« Toutes les étoiles clouées… ne sont pas mortes »  

SORTIE AUJOUR’DHUI LE 6 MAI 2021

Là maintenant il faut bouger.

Tout de suite. (page 138)

Lucy, la Lucy de Total Labrador, nous l’avions découverte avec 19 500 $ la tonne, et laissée (l’auteur en est là en partie responsable), notre officier (on dit officière ?) à la CIA, sur le carreau, quelque peu abasourdie par un drone, qui est plus, lancée par l’agence.

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Mais Lucy a de la ressource.

De la ressource et une alliée.

Une alliée et un dinosaure.

De la ressource car elle a été bien formée : « [on] déconseillait le port des lunettes solaires qui attirent l’attention, pour peu que le temps soit gris ou qu’il fasse nuit (ne riez pas, j’ai connu des agents débiles qui se la jouaient ainsi). Tout le contraire de passer inaperçue ? Port du décolleté en V mis haut en avant, mini-short moulant ou jupe ras la touffe, maquillage de voiture volée – on ne remarque que vous mais on ne vous voit pas, si vous saisissez la nuance […] » (page 92)

Une alliée en la personne de Darby Chelsea Owens, sous-chef (on le dit, sous-cheffe) à la CIA, qui « a pris le temps de digérer la bonne nouvelle [Lucy Alexis Chan est vivante] puis celui de ne pas regretter d’avoir aussitôt réassigné son ex-officier ressuscité en se passant de son avis. » (page 146)

Un dinosaure comme celui qu’est l’agent français Dominique Perrignon : « … nous sommes vous et moi, malgré nos âges, les derniers dinosaures de notre espèce. Nous sommes promis à une extinction imminente, Lucy, si vous voyez ce que je veux dire ? » (page 173)

Le terrain compte en effet de moins en moins. « … le monde et la politique ont changé. … les États sont passés à l’espionnage industriel… … les combats se jouent dans le cyber-espace. » (page 173)

Lucy – un fantôme (page 262) – et Dominique – quantique (page 262) -, ce sont des agents secrets, pas des espions : « … dans le domaine du Renseignement […] les agents secrets, c’est nous, les Bons ; les espions, c’est l’ennemi, les Méchants. » (page 243) qui sont envoyés entre la France et l’Allemagne pour clarifier la brume qui ne se dissipe pas dans une histoire « d’ogives kazakhs manquantes, leur dépiautage et multiplication en autant de saloperies explosives et radioactives conditionnés comme des bagages à main, leur mise aux enchères… » (pages 152-153)

Ce qui fait le sel de ces espionnes et quantiques aventures, c’est l’écriture de l’auteur, et son cynisme déguisé sous l’aphorisme : l’homme est, par nature, mauvais mais comblé par son humour esthète qui lui fait ajouter à la suite, pour ceux qui prennent ça pour un sophisme, et c’est bon de le dire et de le contredire par quelques exemples bien choisis, car il faut bien vivre avec.

Lucy, c’est moi pourrait-il ainsi affirmer malicieusement dans sa barbe et de rajouter, cauteleusement : mais aussi Dominique (on l’entend entonner nique nique).

Mais Oppel c’est avant tout KitDik666 (Quoi de neuf, Gros ?), hacker délateur, lanceur d’alertes, acteur hors-jeu, convaincu de ne servir qu’à peu mais qui ainsi peut se regarder dans la glace le matin sans vomir, touitteur fou et blogueur à ses heures sur SpimSpamSpoum. Rétablir les quatre vérités, voire sept, il aime. Les 7 péchés du capital sont un régal de critique et d’humour. Lisez plutôt :

L’orgueil : « Les gros capitalistes aiment se la péter. […] Mais quel que soit le trône, on n’y est jamais assis que sur son cul. » (page 158)

L’avarice : « Là, pas de jaloux, tous concernés, même certains pauvres qui crèvent sur un trésor amassé sous par sou tout au long d’une vie de restrictions inutiles ! «  (Page 158)

La luxure : « … on sait que la pornographie légale se chiffre en milliards de dollars… j’en connais qui ont raté la présidence pour n’avoir pas été capables de maîtriser leur pulsions sexuelles… » (pages 160-161)

L’envie : « … le capitalisme ne sait être que glouton et en veut encore plus… Hors Forbes, point de salut. » (page 161)

La gourmandise : « … le capitaine d’industrie se goinfre comme un malade. Il a cent millions et il est malheureux parce qu’il n’en a pas cent dix, le goret. Alors il amasse, il amasse… »  (page 161-162)

La colère : « … tous ceux qui sont prêts à prendre les armes au moindre blocage de rond-point qui nuit à la bonne circulation des marchandises et contre cette saloperie d’écologie militante qui ne veut plus qu’une carcasse d’animal mort ou un canapé en faux-cuir traversent le ciel dans la soute d’un avion-cargo ou les océans en porte-containers carburant au fioul lourd. » (page 161)

La paresse : « Ne jamais confondre paresse et fainéantise. Le fainéant n’en fout pas une et récolte à la hauteur de son enjeu, c’est-à-dire des nèfles ; le paresseux s’organise pour en faire le moins possible pour en avoir le plus possible – et c’est tout un art. » (page 162)

L’art de Lucy, c’est d’être là où l’attend un nouveau départ ( « Toutes les étoiles clouées… ne sont pas mortes » – page 270), c’est-à-dire ne pas être là où on l’attend, comme à Thanksgiving à la table autour de la dinde traditionnelle (Page 286). La retrouvera-t-on dans le Haut-Karabakh ? À Wuhan en Chine ? On dit que la ville est confinée pour empêcher ses habitants d’en sortir, mais qu’en est-il de celle qui voudrait s’y introduire ? (Page 286)

On a hâte d’y être…

À suivre ?

Jean-Hugues Oppel, Noir diamant, la manufacture de livres, 294 pages, mai 2021, 19€90

François Braud