Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre A (partie 1)

Ce projet de « Contre Dictionnaire Amoureux du Polar » (que nous appellerons entre nous le CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire Amoureux du Polar (le DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons ». J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré :  » Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

Dictionnaire amoureux du polar de Pierre Lemaitre, Plon, 808 pages, 2020, 28€

Lettre A

(1ère partie)

lors ça y est. C’est parti. La date du début est connue mais celle de fin apparaît lointaine. Car la tâche est énorme. Un jour à la fois dit-on aux AA. Chaque lettre après l’autre dit-on ici et encore, des fois, on fracturera peut-être la lettre en deux, voire en trois parties, pour des raisons de logorrhée nécessaire qu’on espère que le lecteur la lectrice ne qualifiera pas de diarrhée littéraire. À vos commentaires.

A par PL (Pierre Lemaitre)

Vali Izquierdo

annoncer tout de go, il y a huit entrées à la lettre A : Ackroyd (Roger), Adler-Olsen (Jussi), Ambler (Éric), American psycho , Amour du noir (L’), Assemblée de chacals (Une), Autobiographie d’un tueur professionnel, Aux animaux la guerre. Deux auteurs, un personnage, quatre titres et un thème (qui lui permet de mettre en avant un bouquiniste des quais de la Seine, Bernard Terrade). Relevons alors ce qu’il y a à relever : un coup de cœur, quelques lignes dans lesquelles PL tente de nous convaincre de la majesté et de la magnificence de, un coup de plume dans lequel PL délaisse sa tenue de critique pour endosser celle d’auteur, un coup de griffe qui permet à PL de piquer un peu et le coup de brume qui met en avant un oublié, une méconnue…

Le coup de cœur

Vali Izquierdo

musant. Mettre Dennis Lehane dans la lignée d’Agatha Christie, il fallait oser. Et PL ose. Attention, ce n’est pas à ça qu’on le reconnaît. Ne me faîtes pas dire ce que je n’ai pas dit. Et comme l’a écrit Jacky Schwartzmann dans Kasso :  » Ils aiment aussi citer des dialogues de Michel Audiard sur les cons. « T’auras pas fini de tourner », « Les cons ça ose tout ». Ce qu’ils ignorent, c’est que c’est justement à cela que l’on reconnaît vraiment les cons : ils citent Audiard. » (page 74) Vous êtes prévenus.

La solution du roman Le meurtre de Roger Ackroyd est surprenante affirme PL. Il a raison. Il refuse aussi de la donner pour ne pas « divulgâcher« . Il a raison, ne comptez pas sur ce site pour vous dire que le meurtrier dans Dix petits nègres (politiquement renommé Ils étaient dix, titre original : Ten little niggers, renommé And then they were none en 1940 aux States et en 1985 chez la perfide Albion, source d’Albert Wikipédia) est – roulement de tambours (passez le curseur sur la ligne en dessous) :

………..le juge Wargrave……………. .

Cette surprise était pour lui « un précédent et ouvrait une brèche dans les conventions du roman policier. » Agatha, que certains, d’après JiBé Pouy appelle à gâteaux tellement ce qu’elle écrit est tarte, serait précurseure et aurait permis, en gros, aux auteurs de se lâcher. Il est vrai qu’elle est plus rigolote que les 20 règles* du roman policier édictées pas S.S. Van Dine, qui, lui ne rigolait ni avec les initiales de son prénom, ni avec ce qu’on avait le droit ou pas d’écrire, PL d’ailleurs le catalogue comme « formaliste« . Donc accordons lui ce crédit (à Agatha) et à PL cette trouvaille. S’il ne m’a pas encore donné l’envie de relire particulièrement Le meurtre de Roger Ackroyd, il m’a titillé à l’idée que je devrais quand même un jour la relire, la vieille anglaise (qui avait une maison secondaire à Wallingford, petite bourgade anglaise au sud de Londres dans laquelle j’ai passé deux fois deux semaines lors d’un échange linguistique dans une famille anglaise avec, la première année, Tobin et la seconde, Edward). C’est ce que se tuait à m’expliquer un jour Louis Sanders, sa modernité, son côté Colombo à mettre les coudes sur la table et à laisser tomber la cendre de son cigare sur la moquette. C’était il y a une vingtaine d’années, j’écoutais distraitement d’une oreille ensablée et je regardais négligemment sur le côté en soupirant (vous savez comment sont les jeunes ?).

