La Marée dans le cœur

* page 101, Pour tout bagage, Patrick Pécherot

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Au programme ce jour : La réédition du roman de Patrick Pécherot, Pour tout bagage (Gallimard, La Noire, 2022, 167 pages, 16€) chez Folio policier n°1006 (2023, 175 pages, 7€50), qui était en lice lui aussi pour le Trophée 813 2023 du meilleur roman francophone de l’année 2022 (Trophée gagné par Valentine Imhof, Le Blues des phalènes, Le Rouergue noir)…

Depuis L’Homme à la carabine (Folio), on sait que Patrick Pécherot est l’historien des vaincus, celui qui convoque notre mémoire comme une marée qui vient lécher nos plaies et aviver nos souvenirs. On en ressort rincé. Mais heureux d’avoir vu revivre ceux dont les voix se sont tues. Parce qu’il y a pire que la mort : l’oubli.

Léo Ferré, Vingt ans

Fait chier Ferré ! Il Peut bien chanter ce qu’il veut, rien n’y changera rien. « On maquille le problème » en se disant « qu’on a toujours vingt ans ». Mais ça fait longtemps qu’ils sont derrière nous nos vingt ans. Et, en se regardant dans la glace, on peut bien gueuler « on s’en balance, on est des lions »« la boîte à souvenance » est « ouverte » (p.15) et elle tire une de ses gueules : « J’ignore qui était Edmont Vuillat, pourtant nous l’avons tué. » (incipit)

« Il faut la mémoire pour comprendre. » (p.44) Celui qui se confie à nous, étale « les photos, les articles, les vestiges » et mélange « le tout »« y farfouille » (p.15), c’est Arthur. Il parle au nom des autres, les quatre garçons dans le vent mimant les BeatlesYvon (le zadiste dans « son fort Alamo », p.106)Paul (« C’est à cause de lui que je parle », p.66)Antoine (« Un bon coupable… », p.80) et Arthur. Et puis il y avait aussi Sylvie (« Pour la retrouver, il m’a fallu passer par Chloé. », p.114). Tous appartenaient à un groupe qui allait changer le monde en singeant les actions d’un groupe (Les GARI) anar espagnol (« y en a pas un sur cent et pourtant ils existent ») et barcelonais (pendant qu’on garrotte à Madrid) qui avait enlevé un banquier à Paris en 1974. Sauf que c’est un innocent qui trinque, Edmond Vuillat. Le groupe s’éparpille et chacun fait sa vie. 45 ans plus tard, l’histoire refait surface obligeant Arthur à chercher les autres.

(Léo Ferré, cité page 59)

Ce qu’évoque Pour tout bagage, outre l’énigme de l’identité de celui qui a tiré et celui qui a ouvert la boîte quarante-cinq ans après, c’est la fougue idéologique en la croyance fumeuse d’une possibilité de faire bouger les lignes, de les briser pour construire un cercle, c’est la jeunesse crédule et la beauté en bandoulière, c’est un monde figé (« le vieux monde est derrière nous ») et en mouvement (« cours camarade !« ) mais aussi un monde perdu, la désillusion au compteur et la vieillesse « qui fait parfois un d’ces boucans, c’est ce qu’on appelle la voix du d’dans. »

Et cette voix que certains pourrait trouver désenchantée, elle est ensorceleuse mais dénuée des oripeaux crédules et habillée de la lucidité. Le récit est parsemé de kodachromes, bande vivante des seventies : instantanés d’époque, flashs culturels, musiques entêtantes et polaroïds de sentiments qui peignent la décennie comme si on la vivait, aux côtés d’Arthur, avec Patrick Pécherot. La tendresse et la mémoire des vaincus.

Patrick Pécherot est un conteur plus pointilliste que nostalgique : il dépeint les années 70 en y mettant de lui (« des vrais morceaux« ), de l’homme et de l’écrivain. Il scrute, avec talent, les failles, comble les mémoires, se souvient de la révolution qui devait être « rigolade et provocation », « chien décolliérisé » (p.59), elle sera « branquignole » et « bidasses » (p.62) et reconnaît les fautes sans les absoudre, sans nous faire « le coup des offenses et de la rédemption » (p.176). Le livre refermé, il nous laisse, simplement, sur la langue, comme un goût de vérité qui nous met « la marée dans le cœur« , sincèrement.

François Braud

Patrick Pécherot est sur bbb Pour tout bagage (La Liste noire), Cartouche, le prince des voleurs (dans Bandits & brigands), Lettre à B. et Hével (La Citation du Jour).

Pour en savoir plus… / Le site de l’auteur…

article quasi (à quelques mots près) identique à celui publié le 07 août 2023, ici