Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre B (partie 2)

Attention, vous entrez sur un site de lecture et de critiques ! Soyez sur vos gardes ; vous pourriez avoir envie d’essayer *…

* Lire provoque une dépendance à l’évasion.

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons ». J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré :  » Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici

La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là

La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas

SOMMAIRE

Au menu aujourd’hui, la lettre B, partie 2, avec, en entrée, une cocotte de Black Blocs (Elsa Marpeau), en plat de résistance, des blogs nappés d’une Brève histoire du roman noir (JiBé Pouy) et en dessert, une île flottante sur un Brouillard au pont de Bihac (Jean-Hugues Oppel). La maison ne fait pas crédit mais offre un pousse café, le « trou irlandais » (Ken) Bruen, que Jean-Bernard Pouy recommande (contribution). Bon appétit et bonne lecture ! Le commis, FB.

Lettre B

(2ème et dernière partie)

Rappel B (1ère partie)

Le défilé des notules du B de Pierre Lemaitre (PL) a été long comme un jour sans vin et somptueux comme un tour sans fin. Ont été décorés au pavillon des lauriers : Franz Bartelt et Tonino Benacquista (le coup de cœur). Ont été épinglés : Boileau-Narcejac, Anthony Morton et… PL lui-même (qui avoua ses préjugés sur Cédric Bannel et son aveuglement sur Franck Bouysse). Un gros coup de corne de brume a irradié Cédric Bannel (nominé deux fois donc) et Xavier-Pierre Bonnot, réservant son coup de plume sur les collègues franchissant le Rubicon de la noire vers la blanche, de la cave au salon ou de la blanche vers la noire, du lys au charbon.

Puis, j’ai ripoliné ses choix et comblé les interstices quand il y en avait. J’ai mis en avant le Belge Jean-Baptiste Baronian, artiste de l’identité floue, éclairé la lecture de deux titres du « putain d’écrivain » qu’était Thierry Jonquet (La Bataille des Buttes-Chaumont et La Bête et la belle), tenté de tout faire pour qu’on n’oublie pas Cesare Battisti et Gérard Lecas m’y a bien aidé, vanté lé talent de Joseph Bialot et cimenté (pas ses pieds) son socle et son souvenir et fomenté l’engouement pour le plus vieux polar de l’humanité, selon moi, à savoir La Bible.

Et maintenant ?

Place à la suite de la riBamBelle du B.

Black blocs (Elsa Marpeau)

illevesées et borborygmes en quelque sorte. La pointe de l’iceberg. Ou le doigt quand on montre la lune. Il est si facile de réduire une cause à ses conséquences comme le lien inaliénable entre le communisme et le stalinisme, l’anarchiste et la bombe à mèche, l’alcool au foie et la femme au Mammouth aujourd’hui, au curé autrefois.

Le black bloc, c’est l’info en continu qui zoome sur la vitre cassée, le feu à la poubelle, le mobilier urbain garroché dans la rue en boucle avec des commentaires sentencieux et une condamnation unanime à coups d’inadmissible, de casseurs, de violence, de gâchis. Loin de cautionner qui ou quoique ce soit, j’aime bien comprendre ce qu’il y a derrière la main qui lance un pavé dans la vitrine de la BNP (je m’excuse auprès du grand capital de les mouiller ainsi et aux autres de de ne pas les citer ainsi qu’auprès des camarades enturbannés de capuches noires de faire la promotion d’un ennemi des classes prolétaires mais je dois donner à mon article toute la crédibilité nécessaire pour éviter que le lecteur zapouille, la lectrice baille, ce qu’ils sont, justement, sans doute, en train de faire en ce moment-même, bravo, c’est gagné !). Moi y en a vouloir comprendre (j’essaye désormais d’attirer là les plus terre-à-terre de mes lecteurs et lectrices). Et Elsa Marpeau nous y aide (pas à attirer mes lecteurs et lectrices, elle s’occupe simplement des siens et des siennes, chacun son troupeau, le sien étant, heureusement pour elle, plus important que le mien). Car le black bloc, c’est aussi : une fantaisie militaire, l’ordre moins le pouvoir, le chat hurlant « Ni dieu Ni maître Ni croquettes », la propriété « une production administrative », « de la gastronomie révolutionnaire » et de la violence en recettes de « mises en bouche » pour « renverser les crèmes du capitalisme ».

« À mes filles, pour qu’elles sachent qu’il faut parfois désobéir. »

Intérieur nuit.

Swann, « technicienne en labo de biophysique », s’étiole, s’écroule, s’effondre quand elle découvre Samuel, prof de socio, mort chez eux, une balle dans le dos : « Elle enfonce doucement son doigt dans le trou. C’est humide et chaud. Elle le ressort sanglant. » Puis, « elle se place peau à peau contre lui et attend encore. » Elle se réveille et « il est huit heures du matin ». Elle mettra « quatorze heures à appeler la police. »

Extérieur jour.

Le jour de l’enterrement, elle se lève à cinq heures, sort, commande un café serré.

Bande sonore.

« Le trottoir sous ses pieds, les magasins, les lumières, la buée, le couinement des klaxons. Bruit de pneus qui crissent, vrombissements de moteur.« 

Le décor.

« Murs, ponts, portes aux teintes mourantes, angles droits défigurés. Ciel encore strié de lignes droites et d’étoiles. »

La scène de l’enterrement. Les acteurs.

Le cercueil de Samuel en « acajou style tombeau », les parents de Swann, « un rempart autour d’elle », les parents de Samuel, « leurs cheveux bien coiffés », le prêtre dont le menton tremble : « le frémissement des chairs n’est pas imputable à l’émotion, mais à sa corpulence. », 4 cierges dont un éteint, le temps pour tout, le temps pour rien, les étudiants de Samuel, Matéo, le sourire avec le trou de l’incisive manquante, et Justine, « la splendeur de ses seins », la sœur de Samuel avec « les mêmes cheveux noirs », Georges Falguières, le directeur du département de sociologie, le commandant Legal et la capitaine Bouveresse du SDAT (Sous Direction Anti Terroriste) qui dévisagent Swann, des inconnu.e.s : « Lame-de-couteau » et « Strabisme » « observent nerveusement autour d’eux », une fille « d’origine maghrébine » qui « porte des bijoux de mauvais goût ». Et puis, il est peut-être là.

Elsa Marpeau, Black blocs, Série noire, Gallimard, 2012, 322 pages, 18€50
(Folio policier, n°862, 368 pages, 8€20)

La surprise. L’héritage : « Voici l’attestation de propriété à votre nom. » « Un bâtiment d’un étage. » Un entrée de garage, une fenêtre, en brique, un fronton, des graffitis sur le mur : « Contribution à la guerre en cours. »

La question qui taraude : « Samuel l‘a laissé s’avancer derrière lui. Il ne s’est même pas retourné. Il ne s’attendait pas à ce qu’il le flingue. »

Les réponses qui fusent : « Vente d’armes, faux billets, trafic d’héroïne » ? « Une garçonnière, son lieu privé, adultère » ?

« La crampe au ventre », Swann « la peur lui étreint le ventre ». Elle apprend « des choses bizarres sur Samuel, ces derniers jours. » et s’en ouvre à Georges : « … vous n’avez jamais parlé politique ? »

Le mot est lâché page 95.

« Le vent fait voler sa jupe comme un drapeau noir. »

Du côté de chez Swann, ça tangue, le langage perd sa fonction, les phrases sécessionnent, le rythme tachycardise et Swann sombre. Noir. Soulages. Lumière. Aveuglement. C’est l’histoire d’une femme qui perd pied dans un monde qui sombre. Une femme qui pourrait se servir de ses mains dans le monde de demain. Une femme en quête de sens, de vérité, de découverte. De soi.

S’il est vrai qu’un.e auteur.e écrit toujours le même livre, Elsa Marpeau s’attache avec le plus grand soin et un plaisir évident à trancher dans le vif, à nous surprendre quand même dans le choix de ses thèmes, dans le porte-voix qu’elle prend, poing tendu, pour donner la parole à ceux qui l’ont perdue, à celles qui en sont privées ou plus simplement à ceux/celles qu’on n’écoute pas/plus. Travaillant sur le genre, ses personnages féminins sortent du moule avec un défaut, elle s’intéresse plus à ce qu’elles font qu’à ce qu’elles sont, ou du moins, leurs actes parlent plus que leur situation de la sainte trinité famille-mari-enfant, ou alors elles la remettent en cause comme l’expatriée qui s’ennuie d’être la femme de son mari. Quand elle narre masculin, comme dans L’âme du fusil, elle confronte les valeurs, la chasse, les copains, l’alcool, la famille à une situation troublante : l’étranger, l’autre, le voisin, l’amant… Ses livres sont affaire de choc : de la mort et de sa proximité, de la violence sexuelle et de la vengeance, de l’unicité et du dédoublement, du sang et de la honte, du présent et du passé. (extrait d’un post récent).

« L’État (…) n’aime pas la littérature. » « Et la littérature le lui rend bien. » Je ne sais pas si « L’insurrection qui vient* » viendra, je ne sais pas s’il faut ne pas sauver « le système qui nous broie** », je ne sais pas si les « valets, parce qu’ils sont aussi des hommes » doivent « désobéir » mais je sais que ce monde n’entend pas le message et accuse le messager. Il ne s’en sortira pas.

Le plus beau livre est celui qui n’existe pas.

* L’insurrection qui vient, Comité invisible, La Fabrique Eds, 2007, 7€

** Ne sauvons pas le système qui nous broie ! Manifeste pour une désobéissance générale, Sous-comité décentralisé des gardes-barrières en alternance, Le Passager clandestin, 2009, 1€

Les collègues parlent beaucoup (tant mieux) souvent aussi d’Elsa Marpeau, , et ici ou encore et notamment de Black blocs, ici (pour plus de blogs, voir à Blogs, en-dessous).

