Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre M (Quatrième et dernière partie)

Ce post que vous allez lire est le 805e écrit depuis la création en avril 2016 de broblogblack. Bonne lecture.

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré : « Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime. » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

tome 28

Si vous avez manqué le débutrendez-vous à la fin !*

* pour retrouver ce qui est déjà du passé : les 27 premiers tomes…

aintenant, on en arrive au bout. Du M. De M le maudit à Francis Mizio, nous avions pensé faire le tour du Minotaure mais la bête a de l’encolure. Pour vous éviter de vous perdre dans le labyrinthe, il faut suivre le fil noir…

SOMMAIRE

anga par-là, manga par ici, j’aurais aussi pu vous parler d’Art Mengo auteur de succès intimes aux mélopées jazzy qui colorent tant de romans noirs ou de Mongo le magnifique, le héros ancienne vedette de cirque, détective privé et docteur en criminologie de Chesbro (évoqué par Pierre Lemaitre dans son Dictionnaire Amoureux du Polar chez PLON : « Je dois pas mal à Chesbro puisque c’est contre lui que j’ai écrit mon premier roman. », lire Le Coup de plume, ) et aussi de Christopher Moore (mais la lettre H comme Humour a déjà tiré toute la couverture à elle) mais le temps – assassin – me manque aussi me contenterai-je des notules suivantes qui vont faire la part belle aux mangas mais aussi à la BD et à certains héros : Monster (Urasawa), Montalbano et un 5/5 avec Serge Quadruppani (traducteur), Moon river (Fabcaro), Morane Robert (Delbrouck), Mort (La), My absolute darling (Tallent), My Home hero (Yamakawa Asaki) et (le Prix) Mystère de la critique et La Contribution de son coordinateur, Serge Breton.

Monster (Naoki Urasawa)

Machistador

éfiez-vous ! Ceci n’est pas (qu’) un manga ! C’est une saga familiale, un thriller, un anime, un phénomène !

J’ai lu Monster après avoir vaincu mon dédain pour le genre grâce à Ikigami (dont la publicité avait atteint mon cerveau (certes buté mais sans barrières) avec l’accroche Ceci n’est pas un manga ! – que je me permets donc de reprendre ici.

Paru au Japon (vingt millions d’exemplaires vendus !) entre 1995 et 2002 (il obtient le prix culturel Osamu Tezuka en 1999* et le prix Shōgakukan – le Goncourt du manga au Japon – en 2001), Monster est publié en France chez Kana – une filiale de Dargaud, adapté en anime – 74 épisodes (c’est comme ça qu’on dit pour un manga d’animation), réédité en intégrale (Ultimate : 9 tomes regroupant deux épisodes – nouveau format, plus grand, nouvelles couvertures)…

* Naoki Urasawa le gagnera à nouveau en 2005 avec Pluto.

1986. Allemagne de l’ouest. Düsseldorf. Eisler Memorial Hospital. Le Dr Kenzô Tenma est neuro chirurgien et il a des principes. Quand on lui ordonne d’opérer le maire, il refuse préférant s’occuper d’un jeune garçon, Johann, arrivé blessé à la tête avec sa sœur jumelle, Nina, en état de choc. S’il sauve le garçon, le maire lui, en revanche meurt et le Dr Tenma va payer pour ça le prix fort. Il est rétrogradé et sa fiancée, Éva, le quitte. Les jumeaux disparaissent dans un remous sanglant de meurtres (deux médecins et le directeur de l’hôpital). Ce n’est que neuf plus tard qu’il apprend que le jeune garçon qu’il a sauvé est devenu un monstre. Il décide de le retrouver afin de rendre justice aux victimes et de payer sa part de culpabilité. D’autant plus qu’il est suspecté par le commissaire Runge d’être le meurtrier du directeur de l’hôpital et de deux médecins. La course poursuite est alors engagée.*

* Ce n’est ici que le teaser correspondant au 1er épisode de Monster, Herr Doktor Tenma, de Naoki Urasawa, Kana, 2001, 212 pages, 7€45

Ce thriller psychologique s’inscrit parfaitement dans la géopolitique mondiale de la fin de la guerre froide et de la réunification allemande dans laquelle le passé ne passe pas mais régurgite d’agents, ex-agents, d’agents retournés, de policiers tenaces et de policiers véreux et d’ex-nazis et autres fanatiques de la race pure. Il y a du Zola, hé oui, dans cette saga tant les personnages sont nombreux, épais et entiers. Il y a aussi du Hugo, rien que ça, dans Monster. Du Javert dans Runge et du Valjean dans Tenma. Est-ce à dire que Johann et Nina seraient Gavroche et Cosette ? Je vous laisse vous enfiler les 18 tomes (éditions Kana) pour répondre à cette interrogation.

Servi par un trait fin, des décors fouillés, des jeux d’ombres et de lumières dévoilés par la trilogie noir gris blanc, un souci de mise en page constant très cinématographique, une scénarisation au cordeau, complexe mais passionnante, qui prend le temps de poser le temps, des dialogues réalistes sans être lénifiants, intérieurs comme directs, l’utilisation de cliffhangers redoutables, Monster est un précis d’addiction qui, sans renier les techniques du manga s’en affranchit pour convaincre les amateurs, amatrices et néophytes de tout âge et tout milieu. Une réussite.

Lire Monster, c’est ne plus regarder le manga comme avant. Vous vous jetterez comme un-mort-la-faim (on se fait vite à cet aspect feuilleton du manga et ses tomes innombrables, relisant inlassablement la série quand un nouveau tome paraît) sur 20th Century Boys, Master Keaton, Pluto, Billy Bat, Asadora ! (série en cours)… Vous lirez, le Japon ce n’est pas que les cerisiers en fleurs…

À venir, N comme Noir nippon

Montalbano

Mama Sam

ontalbano, je suis. C’est ainsi que le héros d’Andrea Camilleri – qui doit son patronyme à Manuel Vázquez Montalbán, il maestro italien adorait Pepe Carvalho – se présente. C’est qu’il faut s’habituer au parler camillerese. On n’entre pas chez le dottori, le commissaire, à Marinella, à son domicile face à la mer ou au commissariat de Vigàta comme ça. Ça se mérite. Et c’est son traducteur, Serge Quadruppani qui nous y aide. Comme dit Pierre Lemaître : on a tous lu Serge Quadruppani sans le savoir : « Quand j’ai rencontré Serge Quadruppani à Toulouse, à Polars du Sud, je ne savais pas que je l’avais lu. » Il a en effet traduit de l’italien « Camilleri, Fois, Carlotto, Lucarelli, De Cataldo et tant d’autres » C’est le propre des traducteurs que de s’effacer derrière l’auteur : « c’est la grande injustice qui frappe les traducteurs. » Serge Quadruppani s’en amuse même, de ce drame intime de la bigamie qui frappe les auteurs traducteurs (lire plus bas le 5/5) car « cet homme est aussi romancier. » (DAP, opus cité, p.587-588)

Luca Zingaretti (et Andréa Camilleri) incarne le commissaire Salvo Montalbano dans la série télévisée Commissaire Montalbano.

Montalbano, c’est un membre de la famille. On y tient. On sait qu’on va le perdre ; Camilleri ayant annoncé qu’il avait écrit sa dernière aventure qui ne serait publiée qu’après sa mort à lui, son créateur. Or, Camilleri* est décédé le 17 juillet 2019. On peut donc profiter de lui en attendant sa dernière aventure. J’ai demandé à Serge Quadruppani ce qu’il en était. Voilà ce qu’il m’a répondu : « Riccardino a été écrit en 2005 par Andrea, et révisé en 2016, dans l’intention précise de clore la série des Montalbano après la mort de l’auteur. Le commissaire à la fin disparaît, mais je ne te dis pas comment, ce serait dommage ! C’est un très beau roman, un petit chef d’œuvre résumant la série, le rapport entre l’auteur et le personnage… Je l’ai déjà traduit, mais il faudra attendre deux ans avant de le lire en français : le Fleuve** doit d’abord publier La Méthode Catalanotti, le dernier Montalbano écrit de son vivant par Andrea. C’est aussi un bien beau livre, dans lequel on trouve de larges échos de la première partie de la vie professionnelle de l’auteur, qu’il avait consacrée au théâtre, comme metteur en scène et producteur. »

* Dont j’ai déjà parlé à la lettre H comme Humour… ** Toute la série des Montalbano est parue au Fleuve noir (FN) en grand format et chez Pocket (P) en poche et est traduite par Serge Quadruppani (SQ).

