Papy boom #4 (Le feuilleton de l’été, saison 3)

Résumé des épisodes précédents : Le papy qui cause sur des cassettes envoyées à la gendarmerie chante une drôle de chanson. Il se confesse mais aucune faute ne s’offre à Blanche qui l’écoute et oscille entre l’empathie et le dégoût. Il parle, il parle, il chante, il crie sa peine d’avoir perdu toute sa famille, sa peur de la mort, il est terrifié par sa maladie. Que cherche-t-il ? Quelle faute va-t-il finir par avouer ?

Vous me lirez, hein ?

 

 

Papy boom

 

Aux vieux,

tenez bon, j’arrive…

 

 

Épisode n°4

Je ne veux pas d’enfant

 

Bon. Je reprends.

Il m’est devenu presque sympathique le « vieux ». Comment l’appeler autrement ? Mais je suis curieuse de voir ce qu’il a dans le ventre, sans mauvais jeu de mots. Qu’a-t-il a dire ? Ils ont tous quelque chose à balancer quand ils nous parlent. Soit ils mentent, soit ils avouent. Dans quelle catégorie faut-il ranger « mon vieux » ? « Mon vieux »… Il est presque à moi ce confessé. Papa, tu ne m’en veux pas, dis ? J’ai encore trop de respect pour toi, et pour les morts, pour familièrement t’appeler ainsi… Me voilà en train de me confesser à moi-même et de parler aux morts. Retour à mon mort vivant. Allez ma petite Blanche, ressaisis-toi.

 

Schh…

 

(On entend une voiture arriver au loin.)

« Non, personne à part un vieux ne peut comprendre ce que je dis. Guy, lui, avait compris. Sur le tard, certes, sur la fin en fait. Croyant comme pas deux, pire que le pape, il fréquentait les églises aussi souvent que les curés faisaient des messes. Entre deux homélies, le café l’accueillait. C’est là que je l’ai connu. Une croix autour du cou, une bible dans la poche, des sermons plein la tête, de l’eau bénite pour salive. »

(Bruits de graviers qui crissent. Portière qui claque.)

« Il est mort à l’hôpital d’un cancer généralisé. Je l’ai vu la veille de sa mort. Je suis monté au 8ème étage, l’étage des morts en suspens, l’étage de ceux qui passent, l’étage de ceux qui ne font que passer, de ceux qui restent sur le carreau, piqués par la maladie, sans aucun trèfle à quatre feuilles pour les sauver, le cœur fendillé définitivement. Un couloir blanc comme la mort, des portes fermées sur la souffrance, des infirmières au regard larmoyant, des docteurs pressés d’en finir, des patients occupés à mourir, des visiteurs angoissés à chaque pas. Le couloir de la vie. J’ai frappé avec ma paume la porte à l’œil de bœuf vitreux. Ouais ai-je entendu. J’ai ouvert le sas par la poignée immense qu’on aurait dit une barre pour empêcher de rentrer. Il était là, dans son lit, légèrement surmonté, des fleurs rejetaient leur dioxine de carbone, des loukoums suaient, des gâteaux desséchaient. Il a ri. Il m’a vu. Il a lâché : « Le bon Dieu veut pas de moi » il disait. « Tu comprends, il a autre chose à faire, avec tous les malheurs sur Terre. Il sait bien que je souffre, mais il a du boulot, il s’occupera de moi plus tard, je ne suis pas pressé, j’ai le temps… ». Ça sifflait entre ses dents, comme s’il lâchait ça sans trop y croire, sans que personne d’autre que moi puisse l’entendre, une grosse blague salace, une histoire un peu osée, ce qui fait le sel des confidences masculines… Il y est passé le lendemain et au moment où le prêtre, conscient de la foie ardente du malade, s’apprêtait à lui balancer l’extrême onction en lui glissant le crucifix entre les doigts et le chapelet autour du cou, il a tancé l’homme d’église et lui a balancé un « foutaises » et, au même moment où le christ apprenait à faire du vol plané sans parachute et comprenait le mal physique en s’écrasant contre le mur en face du lit, il a dit : « Putain de saloperie de merde ». C’est une infirmière qui m’a raconté tout ça. Une belle plante, une rousse, aux sabots blancs troués, qui transpirait et répétait sans arrêt : « Il était si confiant ». Je l’ai regardée en me demandant pourquoi les infirmières portent-elles toujours des sabots… Je sais, on appelle ça des crocs.

Je suis allé à son enterrement. Y avait pas grand monde. Quelques vieux à l’œil humide, des jeunes aussi, dans des tenues un peu noires, lunettes de soleil sur le pif, de peur qu’on voie leurs yeux secs sans doute. Il y avait aussi un chien. Un cocker. On dit qu’ils ont le regard triste mais moi je n’y vis que de la peine…

 

Les chiens qui suivent les enterrements

Marchent pensifs, silencieux,

Tête courbée, contre le vent

Et grande peine dans les yeux… »

 

(Il s’est mis à chanter…)

« Ah Guy… Tu me manques, saloperie de cureton, enfoiré de catho… Tu valais mieux qu’un paquet d’athées.

 

Ce ne sont pas les morts qui nous font le plus mal,

Mais le chagrin de ceux qui restent,

Les morts s’en foutent, eux, ils se tirent, se font la malle,

Z’ont même plus besoin de leur veste,

Mais, c’est nous qui restons là, nus,

Sur le dernier quai de la gare,

La main serrée sur le mouchoir

Qui ne s’agitera jamais plus ! »

 

(On frappe à la porte.)

« Oui, j’arrive. »

Tchac !