Blogs

ien sûr, PL en cite dans son DAP et sa webographie (page 793) : Claude Le Nocher et Action-suspense, décédé en 2019, Geneviève Van Landuyt et Collectif polar, Cédric Segapelli et Mon roman noir et bien serré, Jean-Marc Laherrère et Actu du noir, Christophe Dupuis et Milieu hostile ou encore La caverne du polar, Dora Suarez, The killer inside me, Encore du noir (Yan Lespoux), Nyctalopes, Universpolars, Moeurs noires, Black Novel1 (Pierre Faverolles), Be polar mais ils ne donnent pas les adresses. C’est réparé ici. Évidemment, il en manque (je ne parle pas de BBB) mais il y en a tant.

Alors pourquoi en rajouter ? Hé bien d’abord, parce que PL parle peu (pas ?) de BD alors que Frédéric Prilleux si, c’est même sa soupe à bédépolar. Il coche toutes les cases : qualité, quantité et quotité. Qualité de l’éclectisme, quantité des prismes et quotité du mot et de l’image. On connaît aussi l’apibot breton pour être le grand manitou comptable des Trophées 813, prix donnés chaque année à « notre objet de passion » (l’association 813 est d’ailleurs cité page 795 et « est souvent citée » dans le DAP).

Et il y en a un autre (pas simplement noir mais général) qui les réunit presque tous : bibliosurf. Il veille sur 458 sites et scanne l’actualité webographique chaque jour il va au charbon depuis 7 ans. C’est simple, c’est une mine, un dictionnaire de liens, par auteur, par genre, par pays, par tag, par palmarès… Allez-y, vous l’épinglerez en favori.

Et puis parce qu’il y en a que j’apprécie plus particulièrement et dont j’aimerais parler : le site de Marc Villard, par exemple, regroupe évidement les informations des sorties de l’auteur (livres, festivals et dédicaces) mais aussi les coups de cœurs et de gueule de l’esthét vachard et quelquefois des fictions inédites ou des pépites autofictionnées, comme la série Tous aux abris : « Hier j’ai tenté une fuite vers la Provence. L’air était frais, une brise légère faisait valser les rideaux des restos fermés. Arrivé gare de Lyon, j’ai réfléchi. Pourrai-je obtenir le prix du Meilleur Ecrivain de la rue Montorgueil si j’abandonne les lieux pour pleurer près des oliviers ? Finalement, je reste. » (n°30) et « Les jeunes subissent le confinement pour préserver leur force de travail qu’ils vendent au grand Capital. C’est logique. Mais nous, les vieux, on n’a rien à vendre. C’est pas normal d’en baver pour les jeunes. » (n°25) Imparable.

Il y a aussi ceux que l’on regrette : celui de Paul Maugendre (stoppé au 17 avril 2021) : Les lectures de l’oncle Paul qui chroniquait des romans populaires anciens laissant aux autres les affres de la nouveauté, Tutu reporter aux abonnés absents qu’on n’arrive même plus à tracer sur le net ou Tata rapporteuse (sont-ils/elles de la même famille ?) absente depuis le réveillon de la Saint-Sylvestre 2012, qui lâchaient les informations comme des bombes à eau ou des tartes à la chantilly, Noir comme polar de Clémentine Thiébaut dans lequel j’intervenais du temps de mon insouciante jeunesse fougueuse et ridicule (aujourd’hui je porte avec sérénité ma vieillesse arthitrique et cholestérolée), Clémentine qui coache les fictions jeunesse avec Faction chez in8 (j’en parlerai bientôt entre deux pages de dictionnaire).

Alors oui les blogs ont la qualité de leurs défauts : odes à la vie littéraire, ils sont foutraques, écrits parfois à la truelle, leurs auteur(e)s sont persuadé(e)s de leur bon goût, à lire à l’écran car inimprimables, truffés d’erreurs et d’approximations, d’informations incomplètes ou dépassées. Je le sais, je suis bien placé. Mais ils ont ce que n’ont pas parfois leurs supérieurs de la presse écrite : la volonté de jouer les passeurs incisifs, les passeuses décisives, malgré l’œil rivé sur les statistiques parfois faméliques, le bénévolat en guise de conscience ; ils/elles s’astreignent à une discipline de parution, construisent une déontologie personnelle à laquelle ils/elles ne dérogent que rarement et, surtout, en fait, seul(e)s, ils/elles jouent collectif(ve)s derrière leur ordi en binôme avec leur passion. C’est déjà ça.

Et puis, c’est se coltiner le verbe. Quoi de mieux que les mots pour parler de ceux des autres ? C’est avant tout écrire et, on le sait, un grand écrivain est d’abord un grand lecteur. De l’un à l’autre, il n’y a qu’un fil. Coupez-le et l’un et l’autre sont orphelins. Blogguer c’est se prendre pour le lien entre l’auteur et le lecteur, devenir le chaînon entre l’auteure et la lectrice, être la porte entre deux mondes. Un blog, c’est un pont, un réseau, une synapse. Sans carte d’adhérent, sans reconnaisseurs faciaux, sans videur, sans dévisagiste, c’est un lieu ouvert, un parc open-space, un endroit ici-bas.

Enfin, ils ne l’avoueront pas mais pouvoir publier ce qu’on veut, quand on veut sur qui on veut, c’est pas de la roupie de sansonnet indien. Ça s’appelle la liberté et l’indépendance et ça n’a pas de prix. Je ne dis pas qu’ailleurs ils sont esclaves enchaînés à fond de cale fouettés jusqu’au sang mais ils sont dans la machine. Alors, certes la grande bête numérique peut avaler un blog quand elle le veut mais, dans l’ombre, un autre journal numérique pousse.

Un dernier pour la route, découvert aujourd’hui-même en travaillant sur cette notule : La nuit je mens. Généraliste, il semble s’encanailler de noir parfois, en traitant Brookmyre, , Boyle avec Gravesend (dont je parlerais à G) ici, ou encore Burke, par et Burnett, par ici. Et je ne vous fais, vous l’aurez compris que les B (quelques B) de « ce genre que nous aimons« .

Brève Histoire du Roman Noir (Une)

(Jean-Bernard Pouy)

igrement tissé entre culture et carabistouille, cette Brève histoire du Roman Noir de Jean-Bernard Pouy est une mine. Bon, faut se salir les yeux et y descendre mais ça vaut le coup, ça réchauffe notre couenne comme un vieux reste de jaja trouvé sous l’évier un dimanche soir d’automne pluvieux.

JiBé joue au jeu des 6 familles après avoir distingué, « pour aller vite » quatre tribus ou « quatre sous-genres (encore les catégories…) : le roman à énigme, le roman policier, le roman d’angoisse (ou criminel ou thriller) et le quatrième, souvent transversal, le roman noir. »

Jean-Bernard Pouy, Une brève Histoire du Roman Noir, L’œil Neuf, 2009, 130 pages, 14€90 (disponible en Points Seuil)

« Plus mythiques que réels »

Première famille : les aiguilleurs. « Plus mythiques que réels », ces « anges tutélaires » sont des précurseurs : Dashiell Hammet et Raymond Chandler, père et fils et leurs héros respectifs : « Sam Spade, le détective du Faucon de Malte, une sorte de grand-frère de Philip Marlowe. » Deux caractères : l’aventurier Hammett et Chandler, « plus pépé ». Il faut lire La clef de verre (The Glass Key – 1931), « un chef d’œuvre, et, pire, un classique. » et The Long Goodbye, 1953, (d’abord traduit sous le titre ridicule de Sur un Air de Navaja), « ce roman magnifique », « ombreux et solaire à la fois. » Viennent aussi Cain (Sérénade – 1937), « l’un des pères fouettards du roman noir moderne » (Assurance sur la mort), Manchette, « l’art de la manchette » consistant à balayer sévèrement en livrant aux lecteurs « des romans noirs des plus purs » comme Le Petit Bleu de la Côte Ouest (1976), « un des chefs d’œuvre du genre », Didier Daeninckx, qui a apporté au genre sa légitimité (Meurtres pour Mémoire – 1985), Leonardo Padura (Les Brumes du PasséLa neblina del ayer – 2005), Fruttero-Lucentini (La Femme du DimancheLa Donna della Dominica – 1972), Sjöwhall et Wahlöö (Le Roman d’un crime, 10 tomes) (que JiBé Pouy appelle Cheval au galop dans l’intimité) et tant d’autres sans oublier le grand Chester Himes et La Reine des pommesThe Fiver Cornered Square – (1957)… un auteur, comme Daniel Goines ou Walter Mosley qui sont des « auteurs de romans noirs noirs ».

L’esthète vachard aux « textes cisaillants »

Famille n°2 : les forcenés. Graphomanes aux héros récurrents, ces auteurs « écrivent comme des mitrailleuses ». Sans s’appesantir sur Carter Brown, ni James Hadley Chase (qui a quand même « écrit deux trois textes remarquables » – voir famille 4), Pouy évoque l’envahissant Simenon (« ombre gigantesque et problématique ») et La Neige était sale (1958), Amila Meckert dit Crosse en l’air (voir CDAP, lettre A, partie 2), Marc Villard, l’esthète vachard, aux « textes cisaillants » « plus noir que noir«  comme Bird (2008), Ellroy, Westlake (sa « force » lorsqu’il « redevient sérieux » : Le CouperetThe Ax – 1997) et les frères Arkadi et Gueorgui Vaïner et leur « âme russe qui fait interpeller les étoiles en envoyant des innocents à la mort, et pleurer en chantant alors qu’on a les mains dans le sang. ».

