Un téléphone qui sonne dans le vide

Paul Auster (1947-2024)

L’édito est un fourre-tout dans lequel je me permets de vous donner le fond de ma pensée ou l’écume de mon humeur. S’y côtoient des annonces d’apparitions ou de disparitions, des griffes de gueule ou gifles de cœur, des informations capitales ou des avis chichiteux, des prédictions à la Cassandre et des compromissions assumées, des prises de positions radicales et des vœux d’ivrogne et tant de choses encore que j’en perds la liste… FB

J’ai encore en moi ce sentiment éprouvé à la lecture de Cité de verre*, premier tome de ce qui allait constituer la trilogie new-yorkaise** (avec Revenants et La Chambre dérobée). Je me vois encore le lire, en mai 89, dans le lit, un matelas gisant sur le parquet du grenier tournant les pages grisé par ces déambulations new-yorkaises. J’avais la sensation d’être au bord d’un gouffre, proche de l’abime devant une telle inventivité narrative et stylistique. Je n’avais jamais lu ça. Ce téléphone qui sonne et Quinn, auteur de polars, qui écrit sous pseudonyme (comme le fera plus tard Paul Auster sous le nom de Paul Benjamin avec Fausse balle en Série noire n°2295, traduite par Lili Sztajn, 1992, 278 pages, 8€55) qui y répond. « C’est un faux numéro qui a tout déclenché, le téléphone sonnant trois fois au cœur de la nuit et la voix à l’autre bout demandant quelqu’un qu’il n’était pas. » On cherche à joindre Paul Auster, le détective. Mais Quinn n’est pas Paul Auster. Mais au coup de fil suivant, il lâche : « C’est lui-même. (…) C’est Auster qui vous parle. » Il se trouve alors imbriqué dans une aventure aussi étrange que sa manie de marcher sans but dans la ville si ce n’est, peut-être, celui d’oublier la mort de sa femme et de son fils.

Ce téléphone qui sonne, aujourd’hui, sonne dans le vide. J’ai encore cette même sensation à la nouvelle de la mort de Paul Auster, sauf que cette fois-ci, j’ai la nette impression d’avoir fait un pas en avant.

François Braud

* City of Glass, Ghosts et The Locked Room, traduits par Pierre Furlan, Actes sud, Babel n°32, 444 pages, 10€20 ** J’en ai parlé dans le CDAP, lettre A,

« Bien plus tard, lorsqu’il pourrait réfléchir à ce qui lui était arrivé, il en conclurait que rien n’est réel sauf le hasard. » Paul Auster (La Cité de verre)

Il nous reste le « dernier » Auster à lire : Baumgartner, Actes sud, Leméac, 2024, 208 pages, 21€80