« – Moi, je suis une mauvaise personne ? explosa [Bepi] (…) Moi je suis une mauvaise personne ? hurla-t-il en posant sur le bureau les photos du cadavre. [Teresa] a été enlevée et cachée Dieu sait où. On lui a injecté un anesthésiant pour taureaux. On l’a déshabillée par une nuit glaciale, on l’a ligotée comme une chèvre, on l’a marquée comme une vache, on la égorgée comme une truie, on a rempli un vase avec son sang, on l’a ridiculisée avec une toison de mouton et un masque de bœuf, et moi, qui me casse le cul à essayer de comprendre qui a fait ça, je suis une mauvaise personne ? »*
pages 402-403 , La Septième lune de Piergiorgio Pulixi
La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB
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Aujourd’hui zoom sur la nouvelle enquête d’Eva et Mara nous souffle le bandeau rouge mais aussi du ténébreux Vito Strega et du bibendum Bepi Pavan. L’équipe au complet forme une nouvelle unité d’enquête dédiée aux crimes en série, qui, pour fêter sa création, part en week-end en Sardaigne. Mais les vacances vont être de courte durée car un criminel les invite à venir patauger en Lombardie, dans les marécages du Tessin où il pleut comme lors du déluge. Ambiance délétère. Car Teresa Poletto a disparu et sa famille s’inquiète. La police aussi. Clara Pontecorvo, sorte de géante contrariée – n’allez pas vous laisser aller à une plaisanterie sur sa taille sinon…, s’empare de l’affaire et retrouve la disparue assassinée dont le cadavre mis en scène rappelle une ancienne affaire résolue par Eva et Mara. Étonnant. Clara ose. Elle les appelle… Et si, comme le pense Mara : « On nous met au défi. » (p.204)
« Celui-là, c’est plus facile de lui rentrer quelque chose dans le cul que dans le crâne. » (p.16)
La Septième lune de Piergiorgio Puluxi (La settima luna, traduit par Anatole Pons-Remaux, Gallmeister, 2024, 525 pages, 25€90) réutilise les ingrédients qui ont fait son succès : arc narratif solide, tension dramatique, courts chapitres alternant les points de vue, avance du lecteur sur les enquêteurs puisque l’on suit l’assassin, retard du même lecteur sur les enquêteurs qui réfléchissent de leur côté sans rien nous dire et surtout avance de l’auteur qui sait multiplier les coups de théâtre afin de surprendre et d’emballer notre lecture. Déjà, il nous surprend dès l’exergue avec une citation de Franck Bouysse : « Mais la vérité, c’est que la volonté d’un homme pèse pas lourd devant son destin en marche. » (Grossir le ciel).
L’auteur joue de ces langues si diverses (le sarde, le vénitien…) qui enrichissent l’italien et que le traducteur, Anatole Pons-Remaux nous laisse découvrir (en nous les traduisant) et qui font de certaines pages des plaisanteries aussi fines que les images sont grossières. Car l’humour est présent : « – Zéro. J’aime le café noir… J’espère que je ne vais pas finir sur la liste des suspects à cause de ça. » (p.80) De plus, nos héros sont parfois fatigués de leur vie ordinaire : « Samedi, c’est opération tornade blanche chez moi, parce que c’est le seul jour où j’arrive à faire le ménage. Ensuite, c’est un enchaînement sans fin de lessives et de courses au supermarché comme si on allait être confinés (…) (p.43). Ce qui, il faut le reconnaitre, ne fait pas avancer l’intrigue d’un pouce mais nous assure sur leur humanité qu’on pourrait croire de papier. L’humour mais aussi la critique qui n’épargne pas la société du spectacle incarnée par Ettore Leone, le « magistrat médiatique » qui aime se prendre en selfie, appelle les caméras avant les collègues, tweete, multiplie les réels sur TikTok et les stories sur Insta. Connecté, il pourrait bien finir ministre de l’intérieur… (p.144-145) L’environnement, très présent, n’est malheureusement pas oublié de la rage humaine : « – Perchloroéthylène, murmura-t-il en crachant le mot comme un juron. Ce solvant était une malédiction pour tous les agriculteurs de la plaine du Pô, parce qu’il était l’un des principaux responsables de l’empoisonnement des sols et des nappes aquifères. » (p.231) Mais la critique, c’est comme l’humour, il ne faut jamais s’oublier : « – Tu aimes les polars, toi ? demanda Mara. – Disons que ce n’est pas ma tasse de thé, répondit Mara qui en réalité lisait très peu et surtout des romans à l’eau de rose. Et toi ? – Pas du tout. Je les trouve plein de conneries invraisemblables. Et je pense aussi que ceux qui écrivent ces trucs-là sont dérangés. Pourquoi passer ses journées à raconter des histoires de gens assassinés ? Putain, pose-toi la question, quoi. » (p.328)
Oui mais.
On ne va pas se gêner, nous non plus, hein ? L’auteur a cédé à quelques « facilités » difficiles à exposer ici sans divulgâcher aussi je dirais qu’il n’est pas toujours « franc » avec nous et « triche » un peu parfois (il suffit pour cela de relire des passages une fois le livre terminé pour s’en convaincre – contactez la rédaction, on en discute), comme ces films qui font mentir l’image en nous présentant des choses qui n’ont pas eu lieu. Les coups de théâtre passent alors pour des coups du sort et de ces derniers, il faut éviter de les multiplier pour ne pas lasser le consommateur. Le thriller a ses codes et ses poncifs aussi…
Cette nouvelle enquête passerait plutôt comme une ancienne, d’ailleurs, l’unité spéciale créée, est obligée de s’occuper de l’affaire et de reporter son ouverture, une aventure qui ressemblerait à une invitation à lire la première, L’Ile aux âmes, magique et envoûtante. En attendant la prochaine car, on est devenu fin palais, on connaît le surprenant talent de Piergiorgio Pulixi : celui de nous surprendre et de nous tenir en haleine avec des ingrédients que tout le monde connaît mais que lui seul sait mélanger avec grâce et finesse. Vivement le prochain !
François Braud
Papier écrit en écoutant les nouvelles qui sont mauvaises d’où qu’elles viennent (Djian/Eicher). Alors je prends mon thé, je ne ris pas. L’homme est un animal. Le livre m’a été envoyé en service de presse ; merci à Léane Berne. Plus de Pulixi ? Ici, là, là et ici.