuration et reste plongé dans la lecture du journal, noyé presque. Maman regarde par la fenêtre de la cuisine et semble absorbé par ce qu’elle voit, absente, dans les coulisses.

C’était le moment de se lâcher mais encore fallait-il qu’on m’écoute.

– Il y a des choses qu’on ne fait pas.

Papa a levé les yeux de son journal et m’a regardé d’un drôle d’air. J’avais enfin réussi à capter réellement son attention. Maman était toujours dans un état autant contemplatif que végétatif.

– Que veux-tu dire par là ?

– Tu ne le trouves pas un peu bizarre le Cousin ?

Maman est sortie de sa torpeur. Elle s’est retournée. Ses yeux lançaient des éclairs.

Le front de papa s’est ridé.

– Bizarre ?

Ses yeux se sont arrondis, j’ai cru qu’il allait dire : Bizarre, vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre… Une réplique d’un vieux film en noir et blanc (à la con, rajouterait Fabien….) qu’on avait vu en français au bahut.

– Je ne comprends pas.

Ça avait du mal à sortir.

– Ben, avec Céleste quoi…

– Comment ça avec Céleste ?

– Qu’est-ce que tu racontes ? est intervenue maman.

– Le cousin…. il est vachement proche, je trouve… de Céleste, je veux dire.

– Comment ça proche ? demande papa.

Maman soupire, les sourcils en accent circonflexes. Ça y est, elle est entrée en scène. Finies les coulisses et les rêveries. Papa plis son journal comme pour me montrer qu’il m’écoute.

– Alors ? insiste-t-il.

On n’allait pas y arriver. Il répondait à mes réponses par des questions. Et mes réponses étaient de plus en plus floues. Elles tournaient en rond, elles tournaient autour du pot…

– Je veux dire que je l’ai surpris en train de l’embrasser !

Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça mais c’est tout ce qui est sorti.

– Mais qu’est-ce que tu racontes ? a répété maman.

– Ben, c’est normal. Le cousin, c’est la famille. Il connaît Céleste depuis qu’elle est toute petite.

J’étais mal à l’aise mais je savais que j’avais raison. Raison d’en parler. Raison d’oser. Papa s’est servi un autre café en se passant la main sur le front.

Maman s’est soudainement emballée :

– Tu as le mensonge dans la peau ou quoi ? Tu ne fais que des bêtises. Tiens, le collège a appelé ! C’est quoi cette histoire de mauvaise blague faite à un professeur handicapé ?

Non, pas maintenant… J’ai essayé de reprendre la main.

– Je ne raconte pas de mensonges, je dis que le Cousin…

– Moi, je te parle de ton attitude au collège, m’a coupé maman. Tu molestes un handicapé, tu insultes les surveillants et en plus, le bouquet, tu ne vas pas à tous les cours. J’ai eu la Conseillère Principale d’Éducation. Tu ne vas pas couper à une retenue, voire un avertissement m’a-t-elle dit.

Tout m’échappait. Au moment où j’affrontais la vérité, mes petites histoires collégiennes me revenaient comme des gifles. Et maman noyait son chien en l’accusant de la rage.

– Je vous jure que le Cousin…

– Mais, il est pas bien ou quoi ? Dis quelque chose enfin, dit ma mère en se tournant vers mon père.

– C’est vrai, ta mère a raison. Qu’est-ce qui te prend de raconter des âneries ?

– J’ai faim, a crié Flore en déboulant dans la cuisine.

Le ventre ambulant a fait taire toutes les bouches.

* * *

Le week-end est passé dans une indifférence totale entre les membres de notre famille. Papa est allé s’enfermer dans son atelier, ne venant aux repas qu’en retard et partant en avance. Maman s’occupait de Flore et me regardait de travers. Céleste brillait par son absence et j’entendais sa musique, enfin, celle que Vali lui avait fait découvrir, sourdre des murs de sa chambre. Et moi, je ressassais la scène du samedi matin dans ma tête, la rejouant sans cesse afin qu’elle corresponde vraiment à ce que j’en avais attendue. Le dimanche a glissé comme le samedi. Et, j’ai fini par comprendre en regardant mes parents ne pas se parler que ça allait être difficile de les convaincre que leur ami, celui qui gardait leurs enfants autrefois, celui avec qui ils riaient depuis toujours, était en fait un monstre à deux visages. Ange en journée, diable le soir. J’ai compris que le combat serait long, très long.

