Thiébaut mon fils

Olivier Thiébaut

Portrait tragique d’un auteur comique

Thiébaut enquête d'un père

 Je connais bien Olivier Thiébaut même que, quand je lui demande de ses nouvelles, il m’en donne. Je le soupçonne d’ailleurs de préférer la nouvelle au roman. Choix qui suppose un amour immodéré pour les choses éthérées et un ennui profond pour le roman bombardier. Une nouvelle, c’est un court roman me direz-vous. Un roman c’est un longue nouvelle rétorquerez-vous. Peut-être. En tout cas, une nouvelle est un crachat ou un baiser, bref un geste de colère ou de tendresse.

Des idées, le gars Thiébaut en a. Elles le turlupinent souvent et mûrissent tranquillement dans ce qui lui sert de cortex. Et puis, un jour, un soir (rarement un matin), la chose jaillit, du moins les premiers mots. Le premier jet lâché, Olivier Thibaut polit et peaufine mots et maux, virgules et points, rythme et staccato, titre et chute. Quelquefois, il doute mais quelquefois il s’étonne. Si la réalité dépasse souvent la fiction, Olivier peut témoigner que cette dernière peut même précéder la première. Ainsi, lorsqu’il écrit Rock and Vérole (Éditions de la Loupiote), l’histoire d’une groupie qui vole les cendres de son idole, un certain Kurt Robin, il entend parler d’une certaine Courtney Love qui se fait pincer quelques mois après la parution du livre dans un aéroport avec un nounours rempli des cendres de Kurt Cobain… De là à croire que le petit éditeur courageux de province émettait jusqu’aux States ou que l’auteur a un don de prescience, il n’y a qu’un pas que l’éditeur et l’auteur n’ont jamais franchi. Mais cela les a peut-être poussés à publier L’un seul, recueil reparu plus tard aux Éditons Mango. Entre deux nouvelles, il lui arrive aussi de publier des romans souvent noirs et transgressifs. Olivier Thibaut touche au sacré. La famille. Et ça fait mal : Enfant de cœur (Série Noire) ou Larmes de fond (Baleine) sont de petit coulis de bonheur sur des tranches d’amertumes. Et la noirceur n’est pas uniquement politique, sociale ou économique. Chez Thiébaut, elle est dans les liens qui unissent les êtres de même chair et de même sang. Les enfants sont toujours au milieu. Ils subissent. Ils encaissent. Ils courbent le dos. Et un jour, ils crachent à la gueule de papa, dans la tronche de maman…

Dans son dernier roman, Enquête d’un père (publié aux Éditions Après la lune), Olivier Thiébaut s’attaque au couple, aux racines familiales ascendantes et descendantes. Accrochez-vous, ça secoue.

 Avant. Provence.

Prologue brûlant : Rouge sang. Le soleil dégouline de rayons, embrase le relief (…) [Mais] ils se foutent que le soleil soit rouge ou bleu ou vert. Puisqu’il est là, vautré sur la table, leur soleil. Étalé en grappes de papiers. Des coupures qu’ils vont pouvoir enlacer, palper, pétrir. Prologue sanglant. Bain de sang.

 Après. Saint Sauveur (La Puisaye).

Simon Lordal. Père obligé, père séparé. Professeur d’histoire géo à ses heures gagnées et, à ses heures perdues, peintre raté. Une ex : Isabelle, pas de belle, une manie : le pinard, cafard, un moutard : Julien, chagrin. Un père mort, gangster car il est plus facile de le devenir que de le rester. Une mère folle, presque morte. Une famille décomposée qui gîte encore quand on enlève Julien : Bien, alors voilà, tu retrouves ton père et on te rend ton fils…

Et voilà Simon en quête du paternel. Livrer le père pour retrouver le fils. Tuer le pater pour recouvrer une pleine et entière paternité. Couper une filiation pour en solidifier une autre. Le choix est racinien. Mais Simon n’a cure de son géniteur : d’abord, il l’a à peine connu, ensuite, il a abandonné sa mère qui est devenue zinzin, enfin, il est mort. Allez retrouver un mort vous…

Cynisme ou pure raison, le couple en prend la gueule : Ceux qui, en toute insouciance, achetaient une lampe la main dans la main sans savoir qu’ils se la balanceraient à la gueule moins de deux ans plus tard, la paternité et la filiation aussi évidemment, quant à la virilité, Simon manque de viagra mais pas d’aplomb : Mes testicules, le gauche bille en tête, s’étaient, lentement mais sûrement, frayés un chemin vers la sortie. Bref, la réussite totale d’un portrait de raté. Un looser comme on les aime, qui, quand le désespoir lui sombre dessus, se réfugie dans des clairières. Comme si la lumière allait gommer les zones d’ombre. Mais il n’est pas seul. Pour mettre la main sur son vieux graal, une jeune femme l’accompagne. Son prénom ? Claire.

 Olivier Thiébaut est un être humain fort drôle. Si si. Regardez ses titres, par exemple, son poulpe : Les pieds de la dame au clebs (Baleine). Marrant, non ? Pour ceux qui ne comprennent que couic au jeu de mot, solution la prochaine fois. Certes certes, me direz-vous, il a l’air drôle mais je ne lui confierai pas me enfants. Vous avez tort. Un : il écrit pour la jeunesse (Frères de sang, À feu et à sang, tous deux publiés chez Syros) qui le lui rend bien puisque les bambins lui ont remis un prix, et toc. Deux : il est papa d’une ravissante petite fille.

Enfin, ressasser est un passe-temps assassin, et l’on s’en fatigue vite. Aussi, j’arrête de vous convaincre de lire les lignes de Thiébaut. Et comme lui disait Élisabeth Tessier : « Je sais pas pourquoi monsieur Thiébaut mais m’est avis que le croisement de vos lignes de mains laisse présager qu’ Œdipe va flinguer son père Laïos et se taper sa mère Jocaste. Et ça vous fait rire ? »

 François Braud

Article paru dans Émancipation en oct 2006. Le texte n’a pas vieilli, Olivier Thiébaut si peu mais sa fille a grandi…

2 réflexions sur “Thiébaut mon fils

  1. Un vrai bonheur qui ne faiblit pas. Lire l’olivier en cueillant ses fruits noirs et son jus gras qui colle aux doigts. Si tu me lis je te salue l’ami. Ton Gatinet

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