Les citations du jour #47 du 9 novembre 2021

La citation du jour attire l’œil du lecteur sur un passage particulièrement frappant d’un livre. Ce n’est évidemment qu’un prétexte pour que la lectrice aille au-delà de cet extrait. C’est ainsi que j’ajoute aux mots de l’auteur(e) quelques lignes pour vous pousser à en lire plus… ou pas, c’est vous qui lisez… FB.

Allo, non mais allo quoi

« Je réponds toujours que c’est à cause du risque de cancer, quand on me demande pourquoi je reste seul, dans la profession, à ne pas avoir de téléphone portable. En vérité, je me fiche tout autant du crabe, du prion que du hérisson : ce que je ne supporte pas, c’est de me condamner moi-même à la mise à disposition perpétuelle. Aucun refus du modernisme, je clique à qui mieux mieux sur la toile, je scanne, j’envoie mes articles par e-mail, en pièces jointes, je prends des photos numériques. Pas davantage de posture philosophique avantageuse, non, juste le souvenir d’un collègue à côté duquel je me soulageais la vessie contre un mur de ferme berrichonne, alors qu’à cent mètres de là les serres des bulldozers exhumaient les restes d’une dizaine de gamines martyrisées par Buffin, un jardinier. On alignait les bières en attendant la déclaration du procureur. Avide d’infos, il a plongé les mains dans ses poches de veste aux premières notes de la Cucaracha, délaissant son autre appareil qui lui a arrosé les jambes d’abondance. En clair, je ne cotise pas chez Bouygues pour ne pas me pisser dessus. Si je veux être tout à fait franc, je ne supportais pas, déjà, accédant à l’hygiaphone d’une quelconque administration après un quart d’heure de piétinement, que le préposé se colle sa banane en plastique bourrée d’électronique contre l’oreille, la joue, les lèvres, à la première stridence, et se contente de me jeter quelques regards faussement désolés entre deux hochements de tête. Ce n’est pas dans mes habitudes d’en faire des tonnes, de me prendre pour le centre du monde, mais il me semble qu’une civilisation a du plomb dans l’aile si une voix transitant par une vulgaire prise est plus importante que l’enveloppe humaine recrue de fatigue plantée derrière un guichet. » (pages 11-12)

Daudet pipé

« J’ai jeté mon dévolu sur un ancien numéro de La quinzaine littéraire dont les pages centrales démolissaient avec minutie Alphonse Daudet, vieille gloire rancie des Lettres. Je lus avec avidité les citations qui démontraient que la couverture des Lettres de mon moulin, classique prescrit par l’Education nationale pour l’édification des jeunes âmes, ne serait jamais assez vaste pour qu’y soient imprimés les noms de tous ceux qui avaient sué sur son œuvre et desquels Daudet avait détourné les lumières de la renommée : de Paul Arène à Léon Allard, nègres silencieux, jusqu’à son épouse Julia, en passant par le magistrat Blanchot de Brenas auquel il avait volé sa fable du curé de Cucugnan. Et pour que la statue de l’auteur soit conchiée du piédestal jusqu’au sommet, l’auteur de l’article révélait que Daudet avait versé une partie des droits d’auteur issus du succès des Lettres à son ami Edouard Drumont, afin que ce pamphlétaire antisémite puisse publier sa France juive. » (pages 111-112)

Didier Daeninckx, 12, rue Meckert, Série noire, Gallimard, 2001, 208 page, 8€ (sorti en folio policier n°299)

Commun commune

Ce long incipit de 12, rue Meckert (hommage à Jean Meckert/Amila), drôle, contre le cours du temps, ouvre une enquête de Max Lisbonne, journaliste localier (métier que Didier Daeninckx a pratiqué) qui voit un de ses anciens collègues être assassiné devant chez lui. Celui-là même qui venait de laisser un message sur son répondeur affirmant détenir  » une bombe dont la minuterie est déjà enclenchée « . Puis c’est au tour d’un deuxième ex-collègue, du même journal (J’enquête) de l’époque de périr écrasé par un chauffard qui ne s’est pas arrêté… Ça commence à faire beaucoup. Et, une liste, ça commence à deux, non ? Pour éviter d’être le troisième, il décide de prendre les devants et de trouver ce qui le relie lui et les deux allongés. Serait-ce l’affaire des  » disparues de Châteauroux  » ? Disparues, torturées, plutôt :  » Qui n’a pas vu une orbite délestée de contenu au moyen d’une cuillère aux bords aiguisés ne sait rien du dégoût.  » Pour répondre, il va creuser, tomber sur Daudet, cette vieille gloire rancie des Lettres, laisse tomber Daudet, va recreuser encore, et plus il creuse, plus il avance, et plus il avance, plus il rencontre son homonyme, le colonel Maxime Lisbonne, un rouge, un partageux, un communard, déporté en Nouvelle-Calédonie. Plus le lecteur avance dans le roman, plus il découvre le Paris populaire qui s’efface au profit d’un Paris sans âme. Plus la lectrice tourne les pages, plus on fouille les poubelles de l’histoire. Plus on avive le passé, plus on se cogne le présent.

Pour aller plus loin : Le banquet des affamés, Didier Daeninckx (Folio, Gallimard)

 » En 2001, j’ai publié 12, rue Meckert dans la Série noire, roman dans lequel j’ai donné le nom de Maxime Lisbonne à mon détective. Ce personnage ne cesse de se cogner au fantôme de son homonyme du XIXe siècle. Je suis allé en Nouvelle-Calédonie pour me documenter pour mes romans Cannibale et Le Retour d’Ataï. J’ai parcouru la presqu’île de Ducos et le cimetière des communards sur l’île des Pins à la recherche des traces de Lisbonne. J’en ai trouvé très peu. « 

Le 11 novembre, sur BBB, une nouvelle inédite de Didier Daeninckx, Motion B, courant A.

François Braud

papier écrit en écoutant Stabat Mater de Pergolesi (Andreas Scholl, Barbara Bonney, Christophe Rousset)

ce n’est pas encore une sonnerie de portable, si ?

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Une réflexion sur “Les citations du jour #47 du 9 novembre 2021

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