Trop long.

Et, alors que je me couchais dimanche soir, on a frappé à ma porte.

– Oui ?

Papa est entré. Il a toussé, lâché des ça va ? sans attendre ma réponse. Et puis, d’un coup :

– A propos du cousin. On n’est pas prêt de le revoir.

Il m’a fixé, attendant que je réagisse. Où voulait-il en venir ? Je l’ai laissé mariner.

– Il part s’installer au Sri Lanka ! Un poste extra, paraît-il. À Mirissa ou quelque chose d’exotique comme ça. Au sud de l’île. Tu sais, le Sri Lanka, c’est comme une larme que l’Inde verserait. C’est pour cela qu’il est parti en urgence au travail. Il doit s’occuper d’un centre d’orphelins.

Et d’orphelines ?

– … Il doit mettre en place une campagne de vaccination et…

Il déroulait les informations mais je ne l’écoutais plus vraiment… Le Cousin partait. Au bout du monde. C’était quasi définitif. C’est tout ce que j’entendais. Il allait partir. Définitivement. À l’autre bout de la planète ou presque. Loin de Céleste. Elle était sauvée. Flore aussi. La suite de son histoire ne m’est revenue qu’après. Pendant la nuit…

Papa sorti, j’avais réfléchi un quart d’heure et décidé que je ne pouvais garder la nouvelle pour moi. J’étais sorti dans le couloir pour aller frapper à la porte de Céleste quand j’avais croisé maman qui sortait justement de sa chambre. Presque souriante. Presque rassurée.

– Ouais !

* * *

J’étais rentré dans la chambre de Céleste. Et je lui avais tout raconté. J’y avais mis toute ma joie, mon ardeur, ma conviction que le problème était résolu. Elle avait écouté, m’avait regardé, avait souri. J’avais cru en la bonne nouvelle. Et j’avais repensé à maman, sortant de la chambre de Céleste :

– Au fait, elle voulait quoi maman ?

– Rien.

– Rien ?

– Rien, j’te dis.

– Bon. Le cousin est parti, Flore ne risque plus rien maintenant. C’est fini.

J’étais soulagé. Puis Céleste m’avait alors regardé, ses yeux s’étaient embués.

Et j’avais douté alors en la voyant me répondre :

– Et moi ?

 

* * *

Céleste souffrait. L’arrêt n’entraînait pas la guérison. Je l’avais compris dans ses yeux vitrifiés, son sourire forcé, son désespoir profond. Et moi ?

Je savais où j’allais maintenant mettre les pieds : dans le plat. J’ai pris la décision vers quatre heures du matin. La décision de ne pas être un maillon de la chaîne. Je ne savais pas quand j’allais le faire mais j’allais le faire. Je me suis endormi aussitôt, on aurait dit que le sommeil pouvait enfin s’installer en moi, comme si, avant, la place était prise par quelque chose d’autre : la culpabilité peut-être…

Je ne me suis, à aucun moment, posé la question de savoir pourquoi papa était-il venu me raconter ça, à moi, dans ma chambre. Pourquoi n’avait-il pas dit cela à table, devant tout le monde ? Pourquoi n’était-il pas revenu sur ce que j’avais dit sur le cousin ?

Jamais je n’ai pensé qu’il avait essayé de noyer le poisson. Jusqu’à ce qu’il parle vraiment.

Interlude 8

Une mère sait ça

Une mère sait ça.

Je n’arrêtais pas de me répéter cette phrase lue entendue partout.

Elle tournait en moi mais ne semblait pas me concerner, elle me survolait mais ne me touchait pas, elle faisait écho et résonnait mais je la repoussais, sans cesse. Elle attaquait. Je me défendais naïvement, j’essayais d’y être indifférente, je l’entendais mais je ne voulais pas l’écouter. Mais elle sinuait, s’insinuait en moi, méandrait, squattait. Je l’évacuais par la porte, elle revenait par la fenêtre. Comme une fièvre qui se moque des antibiotiques, une plaie qui saigne, une cicatrice qui s’ouvre.

Je ne voulais pas la voir mais elle hurlait, me bousculait, me terrifiait.

Je fermais les yeux. Mais je l’entendais toujours. Je me bouchais les oreilles mais elle était quand même là. En moi.

En faire quoi alors ? De ça.

Et puis, j’ai affronté.

Se taire et protéger. En attendant. Elle n’est pas prête. Je le sais.

Une mère sent ça.

À suivre…