Manger sur la poutre

* Des géants au sommet d’un géant !, Giant, Tome 2, (p.56), Mikaël

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas lire… FB

Giant, c’est un Irlandais, un taiseux, tous les mots plus bas que les autres, trois mots avec lui et « on peut dire que nous venons d’avoir une belle conversation !! » (p.37). Il vient de perdre son coéquipier Murphy qui est mort d’une glissade, à cette hauteur, même Dieu ne peut rien pour vous. Dan est embauché comme riveteur, il est tout en gueule et le voilà « outillé pour empiler de l’acier jusqu’à chatouiller les pieds de Saint-Pierre. » (p.11) Comme les copains, Giant et Dan travaillent sur le Rockefeller Center. En hauteur. Et à terre, il faut aussi savoir éviter les dangers et les Ritals. Giant récupère les affaires de Murphy, son indemnité de 50 dollars de l’Union des Travailleurs du Métal et sa correspondance. Mary Ann est inquiète, là-bas, au pays, sans nouvelles. Alors Giant va lui en donner*. Des mots et des billets. De l’espoir en barres.

* en empruntant la machine à écrire de son voisin, un journaliste alcoolique qui ressemble bien à celui de Harlem

Et puis, un jour, « la guerre, la faim, la rancune, la misère… sans aucun doute… (…) la pluie en plus. » (p.24-25, t2), on quitte la terre natale pour arriver là, « dans cette ville tant rêvée » (p.9 t2), pour en arriver là, à côtoyer la mort chaque jour, en haut du ciel sur un chantier où « un accident mortel [arrive] en moyenne tous les dix étages ». (p.24, t2) Alors Mary Ann et ses trois enfants vont le faire ce voyage, pour être aux côtés de Murphy, le mari, le père.

Alternant le bruit et la douleur, les rires et le silence, c’est à la vie de cette classe de misère, cette classe dangereuse, ces ouvriers, ces riveteurs qui mangent, fument, dorment sur la poutre pour un salaire qui entretient ce qu’ils ont fui, la misère et qui risquent leur vie pour la gagner.

Mikaël leur rend, non pas justice, mais hommage en égrenant leur vie à travers des portraits sans concession où l’espoir prend toute forme du moment qu’il diffère du jour harassant, déprimant : un article bavant de dollars, un cliché de propagande, un contrat pour un spectacle, une lettre du bout du monde, un boulot de forçat pour oublier son passé.

Tout, le trait ombré, les couleurs ocre et rouille, la mise en page comme une caméra qui virevolte, les bavardages comme les silences, les regards et la lumière, tout est réussite dans ces deux tomes. Giant est un roman noir graphique qui en dit plus sur les hommes et les femmes qui composent ce tableau que ce que le tableau nous donne à voir. Le décor est le sujet, comme l’illustration double le scénario.

New-York vit. New-York meurt.

François Braud

Mikaël / Giant, tomes 1 et 2, Dargaud, 2019, 58/56 pages, 15€95 le tome

+++ Retrouvez Mikaël à Harlem sur bbb.

BD achetée en librairie aux Instants libres

Je dois à Hélène la découverte de cet auteur, merci.

Papier écrit en écoutant New-York USA, Serge Gainsbourg