Montalbano, je suis

Salvo Montalbano naît sur le papier en 1994 en Italie et en 1998 en France, traduit par Serge Quadruppani dans La Forme de l’eau*. Il est évidemment plus âgé (né le 6 septembre 1950 – UVDLE*) que ne laissent supposer ces dates auxquelles il apparaît. Il vieillit lentement entre la quarantaine et au-delà de la soixantaine d’aventure en aventure (30 romans et 5 recueils de nouvelles) dans sa Sicile natale (il est né à Vigàta qui ressemble comme deux gouttes de café à Porto Empedocle où est né Camilleri) où il travaille dans un commissariat aux côtés de l’inénarrable Catarella – ou Catarè – incapable de retenir un nom propre sans l’écorcher ou d’ouvrir une porte sans la claquer dans un fracas qui fait sursauter tout le commissariat tout en demandant « compression et pardonnement » mais dévoué à son dottore comme un chien à son maître et doué en informatique au point de sauver Montalbano dans cette activité qu’il a en horreur juste après celle qui consiste à signer les papiers administratifs à en avoir mal au bras (« ces papiers haïs qui formaient ‘ne pile à l’équilibre ‘nstable sur son bureau. » **).

Fazio, fin limier, spécialiste des généalogies des suspects et témoins (il souffre du « complexe de l’état civil ») et qui devance souvent Montalbano déjà fait – ce qui l’énerve au plus haut point *** et Mimi Augello, coureur trousseur de jupons mais marié avec Beba, son fidèle adjoint – un bon flic même si Montalbano le reconnaît difficilement devant lui – forment son équipe rapprochée. Et puis il y a le cirque équestre, ceux qui tournent autour du catafero (cadavre).

Montalbano y a des ennemis, comme le questeur Bonetti-Alderighi, des collègues, comme le procureur Tommaseo, conducteur qui s’emplafonne régulièrement ou le légiste – bougon, joueur acharné de poker – Pasquano (qui « aimerait tant » faire l’autopsie de Montalbano). Et puis il y a les indics comme les fils d’Adelina, bandits plus ou moins repentis qu’il a mis parfois en prison et les journalistes de la télé locale, Nicolò Zito, un ami intime de Retelibera qui se prête parfois à un appel à témoins ou à une bonimenterie de Montalbano pour faire sortir le loup du bois… ou Ragonèse de Televigàta, un porte-parole de la Mafia.

* Il a 58 ans, par exemple, dans Une voix dans l’ombre (UVDLO), Une voce di notte, traduit par SQ, FN, 2017, 248 pages, 20€. Il déjeune avec son père avec qui les rapports sont tendus, dans La Transaction, une nouvelle de Mort en pleine mer (MEPM), Morte in mare aperto, FN, traduit par SQ, 2021, 301 pages, 19€90 **La Forme de l’eau (LFDLE), La forma dell’acqua, traduit par SQ, FN, 2000, 251 pages, 15€09 *** Le Manège des erreurs (LMDE), La giostra degli scambi, FN, traduit par SQ, 2020, 252 pages, 19€90, pages 42, 51

C’est un flic à l’ancienne, qui pense que « la police perd[…] l’intuition et accept[e] passivement les résultats scientifiques »* même s’il est toujours à l’affut qu’un catafero parle grâce à la science de Pasquano. Il reconnaît une chose ; flics et voleurs ont un point commun : « … quand ils fouillaient un appartement : un tremblement de terre aurait certainement laissé les choses plus en ordre. » ** mais diffèrent sur une autre chose : lui, contrairement à eux, est un « infatigable chercheur de vérité en public » mais un « grandiose bonimenteur en privé. »** Ce qu’il n’aime pas, c’est « les trucs qui restent sans explication, ça [le] dérange »…***

* p.103, L’Autre bout du fil (LABDF), L’altro capo del filo, FN, traduit par SQ, 2021, 284 pages, 19€90 ** Le Sourire d’Angelica (LSDA), Il sourriso di Angelica, FN, traduit par SQ, 2015, 271 pages, 20€ *** MEPM, opus cité

Côté privé, il convole – mais chacun chez soi – avec Livia, avec qui il enchaîne les tracassins et les disputes, il s’égare quelquefois dans d’autres bras féminins – Ingrid, Angélique… mais reste jaloux (« la pire des jalousies, celle du passé », LSDA, opus cité, p.138). Livia ne sait malheureusement pas cuisiner mais elle l’ignore. Montalbano ne pourrait se passer non plus d’Adelina – il faut éviter que les deux femmes ne se croisent ; elles se haïssent – qui est sa bonne mais surtout sa cuisinière qui lui laisse – frigo ou four ? – des plats qu’il savoure dans sa véranda chez lui, à Marinella, face à la mer (après viennent le café, la cigarette et le whisky). Le midi, il mange chez Enzo qui non seulement sait cuisiner mais qui sait aussi se taire car le commissaire a horreur de parler ne mangeant. Manger est un acte silencieux chez lui. Et après, c’est la promenade sur le môle au bout du quai où il y a le phare et la discussion parfois avec un crabe, un pigeon, voire tout seul ou à lui-même, se scindant alors en deux, thèse antithèse, peinant à faire la synthèse. Il n’a pas d’enfant même si lui et Livia ont failli en adopter un, François, mais ils y ont renoncé et, de toute façon, la vie de François s’est terminé tragiquement*. Son souvenir reste vivace.**

* Lire Le Voleur de goûter (LVDG), Il ladro di merendine, traduit par SQ, FN, 2000, 331 pages, 16€62 et Une lame de lumière (ULDL), Una lama di luce, traduit par SQ, Pocket n°17066, 276 pages, 7€70 **page 174, Le Filet de protection (LFDP), Andrea Camilleri, Le rete di prottezione, FN, traduit par SQ, 2023, 283 pages, 20€90

Montalbano est un homme qu’on aime mais qui ne s’aime pas beaucoup…

Montalbano, c’est aussi un lecteur exigeant : il aime (nous aussi) Manzini et la série Rocco Schiavone (lire M, partie 2) : « Il réussit même à lire quelques belles pages d’un roman qui avait comme personnage principal un questeur adjoint romain envoyé dans les neiges d’Aoste. La seul pinsée de s’atrouver à la place de ce collègue lui fit courir des frissons de froid le long du dos. » (LABDF, opus cité, p.62) et Sciasca (Double enquête, dans MEPM). La preuve que c’est un grand lecteur ? « À Marinella, il se prépara sa valise en cinq minutes, il mit plus de temps à se choisir les livres qu’il emportait. » (LVDG, opus cité, p.306). À noter que Montalbano aime le roman policier mais pas le roman d’espionnage « qui lui garantissait le sommeil vue qu[…]‘il n’y comprenait rien. » (LABDF, opus cité, p.271)

« A bon’é ca si mori »*

* Heureusement qu’il y a la mort, cité par SQ, préface, p.23, (LFDLE), opus cité.

Tout commence souvent dans le chapitre 1 (il y en a le plus souvent 18*) ainsi : Montalbano se fait un rêve et s’aréveille sans pouvoir fournir d’explication à ce tracassin du sommeil. Et ça, il aime pas ça Montalbano ne pas comprendre. Il lui reste 17 chapitres pour y arriver.

* 16 pour LFDLE, opus cité, 25 pour Chien de faïence (CDF), Il cane di terracotta, traduit par SQ, FN, 1999, 350 pages, 52 francs (sic), 20 pour LVDG, opus cité, 17 pour L’excursion à Tindari (LEAT), La gita a Tindari, traduit par SQ, FN, 2002, 220 pages, 16€50, 16 pour L’Odeur de la nuit (LODLN), L’odore della notte, traduit par SQ, FN, 200 pages, 18€, 17 pour Le Tour de la bouée (LTDLB), Il giro di boa, traduit par SQ, FN, 234 pages, 18€50, 17 pour Un été ardent (UEA), La vampa d’agostc, traduit par SQ, Pocket, 251 pages, 7€70… Bon il semble qu’après ce titre, tous les autres aient 18 chapitres. Pour une bibliographie complète des Montalbano de Camilleri, lire .

Trois grands thèmes parcourent l’œuvre de Camilleri et la série des Montalbano : l’humour, la Sicile et l’engagement.

