QZB#5 Supporter le manque

QZB est le code de la rubrique La QuinZaine du Blanc. Je me suis dit que dans toute publication qui met en avant la littérature, il y a toujours une petite place pour le noir. Dans BBB, désormais, il y aura une petite place pour le blanc. Ce sera donc l’occasion de plonger donc dans le grand bain blanc adulte ou de déguster et siroter un petit blanc jeune. Parce qu’au fond, le livre se fout le plus souvent des cases, des couleurs et des âges. FB

Attention, livres d’opinion et d’histoire !

Supporter le manque

Richard Malka est avocat. C’est l’avocat de Charlie Hebdo. Le vendredi 4 décembre, en fin de journée, il plaide lors du procès des attentats de janvier 2015. « J’écris mes plaidoiries. Celle-ci plus qu’aucune autre » (page 7). Ce livre en est la retranscription, un peu plus longue car il y avait l’épuisement après trois mois d’une audience parsemée d’attentats et de morts. Alors [Richard Malka avait] écourté« (page 8).

Ce texte, Le droit d’emmerder Dieu (Grasset), est une plaidoirie et plus qu’une plaidoirie.

C’est la plaidoirie d’un avocat qui ne pourra « rien changer à la profondeur de [son] chagrin. Celui d’être privé de l’intelligence, du talent, de la bonté et de l’humour de ceux qui ne sont plus. » Le 7 janvier 2015 en plein conférence de rédaction, à Charli Hebdo, les frères Kouachi vont tirer à la kalachnikov sur toutes les personnes présentes tuant les dessinateurs Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Charb, les journalistes Elsa Cayat, Bernard Maris, le correcteur Mustapha Ourrad, Michel Renaud invité ce jour-là, Franck Boisseau et Ahmed Berabet, deux policiers. Dans le même temps, Ahmed Coulibaly assassine la policière Clarissa Jean-Philippe et quatre personnes de confession juive (Yohan Cohen, Yohav Hattab, Philippe Braham et François-Michel Saada) dans un magasin. Parmi les membres de la rédaction, Philippe Lançon, Riss, Fabrice Nicolino, Simon Fieschi sont blessés. Coco, Laurent Leger, Sigolène Vinson sont physiquement indemnes.

Évidemment, les trois terroristes ont été tués aussi ne juge-t-on que leurs complices ce jour-là alors que Richard Malka s’apprête à plaider et à chercher « un sens. C’est le seul moyen de supporter le manque » (page 9). « Le sens premier de ce procès c’est évidemment de les juger ces accusés » mais c’est aussi « de démontrer que le droit prime sur la force. » Mais c’est aussi autre chose : « les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher ne sont pas seulement des crimes. » Les meurtriers ne tuent pas que des Juifs ou des caricaturistes, ils tuent l’Autre. Le Juif, c’est celui qui est différent (…), c’est l’idée de l’irréductible singularité, donc de la diversité. Charlie Hebdo, c’est l’Autre. Celui qui est libre, libertaire, qui s’exprime sans entraves et, pire, qui rit de ceux dont la pensée totalitaire refuse la différence » (page 11).

Tuer l’Autre

Dans Le Nom de la rose* (évoqué dans le livre page 57), les pages d’un livre sulfureux, pensez, il prête à rire et il donne à réfléchir, le danger, ces pages, donc, sont enduites de poison, ce qui entraîne la mort de tout lecteur, qui, pour tourner les pages, salive son doigt. Mais ce moyen de censurer le rire est bien trop archaïque pour nos terroristes actuels et puis, il n’élimine pas le problème : le livre existe toujours. Aussi en massacrant la rédaction de Charlie Hebdo, ils croyaient le détruire à jamais ce journal, libre, laïc, irrévérencieux, irresponsable, bête et méchant, riant de tout, même du sacré. Ils l’ont porté à la connaissance de ceux qui ne le lisaient jamais, ils ont permis au monde entier de connaître son nom, ils ont multiplié les ventes (le numéro dit des survivants s’est vendu à plus de 8 000 000 d’exemplaires- j’écris le nombre ainsi, ça parle plus – alors qu’avant un Charlie Hebdo était vendu autour de 30 000 exemplaires).

* Il faut lire le roman d’Umberto Eco. Il faut lire tout Umberto Eco. Tiens, par exemple, pour tirer une leçon de l’histoire : Reconnaître le fascisme. Et on doit aussi regarder le film magnifique qu’en a tiré Jean-Jacques Annaud avec le fantastique Sean Connery.

« …. je crois qu’il faut accepter qu’il n’y ait pas un, mais deux procès en un : celui des accusés, et celui des idées que l’on a voulu assassiner et enterrer. » (page 12) Aussi Richard Malka ne va-t-il pas plaider pour les caméras ou pour l’Histoire.

« Je n’en ai rien à faire de l’Histoire. Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain. » (page 13).

Car la menace est là : « Pendant ce procès, un enseignant a été coupé en deux – pardon pour ces mots mais voilà l’horreur à laquelle nous sommes parvenus » (page 14). Ils veulent nous empêcher « de rire, de dessiner, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute« . « Parce que nous aussi nous sommes l’Autre. » (page 17) Alors « Comment leur répondre ? » (page 15).