« Robin Cook que nous avons tant aimé« 

En troisième position, sans que cela n’ait valeur de rang, les pessimistes (voire nihilistes). Ceux-ci ne voient « aucunement l’espoir se lever derrière les brouillards dépressifs de toutes sortes ». Y figurent Horace McCoy avec On achève bien les chevauxThey Shoot horses, Don’t They ? – 1935), portrait en « négatif du rêve américain », David Goodis (Vendredi 13Black Friday – 1954), « parfait excentrique, éternel farceur toujours prêt à faire le pitre » « exact opposé de l’image qu’on se forge de lui à travers ses livres, sombres, désespérés, poisseux, plombants », Patricia Highsmith avec du « pessimisme en barre de douze » et « Ripley son alter ego romanesque » (Monsieur RipleyThe Talented Mr Ripley – 1955), Jim Thompson (1275 âmesPop 1280 – 1964) et sa « cirrhose de l’âme ». « En France, il n’y a que Thierry Jonquet qui tente de s’approcher de cette noirceur irrémédiable » (La Belle et la Bête – 1985, n°2 000 de la Série Noire). Sans oublier Chuck Palahniuk et son « déjanté » Fight Club – 1996, ce « manuel pratique de déstabilisation du pouvoir et de l’ordre établi. » et Robin Cook que nous avons tant aimé (qui affirmait que quand il pleuvait dans ses romans c’est qu’il pleurait sur sa machine à écrire…) et qui a écrit J’étais Dora Suarez, « un des textes les plus noirs de l’histoire ». Enfin, il cite Ken Bruen (La Main Droite du DiablePriest – 2008 – « proprement insoutenable par l’insondable tristesse » qui s’en dégage…) : « Je le tiens personnellement pour ce qui se fait de plus impressionnant dans le cadre actuel du roman noir. » Alors, comment vous dire que je suis totalement d’accord avec JiBé Pouy ? Peut-être en clamant haut et fort, mégaphoniquement si possible, que c’est même, à mon avis, le plus scandaleux des oublis de PL dans son DAP. Je vais donc remédier, avec l’aide de JiBé à cette faute morale dans mon CDAP, là, un peu plus bas.

« Harry Crews est le Jérôme Bosh du roman noir. »

Les d’Artagnan mousquetaires suivants sont : les allumés. Mes préférés. Ceux qui produisent « une petite musique particulière » bien à eux, celles qui s’astreignent des contraintes libératoires. Prudon en est. Avec La Langue chienne, l’auteur « qui ne produit que trop peu », Hervé Prudon, livre un « orotario noir découpant en lamelles un trio nordiste, déjanté et dans le besoin ». L’allumé british James Hadley Chase en fait aussi partie, surtout avec sa « curiosa, Ève Eva (1945) histoire sans crime ni enquête » ou « l’incroyable Miss Shumaway jette un sort »Miss Shumway waves a Hand (1944) dans lequel la « sorcière dur à cuire » « change brutalement trois gangsters en chien, en saucisse et en type qui vole. » Charles Williams est du club avec une strip-teaseuse en bikini de diamants (Fantasia chez les ploucsThe Diamond Bikini (1956) et James Crumley a sa carte accompagné de Fireball Roberts, un bouledogue alcoolique qui ouvre la scène dans Le Dernier baiserThe Last Good Kiss – 1978 -, « roman noir peut-être le plus parfait depuis The Long Good-Bye de Raymond Chandler« . Harry Crews (La Foire aux SerpentsA Feast of Snakes – 1973) fait partie du lot. « Tous [ses romans] parlent d’un rapport unique au monde des rednecks, ces blancs brutaux, illuminés, alccoliques, primitifs, criminels, pervers, estropiés, sales, affreux, illettrés ». Et le club a bein d’autres adhérents : le flic Joseph Wambaugh (Soleils NoirsThe Delta Star – 1983), le « cafardeux » Daniel Evan Weiss (Les Cafards n’ont pas de Roi The Roaches Have No King – 1997), Le Péteur De Plombs (« On Voit Le Niveau ») William Kotzwinkle (Midnight ExaminerThe Midnigt Examiner – 1989), l’hilarant Christopher Moore (Le Lézard Lubrique de Melancholy CoveThe Lust Lizard of Melancholy Cove – 1999), la pizza mentale d’Andréa Pinketts (Le Sens de la FormuleIl Senso della Frase – 1995). Et last but not least, cocorico fait le perroquet vert à deux crêtes et touffes rouges sous les ailes, Francis Mizio (La Santé par les plantes). « Tous ces textes (…) ont pour rôle et fonction de maintenir le roman noir dans son statut de littérature transversale, ouverte, toujours vivante et contemporaine. » (page 73)

« Un ineffable bonheur de lecture »

Famille n°5 : les étoiles filantes. « Ces fusées qui se permettent le temps d’un roman, de changer leur flingue d’épaule » pour « fournir des textes uniques », « des romans dont on se souvient à jamais » (La preuve ? Il y en a au moins quatre que cite Pouy qui sont/seront dans mon CDAP)-. Alors, attention, c’est parti : « Tatasang ! » Siodmak et son Cerveau du NababDonovan’s Brain (1942) intégrant science-fiction et fantastique dans le roman noir. Grubb et sa Nuit du ChasseurThe Night of the Hunter (1953) dont on connaît mieux l’adaptation de Laughton avec Robert Mitchum. C’est dommage, « le roman, lui, est plus brutal et explicite ». Londres ExpressThe Tran Ride (1966) de Peter Loughran, « un des romans les plus noirs, métaphysiques et désespérés » dont Pascal Comelade dit : « Ce n’est pas mon livre de chevet, c’est ma table de chevet. » Le couillu scénariste doré de Deux flics à Miami, du moins, c’est ce qui se dit sur l’identité mystrieuse de A.C. Weisbecker, l’auteur de Cosmix Banditos – 1986 (voir à C). Le fêlé Hunter S. Thompson qui « taille à vif dans la fameuse quête du rêve américain » avec Las Vegas ParanoFear and loathing in Las Vegas – 1972. Le poète beatnik Richard Brautigan dont l’illustre roman, Un Privé à BabyloneDreaming of Babylone : A private Eye novel 1942 – 1977, est si dans la dèche qu’il n’a pas de quoi s’acheter des balles pour son arme… Un chef d’œuvre (voir à U, pfff…) à lire et relire. La Bouffe est Chouette à FatchakullaRalph or What’s Eating the Folks in Fatchakulla (1978) de Ned Crabb est à classer ici aussi. « Roman mythique ». « Récit jubilatoire. » Le grave et lumineux Ordo (1986) de Westlake en est aussi. Comme Rafaël, Dernier JoursThe Brave (1991) de Gregory McDonald. Ha c’est autre chose que Fletch ou Flynn. Livre bouleversant (il faudra attendre R pour que j’en parle…). Pour finir, vous reprendrez bien un Nordique ? Le CondorKondoren (1997) de Stig Holmas, « un ineffable bonheur de lecture ». Je confirme (voir à C, ha…), là encore.

« la Littérature Générale, la Grande, la Vraie (…), les Blancs » quoi, « pas de la gnognotte »

Famille n°6 : les intellos. Ha ! On aborde enfin les écrivains, pas les auteurs, ceux de « la Littérature Générale, la Grande, la Vraie (…), les Blancs » quoi, « pas de la gnognotte » : Borges, Camus, Eco, Queneau… Et là, on assite à des crues stylistiques, des fleuves tumultueux, des torrents verbaux sur lesquels naviguent Carlo Emilio Gadda (L’Affreux Pastis de la Rue des MerlesQuer Pasticciaccio brutto de via Merulana – 1957), auxquels vient boire le bison Boris Vian camouflé sous Vernon Sullivan (J’irai cracher sur vos tombes – 1946), où pagaie Jean Echenoz sur son Cherokee (1983, Prix Médicis) ou Tanguy Viel (L’absolue perfection du crime – 2001) (et puisqu’on en est aux Éditions de Minuit, je rajouterai Vincent Almendros avec Faire mouche – 2018 et Yves Ravey avec Adultère – 2021). Difficile de passer à côté de Truman Capote (auquel Ellory rend hommage avec son Seul le silence) et « son roman extrêmement noir, glaçant, passionnant, ne prenant jamais partie, s’en tenant aux éléments du dossier et à ses rencontres avec les deux criminels. » « De sang-froidIn Cold Blood – 1965 – va marquer durablement la littérature réaliste en Amérique et ailleurs » et anticipe sur les True crime, comme American Predator de Maureen Callahan. Comment ne pas lire aussi Jim Harrison (Un bon jour pour mourirA Good day to Die – 1971), son pote Thomas McGuane (33° à l’ombreNinety-two in the Shade – 1973) ou Jérôme Charyn (Isaac le MystérieuxSecret Isaac – 1978) et son équivalent français Daniel Pennac (La Fée Carabine – 1987) ? Et les divins Peter Dexter (God’s Pocket – 2007), James Sallis (Bête à Bon Dieu Ghost of a Flea – 2001), traducteur de Queneau ?

Ça va, vous suivez ? Ça malaxe ? On continue ?

« Le roman policier est à enfoncer dans les poubelles de l’histoire, le thriller dans les chiottes du néo-freudisme et le roman à énigme dans le compost du sudoku. »

Si le classement de Jean-Bernard Pouy ne vous sied pas convenez qu’il offre et ouvre des perspectives de lecture sinon réjouissantes au moins éclectiques si on accepte l’idée que « ça fait un paquet de temps et de textes que le roman noir a gagné. » Mais selon l’auteur de Suzanne et les ringards, « il reste à bousiller le polar, qui, s’il rime pauvrement avec soixante-huitard, rime aussi avec vicelard, ringard, connard, faiblard*, etc… et maintient notre objet de passion** dans les caves de la sous-littérature. »

* Et i ne vous fait que les adjectifs en -ard…

** Je prends cette périphrase pour nommer « ce genre que nous aimons »

Enfin pour « envisager » de mettre « fin » à cet « essai« , Jean-Bernard Pouy se doit de reconnaître l’importance de certains éditeurs ou directeurs de collection, et de citer « Marcel Duhamel, créateur de la Série Noire en 1945″ à qui on « doit d’avoir amené en France le goût du roman noir », les « découvreurs » suivants que furent Robert Soulat et Patrick Raynal ainsi que François Guérif, chez Rivages, lui, et les aiguillonneurs que sont les « autres éditeurs, plus petits, certains même étoiles filantes ».