On sourit. On rit. Aux éclats parfois. Les efforts de Catarella et la patience de Montalbano à son égard sont au centre de l’humour de Camilleri. La maladresse du premier couplé à la bougonnerie du second font mouche à chaque fois et on s’y laisse prendre comme le commissaire se fait avoir à chaque fois que Catarella lui passe un interlocuteur au téléphone, il oublie que le nom a été mangé et recraché comme l’agent d’accueil l’a compris entendu : c’est-à-dire mal. D’autres fois Montalbano joue avec les mots : « – Oui, monsieur le Questeur, mais… – Pas de mais ! – Puis-je utiliser « néanmoins » à la place de « mais » ? » *, se moque de l’apparente beauté du « … sourire que pour le supporter il fallait des lunettes de soleil » * ou de la réelle tristesse d’« un quinquagénaire (…) qui avait un air lugubre d’orphelin de naissance, une mélancolie qui ôtait le plaisir de vivre à ceux qui l’approchaient »** et des chieurs qui parlent en mangeant, des bons à rien qui n’ont « pas la moindre envie d’être bon à quelque chose », des témoins qui veulent se confier : « … pour s’inventer des moyens de se casser les burnes, l’imagination de l’homme ne connaît pas de limites. » *, se perd systématiquement au ‘pital (hôpital) etc.

* LMDE, opus cité, p.84, p.108, p.110 ** MEPM, opus cité, p.206

Les objets aussi ont une âme, maléfique souvent : « … derrière, un siège pivotant aérodynamique, orientable, inclinable et réglable, tout en molettes et en leviers, du genre qu’avant de s’y asseoir, il fallait d’abord passer un permis… » (LMDE, opus cité, p.53). Le tiléphone qui sonne en permanence au bureau, à Marinella, dans sa poche est un grandissime tracassin mais aussi un moteur de l’énigme.

« Nuttata persa e figlia fimmina »*

* « Une nuit de perdue, et c’est une fille. »

La Sicile : son parler, sa cuisine et sa Mafia. Mais la conscience politique de Camilleri font de lui autre chose qu’un guide drolatique touristo-gastronomico-linguistique ; un homme engagé tentant de nous faire découvrir une « civilisation très ancienne et très moderne » (préface de SQ).

Le camillerese. Il n’y a que SQ qui puisse nous en parler en connaissances, de fait, il le traduit. C’est, ce que je crois, en partie, une raison de la réussite de la série avec, évidemment, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit, le talent de Camilleri. Ce ne fut pas une évidence si l’on « écoute » Serge Quadruppani, dans LFDLE : « Mais comment vas-tu traduire Camilleri ? » lui demandaient les lecteurs italiens. « … en français » répondait-il. Et quand ils ajoutaient : « comment on pouvait restituer aux lecteurs français l’impression que Camilleri produit sur ses lecteurs italiens », il répondait : « on ne le pouvait pas. » (p.16, opus cité)

Le problème selon lui réside dans le fait que Camilleri utilise trois niveaux de langue* : « l’italien des Italiens, qui ne présente pas de difficulté particulière », « le dialecte pur », langue du peuple, proche de l’italien, qui « se passe  » alors de traduction et « la langue paternelle », cet « italien sicilianisé », langue du narrateur, de Montalbano et de la plupart des personnages, truffée de « régionalismes« . C’est à ce niveau que SQ, et c’est là le secret de sa réussite, a placé des termes de « francitan » ou « français occitanisé« , comme « minot » et a adapté la syntaxe française à cette « langue paternelle » par des « tournures » comme les inversions, « Sicilien je suis« , « Siciliano sono« , l’utilisation curieux du passé simple là où le présent suffirait « : « Chi successi ?« , « Que se passa-t-il ?« , l’usage intempérant de la préposition à avec des verbes directs ; « se faisait un rêve »), les déformations : « pinsare pour pensare » (pinsée pour pensée, s’arappeler)… Tout cela pour nous offrir « cette étrange familiarité que procure sa langue, écho de ce qu’on éprouve en rencontrant, en même temps qu’une île, une très ancienne et très moderne civilisation. » (préface, par exemple, de La Danse de la mouette (LDDLM), La danza del gabiano, traduit par SQ, FN, 2014, 298 pages, 20€20).

* Dans L’Opéra de Vigàta, hors cycle Montalbano, Camilleri explique qu’il y a trois manières de parler en Sicile : « parler latin » = « parler clairement », « parler spartiate » = « avec des gros mots » et « parler de manière obscure » = « parler sicilien ». (cité dans La Transaction, MEPM, opus cité, p.166)

La cuisine sicilienne. On salive rien qu’en lisant et je soupçonne même que la balance, une fois le livre lu, affiche un poids plus important après qu’avant la lecture. Le mieux, c’est de lire les Montalbano ou le livres de recettes qu’ont écrit SQ et Maruzza Lorria (comme le signale SQ dans son 5/5, lire plus bas), voire de déguster en trouvant une trattoria… Tout le monde en Sicile semble partager cet art de vivre. On se damnerait pour des arancini, des ‘ncasciata ou des cannoli

Pour les affaires, le partage est plus difficile. Deux familles de la Mafia se disputent la région de Vigàta : les Sinagra et les Cuffaro. Et tant que l’équilibre n’est pas rompu, le coin peut paraître tranquille. Souvent au cours de ses enquêtes, quand on soupçonne – à tort – la Mafia d’y tremper, chaque camp se permet de tiléphoner de manière très urbaine à Montalbano pour se disculper, ce qui permet de faire avancer les choses. La Mafia qui fait payer le pizzo donne des idées aux entreprises qui développent les pots de vins pour décrocher auprès des politiques de quoi s’arracher un marché afin de faire des affaires. Et quand ça dégénère, un meurtre dans un camp est souvent annulé par un assassinat dans l’autre. Souvent, quand la Mafia est impliquée, tout le monde se tait. C’est ainsi que si Camilleri n’en fait jamais le sujet principal d’une de ses œuvres, il en parle constamment dans presque tous ses livres. Dans LFDLE, un homme politique retrouvé mort est soupçonné de pots de vin avec la Mafia ou dans CDF un mafieux voulant se livrer à Montalbano est assassiné. On comprend qu’en Sicile, la Mafia, c’est un versant du quotidien, un versant mais pas le tout, une partie seulement. Et, en la laissant de côté, en quelque sorte, sans la négliger, il démontre sa résistance, son engagement.

Pour bien appréhender les rapports entre Montalbano et la Mafia, il faut lire Conformément à la procédure et La Transaction (nouvelle, MEPM, opus cité, p.195 et p.161) qui permettra de comprendre comment les deux « dialoguent » et comment Montalbano peut s’assurer de servir une justice à défaut de la justice…

L’engagement de Montalbano se résume d’abord à un refus de la bêtise, malgré sa grande complaisance pour certains, comme Catarella, à une méfiance envers l’hypocrisie de la hiérarchie, des politiques (« À la communauté européenne, ils sont tous là à proposer des directives sur l’immigration tout en se tapant des spaghettis bien de chez nous. » LABDF, opus cité, p.248) et à la capacité à cacher parfois des vérités : « Quand il était gamin en 1968, Montalbano aussi avait crié que la vérité est révolutionnaire, que la vérité doit toujours être dite. Non, non, il y avait longtemps qu’il savait que la vérité, certaines fois, il valait mieux la garder dans l’ombre, dans l’obscurité la plus profonde, sans même la lueur de l’allumette. » (LFDP, opus cité, p.284) En fait, comme le dit son traducteur dans sa nouvelle préface (écrite après le décès de Camilleri comme une lettre ouverte à Montalbano) : Montalbano est « beaucoup moins intéressé à conclure [l]es histoires en présentant un coupable à la justice qu’à remettre un peu de justice dans le monde ». (LFDP, opus cité, p.8)

« Pauvre mer ! Bien sûr, ce petit supplément d’ordures ne lui infligerait pas une grande souffrance par rapport à tout ce que chaque jour on déversait dedans : plastique, déchets toxiques, dégorgements d’égouts. Mais elle avait certainement davantage souffert des milliers et des milliers de corps de désespérés, des gens morts dans l’espoir de rejondre la côte italienne pour échapper aux guerres ou se gagner un quignon de pain. »*

LFDP, opus cité, p.213

Les migrants, que l’Italie accueille plus ou moins avec les bras ou les pieds, sont souvent au cœur des intrigues développées (comme avec LABDF, opus cité) et Camilleri n’hésite pas à dire, par personnages interposés, toute l’horreur que lui confère cette situation : un pêcheur, « – Vous savez, dottori, en ce moment, pas la peine d’aller pêcher. On ramène plus de morts que de poissons. » (p.30, LABDF, opus cité) et tout le mal qu’il pense des politiques anti-migratoires : Montalbano,  » Moi, je pense qu’après le grand rêve de c’t’Europe unie, nous avons fait de notre mieux pour en détruire les fondements. Nous avons envoyé se faire foutre l’histoire, la politique, l’économie communes. La seule chose qui restait peut-être ‘ntacte, c’était cette idée de paix. Passque après s’être entre-massacrés pendant des siècles, on n’en pouvait plus. Mais maintenant, on l’a oubliée, cette idée, et donc, on a trouvé la bonne excuse de c’tes migrants pour remettre des frontières, des vieilles et des nouvelles, avec des barbelés. Ils disent qu’au milieu de c’tes migrants, il y a des terroristes qui se cachent, au lieu de dire que ces malheureux fuient justement les terroristes. » (LABDF, opus cité, page 84)