* Je préfère celles de JB Pouy (encore lui, on en reparlera au J), les Dix trucs désormais à éviter quand on veut écrire un polar et si c’est dix, c’est pour faire un compte rond parce que sinon, le liste serait trop longue, in Le Casse pipe intérieur (page 196), Joseph K.

Le coup de plume

Vali Izquierdo

matrice, la première éditrice de PL ? « Mon premier roman, Travail soigné (titre calamiteux choisi par l’éditrice – si l’on peut dire – de l’époque ; dans plusieurs langues, il s’appelle Irène, c’est mieux), s’ouvrait avec la description d’une scène de meurtre. » (page 27). Cette introduction de la notice American psycho permet à PL d’admettre l’influence de ses lectures et du roman de Brett Easton Ellis sur sa propre écriture. C’est assez rare qu’un écrivain avoue en mettant le doigt précisément sur une de ses créations qu’elle lui a été inspirée par un autre. Le plagiat est si vite soupçonné. Et c’est ce qui fait l’intérêt de certaines notules, c’est de comprendre en quoi le PL que l’on connaît ne serait pas tout à fait le PL que l’on connait, ou en serait un autre ou un tout autre. On a l’impression d’assister au brouillon d’une œuvre.

Le coup de griffe

Vali Izquierdo

ttention, PL se fait velours mais sait aussi griffer (comme pour l’éditrice de Travail soigné qui doit se sentir comme le cinquième Beatles aujourd’hui ou comme le critique qui avait écrit que jamais ce groupe ne ferait quoique ce soit de bien – sic). Toujours dans la même notule, il parle de l’adaptation cinématographique du livre et du parti pris sur la problématique, selon lui, du livre : Bateman est-il réellement l’auteur des crimes qu’il décrit ? Et il n’est pas tendre : « … dans son adaptation cinématographique, Bateman hallucine [on lui a volé sa batmobile ?, c’est moi qui souligne ici]. La petite histoire nous dirait sans doute si elle [Mary Harron] a cédé aux producteurs ou si elle partageait leur avis. On y voit la satire sociale et la critique des années Reagan, mais rien de la violence du livre qui est ellipsée. Le film est une cascade de non-choix dans laquelle on a du mal à se retrouver quelque chose de la puissance et de d’ambition originale. » La conclusion s’impose : « Reste le roman, implacable et magnifique. » (page 30)

Le coup de corne de brume

Vali Izquierdo

ttirer l’attention sur. C’est, je crois, ce que cherche à faire souvent PL dans ses 808 pages. Faire la lumière sur les tombes. Double pour la lettre A : PL attire sur deux romanciers quelque peu oubliés, Éric Ambler (1909-1998) et Francis Ryck (1920-2007). Du premier, il affirme qu’il est à la source d’émules comme Graham Green ou John le Carré, permettez du peu, qu’il a insufflé au roman d’espionnage le cynisme qui lui manquait et refusé la manichéisme qui l’étouffait. Du second, il augure de son génie de Cassandre : « La victime [d’un tueur à gages] ne doit pas même s’apercevoir du changement de dimension. Tout se fait proprement. Nous ne sommes pas à l’abattoir. C’est exactement le contraire des abominables attentats terroristes, perpétrés par des bouchers caractériels. » Et il ajoute la citation : « Rendez-vous compte, il écrit ça en 1987 !  » (page 33-34) et le talent brut : « Ryck est capable d’expédier en deux pages (quand ce n’est pas en deux lignes) une idée qui tiendrait debout un roman tout entier. » (page 34)

A par FB (François Braud)

Vali Izquierdo

lors maintenant, il va falloir assurer. L’auteur de ces lignes, que l’on nommera anonymement FB, va devoir découvrir son jeu et jouer cartes sur table. Qu’est-ce que PL a pu oublier ? Ou, plus simplement, qu’aurait mis FB dans son Contre dictionnaire amoureux du polar ?