Et de terminer sur « quelques romans récents * illustrant parfaitement plusieurs possibilités de devenir du roman noir ». La Théorie du Panda (2007) de Pascal Garnier est un « disfonctionnement métaphysique qui en fait plus pour la grandeur du polar que les enquêtes de flics ou les délires de médecin légiste. » Le polar rouston-baston qu’est La Griffe du ChienThe Power of the Dog de Don Winslow (2007) ou « comment le fric tue tout espoir, sans distinction, femmes, enfants, vieillards, innocents ou non » et c’est glaçant car on a « froid dans le dos car on sait, on sent que l’auteur n’invente pas grand-chose ». Zulu (2008) est un « roman qui emporte tout sur son passage » et Caryl Férey le « représentant » français « de la même tendance » que ses « grands-frères anglo-saxons », « une voix aussi puissante que les grands amerlos et leurs visions décapantes ». Shannon Burke avec Manhattan Grand Angle (2007) « est un exemple de l’intrusion des codes du roman noir dans la jeune littérature générale américaine ».

* L’essai date de 2008

Sauvons un arbre, tuons un romancier ! est une nouvelle qui clôt l’essai.

Une brève histoire du roman noir est un bonbon acidulé qui fond dans les yeux pas dans la bouche, un délictueux délice que j’avais lipogrammé, .

Qui ? Pourquoi ?

De mon côté, devant « former » de futur(e)s éditrices et éditeurs, bibliothécaires et bibliothécaires, libraires et libraires parmi des étudiant(e)s à l’IUT de La Roche sur yon – Information et Communication – Métiers du Livre*, je m’y suis aussi jeté à l’eau (ou plutôt dans le muscadet – de mes soucis).

* C’est une formation qui ne prête pas à rire (d’autant plus que Francis Mizio, l’ethno-polardo-comique de La Santé par les plantes et du très récent Au lourd délire des lianes** y travaillait) mais donne du boulot, la preuve, Pierre Bordage y a bâti un projet.

** Par Macroqa ! C’est quoi ce nouveau roman ? Vous saurez tout, .

Pour moi, je ne compte que cinq familles. Pour les former et que ça matche, il me faut trouver un angle d’attaque. Puisqu’aucun mot ne peut convenir pour englober le genre – indéfinissable selon la définition de Claude Mesplède -, qu’aucune réponse ne semble saisir le genre, ne vaut-il mieux pas se poser la question suivante : à quelle question répond le genre ? Et là tout le monde semble d’accord, le genre – je ne le nomme toujours pas – répond à une de ces deux questions : Qui ? et Pourquoi ? En effet, certains romans s’attachent plus à trouver le coupable, donc qui (qui a tué ?) tandis que d’autres s’attachent à comprendre les raisons de ses actes… donc quoi (mais pourquoi donc a-t-il tué ?). La place accordée donc à la question initiale, celle qui guide l’auteur et le lecteur (qui est le plus souvent une lectrice), donne alors souvent le ton du roman et le qualifie. Ça va mieux, non ? Il y a les romans Qui et les romans Quoi.

Mais on a le droit de mélanger les deux… Ha ben oui. Vous le faites exprès ? Ha ben non. Non, mais je vous avais prévenu, par l’intermédiaire de Claude (Mesplède, suivez), que ce genre était indéfinissable. Essayons encore. Codifions l’impossible.

Moi, je ne compte que cinq familles

1. Pouce : La famille policière (la grande famille du qui).

Le Whodunit (Who done it ?) ou Roman policier (la police enquête et doit arrêter le coupable) ou le “kilafé » (terme utilisé par Fred Vargas) ou le “roman cluedo” (c’est le Colonel Moutarde qui a tué Mademoiselle Rose dans la bibliothèque avec la corde) ou le « rompol » (terme utilisé par Georges Perec) dont la représentante la plus célèbre est Agatha Christie (Certains l’appellent à gâteaux car ce qu’elle écrit est tarte, dixit JiBé, mais bon…) et la plus connue aujourd’hui en France est Fred Vargas… Le personnage le plus utilisé dans ce type de romans est le policier (Adamsberg) ou le détective (Hercule Poirot). Le lecteur se fait donc enquêteur avec le délicieux frisson intellectuel de percer le mystère… qui, dans la vie réelle des flics en est rarement un (le meurtre est commis la plupart du temps dans l’entourage très proche de la victime et est avoué dans 90% des cas dans les 48 heures) et dans celle des détectives totalement absents puisqu’ils ne s’occupent pas de ça* mais plutôt des adultères et de l’espionnage industriel… Mais on a le droit de jouer.

* Selon Hammet, ancien détective chez Pinkerton : aucun privé n’a jamais enquêté sur un meurtre…

2. Index : La famille polardeuse (grande famille du pourquoi)

Le Polar (terme argotique, voire péjoratif, revendiqué par les amateurs) est à l’image d’un polaroïd : un instant donné, très réaliste. Le polar décrit le monde tel qu’il est ou tel qu’il risque de devenir. Il s’appuie sur un personnage issu d’une couche de la société, un journaliste, un avocat, un quidam… Il rejette souvent le personnage de policier ou de détective mais pas toujours. Dès qu’un fait de société fait la Une, un polar s’appuie dessus pour le dénoncer… (Le 7ème pilier de Filoche, par exemple, avec l’affaire Lady Di). Il peut aussi cependant être vite dépassé car parfois trop référencé…

3. Annulaire : La famille frissonnante (grande famille du qui et pourquoi mélangés)

Le Thriller (Harris, Chattam) ou frileur (à l’anglaise avec une patate chaude), voire trilleur (à la française sans patate), fonctionne essentiellement sur le frisson, le suspense et flirte parfois avec le fantastique (King, Granger, Dantec). Ce sont le plus souvent d’efficaces page-turner mais, comme les doryphores, il pullule dans les bacs et sur les étals et ressasse de nombreux codes et poncifs (voir à C) fatigants, voire usants. Nous sommes overdosés de serial killeries.

4. Majeur : La famille noire (grande famille du pourquoi, voire sans question)

Le Roman noir (Pouy, Bruen, Padura) est de la même famille que le polar mais il apparaît comme plus littéraire, il respecte moins les codes, comme par exemple l’intrigue… (Dessaint – dans La Vie n’est pas une punition, il faut quasiment attendre la fin du livre pour qu’un tabou soit transgressé, Cook – dans Les mois d’Avril sont meurtriers, le criminel est arrêté dès la première page). C’est un roman proche de notre quotidien mais qui, pour le néophyte qui espère frisson et supense, se révèle être décevant.

5. Auriculaire : La famille déglinguée (grande famille du polar mais en plus originale)

Très pervers polymorphe, elle prend comme le nuancier toute une palette de cousins et cousines.

Le Néo-polar : courant dont le père – à son grand regret – est Jean-Patrick Manchette, très politisé, le plus souvent de gauche (ADG l’est sans doute un peu moins)…. On y a écrit et lu de très bonnes choses (Prudon) mais beaucoup aussi qu’on s’est vite empressés d’oublier (des brûlots pas toujours bien écrits).

Le Polar historique (ou roman policier historique) à ne pas confondre avec le polar dont le thème est l’histoire (Daeninckx). Le meilleur exemple est celui du juge Ti (Van Gulik, puis Le Normand). À travers des comptes-rendus de justice, l’auteur peint une société pour nous exotique, celle de la Chine du VIIème siècle. À la base de cette aventure littéraire du Juge Ti, un manuel de jurisprudence, les Affaires résolues à l’ombre du poirier (Tang Yin Pi Shi). Compilé en 1211, ce recueil de 144 affaires criminelles a constitué l’ouvrage de référence des magistrats chinois jusqu’à la chute de l’Empire et, en lisant ces lignes, on y découvre une modernité surprenante (on apprend ainsi que les enquêteurs de l’époque n’ont pas besoin de police scientifique et de cotons tiges pour trouver les preuves d’un crime…). Un voyage dans le temps pour un bilan carbone très faible.

Le Polar psychologique est une étude de mœurs, une chronique sociale, comme la vie d’un commissariat (Harvey, Mac Bain voire Mankell ou Camilleri…) où l’intérêt réside autant dans ce qui se passe autour que dans ce qui se passe dedans. Certains s’y fatiguent comme sur des faux plats ; Robin Cook disait de McBain que c’était le Mozart du polar, toujours la même musique…, d’autres s’en régalent comme d’un roman choral…

Le Polar ethnologique (Upfield et les Aborigènes, Hillerman et les Navajos) est une famille à elle toute seule, vivant en autarcie, dans ses thèmes, ses personnages, ses traditions et ses cultures. On y entre mais on n’en sort pas.

Le Polar procédurier autour de la justice : meurtre, enquête, procès. (Connelly et son avocat Haller, le demi-frère de Harry BoshLa défense Lincoln -, Jonquet et Les Orpailleurs )… Il offre l’immersion, la documentation, l’art d’user et de contourner la loi et souvent sauve la veuve et loue l’orphelin, au comble de l’optimiste et de la crédulité et loin de la fatalité et l’engorgement judiciaires.

Le Polar comique (mon préféré) : Hé oui, comme disait Michel Lebrun (ex-pape du polar) « Le temps est venu de prendre les comiques au sérieux. » Et ils sont légion : Westlake, Mizio, Barcelo, Dorsey, Camilleri, Bartelt (voir H, comme Humour)… Ils mettent non seulement les pieds dans le plat mais s’esclaffent en voyant surnager des couilles dans le potage, rient à gorge déployée en mangeant les pissenlits par la racine et se tuent à vous faire rire. À consommer sans modération.

Et voilà le fruit macéré de mes cogitations. La bibliothèque a sa classification (de Melvil Dewey), le roman noir ses tentatives (de Pierre Lemaitre, de Jean-Bernard Pouy et, modestement, la mienne).

Sommes-nous mieux lotis d’en avoir trois ? Je ne sais pas. Je pense soudain à l’homme qui, à la merci d’un génie qui se propose de lui exaucer son vœu le plus cher, demande à avoir trente bites. Ravi de ces atouts, il va pour partir quand le génie lui rappelle de ne pas oublier la brouette de couilles, là…

Brouillard au pont de Bihac (Jean-Hugues Oppel)

ihac sera au 20 heures ce soir.