Il est comme ça Camilleri, il n’a pas de solution, juste des remèdes qui s’appelle le bon sens, l’intelligence et l’empathie. Et pour les appliquer, il se donne même un rôle parfois dans ses fictions : « … j’ai appelé le Dr Camilleri pour qu’il lui donne quelque chose qui le fasse se sentir mieux. » (LABDF, opus cité, p.249) Et après avoir lu un Camilleri, c’est vrai. On se sent mieux. C’était un cantastoria fantastique : « … un conteur hors pair, qui se lançait dans des récits magnifiques, tantôt d’une ironie amère, tantôt hilarants, toujours surprenants, chaque fois qu’on avait passé le stade des politesses, toujours exquises chez lui car c’était aussi un gentilhomme. Il faut entendre « gentilhomme » dans un sens très particulier : il s’agit d’une forme de noblesse typique de la Sicile, celle de ces aristocrates qui ne parlaient volontiers que le français ou alors le dialecte, manifestant ainsi à la fois leur volonté d’universalité et leur attachement aux racines populaires. Il s’agit aussi de ce que d’autres ont nommé « la décence ordinaire » : le sentiment qu’il y a des choses qui ne se font pas, quel que soit le prix – par exemple laisser mourir des gens en mer. Une des dernières manifestations publiques d’Andrea aura été une vidéo dans laquelle il s’en prend au refus de Salvini d’accueillir les naufragés migrants de la Méditerranée. » (Serge Quadruppani, En attendant Nadeau)

Dernier Montalbano paru : Le Filet de protection

5/5 avec Serge Quadruppani (traducteur)

1. Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Montalbano ? Et avec Camilleri ?

Ma première rencontre avec Montalbano, c’était à la fin du siècle dernier, chez Maruzza Loria, ma compagne sicilienne de l’époque, dans son appartement de Rome, où traînaient des livres de Camilleri, dont les premiers Montalbano, dans la belle collection bleue de Sellerio. Comme je l’ai déjà expliqué, j’apprenais alors l’italien en sa compagnie (non, je ne suis pas italien de naissance, même si tous mes ancêtres le sont) et j’ai appris en même temps le camillerien, de sorte que c’est en quelque sorte ma troisième langue. Maruzza et moi avons assez rapidement rencontré le Maestro qui habitait lui aussi la Capitale et nous sommes devenus amis de ce très grand, très chaleureux et très attachant cantastoria.

2. Traduire, c’est : trahir ? créer ? interpréter ? Ou « faciliter l’agilité du passage d’une langue à l’autre »* et être « un soutier »** qui travaille dans l’ombre ?

Traduire c’est restituer au mieux la voix de l’auteur en la transposant d’un univers mental à un autre. Une langue n’est pas qu’une somme de mots et de règles de syntaxe, c’est une façon de voir le monde, de le mettre en sons et en sens. Ce passage d’un univers mental à un autre a toujours quelque chose de frustrant, on a toujours le sentiment que quelque chose se perd, mais s’il n’y avait pas cette « perte », cette « trahison » aussi fidèle que possible, c’est toute la littérature mondiale, sauf celle du canton de notre naissance, qui nous échapperait.

* Sophie Aslanides ** Pierre Bondil

3. Quelle place occupe, selon vous, le roman noir italien ?

J’ignore ce qu’il en est de la place que le roman noir italien occupe dans la comptabilité financière de l’industrie culturelle. Sans doute est-elle modeste par rapport aux grandes machines anglo-américaines mais peu importe, c’est un secteur toujours dynamique et fécond, en prise avec l’époque.

4. Traduire, est-ce s’amputer du temps pour écrire ?

Oui, et réciproquement. C’est une sorte de drame intime de la bigamie.

5. Qui est votre « sans qui, rien n’aurait été possible » ?

Sans Maruzza Loria, avec qui j’ai par ailleurs co-écrit A la table de Yasmina, sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d’Arabie, (Métailié) je n’aurais pas plongé dans la mer langagière et littéraire de la Péninsule et exploré quelques-unes de ses régions enchantées.

Moon river (Fabcaro)

Qui de nous deux

ais si ! Je vais me gêner. « Je fais une histoire de bite sur la joue si je veux… »

La nouvelle est tombée sur les téléscripteurs.

Ha ? On me susurre dans l’oreillette que les téléscripteurs sont exposés aujourd’hui dans les musées et que tout passerait désormais par le canal numérique. Ha bon ? Méfions-nous : le complot n’est jamais loin, prenons cette information avec des pincettes. Ce qui ne remet pas en cause la première partie de ma première phrase.

Quoique. Une nouvelle peut-elle tomber ? J’y réfléchis. Là. Ben non. Une nouvelle ne peut pas tomber, ni glisser, ni marcher au pas, quoique certaines ont une allure martiale avec leurs mots droits comme la couture d’un pantalon kaki, affutés comme une gourde en acier détrempé dans le barda d’un purotin, avec les mots qui chantent sombre et leurs appels à aller mourir pour la patrie, leurs chiffres qui imposent de choisir le moindre entre deux maux, et…

Je m’égare.

Ne reste plus donc que la première partie de la première partie de ma première phrase. Comme disait mon père, qui avait fait la guerre d’Algérie, ça fait pas bézef. Enfin, la guerre d’Algérie, il était postier, il triait les lettres à Constantine avec un fusil sur l’épaule ce qui lui aurait permis d’obtenir la carte d’ancien combattant mais non il n’en voulait pas, il était comme ça papa, ne pas se mettre en avant, ne mériter que ce qu’on mérite, et pis c’est tout.

Je me suis perdu.

De quoi-je parlai-je  ? Ha oui. La nouvelle.

Fabcaro a écrit un polar !

Relisez cette phrase. Encore une fois. Ça fait drôle, hein ? C’est drôle déjà rien d’y penser. Il est fort ce Fabcaro.

« Pour Moon river, je voulais m’attaquer au polar. J’étais dans mon lit quand m’est venue cette idée complètement débile » Fabcaro dans Le Cahier des livres n°2, page 7, Hiver 2021

Ça s’appelle Moon river. Ça raconte l’histoire d’une actrice, Betty Pennyway, l’actrice d’Orgasmes bourguignons, à qui on a dessiné au feutre noir – bloody hell ! – une bite sur la joue. Le lieutenant Hernie Baxter est sur les rangs. Il ne mâche pas ses mots : « Quelqu’un dans votre entourage aurait-il des raisons particulières de vous en vouloir (à part l’URSAFF Limousin) ? »

Le suspense est insoutenable jusqu’à la fin la page 13 : « L’idée, c’est de faire un polar genre film noir des années 40-50, un truc moite, sombre, angoissant, avec un suspense insoutenable »  – qu’est-ce que j’écrivais juste au-dessus, tiens ! comme par hasard… – «  où on apprend seulement à la fin que c’est l’acteur qui a fait le coup… ».

« Tordre les codes est un jeu. » Fabcaro, opus cité (page 7)

Cet événement bouleverse alors le tournage. Tout est chamboulé : « On devait tourner la fameuse scène du baiser aujourd’hui, bon sang ! ». Comment voulez-vous tourner avec une actrice qui a une bite sur la joue ? « Mh, bon, calmons-nous, on va trouver une solution… » (voir planche page 17, enfin je crois car c’est pas facile, ils ont pas mis les numéros sur les pages mais je déduis ça de l’indice donné à la page 13 que je crédite du numéro 13, évidemment, hé y en a là-dedans).

Ça, ça doit être la page 17 donc

Alors évidemment (j’aime bien cet adverbe), j’entends les gaussements de certains, les ricanouilles de certaines : ça tient pas la route. Vous êtes des gamins tiens, comme les filles de l’auteur : « Attends, c’est pas vrai ? Tu vas pas faire ça ?? T’es pas sérieux là ? » Pfff… Et la liberté de la création, hein ? On en fait quoi ? Des crêpes dentelles ? « Je fais ce que je veux !! Personne n’a à me dire ce que je dois faire !!! Je fais une histoire de bite sur la joue si je veux… » (page21, toujours avec la même technique). Ha ! Voilàààààà ce qu’il faut répondre ! Non mais…

La science est heureusement là pour aider notre flic, Hernie Baxter. Le légiste est formel : « Mh… Sordide affaire, en trente ans de bites sur la joue, c’est la première fois que je vois ça… », « l’agresseur est droitier », « Regardez ce cliché, observez bien la trajectoire de la courbe de la couille… ». (page 32). Je crois que c’est clair. Les indices sont probants : « Allons jeter un coup d’œil dans la chambre de la victime… Oooh, tiens tiens… » (page vers le début).

