Les ZAD de Michèle Pedinielli

« La colère que j’ai envie d’exprimer est liée à la violence qui s’exerce sur les plus faibles. » * (Michèle Pedinielli)

* 813, n°142, mai 2022

Qu’est-ce qu’elle fait ? Qu’est-ce qu’elle dit ? est une rubrique qui s’ouvre aux créatrices, qui leur donne la parole afin qu’elles s’expriment sur tout et surtout sur rien. Elles y laissent la trace de leurs obsessions, quelquefois des vestiges de leurs nouvelles, le plus souvent elles y disent ce qu’elles ont à y dire. Elles répondent parfois aux questions saugrenues de l’auteur de ce blog, comme dans Les ZAD de (Zones À Défendre) ; elles peuvent ainsi se lâcher comme le fait le critique au clavier qui met en avant un roman, un livre de la créatrice dans  » ce genre que nous aimons ». FB

Au programme ce jour : Les ZAD de Michèle Pedinielli et la critique de La patience de l’immortelle de l’auteure (L’Aube noire, 2021, 234 pages, 17€90)

Les ZAD de Michèle Pedinielli

En ces temps scolaires et marronniers où les enfants perdent leur sable de juillet et le sel du mois d’août et les professeurs retrouvent leur cuir de septembre – le temps passe si vite qu’on est déjà en octobre ! – , j’ai cru bon de demander à Michèle Pedinielli, non pas ses souvenirs de cour de récréation ou de pichet vide qui tourne pour savoir qui va aller le remplir à la cantine mais ses ZAD (Zones À Défendre). Ce sont mes questions, voici ses réponses. Plus bas, après, vous trouverez une critique de La Patience de l’immortelle. On dit merci qui ? Merci Michèle.

Une ZAD littéraire ?

Le noir qui fait rire.

Une ZAD politique ?

Le service public.

Une ZAD médiatique ?

Léon Zitrone.

Une ZAD sémantique ?

Le point virgule.

Une ZAD argotique ?

Tout ce qu’on doit au parler mãnouche.

Une ZAD sexuelle ?

N’importe quelle zone humide entre adultes consentants.

Une ZAD alimentaire ?

La salade niçoise qui ne comporte ni haricots verts, ni maïs, ni riz, ni autres ingrédients totalement hors de propos.

Une ZAD viticole ?

Les vignes de Prosecco, mais hélas elles ont au contraire tendance à proliférer au détriment des autres.

Une ZAD SFCDT ?

Ah, je pensais qu’on allait parler de syndicalisme mou mais on me glisse dans l’oreillette qu’il s’agit de référence littéraire. Alors je dirais : danser à s’en faire péter les genoux sur des tubes qu’on méprisait il y a quarante ans.

Une ZAD picturale ?

Les œuvres de mon père.

Une ZAD historique ?

Le rôle des femmes.

Une ZAD sportive ?

Je passe mon tour, il y a sûrement plein de gens qui connaissent ce domaine mieux que moi.

Une ZAD populaire ?

Le retour des bals popu du samedi soir.

Une ZAD vestimentaire ?

Les Doc Martens usées.

Une ZAD animale ?

Il faut arrêter de faire chier les animaux. Sauf les chats, parce que les chats sont des tyrans qui te réveillent à trois heures du matin pour que tu les ACCOMPAGNES à leur gamelle.

Une ZAD cinématographique ?

L’interdiction du cumul des mandats des acteurs qu’on voit partout tout le temps dans tous les films.

Une ZAD architecturale ?

Persiennes et jalousies.

Une ZAD photographique ?

Celles de mon amoureux.

Une ZAD offensive ?
Le XV de France champion du monde de rugby (mon voisin de droite m’a soufflé cette réponse).

Une ZAD musicale ?

L’énergie plus que la note juste (punk not dead).

Une ZAD finale ?

Groupons nous et demain.

François Braud / Michèle Pedinielli

Maintenant, on sait ce qu’elle dit… Mais qu’est-ce qu’elle fait ?

Ne jamais être prise au dépourvu *

* Article déjà paru le 7 août à l’occasion des Trophées 813

« J’ai terminé le boulot pour lequel un certain Philippe Clerc, accusé de meurtre, m’avait engagée. Un drôle de type, étrange conseiller en assurances, anar, propriétaire d’une petite maison dans la vallée du Paillon. Soixante-quinze ans au compteur avec une flamme Molotov au fond de l’œil. Celle que tu n’éteins ni sous des litres de vodka, ni sous des flots de larmes. » (page 15). Ghjulia Boccanera, Diou pour les proches, est une privée, docs aux pieds, mi corse mi niçoise, qui était allée donner un coup de main au héros fatigué de Patrick Raynal, Philippe Clerc dans L’âge de guerre. Je la retrouve donc avec plaisir grâce à ce crossover entre deux Niçois*.