Je n’aurais pas mis ni Ambler ni Ryck, je ne connais pas assez leur travail. Du coup, j’ai acheté Autobiographie d’un tueur professionnel et ressorti des Ambler de mes étagères Rivages noir. Ni la notule Amour du noir (L’) (je ne connais pas le bouquiniste des quais de la Seine, c’est un peu loin de la Vendée, en revanche, je parlerai des libraires, à la lettre L). Ni Assemblée de chacals (Une) mais je l’ai acheté rien qu’avec cette phrase :  » S. Craig Zahler (…) démarre son roman par une scène d’anthologie où un tandem de jumeaux psychopathes contraint un jeune homme à sectionner entre ses dents une phalange de sa dulcinée. » (page 32). Quand j’entends hurler à la violence du polar, je regarde un JT ou je lis un CR d’audience d’un procès où l’on juge des terroristes, par exemple. Si j’avais eu à choisir un Christie, j’aurais plutôt pris Dix petits nègres ou ABC contre Poirot plutôt, lus en troisième (tentant pour ouvrir un dictionnaire mais j’ai bien mieux). Pas plus Adler-Olsen n’aurait figuré dans mon CDAP (Contre Dictionnaire Amoureux du Polar), je n’en ai lu qu’un (Dossier 64) et il ne m’a pas laissé d’impression quelconque, je m’en souviens à peine mais je l’avais terminé avec plaisir. Ce qui est déjà une qualité que bien des plumitifs devrait tenter d’atteindre (moi le premier). En revanche, j’aurais mis Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu lu avant qu’il ne jumelle PL. Grand, grand roman. Entièrement d’accord avec PL. Ce qui m’énerve, en revanche, c’est que le prix Goncourt ne soit attribué à des auteurs « noirs » (Vautrin, PL, Mathieu…) quand ils écrivent autre chose que du noir ou alors dans des collections blanches, ça, ça m’énerve.

ABC du métier (L’)

Vali Izquierdo

lbert est arrivé dans la ville un / beau matin de Dimanche, pissant sous lui, / comme ça, sans prévenir, / débarquant d’on ne sait où. Sale. Défait / et semi-comateux. L’alcool, sans doute.

Ainsi commence L’ABC du métier de Jean-Bernard Pouy aux Éditions de La Loupiote que j’avais créées en 1995 avec Isa Artur et Cathy Sutca. Premier de la collection Zèbres qui mariait deux textes de deux auteurs, un connu et un inconnu (Christian Congiu était l’inconnu couplé avec JiBé avec Théo tueur de chats). J’avais commandé un texte à Pouy qui m’avait livré un abcédaire (21 fois les 26 lettres de l’alphabet – il en manque cinq vous me direz… voir plus bas) narrant l’histoire d’un clodo se révélant être bien autre que le portrait qu’en ont ceux qui le côtoient, à savoir un routard sans papiers, un mendiant borborygmant des anathèmes, un gogol insultant et menaçant à la cantonade. Yvonne, traitée de zéro et de salope, journaliste dans une feuille de chou défendant la vérité, qui parlait aussi bien de la Wallonie en lutte que du xylophène en boîte ou des races diverses de yucca. s’intéresse à la célébrité puante tandis que s’approche dans la cité la visite prochaine du grand Kalmouk de la renaissance morale, du grand Mogol de la position du missionnaire, le Nirvna des croyants, l’obélisque vivante de la chrétienté, le Pape lui-même, Honoriux IV

Zèbres n°1 (La Loupiote)

