Au pays de Maupassant

C’est le propre du genre.

Un genre français, dit-on.

De coller à un sentiment : l’urgence, l’abandon, l’étonnement, le rire, l’effroi, la glaciation, l’étouffement… Peu de page pour la sensation poussée à son acmé. Il faut faire vite et juste. Pour faire décoller le lecteur la lectrice. On a peu de temps.

Une nouvelle est un baiser ou un crachat.

Elle a sa musique, son espace et sa chute.

Soit elle est proposée en bouquet (recueil) uni ou varié, soit elle est proposée à l’unité (comme Maurice, de Jérémy Bouquin).

Deux bouquets aujourd’hui. Produits par le même fleuriste : Harper Collins.

Ces deux livres concourent pour le trophée 813 de la meilleure nouvelle.

https://www.blog813.com/les-trophees-813.html

Le prix de la vengeance, Don Winslow, traduit par Isabelle Maillet, Harper Collins, 537 pages, 2020, 22€90

Le bouquet uni d’bord.

Six novellas plutôt que six nouvelles (puisque chacune fait environ entre 90 pages et parce que c’est écrit sur la page de titre). Par l’auteur de La griffe du chien (Fayard, Points Seuil). Autant dire qu’on a du lourd. Don Winslow attaque par la nouvelle éponyme du recueil et nous plonge dans ce que le roman noir fait de mieux (ici condensé) : le déterminisme debout sur le frein. Pour venger son frère policier torturé et tué par un narcotrafiquant qu’il a « dérangé », jusqu’où Jimmy est-il capable d’aller ? « Je veux que tu prennes ta haine à bras-le-corps. Je veux que tu venges ton frère. » lui souffle sa mère. Sa mère, flic elle-même : « Ce n’est pas à Eva qu’on va apprendre que le monde est déglingué. Opératrice d’appels d’urgence pour le 911 à La Nouvelle-Orléans, Eva McNabb entend des vies se briser huit heures par nuit, cinq nuits par semaine, parfois plus quand elle enchaîne deux services. Elle entend les accidents de voiture, les cambriolages, les fusillades, les meurtres, les mutilations, les morts. Elle entend la peur, la panique, la colère, la rage, le chaos, et elle envoie des hommes les affronter. » – page 13.

On sait que Jimmy ira jusqu’au bout (son équipe le suit) mais on comprend tout de suite que le prix à payer sera élevé. Oui, mais lequel ? Phrases percutantes, Don Winslow sait peindre par touches qui en disent plus que des descriptions logorrhées et des narrations alambiquées. Économie de mots mais pas de talent.

On pourra aussi s’amuser de celle qui met un singe en possession d’un flingue (Le Zoo de San Diego) qui escalade le mur du musée de l’homme (« J’avais bien besoin de ça ce soir, songe » Chris – page 186), agent de patrouille (qui espère intégrer l’équipe des cambriolages, c’est pas avec ça qu’il va y arriver, notamment quand il reçoit le flingue du singe sur la gueule : « – Vous ne devez pas vérifier s’il a, je ne sais pas, le cerveau endommagé ? s’enquiert Carolyn. – C’est un flic, observe l’infirmière. Il a déjà le cerveau… endommagé. » – page 199). Il a devoir ramer pour se rattraper et faire oublier la vidéo virale qui surfe sur le net le montrant dans ses exploits. Certains vont lui faciliter la tâche :  » – C’est lui qui vous a braqué ? –Oui. –Il peut pas m’identifier ! proteste Richard. Je portais une cagoule. » (page 222).

On appréciera aussi celle, magnifique (Sunset), d’un surfeur junkie « Pas très grand, le visage poupin, séduisant en diable avec sa tignasse blonde ébouriffée, ses yeux d’un bleu saisissant et son sourire à faire fondre une pierre. Terry est aussi une petite frappe junkie. Un voleur, un camé et donc un menteur. » (page 284). Ha oui, il peut aussi frapper les femmes : « –Rien ne peut justifier qu’un homme lève la main sur une femme parce qu’il est en colère. Sinon, il n’est plus digne d’être un homme. » (page 299). Terry est poursuivi ET caché par ses amis. Quels sont ceux qui ont raison : ceux qui le cachent OU ceux qui le cherchent ?

Un ouvrage qui nous montre les ressources d’un écrivain capable de nous livrer ici 6 romans en puissance resserrés sur l’essentiel au style vif, à l’empathie évidente, au charisme tendu. Du bel ouvrage, du très bel ouvrage. Et avec de la reconnaissance et de l’humilité dont certains devraient s’inspirer. Je vous laisse juge (voir ci-dessous).

Regarder le noir, Collectif, sous la direction d’Olivier Fauth, Harper Collins, 260 pages, 2020, 6€ (ce qui nous fait la fleur à 0,50 euro).

Le bouquet varié maintenant. Là, évidemment, on est encore plus tenté de mesurer une nouvelle à l’aulne d’une autre. Le thème est commun, c’est le titre (la vision noire comme l’indique la 4ème de couverture). C’est toujours intéressant de voir comment tel ou telle auteur(e) a traité la contrainte, ce qu’il en a fait, s’il a trouvé le grain original pour surprendre le lecteur ou s’il s’est enfoncé dans ce que l’on attendait de lui d’elle.

Et l’un n’empêche pas l’autre. On peut, par exemple se douter du « truc » d’Amélie Antoine (Transparente), on le sent arriver mais la fin, dans sa noirceur, surprend tout de même. Donc méfiance. L’exercice est redoutable.

Parmi les douze auteurs, j’en connaissais peu (Abel, Ellory, Giebel et Norek) ; j’ai donc découvert Antoine, Ewa, Favan, Gustawsson, Manzor, Mars, Papillon et Perrin-Guillet.

Alors ? Olivier Norek surprend (Regarde les voitures s’envoler) dans un genre (noir et cynique) qui n’est pas forcément le sien et ça lui réussit plutôt. Ewa trace un sillon – connu – dans la misère des enfants de la rue en Inde mais ne cède pas au sourire hollywoodien final. (Nuit d’acide). Le mur de Claire Favan est solide mais attendu ; le thème dystopique donne cependant à réfléchir. Amélie Antoine sait, à l’évidence, cerner l’ordinaire, la banalité et la mésestime de soi chez la femme divorcée mais on aurait aimé qu’elle cache davantage son jeu. La palme de l’originalité à Gaëlle Perrin-Guillet qui, dans une sorte de mise en abîme (La tache), met en scène un écrivain en proie à la persécution par une tache noire qui grossit au fur et à mesure qu’il la regarde. Peut-être la fin ne nécessitait pas d’explication plausible (et « douteuse ») mais aurait mérité de se resserrer sur le mystère du noir étouffant le héros et aussi l’auteur, à l’image, j’y repensais en lisant la nouvelle, d’un Eugène Izzi mettant en scène son propre suicide identique à une scène du manuscrit qu’il venait juste de terminer.

Un recueil dont on aurait tort de se priver vu le prix et la qualité générale des nouvelles où chacun triera le bon grain de l’ivraie. Toutes les fleurs sont dans la nature, tous les goûts aussi.

François Braud

papier écrit en écoutant Coline de Baden-Baden

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