Et l’acteur l’agresseur est arrêté, tout est bien qui finit bien : Betty : « Votre père est un voleur, il a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans vos yeux… ». Hernie : « Votre mère vend des légumes sur les marchés, elle a pris toutes les salades pour les mettre dans vos dents. » (page vers la fin)

L’amour triomphe toujours.

Et le rire aussi.

« Il ne faut rien s’interdire en matière d’humour. Oui on peut rire de tout, et il faut rire de tout, surtout du pire, c’est absolument nécessaire. » Fabcaro, opus cité (page 11)

Moon river, Fabcaro, Six pieds sous terre, 2021, je sais pas combien de pages, 16€

Morane Robert (Christophe Delbrouck)

La Seine

m’appelle Patrick mais on dit Bob snobinait Boris Vian. Bob Morane, l’aventurier contre tout guerrier, l’éternel crucifié de 33 ans, est le héros d’Henri Vernes, le vrai héros de tous les temps, le soleil éclatant cherchant à faire ternir l’ombre jaune (cycle de 40 romans et 4 nouvelles), ce génie du mal, « asiatique long et maigre de plus de deux mètres » (La Couronne de Golconde) ou l’homme fatal à Miss Ylang-Ylang à la « beauté si parfaite et si inquiétante » (Les contrebandiers de l’atome) qu’on ne peut l’oublier. Mi justicier, mi espion, Bob Morane allie force, séduction et diplôme (il est polytechnicien), il est d’autant plus difficile à cerner (230 aventures entre 1953 et 2012 d’après Albert Wikipédia) qu’il a donné lieu à des centaines de pastiches, d’hommages, d’adaptations et de produits dérivés (il faut pour s’en convaincre lire L’argus Bob Morane, Les 1001 Vies de Bob Moraneéditions Demeyer – 2000 – si vous le trouvez à un prix abordable et si vous êtes accroc).

C’est justement une de ces dérives – talentueuses et drôles – que je vous propose de découvrir : Aventures à petit budget est l’œuvre de Christophe Delbrouck, paru aux Éditions de la Loupiote en 1996 et couplé avec Rock and vérole d’Olivier Thiébaut (Lire à la lettre R)*.

* Collection Zèbres n°4, 92 pages, 69 francs (sic)

Si on dit Bob, Morane se prénomme Robert à l’état civil : faudrait d’abord savoir de qui on parle vraiment. C’est important, non ? « La caresse du vent léger » lui bat les tempes et Robert pardonne à Jane, « créature aux cils démesurés et au galbe généreux » – elle a de gros seins – ses multiples tentatives d’élimination : Robert est magnanime, c’est là sa moindre qualité. N’empêche, cette Jane est une sacrée « salope passée à l’ennemi ». L’autre est de terminer ses missions – délicates, toujours – fussent-elles cinématographiques. The end sur l’écran noir. Robert a la force d’appuyer sur la télécommande, s’extirpe du canapé sans renverser son plateau repas, se rend aux toilettes et, sans tirer la chasse – il n’y a pas de petite économie avec les petites commissions – file à la salle de bains pour se brosser les dents – pas les ratiches à l’eau de la cuvette non plus, la pauvreté a sa dignité – enfile son pyjama et se met au lit. Robert vient d’effectuer une nouvelle mission. Mais une autre s’annonce déjà quand il reçoit une missive…

Le budget ne compte pas quand on est, comme Robert Morane, envahi par l’idée de rendre service à la patrie, au monde, à l’humanité (rayez les mentions inutiles). Aussi si l’aventure est au coin de la rue, chez le commerçant de meubles ou à la CAF, Robert Morane, isolé dans la jungle urbaine, démasquera l’ennemi et, dans un rire fracassant lézardant lesmurs d’enceinte du repaire, s’en sortira toujours à temps… pour prendre le bus de 19h47. On n’a pas forcément une Aston Martin DB5 – et puis ça suce ! – quand on est plus proche de François Merlin que de Bob Saint-Clar.

N’avoir la prétention que de faire rire est une noble mission même si n’était ce quotidien banal à en mourir qui vous colle à la peau, vous pouvez prendre part à l’aventure – à petit budget, certes – solitaire et flibustière des petits matins « là où le vent du désert éclate de mille dards aiguisés d’une haine farouche. (…) Là où guettent des myriades d’iris luminescentes telles les lucioles affamées. Là où qu’c’est plein d’crottes de chiens s’l trottoir qu’on s’casserait la patte… Bref, là où le monde est animal, où la vie est une lutte impitoyable, hé ben, là, hé ben c’est vachement dangereux. » (exergue, p.47). Le social est alors un terrain de jeu dangereux et à chaque coin de rue, on peut tomber sur un con ou face à chaque con de rue se cacher dans un coin, on joue sa vie, on la perd à la gagner en espérant que la fin du mois ne tombe pas vers le 23-24 et qu’il reste un peu du gratin de nouilles d’hier soir pour faire un repas tout prêt ce soir vu qu’on en a pleins les bottes.

Christophe Delbrouck livre là un grand éclat d’humour aux accents sociologiques sous-jacents. On peut en rire. C’est même conseillé. Et non, ce n’est pas remboursé par la sécu vu que ces feignasses de érémistes font rien qu’à grever le trou en profitant du système d’assisté.e.s mis en place par des politiciens et des gouvernementsqui… Pfff. De toute façon, on ne plus rien dire aujourd’hui…

Mort (La)

La Bonne étoile

ythomane (faussement démocratique) mais bien réelle (il suffit de regarder notre monde tomber), la mort est l’expression de notre finitude. Là où elle clôt notre histoire, elle ouvre celle d’un grand nombre d’histoires du « genre que nous aimons ».

On n’a de cesse de vouloir la comprendre, l’expliquer, l’accepter autant qu’on la refuse tout au long de notre vie. Elle donne à « notre objet de passion » ses plus beaux personnages quel que soit la position qu’ils occupent dans la sainte trinité noire : victime (Dora Suarez), meurtrier (Hannibal Lecter) ou enquêteur (Maigret). Trois exemples pris dans la litanie des productions natio- et inter- nationales que celles de Robin Cook* avec J’étais Dora Suarez (Rivages Thriller, 1990, traduit par Jean-Paul Gratias) ou celles de Thomas Harris avec Le Silence des agneaux (Albin Michel, 1990, traduit par Monique Lebailly) voire de celles de Georges Simenon (75 romans et 28 nouvelles, Fayard, Gallimard, Presses de la Cité, je vous laisse le choix mais pas celui des dates, entre 1931 et 1972).

* Qui a inventé, avec cet éblouissant roman, le roman en deuil. Robin Cook, une belle personne. Je l’entends encore dire un jour de festival à La Roche sur Yon : « Quand il pleut dans mes romans, c’est que je pleure sur ma machine à écrire. »

Elle est partout. Elle n’oublie personne (Daeninckx). On a rendez avec elle, parfois sur le Nil (Christie), à la Fenice (Leon), dans un train perdu ou un wagon (Pouy) ou à l’étage (Pagan). Cause, moyen ou but, peu lui importe : de trouille (Westlake), d’une héroïne rouge (Xiaolong), d’un expert (James), dans la peau (Ludlum), étrange (Barde-Cabuçon), à vif (Cook), sur les ondes (O’Connell) ou indienne (Fossum). Elle les fait chanter (Demure) à la lune (Hogan), nous fait presque (Edwardson) passer l’arme à gauche. De toute façon deux fois suffisent (Cook). Y a pas à dire, c’est un métier (Merle) qui compte triple (Thorogood) mais auquel tout le monde ne croque pas (Cockey) et peu reviennent d’entre (Laipsker) debout (Vargas). Ainsi ne parlent-ils pas (McDermid)…

Et même si ça ne sert à rien (Chase), plutôt crever (Férey), voir Venise (Chase) ou Ouarzazate (Prudon) que de l’admettre. Ne nous restera alors plus que la nuit, le sommeil et les étoiles (Oates). Merci, si possible d’y mettre un point (Bocquet).

