En vérité, je vous le crie ! (Épître 1)

Lisez, nom de Dieu !

Dans le rétro se propose de regarder un peu en arrière car tout va trop vite et l’actualité couchant avec l’immédiateté, très vite, tout devient caduque. Le livre est périssable et certains aimerait voir sa date de péremption égaler trois mois (ce qui est le cas, paraît-il, en librairie). Sur BBB, que nenni morbleu. L’avenir appartient au passé toujours présent en nous comme celles qui nous ont quitté (Mo Hayder) et ceux qui sont morts (Jean-Jacques Reboux). Dans le rétro puisera donc dans CaïnShanghai Express, Noir comme polar, 813 ou Émancipation (dans lesquels le critique qui joue du clavier aujourd’hui était/est un membre de l’orchestre) un peu d’eau pour nous rafraîchir en ces temps subsahariens. FB

Aujourd’hui au programme : Chronique d’un quasi incunable livre culte, d’un retour réédité émergé et d’une nouveauté toute brillante, la sainte trinité critique vous est offerte (en l’occurrence pour les quatre premières épîtres par 813, la revue) avec le retour d’un vieux de la vieille, Noiraud de Tarse, qui n’a rien perdu de sa ténacité. Bienvenue à lui* et bon retour parmi nous !

* Tout est de lui, sauf les notes et les illustrations…

En vérité, je vous le crie !

Épître 1 : Lettre de Noiraud de Tarse aux Philistins et autres épiciers de la quinzaine du blanc

Tandis que vous caressez vos pages, en pensant, elles seront, immaculées, candides et neiges, vous tournez, et, vous voyez, arriver, des pages, noircies, sombres et charbonnées.

Ce qu’il y d’énervant avec la quinzaine du blanc, c’est son aspect quotidien. Elle emplit les pages de nos magazines mais laisse, grand saigneur, une portion forcément congrue à sa cousine germaine, celle rurale, entendez arriérée, un peu (trop) noire, pas assez « in » et bonne pour la plage et le train. Ça tombe bien, c’est là que j’aime lire et c’est celle que j’aime à 80% comme disent Cook et Guérif.

Je milite pour, qu’un jour, dans une de nos publications, revues, fanzines, journaux et autres papelards, on créé*, de retour de beuverie, un coin pour la blanche. On parlerait de Guillaume Musso ou de Marc Lévy et d’autres écrivains dont les patronymes finissent en « ec ». On aurait l’air de leur ressembler, de loin…

* Écrit en 2013… Il est clair que l’auteur de ce blog a pompé l’idée avec sa rubrique QZB (La Quinzaine du Blanc). De cette infâmie est née une amitié. Les deux larrons sont copains comme cochons, comme les deux faces d’une même médaille…

Rêvons.

En attendant, militantisme dérisoire, dérision militante, je, Noiraud de Tarse, vais, dans ces lignes, tenter de, en évitant les virgules et les digressions, cela dit, les digressions sont la noirceur de nos âmes, et, sans elles, Les misérables seraient un ouvrage d’à peine cent pages, aussi, hein, faudrait relativiser, donc, je, Noiraud de Tarse, vais tenter de crier dans ces pages, mon amour pour des livres qui, j’en suis certain, ont changé votre vie.

Sainte trinité oblige, ne multiplions pas, c’est pas Dieu possible, les pains et les poissons, car, tant qu’à accomplir des miracles, je préfère changer l’eau en vin, du blanc, si possible, voire du muscadet si ce n’est trop demander à mon poteau Jésus, ces lignes vont mettre en avant trois livres pas piqué par le Saint Esprit : une nouveauté, une réédition et un « incunable », un livre plus ou moins oublié.

Car, en vérité je vous le crie : le livre est une denrée périssable, il se flétrit, se cache derrière les piles de best-sellers, s’efface devant l’actualité et s’enlise dans les cartons de retours pour finir, au mieux, dans une solderie ou à Emmaüs.

 Il est temps, je vous le crie, de rétablir ce qui va de droit, voire à gauche, un livre peut vivre plus de trois mois, à condition qu’on en parle, qu’on le lise, le commande, l’achète, se le passe, le repasse, le mette sur la pile, voire renverser la pile de Mary Higgins Clark, discrètement à la Villard, en espérant, Dieu est avec nous, Jésus Marie Joseph, que la libraire retrouve ses esprits, le libraire ses clients, et mettent en avant, par exemple, la liste n’est pas exhaustive, les épîtres s’en chargeront, si 813 me laisse rédiger autant d’épîtres qu’il y a de grands livres noirs plus ou moins oubliés, mettent en avant disais-je avant que de m’embourber dans mes digressions, par exemple, le grand Fata morgana du big Kotwinkle, le William du Midnight Examiner !

En vérité, je vous le crie : Entrez dans la fraternité des rêveurs éveillés, dansez dans l’ombre des sombres héros et perdez-vous dans les antres du capharnaüm Kozwinklien !