Sans la nommer, cette ville métisse ressemble fort à Sarajevo et elle est au cœur du déchirement yougoslave de 1992. On parle beaucoup, et à raison, de la guerre en Ukraine, on s’inquiète, avec justesse, d’une possible escalade, et tout ça, aux portes de l’Europe… mais on oublie qu’on a déjà vécu ça, que ce goût amer dans la bouche, on s’en est gargarisé dans les années 90. On se souvient peu ou pas assez. De cette guerre. Celle qui détruisit la Yougoslavie, aux mêmes portes du même continent…

Le décor : « Le pont de la fraternité, orgueil d’une ville métisse de toute éternité qui se flattait d’enjamber les différences ethniques avec mépris, et renommé pont de Bihac en souvenir d’une ville martyre, une parmi d’autre victime de la connerie assassine des hommes. »

Les acteurs.

Dehors, l’intérêt comme réponse.

« Le collimateur fixe le vieillard et le suit. L’index de Svobodan dédaigne la queue de détente. Il n’a pas envie de gaspiller une cartouche sur une aussi piètre cible. Il aurait préféré une petite vieille courageuse, mieux cotée à l’audimat de l’émotion au journal télévisé de 20 heures partout en Europe. » Svobodan est sniper. Et il va encore trouver mieux qu’une petite vieille courageuse : « un môme ». Surtout ne pas le tuer « bêtement » mais juste le blesser car « derrière un enfant court un parent affolé. »

Radko et Alija sont sur un coup. Ils planquent. Surveillent. Un bâtiment « déjà mangé aux deux-tiers » « foudroyé par un mois de bombardements », il « prend des allures de dinosaure fossilisé ». Et s’ils surveillent une ruine, c’est parce que « le bâtiment bas et long est une banque ». Et dedans gît un fourgon, une tirelire. Radko le sait, il y travaillait avant que tout ne parte en sucette.

Dedans, la recherche du sens comme question.

Georges, de Brive-la-Gaillarde, conduit le V.A.B. (« Véhicule de l’Avant Blindé »), « une espèce de gros scarabée trapu », « un véhicule des forces de l’ONU », « sans pare-brise », « seulement deux meurtrières horizontales ».

Derniers acteurs, les figurants : un môme, une mère et le brouillard.

Tout le monde est en place. Tout peut alors commencer. Les acteurs entrent en scène, ils vont se télescoper. Mais « le brouillard se forme », « le brouillard s’épaissit », « les yeux… cherchent à percer le brouillard dont l’opacité se densifie »… Action ! On n’y voit rien. On ressent tout.

Numéro 6 de la collection de Zèbres de ma maison d’éditions, La Loupiote, couplé avec Un problème avec les dates de Bruno Ménard, Brouillard au pont de Bihac de Jean-Hugues Oppel a aussi été adapté en BD.

Et on comprend pourquoi tant ce récit est découpé comme un film. Le brouillard, personnage à part entière, ne fait qu’augmenter l’acuité d’une actualité terrifiante servi par un auteur au mieux de sa forme, comme toujours, persuadé que l’homme est mauvais au fond et qu’il vaut mieux en rire (« Il n’est de veine que pour la canaille »). La lucidité n’est pas forcément l’apanage des pleurs. Même si, à la fin, c’est souvent une mère dont les joues se mouillent.

Dehors. Dedans. « Un néant où le temps s’est arrêté. » Aucune réponse à la question. « Elle ne sait pas grand-chose, en fait. » Tout ce qu’elle souhaite, c’est « que le brouillard ne se lève plus jamais du pont de Bihac. »

« Pour chasser l’ombre qui te poursuit, il suffit d’éteindre la lumière. Mais alors il te faudra vivre dans le noir. » (mis en exergue de Ténèbre, Jean-Hugues Oppel, Rivages noir n°285)

Jean-Hugues Opel est un orfèvre du mot, un entomologiste de la phrase, un mordu du récit. Il aurait pu filmer mais il aime tant raconter les maux avec des mots qu’il est resté écrivain. Romancier reconnu (Six-Pack, Ambernave, Réveillez le président ou la « trilogie Lucy Chan » à La Manufacture du Livre : 19 500 dollars la tonne, Total Labrador, Noir diamant), c’est un novelliste hors-pair qui joue dans la cour des grands, aux côtés de Marc Villard ou Pascal Dessaint, chacun ayant sa musique. Ses textes courts sont des baisers crachats, ses chutes glaçantes (Lisez, si vous la trouvez, Violence payante, par exemple) et son humour franc et roboratif.

« Inventeur, tricheur, manipulateur, oui ; mais sincère, c’est tout ce que je puis dire pour ma défense. » dit Jean-Hugues Oppel de lui. Quand il lui faut répondre à une commande – écrire une nouvelle – alors que sa mère est malade, gravement, iI honore le contrat (voir à C) alors du mieux qu’il le peut (Je déteste Jeanne d’Arc in Ligne Noire spécial festival, 1999) en tapant les feuillets promis sur son ordinateur sans aucune conviction si ce n’est celle de la sincérité. Ces lignes-là, jamais publiées ailleurs, à ma connaissance, n’ont qu’un seul intérêt. Elles touchent. Oppel enlève son masque, ou plutôt refuse de le mettre, pour une fois. Il subit. Franchement, sincèrement.

Fidèle en parole, en amitié et à « notre objet de passion », on ne peut pas passer à côté de ce qu’écrit Jean-Hugues Oppel. Vous y gagnerez du plaisir et un ami de papier, ceux qui ne viennent pas le dimanche en famille pour manger le poulet rôti mais qui sont là, tapis dans un coin de nous parce qu’ils ont, souvent, touché notre âme.

Bruen (Ken)

on. Je l’ai dit. Je le redis. Je le redirai. Je pardonne toutes les erreurs (il y en a peu), les oublis (nombreux, forcément, aucun dictionnaire, à part peut-être le DILIPO – voir D – ne peut se targuer d’exhaustivité), les choix (subjectifs, forcément subjectifs, délicieusement subjectifs) de PL mais il y en a UN que je ne peux comprendre : l’oubli de Ken Bruen. Et si ce dictionnaire que vous lisez tous les mois, car vous le lisez tous les mois, hein ?, ne devait avoir qu’une seule raison d’être, ce serait celle de rattraper cet impair. Il n’est pas POSSIBLE de passer à côté de cet auteur irlandais…

« Je le tiens personnellement pour ce qui se fait de plus impressionnant dans le cadre actuel du roman noir. » (Jean-Bernard Pouy, Une Brève histoire du roman noir)

Bon Dieu ! Mais quand va-t-on enfin publier les derniers Jack Taylor ? Quoi ? Jack Taylor ? Vous ne connaissez pas Jack Taylor ? Pff… Bon. On reprend depuis le début.

Jack Taylor est une sorte « de privé à la con » irlandais (« Il n’y a pas de détectives privés en Irlande. Les Irlandais ne le supporteraient pas. Le concept frôle de trop près l’image haïe du mouchard. ») bien addictif à tout ce qui se doit d’être consommé avec modération, viré de la Garda Siohana (dont il est pourtant impossible de se faire renvoyer) après avoir « atteint la limite. Plusieurs Mises en garde Avertissement Dernières chances Sursis. », « des gens se sont adressés à [lui]. (…) Une petite réputation a commencé à se bâtir sur de fausses bases. Mais surtout, je n’étais pas cher. » Le ministère de la justice lui réclame l’article 8234 qu’il a omis de rendre, une veste tout temps d’agent de la circulation. Elle « m’allait comme un gant. Mon seul lien avec mon ancienne carrière. Allais-je le restituer ? Mon cul. »

« Ça finira mal, forcément. »

Jack Taylor est un héros récurrent (16 aventures aujourd’hui) qui boit jusqu’à avoir, le lendemain, au réveil, la langue angora. C’est un personnage, dans les deux sens du terme, de Ken Bruen, un Irlandais né à Galway en 1951, le 3 janvier, un jour après Jean-Bernard Pouy, né le 2, mais deux ans avant, en 1949, à Paris. À Galway, tout le monde se connaissait et le petit Ken met huit années avant que de l’ouvrir, à tel point que ses parents crurent qu’il était autiste et son « précepteur », un père (auquel le père Malachy dans les romans ressemblerait ?) franciscain confia qu’il aurait de la chance s’il trouvait ne serait-ce qu’une place de plongeur dans un restaurant.* Son père (est-ce aussi celui qu’évoque Jack ?) ne comprend pas qu’on puisse lire des livres « qui ne servent à rien ». À la lampe torche, sous les couvertures, il va découvrir le roman noir américain (et anglais avec Cook) qui lui laisse « une trace indélébile« **, préfère Goodis à Joyce et Thompson à Beckett, « certains en Irlande ne [lui] ont toujours pas pardonné. » Quand il va s’y coller, au roman noir irlandais, il n’y a guère que John Connolly qui y travaille mais a exporté ses intrigues aux States (comme Ellory avec le Royaume-Uni, il ne voit pas en quoi, l’Irlande serait un décor de roman noir). Ken Bruen lui va démontrer le contraire avec la dégradation des valeurs traditionnelles irlandaises et son évolution européenne. L’envers de la carte postale des croix et des moutons : le suicide des adolescents (Délirium tremens), les discriminations sur les Tinkers (gens du voyage dans Toxic blues), le poids et les fautes de l’Église (Le Martyre des Magdalènes), l’enfant cible de toutes les violences (En ce sanctuaire) et toujours l’autodérision, la noirceur, l’alcool, la littérature (Le Dramaturge), la télévision, la musique et la religion (La main droite du diable, Chemins de croix) et le mal (Le Démon). Il développe quelques traits propres incisifs comme des flèches : ses listes délicieuses, ses références roboratives et son style percutant, ses retours à la ligne, sa façon de faire progresser les différents fils narratifs en se foutant quelque peu du suspens et sa propension à scruter hommes et femmes comme s’ils ou elles en valaient toujours la peine avec pour direction la digression qui élague dans le gras du récit.

