Fils de son père

« On prétend que toute histoire à un début et une fin, alors qu’en réalité c’est nous qui choisissons quand commencer et quand finir.« *

* page 10, Le fils du père de Victor del Arbol (Actes sud, actes noirs)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, zoom sur un finaliste du Prix Mystère de la critique mais aussi du Trophée 813 du meilleur polar étranger de l’année (à couronner en septembre – à suivre sur bbb), Victor del Arbol, Le fils du père (El hijo del padre, traduit par Émilie Fernandez et Claude Bleton, Actes Sud, actes noirs, 2023, 365 pages, 23€). Un roman noir sur la famille au cœur de l’histoire par celui qui avait déjà mis en exergue de Toutes les vagues de l’océan (même éditeur) en 2015 : « A mon père, et à nos murs de silence. »

C’est une année de pages (365) qui vaut une vie, voire plusieurs. Celle d’une famille, de pères, de fils et tous ceux et toutes celles qui vivent à leurs côtés. Traversant l’histoire mouvementée de l’Espagne et du vingtième siècle, les pères ne savent pas aimer leurs fils et ces derniers savent les haïr pour cela. Et le fil de la violence va les réunir quand ceux-ci tentent de mettre entre eux et leur géniteur toute la haine et l’indifférence possibles.

Ça commence par un aveu et ça se termine par une lettre.

L’aveu est celui d’un homme, Diego Martin, dans une unité d’évaluation et de soins psychiatriques, qui avoue le crime d’un autre, après l’avoir « torturé pendant trois jours et trois nuits » et lui avoir mis « deux balles dans la tête ». (p.9)

La lettre est celle d’un homme qui sait « à peine écrire », qui aimerait bien oublier beaucoup de choses mais qui ne peut pas et qui semble avoir compris maintenant qu’il n’est « qu’un de ces murmures dans les pierres » et qui attend qu’on l’écoute enfin ce qu’il aurait « à dire ». Mais ceci est écrit sur la page fantôme 366 du livre.

« Qui a dit que nous ne pouvons pas choisir notre destin ? » (p.60)

Diego a cédé à la violence qu’il avait fui, à sa famille dont l’amont polluait son aval : la misère d’ouvriers paysans serviteurs de bourreaux caciques d’un petit village d’Estrémadure, un grand oncle anarchiste qui a terrorisé tout un village aux premières heures de la guerre civile avant d’être pendu à un arbre de la maison familiale qu’il servait par des phalangistes revanchards, un grand-père enrôlé de force dans la légion Azul (Espagnols combattant aux côtés des uniformes vert de gris le péril communiste sur le front oriental dans la Seconde Guerre mondiale), un père voyou meurtrier à Barcelone, légionnaire dans le Sahara oriental.

Diego s’était juré de se sauver, grâce à la littérature, de tout cela. Et il a réussi. Il est enseignant à l’université, a une femme et une fille. Il semble heureux. Alors pourquoi est-il devenu ce tueur implacable qui attend son jugement en serrant les poings mais qui ne voit « que du sable » s’en échapper « entre ses doigts. » ? (p.20)

Par un jeu de va et vient entre les époques et les êtres, on bascule d’un.e à l’autre, entrecoupés par le récit de Diego, enfermé autant entre quatre murs que balloté dans son histoire familiale.

On a beau mettre « toute la littérature possible » dans la balance, en face, il pèse toujours un sourire « comme un orgueil sous un vernis de compassion ». (p.311)

Victor del Arbol (photo DR)

« Vaincre n’était plus seulement s’imposer, c’était supprimer toute trace du vaincu. » (p.65)

Il vous faudra de l’attention, de la ténacité, du courage aussi, pour fondre sur ce roman noir fourmillant de personnages, aux accents tragiques et aux relents nauséabonds. L’histoire a ses drames, l’Histoire des remugles. On ne côtoie pas toujours des gens bien. Même parmi sa famille. Mais on peut toujours regarder ailleurs, mais la vérité ne ressortira que si l’on se contemple parfois dans un miroir. Et quand on y voit ce que l’on ne veut pas y voir (« [Mon père] est là ,en moi. (…) Le même nez les mêmes yeux foncés, les mêmes sourcils, la même bouche. Jusqu’à la façon de rire. Soudain, on est devenu son propre père. » p.91), alors on comprend que si on ne peut pas changer l’histoire, on va avoir du mal à se changer soi. Mais ne faut-il pas prendre son destin en mains parfois même s’il faut couper parfois des branches malsaines et abandonner de fiers bourgeons (comme la sœur de Diego)…

Diego y croyait. Simon, son grand-père, aussi. Quant à son père, sûrement… mais on ne connaît pas son prénom. Il faudra attendre la fin.

Il y a un moment où « vous cessez de vous battre pour vaincre » mais « vous vous battez désormais pour ne pas être vaincu. » (p.12) Ce renoncement peut paraître l’apanage des loosers ; il est celui surtout du courage. « La chance est une excuse pour les perdants. » (p.112) Mais le destin est un gène dont on ne se débarrasse pas d’un revers de main.

Victor del Arbol livre, avec Le fils du père, sans doute un de ses ouvrages les plus personnels mais sûrement un des plus noirs, des plus tragiques, des plus dérangeants. On assure que les auteurs écrivent toujours le même livre. Les hommes, eux, répètent les mêmes erreurs.

François Braud

+++ de Victor del Arbol ? Son nouveau roman (Nadie en esta tiera) et sur bbb : Toutes les vagues de l’océan, La Tristesse du Samouraï

Lire acheté d’occasion. J’ai découvert Victor del Arbol grâce au Festival Impressions d’Europe qui me confia (en 2016 ?) un débat à modérer sur le polar hispanique dans lequel figurait Victor del Arbol. Papier écrit en écoutant, again and again, The Ramones, I’m against it, et The Who, Won’t get fooled again (« – Les Ramones, ce n’est pas mal, mais que penses-tu des Who ? », p.43) Chronique recensée par bibliosurf ; merci.