* formule piquée à Francis Mizio – toujours vivant – sur vis comica

Évidemment la faucheuse n’épargne personne et donc pas non plus les auteurs et auteures. Robin Cook a cru la tenir en respect en arrêtant de massacrer des demis mais il était peut-être un peu tard. Elle a surpris jeune Daniel Brajkovic – un roman, empêché Sue Grafton de clore son alphabet mais pas Andrea Camilleri de mettre un terme (?) à Montalbano (lire plus haut), cueilli des proches qui avaient encore beaucoup à dire comme Jean-Jacques Reboux, des talents qui n’avaient pas fini de s’exprimer comme Jonquet, enterré deux papes – Michel Lebrun et Claude Mesplède, des auteurs peu connus qui auraient mérité de la lumière ailleurs que sur leur tombe comme Stieg Larsson ou certains qui l’attendent encore comme Jim Nisbet ou Jack O’Connell, fait taire ceux qui, dans l’ombre, parlaient pour les autres comme Freddy Michalski, permis une dernière pirouette à Eugène Izzi ou des milliers de lecteurs et lectrices, comme Michèle Witta, membre active de la BILIPO, mon père (à qui j’achetais pour la fête des pères des SAS) ou mon ami cousin Christophe qui m’a mis dans les mains ma première Série noire.

My absolute darling (Gabriel Tallent)

Mogodo

iroir de nos peines et mémoire de l’enfance, les personnages de romans sont autant de noms gravés dans notre panthéon de notre famille littéraire dans laquelle figurent Betty (McDaniel) la petite indienne, Dalva du grand Jim Harrison ou Sam et Cora de Benjamin Whitmer. Julia dite Turtle y brille de manière incandescente profanée par cette intolérable tendresse.

S’il ne tenait qu’à son père, Julia n’irait pas à l’école : « La réussite de Julia ne dépend pas d’une attention spéciale ni d’une intervention thérapeutique. Ce n’est pas si compliqué. Ses devoirs sont ennuyeux. Nous traversons une époque à la fois palpitante et terrible. Le monde est en guerre dans le Moyen-Orient. Le carbone dans l’atmosphère approche des quatre cent ppm. Nous sommes témoins de la sixième extinction des espèces. Au cours de la prochaine décennie, nous connaîtrons le pic de Hubbert. On l’a peut-être même déjà franchi. Nous semblons poursuivre l’utilisation de la fracturation hydraulique, ce qui représente un risque, certes différent, mais bien présent quant à nos ressources en eau potable. Et malgré tous vos efforts, nos enfants pensent toujours que l’eau arrive par magie dans leurs robinets. Ils ignorent qu’il existe une nappe phréatique sous leur ville, que son niveau est sérieusement en baisse, et que nous n’avons aucun projet afin d’alimenter la ville en eau après qu’elle s’en serait définitivement tarie. La plupart d’entre eux ignorent que cinq des six dernières années ont été les plus chaudes de l’histoire. J’imagine que vos élèves pourraient s’intéresser à tout ça. J’imagine qu’ils pourraient s’intéresser à leur avenir. Mais au lieu de ça, ma file passe des contrôles de vocabulaire. En classe de quatrième. Et vous vous étonnez qu’elle ait la tête ailleurs ? »

Julia, c’est Turtle. Turtle ou Croquette. Enfin, ça dépend comment l’appelle son père. Elle vit avec son père, un être envahissant, qui impose, s’impose à elle. Son petit monde renfermé ne s’ouvre que sur les bois qui jouxtent leur maison. Elle les parcourt et s’invente une autre vie dans cet espace, sans son père mais avec tous ces espoirs d’aventure. Et si l’aventure, c’était justement Jacob, un lycéen qu’elle vient de rencontrer ? Si c’était lui qui l’aiderait à passer outre son père, son héros, son bourreau ?

« C’est à ça que se résume ton ambition ? À devenir une pauvre petite moule illettrée ? »

Turtle ne répond pas à papa. Papa lui, il parle à sa femme : « Tu sais ce que tu représentes pour moi ? Tu me sauves la vie, chaque matin que tu sors du lit. »

De son lit.

À coups de « Nom de dieu », le père « se croit en mesure de comprendre le corps de Turtle » et d’en user. « Nom de dieu, nom de dieu. »

Et « … elle tient sa chatte engorgée afin de retenir la chaleur qui s’échappe. »

Et « … elle se lave les mains, ce sont les yeux de son père dans le miroir. »

Absolument incandescent, jusqu’au vertige, haut-le-coeur, c’est un roman qu’on oubliera quand on aura oublié d’ouvrir les yeux sur le monde, sur sa brutale beauté et sa pourriture clinique. L’auteur mérite son nom. Il faut sans tarder s’attarder sans ciller absolument sur My absolute darling avant qu’il ne soit trop tard et que le monde nous avale dans d’intolérables suffocations.

My absolute darling, Gabriel Tallent, traduit par Laura Derajinski, Gallmeister, Totem n°143, 464 pages, 11€70

papier déjà publié le 23 juin 2021.

My Home hero (Yamakawa Asaki)

Billie

axime Chattam aime beaucoup.

Mentir, tout le monde le fait. Il est des mensonges sains, pour protéger. Sa famille par exemple. Mais seriez-vous prêt à tuer ? C’est l’engrenage dans lequel Tetsuo Tosu, mariée à Kasen, plonge pour protéger sa fille Reika, tombée sous l’emprise d’un petit ami violent qui se trouve être un yakuza. Il va mettre à profit ses connaissances autour du meurtre, c’est un auteur de romans policiers, pour tenter de régler le problème sans avoir à en assumer les conséquences. Autant vous dire, qu’il n’imagine même pas dans quoi il va mettre le doigt, la main, le bras…

Mis d’office dans mon sac par des amis – coucou les PYL ! – tiens, ça devrait te plaire…, j’ai commencé à lire My Home hero, manga japonais (24 tomes à ce jour) publié depuis 2017 là-bas et 2019 ici chez Kurukowa (chaque tome vaut entre 7€65 et 7€95). Écrit par Naoki Yamakawa et illustré par Masashi Asaki, la série avait l’air prévu pour quelques tomes (je dirais 6) mais le succès a permis aux auteurs de rallonger l’histoire avec d’autres cycles (le tome 7 en début un deuxième dans lequel je suis – en attente de lire le tome 11).

Le pitch est gore et réaliste : comment faire disparaître un cadavre sans se faire inquiéter par les forces de police et ceux qui voudraient venger la mort de la victime. L’empathie nécessaire à ingérer la série sans haut-le-coeur est évidente : on prend cause et partie pour le père de Reika puisque qu’il élimine un salopard violent de yakuza. Mais la cause est noble, les moyens eux sont eux salement réalistes ; tuer, découper, dissoudre un corps et éliminer toutes les preuves demande non seulement de l’imagination mais aussi des connaissances dans de nombreux domaines.

Et si tout est expliqué, les auteurs n’épargnent ni le lecteur la lectrice ni le héros et sa famille, du moins dans un premier temps, le père et la mère. Si, dans certaines histoires, il suffit d’emballer le cadavre dans un tapis et de le faire disparaître dans les fondations d’un immeuble en construction, dans la réalité, du moins celle de ce manga, ce n’est pas aussi facile, surtout quand on doit tout faire en catimini et qu’on n’est « qu’un pauvre type qui aimerait pouvoir se dégonfler au point de disparaître. » (4e de couverture du tome 1)

Bavard, au bon sens du terme, My Home hero nous entraîne dans les tréfonds d’une conscience, dans les alternatives intenables, dans des choix cornéliens, posés, longuement, débattus, tragiquement. Le dessin est précis dans une absence de décor, la narration bien ficelée avec un découpage précis et une mise en page dynamique, la lecture de My Home hero est comme souvent avec ce type de « véhicule » addictive et vous emportera au pays noir de la culpabilité et du cauchemar in vivo.

Et s’il vous fallait une caution – toujours dangereuse quand on se pare d’un avis pour faire pencher la balance du bon côté, c’est un peu comme de se dédouaner de son propre avis – Maxime Chattam en dit le plus grand bien.

(le Prix) Mystère de la critique

Le Baptême

ystique du critère ou plutôt le Prix Critère de la Mystique comme disait JiBé Pouy. Qui l’a obtenu en 1993 pour La Belle de Fontenay (Série noire n°2290, 1992, 235 pages, réédité en Folio policiers n°76, 2018, 272 pages, 8€30).

Un des plus anciens prix avec le GPLP (Grand Prix de Littérature Policière, créé en 1948 par Maurice-Bernard Endrèbe), le Prix Mystère de la Critique a été fondé en 1972 par Georges Rieben et repris et coordonné aujourd’hui par Serge Breton (lire plus bas sa contribution). J’ai l’honneur depuis l’an dernier d’y participer et donc contribué (mon vote ne compte qu’une fois comme les autres) à couronner pour l’année 2023 Dennis Lehane pour Silence (Gallmeister, traduit par François Happe) et Roxanne Bouchard pour La Mariée de corail (L’aube NOIRE). J’en ai rendu compte ici.