* L’ami irlandais par Pierre Bondil, traducteur, 813, revue n°99, hiver 2006/2007, page 5 à 8

** Ken Bruen, Interview de Bastien Bonnefous, Shanghai Express, revue n°4, novembre 2006, pages 16-17, 6€ (introuvable ou presque, il me reste quelques numéros, me contacter avec le code SLAINTE)

« On raconte que vous êtes doué, car vous n’avez rien d’autre dans votre vie. »

On le rencontre, grâce à Jean Esch, son traducteur, dans Delirium TremensThe Guards (Série Noire, n°2721, 2004, 10€21) enquêtant pour le compte d’une mère éplorée par le suicide de sa fille Sarah auquel elle ne croit pas. Il fréquente les pubs qui ne changent pas et refusent « tout le reste [qui devient Unisex Allégé Karaké Excessif. » Lucide : « – Pourquoi vous demandez à… un alcoolique de vous aider ? (…) – On raconte que vous êtes doué, car vous n’avez rien d’autre dans votre vie. »

Ce n’est pas vrai. Il a Linda, la fille du dessous. Qui ne sort pas avec les alcooliques. Mais qui révise son jugement quand Jack lui change un pneu crevé. Cependant, elle ne sort pas avec des vieux. « Ce soir-là, dans l’obscurité, je suis sorti en douce pour crever son pneu. »

Et puis il a Sarah maintenant : « C’est un des rares endroits qui reçoivent le soleil. Une croix artisanale et temporaire indiquait : SARAH HENDERSON. Rien d’autre. Je dis : – Sarah, je ferai ce que je peux. »

Et il a Catherine, groupie larguée, qu’il sauve d’un type à la main leste en le jetant dans le canal : « – Je crois qu’il ne sait pas nager. – Ça gêne quelqu’un ? – Pas moi. » Et Sean derrière le comptoir du Grogan’s, le bureau de Jack, qui lui apporte son repas, « une pinte et un petit verre de whisky » : « Je suppose que tu bois toujours. »

Il a aussi le superintendant Clancy : « – Ne deviens pas une plaie, Jack. – C’est déjà fait. » Et le père Malachy, que Jack connaît depuis qu’il est gamin. « Malachy ressemblait à Sean Connery, à part Le bronzage Le golf. On ne pouvait pas le qualifier d’ami. Les prêtres ont d’autres loyautés. »

Ken Bruen, Délirium Tremens, Une enquête de Jack Taylor, – The Guards, traduit par Jean Esch, Série noire, Gallimard, 2004, 312 pages, 10€90 (disponible en Folio Policier)

« Une bonne sœur lisait Patricia Cornwell. (…) – Je préfère Kathy Reichs. »

Jack Taylor lit du polar. Ken Bruen lit du polar. Et les deux en parlent. Jack : « Entre deux saouleries, je bouquine. Des polars principalement. Récemment, j’avais terminé l’autobiographie de Robin Cook, Mémoire vive. La Classe. Un grand bonhomme. » Et Ken Bruen de citer un confrère : « Quand un détective a-t-il jamais élucidé un crime ? Jamais !  » Ed McBain*. Et Sutton, un ami, barman, qui lui, peint du polar : « – Ça s’appelle La Blonde au coin de la rue (…) un polar écrit en 1954 par David Goodis. » (…) « – Plus tard, le cours. » (…) « – Tu n’es qu’un trouduc bouché. »

* C’est amusant que ces deux auteurs apparaissent dès les premières pages de Délirium Tremens quand on sait que le premier n’aimait pas le second. (voir plus haut)

C’est quand il reçoit, près d’un fish and chips à emporter, la visite musclée de deux types, deux costauds qui l’abîment méchamment en lui susurrant : « Fourre pas ton nez dans les affaires des autres. » qu’il sait qu’il est sur la bonne voie. La répartie est là mais pas la force : « … j’essayais de dire : – Si vous voulez des frites, achetez-en. Mais j’avais la bouche pleine de sang. »

Tout ce qu’il approche se fane

J’arrête là car j’ai envie de le relire encore une fois. Ken Bruen c’est du jamais lu, ce sont des listes à foison, des références littéraires, télévisuelles et musicales, de l’humour et une humanité à découper à la hache. Jack Taylor, c’est celui à qui on a envie de tendre la main, qu’on plaint en redoutant qu’il ne sonne à la porte. Parce qu’on ne pourra pas l’aider, parce qu’il énerve trop de gens, parce que la mort suinte de son verre, de ses cachets, parce que tout ce qu’il approche se fane. « – Y a eu un incendie. (…) Sutton va bien, mais le cottage est détruit. Tous ses tableaux aussi. – C’était quand ? – Le même soir. Quand tu t’es fait tabasser. » Sommes-nous à ce point ainsi ? Fragiles et coupables ?

Ken Bruen, Le Martyre des Magdalènes, traduit par Pierre Bondil, Folio policier n°523, 2008, 366 pages, 8€70

On ne peut que le suivre dans les affaires suivantes : Toxic blues*, Le Martyre des Magalènes**, Le Dramaturge**, La Main droite du diable**, Chemins de croix**, En ce sanctuaire** (Série Noire, Gallimard), Le Démon*, Sur ta tombe* (Fayard noir).

* traduits par Catherine Cheval et Marie Ploux.

** traduits par Pierre Bondil.

Et puis (merci Albert Wikipédia), il y a

  • Purgatory (2013)
  • Green Hell (2015)
  • The Emerald Lie (2016)
  • The Ghosts of Galway (2017)
  • In the Galway Silence (2018)
  • Galway Girl (2019)
  • A Galway Epiphany (2020)

Non traduits. J’en suis malade.

Comment tout cela finira ? « Je ne sais pas vraiment, mais ça finira mal, forcément. »

Je crois avoir rédigé un article pour chacun de ses livres, dont la plupart ont été livrés à Noir comme polar, le site de Clémentine Thiébaut. Alors, dans la série Jack Taylor, coup de projecteur sur En ce sanctuaire et Le Démon.

Ne passez pas votre chemin ou alors vous vous perdrez

Jack Taylor. Ses combats inutiles et nécessaires contre l’alcool qui embue une pinte vide, la cigarette qui mouchète la soutane du père Malachy, la pluie qui suinte sur sa gabardine et les morts qui font rien qu’à ressusciter tout en restant sous terre. Jack. On a envie de lui dire de boire un coup, de tirer une taffe ou un trait sur son passé, attention spoiler, passez au paragraphe suivant, ou passez le curseur sur :

d’oublier la petite dont il n’arrive même plus à prononcer le nom, de ses parents, Jeff et Cathy, son collègue, flingué, sa mère, morte…

Jack, c’est un peu la part sombre de nous-mêmes que nous ne voulons pas voir mais qui nous appelle les soirs de spleen et nous recontacte le matin lorsque, persuadé de notre force, nous admirons dans le soleil naissant notre grande faiblesse. En ce sanctuaireSanctuary (Série noire, Gallimard, 2010, 199 pages, 14€50) doit être lu d’une traite comme on écluse une pinte brune ou un Jameson, parce que le temps de l’attente n’offre aucun intérêt si ce n’est celui de repousser, le dernier verre, la dernière cigarette, la dernière caresse ou le dernier mot à ses proches.

Jack reçoit du courrier, c’est rare, vu qu’il ne donne jamais son adresse. Mais, aujourd’hui, la vie moderne, tout se trouve, cela étonne Jack. Une lettre de Benedictus qui annonce le meurtre de : Deux policiers Une nonne Un juge Et, hélas, un enfant.

Il ne peut alors que se lancer à la poursuite de Benedictus, c’est-à-dire de ses souvenirs.

Écoutez la voix de Jack Taylor : « Oh, Seigneur Dieu, si seulement je pouvais arrêter de réfléchir », sa logique imperturbable : « – Vous ne le regretterez pas, monsieur Taylor, conclut-il. – Je le regrettais déjà. », comment il regarde le monde tourner : « J’observais les foules de gens qui passaient, déconcerté : pas un seul accent de Galway ne me parvenait aux oreilles. », son humanité : « Cet homme à la corpulence monstrueuse, solitaire comme seuls peuvent l’être les êtres vraiment perdus, me remerciait et il ne voulait plus me lâcher. Une idée horrible me vint : De toute sa vie, personne ne l’a jamais serré dans ses bras. » et sa philosophie de vie qui clôt le bouquin : « Et je passai mon chemin. ». Ne passez pas le vôtre. Il doit nécessairement croiser celui de Taylor ou alors je ne réponds plus de rien. Vous allez vous perdre…

« Au-delà du réel »

Un des plus troublants romans de Jack Taylor est Le DémonThe Devil (Fayard, 2012, 355 pages, 20€ ). Jack rêve d’Amérique mais, pour lui, le rêve s’arrête au poste frontière de Galway où il se fait refouler. Que croyez-vous qu’il fasse alors ? Il s’en jette un derrière la belle cravate qu’il s’était mise autour du cou pour aller avec son costume genre Emmaüs. « Double Jameson, sans glaçons, pinte de brune« . Accoudé au zinc, il fait la rencontre d’ »un grand type svelte, en costard super classe (…) C’était de l’Armani, ou pas loin (…) Le genre de costard qu’on roule en boule le soir et qu’on retrouve nickel au petit matin ». Un mec trouble qu’on n’a pas envie de recroiser. Pourtant, lui, Mr K., il pense le contraire : « J’ai le pressentiment que nous allons nous revoir« . Et il a raison.

