Le genre que nous aimons

Je ne goûte guère les correspondances. J’y vois souvent quelque chose d’artificiel où l’on apprend le plus souvent bien peu de choses sur la création et beaucoup sur l’infra ordinaire de la vie de celui ou celle qui écrit. Et, enfin, est-on sûr que l’auteur(e) aurait souhaité voir étaler son quotidien aux yeux de toutes et tous ?

J’y mets donc rarement l’œil. Mais j’ai dû en ces temps trophéesques y mettre les deux.

Et alors ?

Ça dépend. Ça dépasse ou ça trépasse.

Clarifions.

Ces deux livres concourent pour le trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage qui met en avant le genre.

https://www.blog813.com/les-trophees-813.html

Léo Malet, « Mon vieux Guérif », La Grange Batelière, 289 pages, 2020, 24€

« Voilà. Tout cela est assez sordide. » (Lettre du 4 septembre 1976, page 18) C’est Léo Malet qui l’écrit après avoir évoqué de viles considérations financières (« la vie a ses exigences« ). L’auteur des Nouveaux mystères de Paris est alors malade (« … en plus de la vue qui se carapate, il y a quelque chose de suspect du côté du cœur », page 161), oublié, puis redécouvert (« Cela m’amuse », page 184) et tente de joindre les deux bouts. Il évoque alors souvent ses (problèmes de) droits (d’auteur, voire télévisuels ou cinématographiques : « J’aurai à formuler une petite « exigence » (rien d’exorbitant toutefois) au sujet des « droits dérivés » (traduction, adaptations diverses, etc.). Je ne voudrais pas avoir moins de 60% » – page 47) et donc d’argent (« Je vous retourne ci-joint le chèque que vous m’avez remis l’autre jour. […] En effet, le mot cent n’y figure pas. Merci de m’envoyer un autre chèque correctement rédigé. », « À propos de chèque, voulez-vous demander à Sylvestre Clancier s’il pense à moi ? », page 69). Ce qui ne l’empêche nullement d’être généreux : « Je désire que les sommes qui me reviendront sur cette édition soient amputées de 10%, ces derniers 10% vous étant destinés. », page 81).

Plus intéressant, on s’aperçoit que Léo Malet tient à l’aspect graphique de ses livres : « … je tiens, de la façon la plus totale, à être le maître des couvertures », (page 65). Et s’y colle dans la dernière partie (voir plus bas).

Il a aussi la dent dure contre certains, ce qui peut, a postériori, être très drôle à lire : « A propos de cinéma… J’ai vu, hier, à la télé, Le gorille vous salue bien. Merde ! C’est avec ça que certains gagnaient du pognon, en 1957, alors que je fourbissais mes Nouveaux mystères entre deux ardoises chez les commerçants ? », page 103, et sait caresser le poil d’autres : « J’ai ajouté Alain Corneau, non que j’espère qu’il se penchera un jour sur mes œuvres immortelles (pas de flagornerie), mais simplement parce que c’est le seul réalisateur actuel qui traite avec sincérité le genre que nous aimons. », page 111. Les sentences sont actées mais manquent souvent de contexte malgré les notes.

Après les lettres viennent trois entretiens. Le premier raconte la genèse des Nouveaux mystères de Paris et son rapport avec le cinéma (l’adaptation de Burma avec Galabru : « Galabru est un bon acteur, mais ce n’est pas le personnage. », page 191), le deuxième sur ses avatars, Franck Harding, Léo Latimer… et enfin le dernier sur ce qu’il pense du cinéma… pornographique ! Ce qui permet au livre d’entrer dans la matière, si je puis dire, de ses collages pour « collectionneurs avertis » mêlant ses couvertures et des images de cul. Je vous laisse juger sur… pièces.

Pages 264-265

Il parle souvent de Polar, la revue fondée par Guérif mais aussi un peu de 813 : « … 813… revue de plus en plus luxueuse, ce dont je ne me plains pas », -page 163).

Ce qui, en revanche, est sûr, c’est que Léo Malet aurait été fier de recevoir le trophée 813 : « Je lui suis redevable de beaucoup de choses. Comme agent littéraire, c’est lui qui a fait ma carrière. […] Maurice Renault, c’est, en plus, et d’une façon plus générale, le seul type de France qui ait vraiment fait quelque chose pour le roman policier. » (in Polar, n°8, janvier 1980, page 37).

La mise en page est très aérée. L’éditeur ayant choisi de mettre, le plus souvent à gauche, la lettre d’origine (avec beaucoup de dessins, de rajouts à la main) et à droite, son compte-rendu « dactylographié ». Les lettres étant le plus souvent courtes, voire très courtes, les pages se tournent vite. Même procédé avec les collages pour « collectionneurs avertis » : à gauche la couverture, à droite la dédicace et la photo de chair (triste hélas) – voir illustration plus haut.