 

Tiens, voilà quelqu’un…

 

Schh…

« Ils vont bientôt arriver. Riton m’a dit qu’ils enquêtaient dans le coin. Ils posaient des questions un peu partout, à n’importe qui, au café, au maire, au chaland, au passant, à l’épicier. Un vieux avec un gosse, ça intrigue, on pense à tous ces faits divers, à ces choses horribles, on a vite fait de faire un scénario en deux coups de cuillères à pot. Riton a tenté lui aussi d’en savoir plus, si c’était vrai que David…  Je l’ai remercié et lui ai dit de ne pas s’inquiéter. Ça me fait du bien de parler, autant que les somnifères à David… ça va l’endormir, il ne verra rien. Parler me calme. »

 

Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? Qui va arriver ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait le pépé ? Qu’est-ce qu’il ne doit pas voir le gamin ? Il déjante ou quoi ?

 

« Un enfant, au départ, je n’en voulais pas. Un fil à la patte, un rêve égoïste d’adulte, un boulet, un problème permanent, un miroir en plus jeune, en plus con, je n’en voulais pas. Et puis… elle a su trouver les mots, ceux qui convainquent, qui troublent aussi, qui inquiètent. Je l’ai entendue, écoutée et comprise et je me suis entendu dire, un jour, que j’en voulais un, tout de suite. Je n’ai pas eu besoin de sortir ma panoplie d’arguments contre et de les transformer en pour qu’elle avait déjà évoqué les prénoms. Comme si ça coulait de source. Revenir à la source première, j’ai proposé Ève, elle a rétorqué Marie. J’ai dit oui. Son ventre s’est arrondi et, au fur et à mesure que sa grossesse avançait…. »

(Pause. On entend quelques bruits, là encore indéfinissables.)

« Sa grossesse. Sa, s, a. La sienne. Ça n’a jamais été la mienne, sa grossesse. Sa grossesse, rien que la sienne, j’avais dit oui, je m’étais dégagé rien qu’en le prononçant ce « oui ». Je n’ai pas vu son ventre s’arrondir, j’ai juste remarqué les changements, comme si je voyais ma femme en photo à un mois, puis à trois, à cinq etc. Comme un ami de la famille

Tchac !

(Il faut tourner la cassette.)

Schh…

« J’étais comme un ami de la famille qui vient de temps en temps. J’ai vu ma femme comme un ami, de temps en temps. Elle grossissait plus vite que mes yeux ne pouvaient le voir. Puis, un jour, Marie est arrivée. Voilà, c’est comme ça que je suis devenu père. Le reste ne m’a plus concerné. J’avais créé. Le polissage du diamant, je l’ai laissé à ma femme. Elle a bien travaillé, moi j’étais absent, je ne sais pas comment on lange un bébé, ni les doses de lait qu’il avale, ni à quel âge il peut manger comme nous, je ne sais rien des dents qui tombent, des premières douleurs au ventre, des premières règles, des succès scolaires, des échecs, j’ignore les boutons d’acné, les seins qui poussent, et les premiers amours… Je n’ai jamais angoissé sur son avenir, le présent déjà je le fuyais… C’est quand j’ai vu le ventre de Marie grossir à son tour que j’ai réalisé que j’étais passé à côté de tout. Faut dire qu’à l’époque je courrais déjà après Mireille. J’ai passé ma vie à courir après elle, après son cul, ses seins, ses fesses, son sourire. Cette femme est un véritable courant d’air, comme moi, et quand on se rencontrait, c’était une véritable tornade. Aujourd’hui encore, rien que de prononcer le prénom ça me fait bander. »

 

Ça devient porno maintenant… Il va nous raconter ses sauteries. Ça promet…

 

« Je la sautais partout Sous un porche, dans les toilettes d’un café, dehors, dans un jardin public, à la maison, au bureau, ah oui, je ne vous ai pas dit où je travaillais déjà… »

(Bruit de papiers froissés. Une allumette vient sans doute allumer une cigarette.)

« Oh… puis quelle importance. »

(Il tousse longuement, on a l’impression qu’il crache toute sa tuyauterie comme il dit).

« Dès que je tousse, ça se répercute partout. Putain, ça fait mal. Connard de crabe, saloperie de suceur de vie. C’est marrant… Ça me fait penser à Mireille, elle aimait la vie comme personne. »

(On l’entend respirer. Il ne dit rien.)

 

« Fais une pipe à Pépé avant qu’il ne la casse,

Une p’tit’ langue à Mémé avant qu’elle ne trépasse, »

 

(Il chante.)

 

« Et ne pousse pas des cris d’horreur, d’indignation,

Ils sont comme toi, les vieux, ils ont l’cul sous l’chignon ! »

 

(Il frappe la cadence sur ce qui doit être une table en bois.)

 

« Pipe à Pépé, Pépé, Pépé !

Langue à Mémé, Mémé, Mémé ! »

 

(Il tousse autant que tout à l’heure.)

« Décidément… Peux plus rien faire. »

 

Je ne peux pas m’imaginer une seconde papa et maman en train… C’est pas que c’est eux, je les ai déjà surpris, plusieurs fois, toute gosse, mais… les imaginer il y a encore peu pour… Avait-il une maxime pour ça ? Oui, je l’entends bien formuler une bêtise là-dessus, après tout. Le pépé là, ça pourrait être papa. Je crois même que la chanson, pas la dernière, l’autre, celle sur les morts, je crois l’avoir entendu à la maison, il faudra que je demande à maman… Elle doit avoir gardé les vinyls de pa…

Nom de dieu. Le vieux et le gosse !

 

À suivre…

François Braud