Jack ressasse alors son amertume de sa « tentative de fuite aux States [qui] avait pour but de mettre derrière [lui son] passé minable de trouduc privé » mais devant lui se présente une femme : « – Jack Taylor ? Seigneur Jésus, si seulement je touchais un euro chaque fois qu’on m’interpelle comme ça ». Et c’est reparti. Jack doit retrouver un jeune homme disparu depuis deux semaines. Il va le retrouver, mais mort. Comme d’hab. Et les morts s’empilent, des cadavres martyrisés selon un rituel qui apparaît satanique. Tandis qu’il enquête, il ne cesse de croiser Mr K. « Le type a senti mon regard et, quand il s’est retourné, un frisson m’a glacé les sangs. Chauve ou pas chauve, c’était Kurt, le type de l’aéroport. »

Déroutant, car c’est un Jack Taylor qui dénote par rapport aux autres aventures précédentes publiées à la Série Noire. Bien sûr, on y retrouve tout ce qui fait que Bruen est grand : ses listes délicieuses, ses références roboratives et son style incisif, percutant, ses retours à la ligne, sa façon de faire progresser les différents fils narratifs en se foutant quelque peu du suspense et sa propension à scruter hommes et femmes comme s’ils ou elles en valaient toujours la peine. Mais dans cette aventure – Le DémonBruen flirte avec ce que l’on pourrait qualifier de fantastique, et c’est déroutant pour le lecteur, habitué à la noirceur quotidienne de l’Irlande et aux deux pieds bien ancrés de Jack dans ses sables mouvants que sont ses addictions et ses souvenirs des morts. Mais nous sommes en Irlande, le pays de la Guinness et des prêtres, de la pluie et des croix, des moutons et des cierges. Aussi, ne peut-on pas s’étonner que le Démon en personne puisse avoir quelques âmes à damner, celle de Jack en premier. Et pour ceux qui douteraient de cette nouveauté chez Bruen, il explique (page 334) : « Il préparait un bouquin sur le surnaturel et je me souviens encore de ce qu’il m’a dit : On range ce genre de littérature sous l’étiquette « Horreur ». Voire « Occultisme ». Moi, je préfère parler d’ « Au-delà du réel », comme dans les films de David Lynch. On est au beau milieu d’une enquête policière et, soudain, la caméra zoome sur, disons… une peinture. Y pénètre. Et, passé le coin, bascule soudain dans le domaine de la métaphysique. Ce qui, si on se réfère aux vraies racines du suspense, pourrait bien nous en rapprocher davantage que des mecs armés de flingues ne seraient capables de le faire. »

Le combat s’annonce mortel et joué d’avance. Mais Jack a un dentier de rechange et les incisives aiguisés. Pas question pour lui de laisser tomber. A-t-il jamais abandonné quoique ce soit ? A-t-il peur de la mort. Non. « C’est pour notre âme qu’on tremble« … Et c’est pour cela que Bruen est grand. Car déroutant. Donc grand.

De grand à Dieu, il n’y a qu’une croix. Jack et la religion, c’est tout un rosaire. En vérité je vous le crie, Dieu lâche Jack Taylor, tout est expliqué là ; (article L’indic). Il n’est pas né celui gravera l’épitaphe de l’ex-Gardai…

Alors on se dit parfois que la mule de Jack Taylor est bien chargée. Mais sait-on parfois que la fiction reste bien pâle face à la vérité ?

« J’ai fait de la prison en Amérique du Sud (…), mon frère est mort de l’alcoolisme, ma femme a eu un cancer, et j’ai une fille handicapée. Souvent, on me demande comment je peux supporter tous ces sales coups, et si parfois je n’ai pas eu envie de me suicider. Je réponds que je préfère écrire des livres, c’est ma thérapie personnelle. » in Mes prisons, les vôtres (non traduit)

Mais le Bruen ne se limite pas à Jack Taylor. Il a une autre série. Et pas piqué des hannetons, comme on dit. Si ma femme prèfère définitivement Jack, ma fille rafole de R&B (Roberts and Brant), deux flic ripous de Londres. Cette deuxième série, première en écriture, se veut un hommage à McBain.

Comme souvent chez Bruen, et plus particulièrement dans la série R&B, les énigmes sont plus ou moins résolues, les bandits plus ou moins arrêtés, les droits moins que plus respectés, il faut féliciter le hasard plus que la déduction, le coup de pot plus que le coup de main et déplorer le manque total de respect qu’ont la plupart des personnages. Flics ou voyous, ils semblent dénués de qui fait la différence entre un humain et un bourreau, et encore, il y des bourreaux qui en ont de la compassion.

« Ron Fenton goûta son thé, fit – Ooooh !… Bèèèèrk ! et lança à la serveuse : – Yo ! Sheila ! Comment que t’arrives à merder du thé en sachet ? » *

* R&B / Le Mutant apprivoisé, Série Noire n°2738, Gallimard, 211 pages, 10 euros, traduction : Catherine Cheval et Marie Ploux.

Prenez par exemple, Le Mutant apprivoisé. Roberts, le R de R&B, R pour Roberts quoi, a la santé qui bat de l’aile. Il a un cancer de la peau et se sent parfois un peu patraque et ressent le besoin de se confier. Aussi, il tente de s’épancher sur une épaule amie : « Son cancer de la peau le tannait comme un Haré Krishna et il sentait que la déshydratation n’était pas loin (…) Il eut envie de confier à quelqu’un l’angoisse qui lui causait son cancer. Brant était ce qu’il avait de plus ressemblant, dans le genre ami. Il se lança : – Je traverse une sale passe en ce moment, sergent… – Putain ! Vous croyez être le seul, patron ? fit Brant« .

Bon… ben… Rien de tel pour se remettre au boulot. De toute façon, Brant est aussi frappé qu’une petite frappe, voleur qu’un malfrat et violent qu’un pyromane psychotique et il ne brille que par l’alcool qu’il a dans les yeux ce qui lui laisse tout de même beaucoup de place pour la répartie : « – J’ai un cousin éloigné là-bas. Paddy Joyce qu’il s’appelle. – Apparenté à James, je présume ? Brant eut un sourire totalement perplexe, médusé. – Ben, non, apparenté à moi, comme j’viens d’vous dire ».

Le boulot donc Arrêter un pyromane psychotique Arrêter le gang du sparadrap Arrêter Le Mutant apprivoisé Éviter d’appeler Fenton Le Mutant

et Surtout devant lui Surtout lorsqu’il a sa batte en main Supporter Brant

Ken Bruen, Le Mutant apprivoiséTaming the Alien, traduit par Catherine Cheval et Marie Ploux, Folio policier n°481, 2007, 257 pages, 8€20

Mais la vie à la maison ne ressemble pas à une liste pour Roberts. Enfin, si. Une liste à un élément, et pas des moindres Supporter sa femme. « C’était décidé, Roberts allait annoncer à sa femme qu’il avait un cancer de la peau. Au minimum, elle lui accorderait un gros câlin. (…) « – J’ai quelque chose à te dire, lui dit-il finalement. – Mmmfffff ! dit-elle. En tout cas, moi, j’ai quelque chose à te dire. – Et ça peut pas attendre ? répondit-il, agacé. – Évidemment, si le fait que ta fille soit enceinte n’est pas une priorité, alors, bien sûr, ça peut attendre… – Put’… Quoi ? Non, je veux dire, comment ? – Écoute mon chéri, je sais bien que ça fait un bout de temps, mais quand même, essaie de te rappeler comment ça arrive… » (…) Tu peux toujours y aller, avec ton cancer… » se dit-il.

Il y a une explication à tout ça. Il suffit de réfléchir du béret. Le gros coupA White Arrest : « Depuis que Derek Raymond a rendu l’âme, les personnages de roman ont perdu la leur ». Encore Robin Cook, alias Derek Raymond ; c’était un grand bonhomme du roman noir, béret sur la tête, il aimait à massacrer une bière et signait ses livres avec un k qui se terminait comme un tire-bouchon. Il nous manque. Aussi, pour ne pas l’oublier, on ressent comme l’envie de boire un coup et de dire santé. Slainte !

Mais la série est terminée. Avec Munitions. Histoire de ne pas partir les mains vides sur une jambe.

« Qu’est-ce qu’il faut faire, ici, pour avoir un verre ? »

On retrouvera avec délice les flics les plus pourris du royaume de la perfide Albion, Roberts & Brant, apparemment pour la dernière fois puisque la 4ème de couve nous annonce que c’est le dernier volet de leurs aventures. Et ça démarre sur les rotules puisqu’elles lâchent Brant dès le premier chapitre : « Brant jeta un coup d’œil sur sa montre et, s’il avait su, aurait constaté qu’il lui restait dix minutes avant qu’on lui tire dessus. (…) Brant ne bougeait pas. Porter se pencha, tendit le bras, vit un trou dans le dos du sergent et hurla : Une ambulance, nom de Dieu !« 

Ça n’étonne personne : « L’inspecteur (….) eut juste envie de dire qu’il n’était pas étonné qu’on ait tiré sur Brant, juste effaré que ça ne soit pas arrivé plus tôt. Et tout le monde compatit : – Il est mort ? – Non, Dieu merci… – Appelez-moi quand il le sera. »

Un monde de sensibilité. Nash, le flic homo est chargé de l’enquête, affublé d’un collègue ricain – en stage – qui admire l’inspecteur Harry, c’est vous dire que ça va faire plus dans la semelle que dans la dentelle.

Pendant ce temps, Brant se rétablit : « Dans la semaine qui suivit, les flics recoururent aux fondamentaux… le porte-à-porte, sur lequel on peut toujours compter, et la vérification des tuyaux fournis par téléphone. Brant était sorti des urgences et se trouvait dans une chambre individuelle gardée par deux policiers armés. La vitesse de son rétablissement stupéfiait les médecins. Il se leva deux jours après avoir été blessé, mais demeura étrangement silencieux. Le super chargea un larbin de lui souhaiter une guérison rapide et Brant lui dit d’aller se faire enculer.« 

Le meilleur des mondes. Comme d’hab. Nous sommes à Londres. C’est l’univers quotidien de Roberts & Brant dans lequel un « serial baffeur » sévit et où les citoyens s’organisent en milice privée, eussent-ils la soixantaine bien tassée. On n’a qu’une envie en refermant la dernière aventure de Roberts & Brant : relire les six autres épisodes. Parce que chez Bruen, on a toujours soif. Un dernier pour la route ? Le livre se termine sur : « Qu’est-ce qu’il faut faire, ici, pour avoir un verre ?« 

Un Bruen avant Bruen

Et puis, outre ces deux séries, vous pouvez lire des one-shot comme on dit, des romans huniques, souvent premières œuvres, comme Cauchemar américain (Série noire) par exemple dans lequel un Irlandais en Amérique revisite l’éternelle soif de migration de l’île au trèfle vers le nouveau monde ou London boulevard, En effeuillant Baudelaire (Fayard, reparu en poche au Seuil), du brut, de la moëlle, de l’étai, de ce qui va faire le but et la belle envolée de votre été à venir. On y sent déjà poindre Jack Taylor et R&B, le Janus littéraire de Ken Bruen.