Georges Rieben

Le principe est simple. Serge Breton coordonne les votes au premier tour de la quarantaine (41) de critiques journalistes chroniqueurs sur les polars préférés de l’année (la date de parution faisant foi). Sont exclus évidemment les livres appartenant à un autre genre que celui de « policier » (au sens large) mais aussi les rééditions, les nouvelles ou recueils de nouvelles, les livres posthumes ou tout vainqueur du Prix Mystère de la Critique vainqueur deux fois* ainsi que les vainqueurs de l’édition précédente (Leroy et Parks). Chacun chacune établit sa liste des 10 polars de l’année (143 titres seront cités pour l’année 2023, 74 francophones et 69 étrangers). Les 6 les plus cités, francophones (Bouchard, Couturier, Férey, Ledun, Michaud, Tassel) et étrangers (Arbol, Boyle, Cosby, Lehane, Mishani, Szamalek), participent alors au 2e tour. Et chacune chacun vote cette fois-ci pour une seul un.e seul.e candidat.e dans chacune des deux listes (francophone et étrangère).

*Demouzon, Dessaint, Jonquet, Le Corre, Manotti, Oppel, Vargas, Bayer, Burke, Cook, Ledesma et Westlake.

J’ai donc eu le plaisir et l’honneur de mettre en avant mes goûts, mes choix. Certains ont été récompensés : j’avais mis, en avant, dès le 1er tour, un finaliste étranger (Lehane) et trois francophones (Bouchard, Férey et Ledun). J’aurais aimé que certain.e.s soient retenu.e.s comme Pédinielli ou Robecchi, peut-être une autre année. Mais je suis ravi du choix final. Le seul bémol dans cette belle organisation millimétrée est que l’on manque de temps entre les deux tours (15 jours) pour acquérir/découvrir/lire ceux et celles qu’on n’a pas mis.e.s en avant. Pour me faire pardonner, je me suis promis de les chroniquer dans l’année…

Le palmarès, cette année, comme les précédentes, est de qualité : ont été couronné.e.s de grands noms, habitué.e.s de brobloblack comme (je ne cite pas les double lauréat.e.s) : Daeninckx, Raynal, Bialot, DOA, Pécherot, Rutès… ou Pavičić, Parks, Tallent (lire plus haut), Offut, Winslow, Camilleri (lire plus haut), Harris, Ellroy

Alors évidemment, des regrets on peut avoir ne pas y trouver dans cette liste des bienfaiteurs du noir, par exemple, Bruen, Nesbo, Hayder, Block, Connolly et Montalbàn ou encore Thiébaut, Villard, Vilar ou Prudon. Mais je suis bien placé pour savoir que quand on fait une liste, il y a toujours au fond quelqu’un/qu’une pour lever la main et demander pourquoi on a oublié un tel ou une telle… Mais comme dirait Pétain, seule l’histoire jugera…

Mais laissons au coordonnateur le soin de terminer cette notule. Serge Breton évoque pour nous la mémoire du créateur Georges Rieben.

La Contribution de Serge Breton

Hommage à Georges Rieben

Georges Rieben fut poète, artiste de cabaret, prestidigitateur, scribe chansonnier, attaché de presse, globe-trotter… Guidé par sa passion pour l’écriture, la sienne et celles d’autrui, ce féru de littérature policière a signé d’innombrables critiques et études sur des auteurs ou leurs personnages, et, sous divers pseudonymes, une ribambelle de nouvelles. Conseiller éditorial, il a aussi rédigé des préfaces, et a même trouvé le temps de servir de « nègre » à des auteurs de romans d’espionnage en mal d’inspiration. Respect…

On comprend pourquoi, fin 1969, les éditions OPTA ont toqué à sa porte. Il s’agissait de redonner force et vigueur à la revue Mystère Magazine, édition française du Ellery Queen’s Mystery Magazine, créée en 1948, alors en perte de vitesse et de lecteurs.

Georges repère que le Grand Prix de Littérature Policière, lancé lui aussi en 1948, est l’unique récompense indépendante à rendre hommage à la créativité des auteurs de polars… Ainsi nait, en 1972, le Prix Mystère de la Critique. Tant pour combler un vide que mettre en avant la vocation de sa revue: promouvoir un genre mal aimé. Euphémisme… En ce temps-là, le roman de gare salit les paluches et brûle les rétines. L’intelligentsia se pince le nez devant des textes méprisés par le grand format, dont la couverture s’orne volontiers de femmes dénudées, avec, au dos, de la pub pour des clopes. Toute une époque!… Ceci précisé pour souligner combien Georges, dans ses habits de pionnier, a dû ramer avec son idée, si belle, si simple: recenser auprès de critiques spécialisés la liste de leurs 10 romans préférés de l’année écoulée. Les titres les plus cités, en deux catégories, romans francophones et étrangers, décrochent chacun la timbale…

La première année, c’est un jury riquiqui (les aficionados, les vrais, se comptent sur les doigts d’un manchot) qui décerne ses lauriers à Hotu soit qui mal y pense d’Albert Simonin, et Pierre qui brûle de Donald Westlake, deux parutions de la Série Noire. On connaît la suite. La déferlante du néo polar, l’irruption de la revue Polar, le travail de fond de l’association 813, le polar soudain noble et légitime. Du plomb transmué en or, proie, toute honte bue, des appétits éditoriaux les plus obscènes… Georges n’a jamais douté. Même quand, en 1976, le navire Mystère-Magazine sombre (après 343 numéros !), suite aux défaillances du capitane OPTA… Il maintient le cap, élargit le panel de critiques à la presse radio et télé, s’ouvre aux blogueurs, recrute en Suisse et outre-Quiévrain… Le pavillon du Prix Mystère de la Critique se hisse très haut. Son sceau et l’aura de son palmarès (accessible sur wikipédia) l’installent parmi les récompenses les plus convoitées du genre.

« De la même manière que le Grand Prix de Littérature policière a survécu à la disparition de Maurice-Bernard Endrèbe, je pense que le Prix Mystère survivra à la mienne… Le polar a tout à y gagner !« , se confiait, en 2013, notre ami Georges sur le blog de Paul Maugendre.

Son cœur généreux cesse de battre le 17 décembre 2019.

Dans l’urgence, Pierre Lebedel et Alain Regnault, ses copains du Grand Prix de Littéraire Policière, mènent au terminus la 49éme édition du prix, à peine sur les rails… Quelques mois plus tard… Dring… Je décroche… Voudrais-tu reprendre la coordination du Prix Mystère de la Critique ?… Ou quelque chose comme ça… Qu’ai-je bafouillé, au juste?… Je me suis revu, étudiant désargenté dans les 70’s, ne ratant aucun numéro de Mystère-Magazine, courant les bouquinistes pour dégoter les polars incontournables du mois, quitte à me priver de quelques repas… Alors, j’ai rappelé, pour rendre ma réponse audible… OUI…

Avec Alain Regnault, béquille indéfectible de cette aventure, nous avons remis à plat le règlement, sans trahir ses fondamentaux: un vote en janvier sur les romans de l’année précédente, dix titres maximum par votant, une récompense purement honorifique garantissant l’indépendance des résultats, la clause stipulant que l’on peut devenir deux fois seulement lauréat, mais pas deux années de suite… Juste un rajout: un scrutin à deux tours, afin de mieux battre les cartes d’une production pléthorique.

En ce début d’année, le Prix Mystère de la Critique, 53éme du nom, a mobilisé 42 journalistes et chroniqueurs, qui ont cité 143 romans, dont 74 français et 69 étrangers, pour un total de 55 éditeurs. Quarante-deux contributions qui, mine de rien, dessinent un profil pointu d’un an de production de notre belle littérature, tant au niveau de sa qualité que de sa diversité… C’est cela aussi le Prix Mystère de la critique… Et, Georges, tu peux en être fier… Tu avais raison, ton prix continue… Pas seulement parce que cela profite au polar… Il se perpétue pour toi, en mémoire de tes engagements, ta ténacité… Un satané regret : ne jamais t’avoir rencontré…

SB

Merci Serge.

François Braud

« Je dis M« erci à M pour sa compagnie musicale.

À SUIVRE…

Le 1er juin, nous nous nettoierons les neurones du M avec les notules du N. Sous réserve de nouvelles notifications ou de disponibilités nuageuses, le menu devrait être le suivant : N, Nature writing, Né d’aucune femme (Bouysse), Nec (Picouly), Norvège et Nettoyage à sec (Mertens).

erci à Vali Izquierdo, encore et toujours.

