Briser le silence

La première goutte qui tombe du ciel est celle qui commence à briser la pierre

 Victor del Arbol est un romancier noir, espagnol et catalan. Ces trois adjectifs ne le définissent pas tout à fait. C’est avant tout un écrivain qui lutte contre le silence, contre tous les silences, les familiaux qui corsettent nos vies, les historiques qui plombent notre avenir. Le silence est un mur. La parole une pioche. Les mots, le manuel.

Les non-dits, il les crie.

Il œuvre à construire une scie indicible qui hante nos nuits et percent nos jours, un puzzle dans lequel chaque pièce ne trouve pas forcément sa place mais, humains, désespérément humains, nous tentons, de force, de la faire entrer dans l’image que nous aimerions donner.

Décalage constant entre ce qui est, ce qui devrait être et ce qui sera.

Dans Toutes les vagues de l’océan (actes noirs / ACTES SUD), il convoque l’histoire du XXème siècle, de Nazino à Barcelone, de 33 en Russie à aujourd’hui en Espagne, les héros et les traitres, les hommes et les femmes, les putains et les chacals, les loups et les chiens, les salauds et les honnêtes. Mais qui donc peut différencier les bons des mauvais ?

Gonzalo est un modeste avocat en droit civil qui travaille en indépendant mais sous la surveillance de son beau-père qui aimerait bien le dissoudre dans son propre cabinet. Il n’a donc que l’ambition de lui résister.  Sa vie familiale ronronne jusqu’à ce que sa sœur, Laura, ne revienne dans son actualité après des années d’absence ; elle vient de mettre fin à ses jours. Ce deuil va le replonger dans son histoire familiale, l’obliger à reconsidérer le passé de leur père, un héros communiste disparu alors qu’il n’était encore qu’enfant et que sa mère vénère encore aujourd’hui en allant fleurir sa tombe, murée dans un silence qu’il peine à déchiffrer. Regretter le passé, c’est courir après le vent. Pourtant, Gonzalo va s’y atteler à ce passé. Il ne sait ce qu’il va découvrir mais il cherche. Mais il n’est pas le seul à s’intéresser à cette sœur défunte : l’ex-coéquipier flic file aussi la piste, de même que Luis l’ex-mari qui cerne sa peine, Siaka le black sans papier qui erre devant la maison de Gonzalo, Javier le fils qui n’aime pas son père et tant d’autres morts du passé qui vivent sous la plume de l’auteur pour nous faire saisir, peu à peu, ce qu’ils ont fait pour le présent soit comme il soit. Les ascendants marqueront à jamais leurs descendants.

« Les morts haïssent avec plus d’intensité que les vivants. » Les figures du passé sont magnifiques, elles ont l’aura du sépia, le halo de la lune rousse, la musique éthérée des cris qu’on murmure, qu’on ravale, qu’on suspend, la douleur de l’absence, la ténacité de la présence, la couleur éclatante d’une photographie pliée en deux et oubliée dans la poche d’un blouson d’aviateur, le visage d’une femme noyée dans une rivière, le sourire d’une enfant jetée dans les mains d’un tortionnaire, le silence qui plombe tout. Et la vie qui se construit, comme elle peut, comme elle doit et pas comme elle devrait.

L’auteur croit aux hommes qui regardent la vie les yeux ouverts. Il en faudra du temps pour que Gonzalo puisse ouvrir les siens sur le passé de sa famille et tenter de vivre sa vie. Et nous, la nôtre, la regarde-t-on bien en face ?

François Braud

Toutes les vagues de l'océan - 1

2 réflexions sur “Briser le silence

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