Ken Bruen, En effeuillant BaudelaireDispatching Baudelaire, traduit par Catherine Cheval et Marie Ploux, Fayard noir, 2007, 223 pages, 18€

À moins que vous ne préfériez que l’Irlandais ne vous donne de ses nouvelles ? Une pinte de Bruen 1 et Une pinte de Bruen 2 (Fayard) vous attendent au bar.

Il y eu un avant Bruen. Évidemment. Un Bruen émettant déjà cette petite musique qui sourd encore à nos oreilles de manière indicible depuis qu’on a mis le nez dans une de ses lignes. Ces lignes cauteleusement fracassées par des listes, la noirceur de l’âme des prêtres, la mousse de la première bière, l’Irlande noyée sous la pluie et les corbillards, la poésie à fleur de peau de vache et cette fausse simplicité narrative. Fayard a sorti les débuts de Bruen, avant les cocasses Roberts & Brant et le touchant Jack Taylor, du Bruen pur jus, du tassé, de la bibine qu’on dirait du nectar. Un premier pour la route ? « La boisson a tué mon père. Mais en Irlande, très peu meurent d’alcool. Ils meurent dans des accidents de bagnole, des bagarres, tombent ivres d’un pont ou se font écraser en titubant sous des rues. Mais… les certificats de décès indiquent des infarctus du myocarde et autres euphémismes qui laissent les buveurs libres de parfaire le boulot. » Vous prendrez bien Une pinte de Bruen 1 ?

Ken Bruen, Une pinte de Bruen 2, traduit par Simone Arous, Fayard noir, 2011, 435 pages, 20€90

Vous en voulez une autre ? Sa petite sœur ? Une pinte de Bruen 2 ? La resucette on dit chez nous, c’est ici.

« Quand on est seul on prend des gifles à chaque coin de rue. » (Le Martyre des Magdalènes)

Ken Bruen écrit pour prouver qu’il est plus qu’un laveur de vaisselle, comme le croient les curés et l’ont cru ses parents. Devenu écrivain « par colère, par rage », ce docteur en métaphysique est un forcené de la page blanche : « J’écris tous les jours. Je me lève à 4h30, et j’écris de 5h à 8h, quoi qu’il arrive. Même le jour où mon père est mort, j’ai écrit. » et ne pense jamais à la postérité : « Je ne suis pas un auteur important, on m’oubliera une fois que je serai mort. » En Irlande, peut-être. Mais, même en 2043, dans la famille du roman noir, impossible. Il a marqué, marque et marquera. Le tatouage ne s’enlève pas.

Ken Bruen a « la vie plutôt banale d’un homme normal », n’est pas alcoolique, ne se drogue pas, n’est pas violent et n’est pas couvert de tatouages. Mais il adore la transgression, la provocation et l’humour noir. Il aurait aimé que ses livres soient entachés d’un bandeau martelant : « Lisez Ken Bruen ou mourrez, bande d’enculés ! », proposition de motards des Hell’s Angels. « Mais [ses] éditeurs anglais n’ont pas voulu l’utiliser… Dommage ».

Dommage, on aurait aimé aussi.

La contribution de Jean-Bernard Pouy

Il m’est impossible de parler de Ken Bruen, puisque les textes de cet auteur, je ne les lis pas, j’ai plutôt tendance à les tester dans ma chair, ce qui complique singulièrement mon rapport au roman noir. Ce ne sont plus des polars que je découvre, mais des miroirs qui défilent devant mes yeux injectés. Jack Taylor, l’un de ses personnages-pivots a, en plus du regard passablement désespéré voire définitif qu’il porte sur la ville de Galway et ses habitants, sur l’évolution des tares locales (dont, bien sûr, une religion dévoyée et ses représentants (qui tous méritent l’Enfer)), a une particularité qui est la résultante de son malheur et donc de sa chute prochaine : il est métaphysiquement alcoolique., comme seul un irlandais peut l’être. 

Et c’est à cause de cette malédiction qu’il provoque le décès de la petite fille (déjà maudite) dont il a la garde. Il se sent tellement coupable qu’il décide de ne plus boire une seule goutte d’alcool.

Et, à chaque fois qu’il s’attable au comptoir de son pub habituel, il dialogue avec lui-même pour refuser la bière et le ouiski qu’on lui sert automatiquement. Scènes terribles, valant bien tous les épisodes de violence parsemant ses enquêtes, qui se mélangent totalement à ce que vous êtes profondément. Résultat : vous ressentez, vous espérez, vous pensez, vous avez mal. Vous êtes amenés à vivre totalement ce combat qu’il mène contre un adversaire que vous connaissez et dont vous savez la force et la possible victoire. Et c’est alors que vous vous mêlez de son histoire, que vous êtes avec lui et, surtout, que vous lui parlez (et même à voix haute), en lui conseillant de faire un effort, de ne plus déconner, de ne plus boire et , conseil d’ami, de frère, d’admirer le maigre soleil jaune pâle qui, une fois par mois, ne réchauffe même plus l’herbe autour.

Ces romans de Ken Bruen, surtout ceux où Jack Taylor combat les coudes du singe*, sont les seuls textes qui me font croire que je ressens le malheur qui transfigure le roman noir.

JB POUY

* irish ouiski

Merci JiBé !

Les notices que j’aurais peut-être ouBliées, enfin, presque

Block Lawrence, annoncé à grandes pompes n’est pas là. Je vous explique. D’abord, sous les effluves de ma tisane Nuits câlines en Chine, je n’ai pas sauvegardé, une nuit agitée, le travail écrit sur ce grand auteur américain de romans noirs, ensuite je n’ai lu que 6 opus (et demi) de la série Matt Scudder sur les 18 existants et aucun autre de sa production (notamment celle de Bernie Rhodenbarr, le libraire cambrioleur), puis mon enquête pour connaître les raisons du silence de l’auteur depuis 2011 sont loin d’une conclusion et je traduis (que très) péniblement ce qu’il écrit sur son site), enfin, j’ai donc décidé de remettre ce travail à S, comme Matt Scudder (ce qui me laissera du temps pour, ben voyons…).

J’aurais pu aussi évoquer : Baker street, la rue du boulanger, mais j’ai encore le D de Doyle ou le S de Sherlock Holmes en réserve car, étonnement, PL n’évoque ni le maître, ni la machine à penser, François Barcelo, le Québécois aux titres improbables (L’ennui est une femme à barbe) trouvera sa place dans le lit du H (comme Humour), la BD noire (j’en parlerais à l’occasion de certains titres, au C, comme Canardo ou Canales) et je vous renvoie sur le site bédépolar de Frédéric Prilleux.

J’aurais pu aussi parler de Jean-François Bianco, auteur de Ouvrage d’homme dans le Zèbres n°2 (La Loupiote), couplé avec Patrick Raynal, Un Ornithorynque dans le tiroir, vanter la BILIPO (citée page 793 du DAP), la BIbliothèque des LIttératures POlicières (qui prépare une exposition sur Jean-Jacques Reboux, j’y reviendrai) ou Éric Boury, traducteur de l’islandais* (on verra ça à T comme Traduction) – voir son site.

* notamment de Mani ou Indridason

J’aurais pu chroniquer William Boyle, mais j’en parlerai au G comme Gravesend (Rivages noir n°1 000), Nestor Burma qui a laissé PL muet (j’en causerai à M comme Léo Malet) et W.R. Burnett (PL en parle page 591 de son DAP avec Quand la ville dort, traduit par Samuel Hall) que je ne connais pas bien à ma grande honte (j’assume).

Enfin, j’aurais pu en dire, en lâcher, en raconter sur François Braud (dit Dodo-les-chevilles-enflées, ex-éditeur-ex-directeur-de-festival-ex-directeur de revue) mais il a préféré se distinguer en signant ce post, tout en bas.

Bientôt (1er juillet)

Le C par PL : ses Coups de Cœur, de plume, de griffe et de brume…

Et le C de FB aveC au menu (sous réserve des plaCes disponibles et de la lumière Cahotique de mon Cerveau) : Ça y est, j’ai craqué (Pascal Dessaint) / Cadavres ne portent pas de costards (Les) (Carl Reiner) / Caïn / Canardo (Benoît Sokal) et Canales (Juan Diaz et Guarnido Juanjo) / CDLS (Le) / Cette fille est dangereuse (Sylvie Granotier) / Chute / Classer par collection / Codes et poncifs / Condor (Le) (Stig Holmas) / Connelly (Michael) / Connolly (John) / Conspiration des ténèbres (La) (Theodore Roszak) / Contrat (Tante Jeanne-Hortense) / Cosmix banditos (AC Weisbecker) / Coup du bandeau (Le) / Critique / Cuba

Ça fait du monde Ça… M’est avis qu’il va y avoir trois parties… Ne loupez aucun express, soyez au rendez-vous tous les premiers du mois

François Braud

papier écrit en écoutant Bashung dont la Fantaisie militaire nous manque bigrement… L’hommage rendu a consisté à parsemer ce post des titres de cet album que j’ai essayé de masquer… L’aviez-vous remarqué ? Saurez-vous les retrouver ?

Prenez Des trains à travers la plaine (In8)

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