Jean-Bernard Pouy se donne la liberté d’écrire sous contrainte (ici, un abécédaire, là, La pêche aux anges, un roman de 26 chapitres dont le premier commence et se termine par la lettre a, le deuxième par b etc…) mais il semble s’imposer deux règles contraignant la contrainte : lâcher la contrainte si elle devient un frein au récit et ne pas l’annoncer sans vraiment le cacher (par exemple avec L’ABC…, il devait faire 26 fois l’alphabet mais il s’est arrêté à 21, faute d’allonger superficiellement l’histoire prévue), voire faire tout pour qu’elle ne soit pas détectée. Une anecdote amusante à ce propos : Pouy m’avait donné un texte de Thierry Jonquet (La Bataille des Buttes-Chaumont) que j’allais publier avec Un quart d’heure pas plus de Francis Mizio. Pour convaincre l’auteur de Mygale du sérieux de La Loupiote, je lui avais envoyé en plus du contrat (un à-valoir léger et une cession imitée à deux ans, le temps d’exploiter le livre) un exemplaire du premier Zèbres. Il avait accepté de « donner » son texte à la condition que je n’utilise pas la justification en drapeau (à gauche). Il avait été mystifié et n’avait pas vu qu’il s’agissait d’un abécédaire. Contrat réussi. J’ai pu m’en apercevoir en discutant avec de nombreux lecteurs et lectrices qui ne remarquaient pas la contrainte alphabétique.

Souvent, dans mes textes, fictions et critiques, je m’amuse à m’imposer une contrainte (critique en 1000 signes, bande-annonce avec presque uniquement des extraits du roman, lipogrammes, une même histoire racontée deux fois – Un partout – sous un angle différent pouvant faire quatre histoires lues ainsi : 1, 2, 1 et 2 ou 2 et 1). La contrainte, en écriture, c’est la liberté. Jean-Benard Pouy, vous le comprendrez au fur et à mesure que vous lirez ce CDAP, est une personne qui compte beaucoup pour moi, souvent le premier (pour venir au festival de La Roche sur yon en 1988 organisé par un objecteur de conscience et un chômeur venus chercher les auteurs à la gare de Nantes en R6 dont une tombe en panne de démarreur si bien que ces derniers ont poussé pour qu’elle reparte) à dire oui pour donner un texte à Caïn, à La Loupiote, à BBB. J’ai toujours dit que si je créais une collection intitulée Moquette et pâté de foie, JiBé m’enverrait le premier texte. JiBé, c’est un peu Pedro du Poulpe, vous pouvez compter sur lui (même pour faire la vaisselle quand vous l’invitez à manger dans un festival).

L’ABC du métier était le premier livre que j’éditais (si l’on excepte un recueil de nouvelles lors du festival polar de La Roche sur yon quelques années auparavant) : il était beau (Centaure blanc 110g, Rivoli blanc 240g, composé en Futura), prometteur (Deux pavés dans la mare. Un livre, deux textes. Un auteur réputé, un auteur inconnu. Deux récits, deux polars) et allait tout casser (si si). Une trentaine suivront. Et on ne cassera pas tout (non non) mais on aura essayé. La fierté de cette aventure humaine, formidable, et financière, désastreuse, est que la grande majorité des livres publiés retrouvera une place ailleurs, chez des gros, des mieux, des plus solides. Comme ce texte ressorti dans Les roubignoles du destin à la Série noire (n°2616), puis en Folio policier (n°328). Mais les « inconnus » aussi auront leur heure de gloire qu’est la réédition : Mizio (La Santé par les plantes rédité à la Série Noire, n°2543), Leydier (Noires américaines réédité chez Librio), Gatinet (publié après chez Hachette)… Aujourd’hui encore, plus de 20 ans après comme dirait Dumas, l’édition me démange toujours mais la blessure est encore ouverte, ça saigne encore un peu alors ça calme.

Alcool

Vali Izquierdo

boire ou je tue le chien ! semble être le crédo d’un grand nombre d’auteur(e)s et de héros/héroïnes de romans noirs. Qu’est-ce que ça picole dans « ce genre que nous aimons » ! Patrick Raynal, auteur, critique et ancien directeur de la Série noire me racontait qu’un jour, il s’était amusé à boire comme Marlowe dans un roman de Chandler. Il était bourré au chapitre 4. Il reste aussi l’auteur du discours de président du Festival du polar de La Roche sur yon le plus concis et pragmatique possibles (il n’a comme ses congénères jamais osé avancer qu’il serait court en sortant six feuillets de sa poche revolver) : Je déclare le bar ouvert. Une autre année, le grand Robin Cook (à la signature tirebouchonnée) était présent (je parle de Robert William Arthur Cook pas du Robin Cook amerloque, le chirurgien proctologue de l’écriture), il était venu sous deux conditions : lui réserver un billet 1ère classe fumeurs et massacrer des bières avec lui. En revanche, c’était l’année où Casse-Pipe donnait un concert, enfin, ils ont failli ne pas le donner quand ils avaient découvert que ce fameux bar ouvert était, pour eux, plus qu’ouvert, il était gratuit. C’est leur manager qui était venu me glisser dans l’oreille que si je voulais qu’ils jouent, il fallait que je ferme le bar…