Un ouvrage à picorer donc, avec tous les défauts d’une correspondance privée et quelques perles. Le tout manquant d’exégèse.

Jean-Patrick Manchette, « Lettres du mauvais temps, correspondance, 1977-1995″, La Table ronde, 538 pages, 2020, 27€20€

« L’ensemble des lettres qui suivent est, dans sa très grande majorité, issu des archives personnelles de Jean-Patrick Manchette. Ce n’est qu’à l’été 1977 que l’écrivain commence à archiver assez méthodiquement sa correspondance. » (page 9).

Prévenu dès la première ligne, on sait que ce que l’on va lire, l’auteur l’a conservé sinon pour être lu, du moins pour ne pas être perdu. Ça change tout. Et à la lecture, on s’en rend compte. Il y a là, bien évidemment, comme dans la correspondance avec Malet, des considérations pécuniaires, des problèmes personnels et des avis tranchés. Mais on y trouve aussi une analyse littéraire du genre passionnante. Et les lettres de Jean-Patrick Manchette respirent de savoir vivre, d’humilité et d’humanité. Avec très (trop) peu d’images.

La préface, confiée à Richard Morgiève, contribue à ce sentiment : ces lettres devaient être publiées. « Dans une chemise, j’ai retrouvé une [lettre] de Patrick. Il faisait l’éloge d’un de mes livres, Cueille le jour. J’ai compris, tant d’années plus tard, en la découvrant, en la lisant, qu’il me l’avait écrite pour que j’en fasse usage. », page 12. Et il ajoute : « Le lecteur pourra entendre Patrick, le connaître comme je l’ai connu », page 13. Et putain, c’est vrai qu’en lisant ces/ses lettres, on l’entend, on le comprend, on le connaît.

Militant du noir et cette littérature qu’on aime, il manie l’humour bien plus que pourrait ne le faire penser la sienne : « Je veux vous remercier de l’aimable envoi que vous m’avez fait de votre Méridien de Greenwich. Je viens seulement de le lire, parce que j’avais d’abord été rebuté par son appartenance manifeste à la littérature d’Art. », page 75 (Lettre à Jean Échenoz).

Il justifie ses choix que l’on critique : « Que je vende des trucs à Alain Delon, cela fait sourciller un certain nombre de lecteurs. Note en passant que ce n’est pas moi, mais mon éditeur, qui a le pouvoir de négocier mes droits (et il en empoche la moitié, au fait). (…) … je n’ai aucune hostilité à une vente de droits cinéma à Alain Delon, pour deux raisons. », page 111-113 (Lettre à Henri Droguet). Il explique alors qu’un livre et film sont deux trucs complétement hétérogènes et que si impact « idéologique » il y a, c’est plutôt le film qui va rabattre d’innocents citoyens vers les pernicieux écrits de Manchette. Enfin, si l’on commence à boycotter, on ne s’arrête plus. (…) … il faudrait boycotter non seulement Delon, mais aussi bien Chabrol parce qu’il est démo-stalinien… (…) Il faudrait boycotter Charlie, politiquement éclectique et infiltré par à peu près toutes les sortes de réformisme.« 

Pages 112

Il soutient ses camarades, comme dans la lettre à Didier Daeninckx (page 362-363) : « … je voulais pour finir te dire qu’en cas d’attaque, sans que je doute un instant de tes capacités individuelles, je serais honoré d’être invité. »

Il reste sur ses positions ailleurs : « Je suis hostile à l’animation culturelle et à toute activité agréée ou (et) soutenue par les pouvoirs dits publics. » (Lettre à Claude Franqueville et Marie-José Lezé, pages 426-427) mais se fend d’une réponse fleuve à un questionnaire de lycéens professionnels (Lettre page 519 à 528). S’il n’y avait qu’une lettre à lire, ce serait celle-là, celle de l’épilogue, dans laquelle on peut y cerner comme un testament littéraire, la vision de son propre travail.

Car, évidemment, alors que dans une lettre précédente il y parlait de son agoraphobie qui s’estompait, la maladie ne va plus lui laisser le temps d’écrire, le temps de vivre : « Mais récemment on m’a découvert un petit cancer, et je suis soumis à cette chose que les initiés appellent « chimio »… », page 515, Lettre à Alfred Eibel.

Et lui aussi parle de 813 : « Quoique mon amour des associations en général, et de 813 en particulier, soit nul, j’espère que cette dernière ne sera pas mise à mal par les manœuvres foldingues de tel ou tel, et qu’elle restera comme on dit un lieu d’échanges. (page 198 : Lettre à Michel Lebrun).

Passionnant. Manchette est vivant.

François Braud

post écrit en écoutant Screamin’ and Cryin’ de Muddy Waters

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6 réflexions sur “Le genre que nous aimons

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