La citation du jour n°63 du 5 avril 2024 #tentative d’épuisement n°1 – suite (2)

« C’est un récit qui à travers l’évolution d’un personnage trace les contours d’une société et rend le contexte socio-historique dans lequel il se déroule identifiable, par des lieux, des dates, des événements ou des comportements culturels connus de tous. »*

* Page 21, Gérard Lecas, La Couleur du noir (L’Harmattan)

La citation du jour attire l’œil du lecteur, de la lectrice, sur un passage particulièrement frappant d’un livre ou d’une déclaration tout aussi fracassante. Ce n’est évidemment qu’un prétexte pour aller au-delà de cet extrait, de cette déclaration. C’est ainsi que j’ajoute aux mots de l’auteur(e) quelques lignes, parfois, et que je vous demande d’en faire autant (tentative d’épuisement). La tentative d’épuisement consiste à tordre et essorer un mot, une notion, un concept, un créateur, un livre appartenant au « genre que nous aimons ». FB.

On creuse toujours. Cette fois, c’est Gérard Lecas qui se fait le soutier du noir et va au charbon. Il avait déjà manié le piolet dans la revue 813 (il le signale d’ailleurs dans son introduction page 9), il persiste et signe dans un essai, La Couleur du noir, sous-titré Essai sur le roman et le cinéma noirs, publié chez L’Harmattan (Espaces littéraires, 2023, 109 pages, 13€).

Divisé en quatre parties intitulées Le Genre et ses implications, À la poursuite du réel perdu, La Morale du bien et la morale du mal et Cinéma et séries télévision, Gérard Lecas contribue à épuiser la définition du roman noir. Dès la page 9, il écrit : « il importe de préciser de quoi on parle quand on utilise les mots (…) roman noir. » Il commence par le non définir, ce qui est en soit une définition (qui n’épuise rien (mais est épuisante)) : « c’est un roman qui se rattache au polar mais qui n’est ni un roman d’investigation (un meurtre, une enquête, un mystère) ni un thriller (un héros en danger, une tension dramatique très forte). » (p.21)

Après l’avoir soudée au roman noir américain des années 20 et la grande dépression qui a suivi, il est évident que, pour Gérard Lecas, le roman noir « persiste à vouloir s’enraciner dans une vérité sociale. » (p.25)

Mais, évidemment, l’auteur va beaucoup plus loin et le roman noir selon lui « ne peut exister dans la littérature » qu’à la condition qu’il serve « à illustrer les outils de la transformation du monde et non à se complaire dans l’hédonisme béat de ceux qui pensent que l’aujourd’hui est satisfaisant. » (p.27)

Il faut alors lire la 2e partie pour se coltiner au réel. Le roman noir cherche « à mettre à nu la vérité du monde » (p.48), « démarquer l’apparence, le simulacre » (p.42), dénoncer toutes les formes de libéralismes et préfére toujours la valeur à l’idée de valeur, le principe à l’idée de principe, parce que, comme le dit la psychanalyste Anne Dufourmantelle, « on ne peut pas toujours mentir. » (p.52) Militant pour que ce soit le lecteur qui fasse le livre, Gérard Lecas par la suite, dans les parties 3 et 4, use les poncifs du serial killer et du maffioso (des personnes plus pathétiques que ne sont leurs pendants romanesques intelligentes, voire empathiques), enfonce le clou en affirmant que le roman noir « quitte le divertissement du roman de détection ou du thriller pour affronter les questions essentielles du monde réel dans une société civilisée : pourquoi assassine-t-on, viole-t-on, violente-t-on, exploite-t-on son prochain ? » et surenchérit : « faut-il mettre en cause certains penchants inéluctables de la nature humaine ou bien les rapports sociaux occupent-il une place importante dans cet état de fait ? » (p.62), restaure la morale quand toutes les valeurs ont été enterrées et finit par regretter que le cinéma et plus encore la télévision boude le noir jusqu’à un déclinisme annoncé. Tout le reste, semble alors conclure Gérard Lecas, dans une conclusion qu’il n’écrit pas (c’est au lecteur, je vous le reprécise, de « faire » le livre), est forcément littérature. Noire. Le livre aurait-il donc encore un avenir ?

François Braud

Gérard Lecas a publié son dernier roman chez Rivages : Le Sang de nos ennemisPrix Polars en séries – Quais du polar 2023* (un des 10 polars de l’année 2023 pour moi) que j’ai chroniqué ici. Il a aussi contribué au CDAP sur le thème de l’Italie (il est également traducteur) en évoquant Scerbanenco, Pinketts et Viola.

* C’est ce ouiquende qu’a lieu la 20e saison à Lyon.

photo de Sandrine Thesillat (813)

Merci à Gérard de m’avoir envoyé (et dédicacé) son livre. Je lis Gérard depuis fort longtemps, depuis L’ennemi public n°2 et Overdrive (Séries noires n°1875 et 2114) et sa venue à la Roche sur Yon au 1er Festival du polar de 1988. Papier écrit en écoutant chanter Pottier.

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