Traduit par Jean-Paul Gratias aux Éditions Rivages (collection Rivages/Mystère, n°2*, 39 francs, 1988), ce livre est un bijou olfactif comme en témoigne son incipit : « Dans la foule, se pressaient des hommes aux visages basanés, venus d’Espagne, du Maroc, de Constantinople, et un parfum de sensualité, exotique et violent, envahissait l’atmosphère. » C’est aussi un roman onirique, à lire la nuit entre deux sommes, quand vous vous réveillez, en sueur, un cauchemar encore en tête mais qui s’évertue à se diluer au fur et à mesure que vous voulez vous le remémorer pour mieux le combattre mais c’est perdu d’avance. Il s’enfuit et s’étiole. Vous pouvez évidemment vous rendormir mais le risque de le revivre vous pousse à la chasser définitivement en vous créant un autre film. Vous prenez alors un livre. C’est là qu’il vous faut prendre en main Fata morgana. Vous allez alors accompagner l’inspecteur Picard et poursuivre avec lui un tueur en série et un escroc mondain à travers l’Europe et le Paris du second empire, de fiacre en fiacre, haut de forme sur la tête, revolver sous la veste : « – Cocher, vous voyez cette voiture, la troisième devant nous, avec une jeune femme à la fenêtre ? […] – Si vous perdez cette femme de vue, ce soir, elle est condamnée à périr des mains de l’homme qui l’accompagne ». Cet homme, c’est le Baron et c’est loin d’être un con, en déplaise à Michel Lebrun. Vous frissonnerez avec ce héros lui-même poursuivi par la prédiction d’un médium lui annonçant sa mort imminente. « – Vous vous entraînez au tir ? demanda Bissonette en indiquant, d’un signe de tête, le Colt que Picard tenait toujours. – J’étais sur le point de me brûler la cervelle. – Excusez-moi de vous avoir interrompu. Je peux revenir plus tard, quand vous aurez fini. » Vous finirez vous aussi ce livre, un peu embrumé, par une fumée entêtante, un alcool trop fort et vous vous regarderez trouble : « Picard accepta le cigare que lui tendait le garçon, et ils se mirent en même temps à tirer d’odorantes bouffées. L’inspecteur sentit la fumée lui monter à la tête, mais il s’en moquait. Il fumait pour apaiser la nervosité qui le gagnait au moment de faire des avances à l’inconnue. Son esprit s’envolait, son corps suivait, aussi léger qu’une flamme de bougie brûlant dans du verre bleu, qui vacille et qui danse, envoûté par la musique, le vin et la bottine à haut talon de la jeune femme. Le regard rivé sur cette bottine, il la vit disparaître discrètement sous la table tandis que la musique, peu à peu, enveloppait sa voisine. Lentement, il parcourut des yeux son corps tout entier, et lorsqu’il parvient au visage, il découvrit qu’elle lui rendait son regard. »

* Grâce à Noiraud de Tarse (?), Rivages a republié en 2016 ce livre en Rivages/Noir n°1031 (8€)

        

Fata morgana est un livre qu’on n’oublie pas, c’est un rêve entêtant, une musique lancinante, un alcool à double détente, à effet retard comme dirait Mizio, une femme qu’on aime plus mais qu’on ne peut pas désaimer.      

Quand les jurés du Goncourt, bien avinés, et c’est pas mon pote Jésus qui va leur reprocher, bien repus, le ventre tendu par la chair mastiquée, lâchent le nom du gagnant, c’est tout le petit monde littéraire qui s’excite. Les ventes suivent et JiBé Pouy de relancer sa fumeuse idée : Publier un livre dont le titre serait Prix Goncourt. Cette année, ils ont couronné (pas d’épines, ça c’est réservé à mon copain) Pierre Lemaître*, un auteur noir. Les dents grincent. Évidemment, les polardeux s’énervent, pourquoi attendent-ils qu’un auteur publie un livre blanc pour reconnaître son talent (hein Vautrin ?). Les autres, aveugles, comme d’hab, se disent que c’est le chef d’œuvre de sa vie et que les premiers romans ne sont que des brouillons. Les deux ont tort. L’auteur n’a pas changé. Il écrit ce qu’il sent mais c’est aux lecteurs de dire ce que ça sent.

* Là encore, l’influence de NdT est évidente, voir à la rubrique Le CDAP.

En vérité, je vous le crie : l’amour est dégueulasse, la morale est toujours la morale des autres et comme le dirait La Boétie (moi aussi, j’ai des lettres blanches) : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » !

Romain Slocombe* est un de ces hommes-là. Il écrit des livres. On le catalogue dans le noir, c’est ainsi et c’est bien, mais, au détour d’autres lignes, celles de Monsieur le commandant (réédition Pocket, 2013, catégorie 6, le prix n’est pas marqué, débrouillez-vous, première édition Nil, 2011), on le retrouve à briguer des prix blancs et la critique s’enflamme. On eut aimé qu’elle s’enflammasse avant pour, par exemple, les romans mettant en scène Gilbert Woodbrooke, photographe érotique de jeunes japonaises en tenue militaire, mais bon, c’est pas correct. Dans Monsieur le commandant, tout est noir. Le héros, Jean-Paul Husson, écrivain normand reconnu, se confesse dans une lettre de dénonciation à Herr Sturmbannführer H. Schöllenhammer de la Kreiskommandantur de Paris dans les années 40. Pétainiste, cet homme vient confier son amour fou pour sa bru, une juive, qu’il va dénoncer et condamner. Le sacrifice de cet amour pour des raisons morales, sa morale à lui : « Ces lignes que vous recevrez ce soir […], il me serait facile […] de vous les adresser sous le couvert de l’anonymat. Mais l’anonymaot, de même que le mensonge et l’erreur – plus exactement, ce que je considère comme le mensonge et l’erreur -, m’inspire la plus violente aversion […]. », est le plus terrible des sacrifices, celui qu’on fait en sachant pertinemment qu’on ne trompe qu’une chose, son âme mais on fait semblant d’y croire, de croire à la vertu du geste, à l’indicible nécessité de l’acte et on se réfugie derrière des paravents de pitié : « Je vous en prie : dites aux hommes qui l’arrêteront d’accomplir leur devoir avec ménagements. » On sait la pitié dont surent faire preuve les nazis et autres collabos. L’on sait aussi la cécité, facile vertu pour refuser de voir, dont se sont affublés tous ces Jean-Paul Husson : « Ne voyez en elle qu’une simple voyageuse, qui retourne vers ses origines, là-bas à l’Est, afin d’y trouver la juste récompense d’un monde plus paisible et meilleur. » On notera avec les mots que l’auteur place dans la bouche de ce héros dont l’empathie nous a quitté dès ses premières lignes, tout le cynisme de ce qu’il appelle amour : juste, paisible et meilleur.

* Plus sur Slocombe ?

Monsieur le Commandant - 1

En vérité, je vous le crie : L’Évasion est une formidable fable sur la mythomanie, celle des écrivains, celles des hommes et des femmes qui apprennent à écrire en prison ou par les livres, celles des lecteurs et lectrices qui ont la faible vertu de croire à ce qu’ils lisent, celle d’une auteure qui pense qu’aligner des mots, c’est déjà panser les maux !

Et l’actu coco ? Pas d’inquiétude lecteur, l’Église sait se mettre au goût du jour (parfum framboise ou cassis pour le préservatif chéri(e) ?) et regarde devant, c’est-à-dire aujourd’hui. Les femmes ont acquis le droit de vote en 1944 et celui d’écrire sous leur nom depuis Georges Sand et Olympes de Gouges (qui sera l’élue au Panthéon ?). Aussi, Dominique Manotti écrit.

Ancienne auteure Rivages, transférée au mercato éditorial chez Gallimard*, elle publie cette année L’Évasion (16€90). Comment un jeune délinquant italien, Filippo, prisonnier de droit commun, évadé avec un politique, Carlo, se réfugie en France et, pour l’amour d’une femme, se révèle écrivain ? Les années de plomb vont-ils lui en mettre dans la tête, au figuré comme au propre ? Filippo va vite se rendre compte qu’en se (re)construisant une histoire, il s’en invente une beaucoup plus dangereuse, complexe, le genre d’histoire dont on peut mourir. Mais, il n’a rien à craindre, non ? Car l’histoire qu’il écrit : « C’est un roman, n’est-ce pas ? » lui glisse l’éditrice. Oui. Non. Filippo ne sait plus. Non, non plus.

* En Folio policiers, n°758, 8€10

Dominique Manotti sait à merveille peindre les années 80 (nous sommes ici en 1987) et les jeunes adultes se cherchant. Filippo est-il une petite frappe opportuniste ou un homme se construisant en fonction de ses erreurs ? Lisa, la compagne de Carlo doute. Doit-elle aider cet homme évadé grâce à son compagnon ou doit-elle s’en éloigner le plus vite possible ? Doit-elle l’oublier ? Tout se complique quand il décide d’écrire son histoire qui, cela va sans dire, se mélange à celle de Carlo et vient tamponner ses idéaux de gardienne du temple, et qui grossit au fur et à mesure que la critique, c’est son rôle, vient rien que de s’enflammer. Elle réfléchit. Puis, sentencieuse, lâche : « […] J’abandonne. Ce combat-là est perdu. Si je veux essayer de sauver notre passé, il ne me reste plus qu’une chose à faire. Écrire des romans. »

En attendant son retour, ça va pas tarder, c’est pour bientôt, portez-vous bien, mieux si possible, n’abusez pas du muscadet et des Pall Mall et, en vérité, je vous le crie : lisez, nom de Dieu !

Noiraud de Tarse (in 813, n°117, décembre 2013, pages 55-56)

Bibliographie :

Fata morgana de William Kotzwinkle (Rivages/Mystère n°2*), 1988, 205 pages, 39 francs ( !)

* (Rivages/Noir n°1031, 8€)

Monsieur le commandant de Romain Slocombe (Pocket*, réédition de Nil éditions), 2013, 237 pages, 6€70

* (Points Seuil n°5306, 8€60)

L’évadé de Dominique Manotti (Série Noire*), 2013, 210 pages, 16€90

* (Folio policiers, n°758, 8€10)

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