Plus qu’une plaidoirie

Ce texte, Le droit d’emmerder Dieu (Grasset), est une plaidoirie mais c’est beaucoup plus qu’une plaidoirie. C’est une histoire. Que va nous raconter l’auteur. « J’espère qu’elle vous plaira » (page 20). En fait il y en a trois.

L’histoire des caricatures évoque alors ce qui a entraîné la mort de Mustapha, correcteur à Charlie Hebdo. « Le compte à rebours s’est déclenché à Amsterdam le 2 novembre 2004, dans une ruelle, avec l’assassinat de Theo Van Gogh, l’arrière-petit-neveu du peintre » (page 22). Il dissèque avec précision, s’attachant aux faits et à leurs responsabilités : qui a mis de l’huile sur le feu ? Les caricaturistes danois et les Français de Charlie Hebdo qui les ont reprises ou les imams danois qui ont monté un dossier pour créer de l’émotion en intégrant les caricatures mais, sachant que ça ne suffira pas (…) ils en rajoutent. Trois caricatures de plus, particulièrement outrageantes. « Le monde s’enflamme » (page 27).

« Jamais, jamais, jamais. » (page 44)

L’histoire du blasphème nous parle de Cabu et de monsieur de Maupertuis en 1740. L’auteur revient sur la différence entre critiquer et les adeptes d’une religion et critiquer et les extrémistes, intégristes et fanatiques religieux, sur les accusations ridicules d’islamophobie* et sur « ce merveilleux droit d’emmerder Dieu ! Et ça Cabu«  ne pouvait pas y renoncer.

« C’était ça Charlie. C’est ça Charlie. On ne renoncera pas. Jamais, jamais, jamais. »

* Lire sur ce point précis le petit traité de Charb, Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, Les Échappés, sorti après sa mort. Éclairant d’intelligence.

L’histoire de Charlie nous parle de Charlie et de Wolinski, et de Choron, et de Cavanna. Et de Gébé, et de Topor. Et « Honoré l’artiste de la bande » (page 59). Enfin, « Vous connaissez l’histoire » (page 54). Et vous savez : « Ce journal vit dans un bunker, mais il vit » (page 58)

« On ne tue pas une idée » (page 59) mais

Viennent alors Les accusés. « Il y a un crime dans ce dossier qui ne figure nulle part dans le code pénal mais dont au moins toutes les personnes qui ont connu Coulibaly sont coupables : c’est le crime d’indifférence » (page 63). Et puis ce qui fait peut-être encore plus mal ce sont Ceux qui ont soufflé sur les braises. « Sans cette complaisance (…) peut-être que Bernard Maris et Tignous seraient encore parmi nous » (page 67). S’en suit une énumération de personnalités qui y sont allés de leur petit mais, vous savez le petit mais qui arrive après une fausse empathie autour du je ne cautionne pas ces actes mais. De Villepin et ses caricatures gentilles, Clément évoquant le manque d’humour des musulmans, Douste-Blazy, Le Pen et Donnedieu de Vabres le respect dû aux religions, Guigou et l’Islam religion de paix, le MRAP et le CFCM accusant Charlie d’islamophobie, Ménard, ancien responsable de RSF (!) parlant de provocation* comme Ayrault, Hortefeux et même Cohn-Bendit, Frattini appelant la presse à un code de conduite, Raoult voulant rétablir le droit de blasphème et le PIR jugeant Charlie stigmatisant, Delphy et Diallo pétitionnant « contre le soutien à Charlie Hebdo«  après l’incident de ses locaux en 2011, accusant l’État d’être un État « national laïc » ! Mais parmi les déclarations les plus saignantes, celle de Boniface : « Le pire à rendre à ce journal serait qu’un acte violent soit commis contre lui » (page 81), celle de Nekfeu : « Je réclame un autodafé pour ces chiens de Charlie-Hebdo » (page 82), celle de Disiz la Peste : « Ces mêmes effarés se permettent de dessiner ce qui les fait rire eux… Même si vous étiez muets, je vous couperais la parole. Vous voulez savoir comment je ferais, eh bien je vous couperais les mains. » (page 82) et de Meklat : « Charb, j’ai juste envie de l’enculer avec des couteaux Laguiole' » (page 82). Et il y a ceux qui se sont déshonorés comme Obono et Mélenchon accusant Charlie de racisme et Despentes et son texte sur les frères Kouachi :  » J’ai aimé ceux (…) qui ont fait lever leurs victimes avant de viser au visage. » Texte écrit le 17 janvier 2015 !

Mais loin de ces agitateurs de muleta, c’est l’excipit qui résonnera en nous après la lecture de cette plaidoirie : « Charlie vivra » (page 88).

* Il vient d’avouer sa faute d’avoir stigmatisé les réfugiés syriens et irakiens…

Le droit d’emmerder Dieu, de Richard Malka, Grasset, 92 pages, octobre 2021, 10€

Livre acheté dans ma librairie Les Instants libres

François Braud

papier écrit et terminé un dimanche d’élection en écoutant la voix magnifique de Jimmy Scott, All the way