Boire… Ce n’est pas une tradition occidentale comme les Droits de l’homme, même au Pays du Soleil Levant, on lève sakrément le coude à Sapporo avec le détective amateur et ses aventures picaresques à la Chester Himes de Naomi Azuma (in ALIBI – voir notice suivante – #2, page 21). Évidemment, chez les Ricains, tout est plus grand. Big Jim Thompson n’a pas écrit Les alcooliques pour rien : « Jamais la peur n’a détourné un alcoolique de son vice. Sa propre peur, sa peur profonde, tant qu’il n’en a pas reconnu l’inconsistance, est de loin la plus forte. », Don Tracy fut président des AA (Alcooliques Anonymes), David Goodis, à la carrière decrescendo, qui côtoie le firmament (Cauchemar – Rivages noir n°55 – en 46 devient Les passagers de la nuit en 47 avec Bogart et Bacall) et habite l’abyme, si seul souvent, n’avait pour compagnon que la bouteille et sa machine à écrire à qui, paraît-il (pas moyen de retrouver cette référence, il faut faire donc confiance à ma mémoire, aaargh), il dédicacera un de ses romans (!), James Ellroy a bu pour deux vies Quant à Michel Lebrun, la mort ne lui aura laissé le temps que d’écrire un seul tome de ses mémoires qu’il voulait thématiques et ce volume c’est celui consacrée à l’alcool : Rue de la soif. À lire, sans modération….

 » J’suis pas un alcoolique, j’bois parce que j’ai une boule dans la gorge. « 

Alain Delon dans « Notre histoire », un film de Bertrand Blier

On ne compte plus les héros qui boivent comme des trous (Harry, le héros de Jo Nesbo, dont le patronyme est, justement, Hole, Varg Veum le privé de Gunnar Staalesen tête de l’aquavit, Dave Robicheaux pointe aux AA mais connaît quelques rechutes de whisky que met en scène James Lee Burke, Matt Scudder chez Lawrence Block commence sa carrière rond comme une queue de pelle, boit le café coupé à la gnôle et finit, lui aussi, par fréquenter les cercles Bonjour, je m’appelle Matt et je suis alcoolique, bonjour Matt !, Marlowe  » se joue une berceuse au whisky  » ou s’enfile des gimlet et le grand Jack Taylor ne crache ni sur un pinte de Guinness ni sur un whiskey comme le Bushmills et, si l’on ne sait ce qu’il devient depuis 2011 avec Sur ta tombe, c’est peut-être parce que Ken Bruen a bien trop soif pour les éditeurs français – sept des aventures de Jack restent, à ce jour, non traduites). On ne compte plus non plus ceux qui cherchent à savoir ce qu’ils ont bien pu faire le soir où on a trucidé mademoiselle Rose dans la buanderie avec un objet contondant, ce que Claude Mesplède appelle la « cuite fatale » (presque un classique comme le meurtre en chambre close qu’ont développé Staalesen, Hélène Nielsen avec Cette nuit-là, Burke, Day Keene avec Le plancher des garces). Ou ceux qui pensent que c’est un ingrédient nécessaire à l’enquête : « Avant d’entamer un travail à domicile avec une charge intellectuelle un peu plus élevée en mode cocooning, une bière ou un verre de vin s’avérait nécessaire afin d’aiguiser ses crocs de fin limier. Il essayait parfois de se consoler, en se disant que les plus grands esprits de ce monde avaient été alcooliques. Si le policier était loin d’être un grand esprit, il était par contre très proche de l’alcoolisme… » (Armand Gabriel, Le rat de Molenbeek-Saint-Jean, Fawkes Editions, page 208). On a vraiment l’impression que tous ont pour mantra le proverbe polonais qui stipule : La lucidité est un mirage provoqué par le manque d’alcool.

