Le constat amer d’un père

« Dans la masse compacte que je tentais de percer du regard jusqu’à m’en déchirer la rétine, j’ai vu des formes se mouvoir et tourner autour de moi. Me souvenant des huldufolk, je leur ai dt que je cherchais ma fille Maude (…) » (pages 78-79)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, un roman noir qu’on aurait tort de prendre pour un thriller, Les Brouillards noirs de Patrice Gain chez Albin Michel, 2023, 245 pages, 19€90

« – Si vous voulez manger du globicéphale, je peux vous donner une adresse. » (page 25)

La littérature a ceci de désespérant : elle console mais ne sauve pas. La musique joue ce rôle aussi pour ce père qui sombre.

Il est des jours où il faudrait laisser le téléphone sonner, s’étioler et s’éteindre jusqu’à oublier le vacarme du monde qui pulse à nos oreilles comme un cœur qui s’affole : « Je me souviens de ce jour comme si c’était hier. » (page 9) Évidemment, Raphaël Chauvet, violoncelliste solo de l’opéra de Lyon, décroche. Au bout du fil, c’est Nathalie, onze ans après : « On ne peut jamais compter sur toi. » (page 10). En fait, si, Raphaël va partir au bout du monde, aux Iles Feroé, pour chercher Maude, leur fille, qui ne répond plus à son téléphone, elle, et que son père n’a pas vu depuis onze ans, privé par son ex-femme qui en a fait son outil de vengeance, imprimant en Raphaël un SAP, Syndrome d’Aliénation Parentale (« ou dit plus simplement, d’une campagne de dénigrement menée par mon ex » – page 13) dont il ne sortira que quand il lui sera impossible de retrouver sa fille, même par détective privée interposée.

Et voilà qu’elle réapparaît dans la vie de son père à la demande de sa mère pour disparaître de nouveau. Et c’est à lui que demande Nathalie de la retrouver là-bas. « Avant d’avoir eu le temps de [s]e poser plus de questions (..) [le voilà invité comme passager] à destination de Torshavn-Vagar, îles Féroé, à se présenter à la porte d’embarquement. » (page 23)

Le combat d’une fille

Là-bas, aux Féroé, « un lieu à l’écart du reste de l’Europe » (page187), on pratique l’ancestrale chasse du grindadrap. Un massacre de baleines ilotes, « les globicéphales de leur nom scientifique » (page 59) et dauphins « beau à voir » pour le grindaformenn, barbare et révoltant pour Maude et son ONG, Ocean Kepper, qui filment le grind qui « se contrefout des quotas et de la préservation des ressources marines » et « Ici on chasse la baleine au mépris des conventions internationales. » (page 55) Pour ne rien faire de la viande morte, elle est quasiment impropre à la consommation à cause de la pollution du plomb… Le grindaknivur, le couteau de baleinier, est appelé à disparaitre avec l’exctinction des espèces et puis… « … du courant [le Gulf Stream], y en a plus beaucoup, à cause du réchauffement climatique et de la fonte des glaces. Alors les eaux se refroidissent et les températures suivent le mouvement. Un jour elles seront ici aussi basses que celles de la baie d’Hudson, du sud du Groenland ou de Iakoutsk, en Sibérie. Tous ces endroits sont situés à la même latitude (…) Les poissons qui fréquentent ces eaux tempérées vont aller frayer ailleurs et toute l’économie de la pêche va s’en trouver perturbée. » (pages 82-83)

Le constant amer d’un père

Dès le départ, il y un côté trouble dans les raisons qui poussent ce père à la poursuite de sa fille comme il y en aura quand il tombe sur ses traces sur une plage, comme une crédibilité empaquetée de grosses ficelles. Mais ça, c’est si on perce Les Brouillards noirs avec le couteau du thriller. L’enquête n’en est pas une (« je n’ai jamais été aussi près de ma fille que ce jour-là » – page 219) et le suspense (« C’est à ce moment que j’ai commençé ne pas me sentir très bien. » page 150) ne prend la forme que d’une angoisse vers ce qu’il est convenu d’appeler un fin prévisible. Et cela n’est en aucune façon dommageable à la lecture de ce qui est en vérité un vrai roman noir.

Patrice Gain ne milite pas au club des auteurs de romans policiers, c’est loin de ses habitudes (lisez Denali). Patrice Gain est un auteur qui noie ses personnages dans la terre qui les entoure, qui étudie les corps et les esprits formatés par une nature qui n’est ni violente ni acceuillante, qui est, c’est tout.

François Braud

Livre acheté en librairie, Les Instants libres

post recensé sur bibliosurf

3 réflexions sur “Le constat amer d’un père

  1. Salut François, je ne lis pas ton avis puisque je ne l’ai pas encore lu. Par contre, je vais consacrer une semaine complète à Patrice Gain avec mes avis sur Terres fauves, Le sourire du scorpion et enfin les Brouillards noirs. Plus je le lis, plus j’adore. Voilà un auteur supplémentaire dont je vais suivre fidèlement les parutions. Amitiés

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  2. Pingback: Les 10 polars de l’année 2023 | bro blog black

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