La chute des anges

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire…ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

« Je me rappelle très bien le jour où le premier corps a été découvert. »

Et des corps, il y en aura d’autres, au moins 31, sur cinq États, en 30 ans. L’affaire d’une vie. Celle de Joseph Vaughan. Gamin d’Augusta Falls, Géorgie, Joseph voit arriver le mal, en 1939 : la guerre, la mort de son père, Alice, une fillette violée, battue à mort, étranglée. « Une vie arrachée à la vie ». Joseph est terrassé mais il a trouvé une clé, « une merveille effilée », une plume, mais, pas n’importe quelle plume, c’est une plume d’ange. C’est cette plume qui va lui permettre de tenir toutes ces années hanté par l’assassin de son enfance, le croque-mitaine, le monstre. Il sera écrivain.

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L’adaptation du roman d’Ellory, Seul le silence (Sonatine), en BD par Fabrice Colin et Richard Guérineau est ici une réussite puisque les pages lues, il donne envie non seulement de relire l’œuvre mais aussi de se replonger dans l’initiale.

Le scénario de Colin est découpé avec minutie dans le foisonnement des pages du roman pour donner au récit un tempo solide et continu éclaboussé par les couleurs de Guérineau, jaune, cuivre et roux de la campagne, rouge et noir de la guerre, bleu nuit et gris de l’Histoire. Les anges éthérés, les copains anges gardiens, le shérif, le tueur hantent Joseph malmené par les événements aussi intimes que le désir de sa mère, les réponse du voisin allemand Krugger, l’écoute de l’institutrice mademoiselle Webber, sa mère à l’asile qui perd la raison : «je sais qui est le tueur».

page 35

Joseph ne sera pas loin de perdre la sienne à la suite de la mort de son épouse, Alexandra Maddigan Webber, enceinte et du suicide de Kruger chez qui l’on retrouve un ruban, une chaussure et un collier d’enfant… Joseph fuit alors à New-York. Il veut mettre de la distance entre lui et le tueur car ce dernier semble s’en prend trop souvent à ceux qu’il aime… Mais la distance, si grande soit-elle, est impuissante face au mal…

Dès la couverture, gaufrée, de ce ton qui fait la lumière de l’Amérique rurale, entre chaleur et ombre, vent temps suspendu, on sait qu’on est dans l’Histoire avant de rentrer dans l’histoire. La première page des corneilles veillent sur un bras inerte dans un temps « d’automne nimbé d’un douceur presque blasphématoire », assombri par l’Histoire ; « Deux mois plus tôt, l’Allemagne avait déclaré la guerre au reste du monde .»

Et on ne la quittera qu’avec regret sur le visage d’Elena que les ténèbres avaient commencé à effacer mais que l’écrivain Joseph Waughan fait revivre dans l’ultime vignette.

On saisit visuellement la désespérante recherche du bonheur en comprenant que plus on court après plus il s’enfuit. La nostalgie est toujours ce qu’elle est : un regret qui prend l’apparence d’un remords. Ou l’inverse.

Seul le silence est un livre sur le bruit intérieur, le vacarme qui est en nous.

François Braud

Seul le silence, Fabrice Colin et Richard Guérineau, d’après R.J. Ellory, Philéas, 107 pages, 18€90

papier écrit en écoutant Plume d’ange de Claude Nougaro

BD offerte par Léna, qui, un jour, a traduit les propos d’Ellory pour une interview suite à la parution de Seul le silence en 2008

3 réflexions sur “La chute des anges

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