813#12 (Trophées 2023) : Un cancer des sentiments (Nesbo / De la jalousie)

* De la jalousie, Jo Nesbo, page 84

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

En ce mois d’août climatiquement détraqué, broblogblack vous propose de vous ressourcer en puisant dans la lecture de tous les ouvrages qui concourent aux Trophées 813 de l’association éponyme de trouver de quoi vous inquiéter davantage… Vous trouverez là, donc, de quoi voter si vous êtes adhérents et de quoi lire intelligent si vous ne l’êtes pas.**

** Adhérent j’entends, mais ça peut s’arranger

Au programme ce jour : Deuxième ouvrage en lice pour le Trophée 813 de la nouvelle : De la jalousie (Sjalusimannen og andre fortellinger, traduit par Céline Romand-Monnier, Gallimard, Série noire, 2022, 341 pages, 19€50), un recueil du Norvégien Jo Nesbo, démiurge de Harry Hole.

« De l’incrédulité à la rage, en passant par la fureur, le mépris de soi et, pour finir, la dépression, je suis passé par toutes les affres de la jalousie. Sans doute parce jamais de ma vie je n’avais traversé pareille torture psychologique, je me suis aperçu que la douleur, tout en étant dévorante, me plaçait dans une situation d’observateur extérieur. J’étais à la fois le patient non anesthésié sur la table d’opération et un spectateur regardant depuis la galerie, un jeune étudiant en médecine qui découvrait ce qui se passe quand on extrait le cœur de quelqu’un de sa poitrine. » (page 82, extraite de la nouvelle la plus longue du recueil, Phtonos)

Un cancer des sentiments

La jalousie, il ne suffit pas d’en être revenu pour pourvoir en parler. Encore faut-il avoir les mots pour panser les maux. Le pire, avec la jalousie, ce n’est même pas qu’elle vous met dans des situations que vous n’auriez jamais imaginées mais qu’elle pourrit ce que vous avez été, ce que vous êtes et ce que vous serez. Elle abîme tout, taillade vos souvenirs, poignarde votre existence, lacère vos projets. Elle n’épargne rien et juge tout à son aune. C’est un cancer des sentiments. Un poisson mort qui pourrit dans votre tête. Une overdose acide de haine.

Jo Nesbo s’essaye à la nouvelle (pour sa mère, paraît-il, voir papier de Libération). Certes, le souffle du roman et les tourments de Harry aux proies aux démons et à sa famille manquent dans ces récits inspirés sur quelques pages mais il apporte là toute la palette de la jalousie : de la mesquinerie au complot. Et à chaque fois, il touche juste. Jusqu’au bout du crime…

Jo Nesbo vous donne de ses nouvelles

Londres, que l’on peut sentir venir quand on en a lu, tant de polars, nous confine dans un avion aux côtés d’une femme : « Je veux mourir. Donc vous ne vous trompez pas en ce qui concerne l’avion. J’espère qu’il va s’écraser. » Son voisin soucieux s’offusque : « Mais il me reste tant à faire. » Avec René Girard comme alibi.

Phtonos, parfum grec, gémellité, escalade, est l’affaire d’un enquêteur, Nikos Balli, policier, docteur ès jalousie, interroge Franz qui est venu signaler la disparition de son frère jumeau Julian, parti se baigner tôt le matin et qui s’exprime de façon précise et convaincante… comme tous les coupables. Avec Malraux comme condition humaine.

La file d’attente qu’on resquille sans façon parce qu’on est pressé, qu’on n’a pas l’temps pourrait s’avérer si proche du proverbe marocain : les gens pressés courent vers le cimetière. Sponsorisé par le roi et la reine, Harald et Sonja.

Déchet où le black hole du lendemain de cuite. On ne recycle pas toutes les ordures et « il faut bien que quelqu’un fasse le ménage. » Avec un psychologue cavaleur comme témoin.

Les aveux, monologue face à un inspecteur muet de l’autre côté de la table basse du salon sur laquelle trône une tasse à café sur une nappe. « Sa tasse à café. Sa nappe. Sa table basse. Même la coupe de chocolats au centre lui appartient. » Le point sur une rupture pas si civilisée que ça. Tout est affaire de choix. De goût.

ODD : Odd Rimmer est un auteur à succès qui boycotte le plan médiatique (débat, show, film) qu’on lui impose pour imaginer autre chose de bien plus excitant. Sous l’apanage de No Country for Old Men et Cormac McCarthy.

La boucle d’oreille trouvée à l’arrière d’un taxi appartient à sa femme, c’est lui qui la lui a offerte, cette paire. Mais voilà, sa femme n’a pas pris son taxi mais Palle son chef si, quand il n’est pas de service. Et s’il en profitait pour construire un « nouveau moi », dans un élan de poésie mal contrôlé À l’arrière des taxis.

En attendant Harry qui joue son destin aux dés (« Harry plongea la main dans sa poche, il en sortit le petit bout de métal bleu-gris. Il regarda les points sur les faces. Il prit son souffle, mit ses mains en coupe, secoua le dé. Le laissa rouler sur le comptoir. », page 602, Le CouteauGallimard, Série noire), Nesbo reste convaincant sur ces sept faces de la jalousie, la face cachée évidente de l’amour pour le meilleur ou plutôt de la possessivité et de l’égo réunis pour le pire.

François Braud

Ce papier est déjà paru sur bbb le 27 septembre 2022, il a été légèrement remanié pour ce post du jour. Ce livre figure dans ma liste des polars de l’année 2022.

Pour en savoir plus : Jo Nesbo est sur bbb: Soleil de nuit, Fantôme et Le Couteau. Le site de l’auteur en anglais.

Ce recueil est en lice pour le Trophée 813 2023 de la nouvelle de l’année 2022 : bonne chance à lui !

C’est déjà du passé :

813#1 Le Blues des Phalènes de Valentine Imhof

813#2 Dans les brumes de Capelans d’Olivier Norek

813#3 Les Derniers jours des fauves de Jérôme Leroy

813#4 Le Carré des indigents d’Hugues Pagan

813#5 Pour tout bagage de Patrick Pécherot

Les cinq posts pour le Trophée 813 2023 pour le meilleur polar francophone de l’année 2022 sont aussi à retrouver sur le blog de 813.

813#6 Béton rouge de Simone Buchholz

813#7 Les Gens des collines de Chris Offutt

813#8 L’Illusion du mal de Piergiorgio Pulixi

813#9 Bobby Mars forever d’Alan Parks

813#10 Billy Summers de Stephen King

Les cinq posts pour le Trophée 813 Michèle Witta 2023 pour le meilleur polar étranger de l’année 2022 sont aussi à retrouver sur le blog de 813.

813#11 Jusqu’ici tout va mal de Pascal Dessaint

À SUIVRE :

813#13 Baraque à frites de Jérémy Bouquin

Source : livre reçu en service de presse (merci à Christelle Mata)

Passeur :  Qui a bien pu me mettre un Nesbo entre les mains. Je crois bien que ce fut le service de presse de Gaïa qui a publié les quatre premiers Harry Hole (entre 2002 et 2005).

Bande sonore : papier écrit en écoutant Noir Désir, À l’arrière des taxis.

Post recensé sur bibliosurf. Merci.