Et même les chiens sont alcooliques chez James Crumley : « Lorsque enfin je rattrapai Abraham Trahearne, il buvait de la bière en compagnie d’un bulldog alcoolique du nom de Fireball Roberts dans un bar décati juste à la sortie de Sonoma, en Californie (…). Affalé comme un vieux compagnon fatigué sur le tabouret juste à côté de lui, le chien ne relevait la tête que de loin en loin pour prendre une lapée de bière dans un cendrier sale posé au bord du bar. » (Le dernier baiser, Gallmeister, illustré par Thierry Murat, 2017, 381 pages, page 19)

L’alcool est une béquille intéressante narrativement, elle permet à l’auteur de mettre son personnage en dehors de lui, de le décaler dans une situation, de le fragiliser. L’excès rend aussi le personnage entier, à part, sans compromis, mais avec des fêlures, des failles, voire des gouffres. Il aiguise ses arrêtes, affûte sa répartie et lui donne le cynisme que sa lucidité l’empêche souvent de formuler. Plus qu’une facilité, cette sale (saine ?) habitude relève donc peut-être plus du code que du poncif. Nous verrons tout cela à la lettre C (ou à la lettre P, qui sait ?).

ALIBI

Vali Izquierdo

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Ne pas déranger, je travaille…

LIBI: vous en aurez tous besoin un jour. Ce sont le titre et le slogan de la revue qui tente de raconter le monde à travers le prisme du polar. Première mouture de 2011 à 2015, la sève sourd à nouveau au printemps 2020 (#1 Affaires non résolues, En quête de vérité) et, à ce jour où j’écris, a sorti son #7 (Bulles noires, BD : l’arme fatale). Éclectique, soignée, faisant la part belle à tous les formats, à tous les genres, à toutes les nationalités, le trimestriel est une belle friandise qui a, d’ailleurs, accroché Lemaitre à son tableau de chasse (#4 Au cœur des prisons, Dans l’univers carcéral) qui évoque son DAP : « Mais dans quoi je me suis fourré ? » craignant « de tomber sur des exégètes, des gens très savants » car « Le polar est un milieu littéraire particulier, avec ses codes, ses chapelles ». C’est pourquoi, ce qu’il a le plus travaillé, affirme-t-il, c’est la préface. Au final, « Bruce Chatwin ou Joe R. Lansdale n’y sont pas… je dis que c’est dommage [mais] je suis content du résultat ». C’est exactement ce que je pense ET ce qui me pousse à me lancer dans cette aventure du CDAP. ALIBI est dirigée par Alice Monéger, Paolo Bevilacqua et Marc Fernandez, la revue s’enorgueillit de prestigieux collaborateurs et de remarquables collaboratrices : Olivier Norek, Emma Becker, Laurent Guillaume, Marcus Malte, Adlène Meddi, Élise Lépine, Olivier Truc, Marie Vindy, Olivier Balez, Alexandra Schwartzbrod and so on… Une mine (sans rapport avec la notice précédente). Face à ce déploiement de qualité, pas vraiment besoin d’un alibi pour lire ce mook… On l’attend, on le guette.

Dernier Alibi, le n°8 : Faits divers & Médias : Liaison dangereuses, sortie en janvier 2022.

À SUIVRE… (tous les premiers du mois)

Avec au menu (sous réserve des places disponibles et de l’arrivée de produits frais) :

Amila (Jean Meckert)

Arnaud (Georges J.)

Arme (crime et répartie)

Auster (Paul)

Aztèques dansants (Donald Westlake)

… et le bonus des notices auxquelles vous avez échAppées (vaine tentative de se couvrir en cas d’oublis…)

François Braud

papier écrit en écoutant, évidemment, ACDC, Power up

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je sais, y avait ABBA mais bon…

27 réflexions sur “Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre A (partie 1)

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