* Il est vrai que cela aurait dû attirer mon attention mais que voulez-vous, les bandeaux, ça m’énerve un peu… (voir Bang !) Boccanera, Michèle Pedinielli, L’Aube noire, 2018, 215 pages, 17€90 – texte proposé à l’édition par… Patrick Raynal. Ces deux-là s’apprécient. Dans le n°140 de 813 (automne 2021), la première fait une critique de L’âge de guerre, roman du second :  » …[qui] manie comme à son habitude l’humour qui empêche de tomber dans le pathos. » Michèle Pedinielli sait de qui tenir…

C’est une jeune femme, journaliste, Letizia Paoli, assassinée et retrouvée calcinée dans le coffre de sa voiture en Corse. Létizia, Ghjulia l’a connue autrefois, minote. C’est la nièce de Joseph Santucci, son ancien compagnon, flic. Elle va devoir enquêter sur cette affaire déchirante en se rendant sur l’île, loin de Dan, son coloc et de ses balises niçoises sur cette terre qui l’a vue naître et qu’elle a quittée et dont elle ne connaît plus très bien les codes : « – Di qual’sè ? Tu te souviens de ça au moins ? Oui. Ici, Comment tu t’appelles ?, est souvent remplacé par Di qual’sè ?, De qui tu es ?, pour te localiser sur un immense territoire généalogique. Parce que le village, c’est la famille. » (page 21) et, plus loin : « Donc toi, tu es la petite-fille d’Augustin et Marie, la fille d’Antoine, et tu étais mariée à Joseph Santucci. – On n’était pas mariés. – Ah oui, ça se fait, ça. » (page 102)

Loin du thriller, des voitures qui dérapent, des effets de la technologie dernier cri ou et des grandes considérations sur l’existence, Boccanera est une femme de notre époque, de son époque, la cinquantaine « désirante » appelant une bite une bite, mais ménopausée, sans enfants (parce qu’elle n’en veut pas), « toujours habillée de manière appropriée pour assister à un enterrement » (« – Ne jamais être prise au dépourvu. » – page 65) et connaissant les limites de son corps (« Je m’installe à côté de lui » – « assis sur une souche basse ». « Mes articulations me demandent déjà comment j’ai pu croire que c’était une bonne idée. » « Avant que je ne m’humilie dans une série de grognements pour me redresser, il me tend la main pour m’aider. Putain, ça se voit tant que ça ! ») et des ersatz que sont l’alcool, elle ne boit plus, la cigarette, elle ne fume plus, les somnifères, elle les a oubliés : « Comment je vais vivre sans somnifères ? » (page 36).

« Tu as beau dire, les nuits blanches, tu ne récupères plus pareil quand tu abordes la ménopause. Tu ne récupères plus du tout d’ailleurs. » (page 122)

C’est une Méditerranéenne : « Les oliviers, eux, ont la puissance de me transporter n’importe où sur les bords de la Méditerranée. » « … rien ne t’empêche de voir (…) Salvo Montalbano qui nage une dernière fois vers la plage de Vigata » (page 129), lucide, donc en colère, qui s’est construit sa famille (son coloc, son ex : « sa tribu« ), prudente mais au bord sombre et attirant du vide de l’abîme : « …il faut lutter contre la tentation d’en avaler chaque fois plus. C’est pas un truc à prendre, l’habitude de trop nombreux somnifères. » car « … à la fin, il t’en reste environ deux : le neurone du manger et le neurone du caca. » ou « … alors l’absorption massive, d’un seul coup. »

« … ici, ce n’est pas comme sur le continent. C’est marrant, c’est la deuxième fois qu’on me dit ça depuis que je suis arrivée, et toujours sur un même ton tranquille. » (page 128)

Arpenter la géographie locale du maquis, cerner ses activités et subsides agricoles, se coltiner l’administration tatillonne républicaine et détourner ses lois, la Corse brûle, est malade et pourtant ça tourne l’argent là-bas. Létizia aurait-elle suivie une trace de trop près, jusqu’au terrier où elle se serait fait piéger ? Boccanera va devoir fouiner elle aussi et s’approcher du danger. Jusqu’à quel point ? Le prologue est un hameçon et l’incipit, pas moins, un crochet : « Putain, il a fallu que je crève ici. » (page 7) La roue tourne? « Je ne veux pas mourir. Vise la tête.  » « J’ai peur, tu peux même pas savoir combien j’ai peur, je vais mourir sur une route corse, seule, à quelques kilomètres du village. Je m’en fous de l’odeur du maquis et des milliards d’étoiles au-dessus de moi. Papa, maman, je vous aime. Noir. » (page 9) Merde. Impossible d’en rester là.

Noir mais le sourire et l’ironie ne sont pas loin. Jamais. Le capitaine Flahm nous en donne la possibilité : « J’imagine qu’il se fait chambrer depuis qu’il est né. – Sa mère n’avait qu’à pas épouser un Flahm. – Elle n’avait pas le choix. L’autre mec s’appelait Crochet. – Ou Abandonné. – Ou Iglo. » (page 197) et « le discours new age sur les arbres et leur pouvoir de guérison, l’énergie de la nature, gnagnagna. » (page 131) une autre.

On parle parfois d’une belle personne. C’est au moins une belle rencontre.

Il est toujours troublant de trouver une voix qui vous parle dans le creux de l’oreille, que l’on semble toujours avoir connue et qui vous fait du bien et vous réconcilie avec l’humanité, pourtant y avait du boulot. Hé bien, c’est ce que je ressens à la lecture de La Patience de l’immortelle de Michèle Pedinielli. Autant vous dire que le livre clos, je suis allé acheter les deux premiers. Il me reste encore deux traversées à effectuer avec Boccanera sur cette houle qu’est devenu notre monde subsaharien. En attendant le quatrième tome… sur lequel Michèle Pedinielli travaille actuellement et qui sortira au printemps 2023.

François Braud

livre acheté d’occasion

papier écrit en écoutant Laura Cahen, Une fille

« je suis la fille du temps mauvais »