C’est déjà du passé…

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

INVITÉ La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéanceAkkouche / Aztèques dansantsWestlake)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La)Jonquet / Battisti / Bête et la belle (La)Jonquet / Bialot / Bible)

INVITÉ La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black BlocsMarpeau / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une)Pouy / Brouillard au pont de BihacOppel / Bruen)

INVITÉ La contribution au CDAP de Jean-Bernard Pouy (auteur de En attendant Dogo), B comme Bruen.

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craquéDessaint / Cadavres ne portent pas de costards (Les) – Reiner / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuseGranotier / Chuchoteur (Le)Carrisi / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des poncifs, Condor (Le) Holmas, Michael Connelly)

Lettre C, partie 3 / À télécharger, (John Connolly, Contrat, Cosmix banditosWeisbecker, Coup du bandeau, Couverture (4ème de), Critique, Cuba, Cummins et BACK in ABC).

INVITÉ La contribution au CDAP : C comme Connolly par Pierre Faverolles (blogueur blacknovel1)

Lettre D, partie 1 / Téléchargez ? (Dahlia noir (Le)Ellroy, DamagesKessler, Kessler et Zelman, Del Árbol (Victor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) – Daeninckx et DexterLindsay/Manos Jr)

La contribution au CDAP : D comme Dahlia noir (Le)Ellroy – par François Guérif (éditeur Rivages, Gallmeister)

Lettre D, partie 2 / À télécharger, ici (Dicker Joël / Dictionnaire Amoureux du Polar (Le) de Pierre Lemaitre / DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède / Divulgâcher, Donneur (Le) Akkouche / Doyle (Conan) / Drôles d’oiseaux Camus.

INVITÉ La contribution de Frédéric Prilleux au CDAP (auteur et spécialiste BD polar, blogueur bedepolar) : D comme Dredd (Le Juge)

Lettre E / Cliquez pour télécharger (Edogawa Ranpo, Encrage, É(L’) ou le polar lecture facile et Excipit (et incipit)).

IINVITÉ La Contribution d’Éric Libiot (journaliste écrivain – Clint et moi, On a les héros qu’on mérite) au CDAP avec le E de La Disparition de Perec et Echenoz.

Lettre F / Téléchargez le post (Fanzine, Fausse piste de Crumley, Faux roman policierGrand maitre de Harrison, Festivals, Fight Club de Palahniuk).

Lettre G, partie 1 / Cliquez pour le téléchargement (Gang de la clé à molette (Le) d’Abbey, Gendron, Goodis).

IINVITÉ La Contribution de Philippe Claudel (auteur : Les âmes grises, Le Rapport de Brodeck, Crépuscule, pour Edward Abbey).

Lettre G, partie 2 / Téléchargez ici ((Le) Grand monde de Pierre Lemaitre, (Le) Grand soir de Gwenaël Bulteau, (Le) Grand sommeil de Raymond Chandler et le film d’Howard Hawks et Jean-Christophe Grand G (Grangé)).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Hélène Martineau, libraire des Instants Libres au Poiré sur vie (Le Grand monde de Pierre Lemaitre)

Lettre G, partie 3 / Le téléchargement, c’est (Gravesend de Boyle, Jean-Paul Guéry et son 5/5La Tête en Noir, Gunther – héros de Philip Kerr, Jeanne Guyon et son 5/5Rivages).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Stéphanie Benson, auteure (collection Tip Tongue) pour Bernie Gunther de Philip Kerr.

Lettre H, partie 1 / Cliquez ici pour le téléchargement (Haine pour haine (Eva Dolan)Happy ValleyHardy Cliff (Peter Corris), Hannibal et Harris ThomasHole Harry (Jo Nesbo) et Himes Chester (Harlem).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Thierrry Maricourt, auteur (Hautes conspirations, La Déviation), spécialiste des littératures nordiques pour Jo Nesbo.

Lettre H, partie 2 / Télécharger la lettre : Hinkson Jake, Homme qui marchait sur la lune (L’) / Howard McCord, Homos privés & flics, Huit cent treize – avec un 5/5 de Corinne Naidet et Humour.

INVITÉ La Contribution au CDAP de Francis Mizio, auteur (Au lourd délire des lianes) pour « Polar humoristique : ce devrait être quoi le job ? »

Lettre I, partie 1 / On clique ici pour télécharger la lettre : I got my mogette working de JB Pouy, Ikigami de Motorô Mase, In8 – avec un 5/5 de Josée Guellil, Ippon de Jean-Hugues Oppel et Iran.

INVITÉ La Contribution de Jean-Hugues Oppel pour I comme Ippon.

Lettre I, partie 2 / Cliquez pour télécharger la lettre : Irlande, Isard, Islande, Italie et Izzo.

INVITÉS Les Contributions au CDAP de Gérard Lecas pour Italie 1 (Scerbanenco), Italie 2 (Pinketts) et Italie 3 (Viola) et d’Hervé Jaouen pour Irlande (O’Flaherty).

Lettre J, partie 1 / Téléchargez le tome 20 du CDAP : J’attraperai ta mort, J’étais Dora Suarez (Robin Cook), Jaenada (Philippe), Jamet (Jacques), Jaouen (Hervé), Je mourrai pas gibier (Guillaume Guéraud), Je vais mourir cette nuit (Fernando Marias), Jeunesse – avec un 5/5 de Clémentine Thiébault – et Jesus vidéo (Andreas Eschbach).

INVITÉ Hervé Commère (auteur de Les Intrépides)- et sa Contribution pour J comme la publication de J’attraperai ta mort.

Lettre J, partie 2 / Cliquez ici pour télécharger le tome 21 du CDAP : JiBé Pouy et Jour de l’Urubu (Le), JJR, Johnson (Robert, pas Craig ni Jack Johnson chantant Taylor, ni le Jack Taylor de Bruen), Jones (Graham), Joy (David), Justice (avec Engrenages) et Justified (série).

INVITÉ La Contribution d’Isabelle Jensen (bibliothécaire et ex-compagne de JJR) en hommage à Jean-Jacques Reboux

Lettre K / On télécharge par le tome 22 (les Vl’à !) du CDAP : Karl Kane (le privé de Millar), Khadra Yasmina, King Stephen (Billy Summers), Krajewski Marek, Krimi (le polar allemand avec un 5/5 de Karole de Benedetti) et Kutscher Volker (et Babylon Berlin) et Kristy Éric.

Lettre L, partie 1 / Je télécharge le fichier , c’est le tome 23 du CDAP : L‘Un seul (Olivier Thiébaut), Lacy (Ed), avec Roger Martin, Lamar (Jake), Larcenet (Manu), Lebrun (Michel) (pape du polar) avec un 5/5 avec Éric Libiot et Lecas (Gérard).

INVITÉ La Contribution de Paul Maugendre (critique) sur L’Enfant de coeur

Lettre L, partie 2 / On télécharge ici ce tome 24 du CDAP, avec au menu : Lemaitre et La Contribution d’Olivier Thiébaut, Levison, Leroy et Les Derniers jours des fauves, Les Lieux sombres de Flynn, Leydier, Libraires, librairies, Lire et livres et un 5/5 d’lène Martineau et les Éditions de la Loupiote.

INVITÉ La Contribution d’Olivier Thiébaut (auteur, voir CDAP, lettre L) pour évoquer Pierre Lemaitre.

Lettre M (Partie 1) / Cliquez ici pour télécharger le tome 25 du CDAP : M le maudit (Lang) et la contribution de François Guérif (M de Losey), McDaniel (Tiffany) et un 5/5 avec Olivia Castillon, McGuffin, Maffieuses (Les) (Dietrich), Malaussène et Malet (Léo).

INVITÉ La Contribution de François Guérif (éditeur) pour M de Losey

Lettre M (Partie 2) / Fichier à télécharger ? (Tome 26 du CDAP) : Manufacture de livres (La) avec un 5/5 de Jean-Hugues Oppel, Manzini (Antonio), Mariée de corail (La) (Bouchard), Masque (Le) (et la plume), Maugendre (Paul), Memento, Mes soixante huîtres (Pouy) et Mesplède (Claude).

INVITÉ La Contribution de Pascal Dessaint

Lettre M (Partie 3) / Cliquez ici pour télécharger le tome 27 du CDAP : Métastade et Martyr de la cité (Le) (Gatinet) avec La Contribution de l’auteur, Michalski (Freddy), Microfictions (Jauffret), Mictlán (Rutés), Mikaël, Minuit (Les Éditions de) et Mizio (Francis) et son 5/5.

INVITÉ La Contribution de Thierry Gatinet

erci de me suivre…