« Il t’a dit que tu regardais la mer comme un comptable ?« *
* La mariée de corail, page 449 (Roxanne Bouchard, L’Aube noire)
La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas lire… Celui-là, vous ne devez pas passer à côté, c’est un Polar 2023 ! FB
La Mariée de corail de Roxanne Bouchard (L’Aube noire, 2023, 448 pages, 21€90) est un des 10 polars de l’année 2023 ! Les 10 polars de l’année 2023 seront présentés lors d’une conférence à la médiathèque du Poiré sur vie le samedi 9 décembre 2023 à 11 heures (sur réservation). Régulièrement, sur bbb, un des livres sera mis en avant.
La liste en cours : Free Queens de Marin Ledun, Sans collier de Michèle Pedinielli, Revolver de Duane Swierczynski, La Femme paradis de Pierre Chavagné, Le Sang de nos ennemis de Gérard Lecas, Sambre, Radioscopie d’un fait divers d‘Alice Géraud. À suivre sur bbb.
Au programme ce jour : La Mariée de corail, Roxanne Bouchard, L’Aube noire, 2023, 448 pages, 21€90
« Toutes les morts suspectes constituent la fin d’une histoire, agente Lord. Mon rôle, c’est de trouver le début. » (p.214)
Il a un cellulaire mais ne décroche quasiment jamais. Il a un fils mais la communication passe mal ; une barre tout au plus. Il arrive sur une enquête avec 14 heures de retard. Sa collègue le lui reproche et ça coince entre eux. En Gaspésie de la belle province de Québec où on vit de ce que la mer nous prête sous le reflet et la surveillance de la lune, une femme a disparu à bord de son bateau La femme c’est Angel Roberts qui « a la foi rêveuse des damés de la mer » (p.15), une des rares femmes à pêcher dans le coin, celui des pécheurs de morue, de crevettes, de homards. Son bateau c’est un homardier, L’Échoueuse II.
Joaquim Moralès est appelé pour en devenir l’enquêteur. Ça ne l’arrange pas, son fils Sébastien vient d’arriver. Que veut-il ? Et sa femme qui ne le rejoint pas ici, depuis des mois, qui est restée là-bas. Que fait-elle ? Et son chum Cyrille qui est en train de mourir et qui attend qu’il lui raconte la mer, chaque jour, la mer qui épuise même le vent « fatigué par sa journée de travail à fouetter la mer, à brasser l’écume, à tenir les vagues en éveil. » (p.104)… Il hésite puis finit par y aller : « – Parce que c’est une femme qui a disparu » (p.40) et, comme le dit Cyrille : « – Cette fille-là aussi, c’est la fille de quelqu’un ! » (p.47). Avec 14 heures de retard, comme le lui fait remarquer Simone Lord.
Le premier chapitre donne le ton. Empreint d’une poésie noire qui ne laisse d’autre espoir que celui de se réjouir d’avoir vécu : « Elle ouvre grands les yeux, regarde la lune une dernière fois, et ne les referme plus. » (p.16), nous précédons Joquim Moralès dans son enquête en assistant à la fin d’Angel, à son identification, aux circonstances de son décès, au constat de sa disparition, à son rapport d’autopsie. « Il n’y aucun témoin direct dans cette affaire. » (p.15), ne manque que son instigateur…
La Mariée de corail est un roman d’une grande empathie, qui prend le temps de cerner les âmes, le territoire et la mer qui l’enserre. Il s’agit du portrait, de la photographie d’une femme, qui, imprimé en Joaquim Moralès, va rejoindre les autres. « Tous ces portraits cumulés, dont il ne parle jamais, ont créé un recueil de souffrance qu’il porte dans sa mémoire tel un album de famille. » (p.69)
« On manque tellement de réponses pour les vivants, il ne faut pas en demander trop aux morts. » (p.213)
Car il a deux familles Moralès qu’il tente de comprendre : celles des morts pour qui il cherche une explication, avec des personnes qui se taisent définitivement et celles des vivants avec laquelle il aimerait tant s’expliquer mais, qu’en taiseux qu’il est, il n’ose aborder de face. Sébastien son fils, le sait bien, il est pareil : « Son père est un silence qui ne s’ouvre pas, qui s’entrebâille à peine. » (p.196)
Et le fils, il est venu pour faire danser les filles du coin ? Se saouler et faire des « expériences culinaires » ? C’est ce qui lui est venu à l’esprit pour expliquer son arrivée. Et sa blonde alors ? Joaquim ne comprend pas. Mais comme lui explique son collègue Lefebvère, son fils ? « Il est bien parti pour mal finir. » Car, « je sais pas si t’as remarqué, mais quand on aime, on regarde juste une femme » (…) « comme si toute la beauté se condensait en elle. » Quand un gars fait danser plein de filles, ça veut dire que la beauté se disperse. » (p.118)
Et Angel, a-t-elle aussi un problème de cœur, de vie au point d’en finir, seule, en mer, avec son homardier ? C’était son genre ? « Son genre, enquêteur Moralès, c’est de rester vivante. » (p.182)
Serait-ce un veule problème d’argent ? « La même affaire que partout le long de la côte : ceux qui étaient riches sont devenus plus riches. Pis ceux qui étaient pauvres ont fermé leur gueule. » (p.333)
La famille, nucléaire d’Angel, la grande, des pécheurs est plus proche du banc solidaire ou du panier de crabes ?
« Tout n’est ni noir ni blanc (…) Il y a plein de zones de gris (…) Il n’y a pas que de tonalités de gris (…) mais des milliers de couleurs. » (p.351)
La morale de cette histoire nous est donnée par Cyrille, à Sébastien, juste avant de faire le dernier voyage : « Continue à regarder la mer pis je te le jure : à un moment donné, tu vas la voir. » (p.155)
Une autre formule du doigt et de la lune…
Un roman magnifique, une claque qui a le goût salé d’un baiser. Qui donne envie de se plonger dans le premier roman, Nous étions le sel de la mer.
« Les criminels s’inventent une histoire à laquelle ils croient. » affirme Moralès. Nous, non seulement on y croit mais on adhère à La Mariée de corail.
François Braud
papier déjà publié sur bbb, là
source : livre reçu en service de presse, merci à Isabelle Lacroze
passeur : j’ai découvert Roxanne Bouchard sur le site de sa maison d’éditions et elle m’a de suite parlé
bande sonore : papier écrit en écoutant Plume Latraverse, comme Ti-Jésus ou Le Blues de la bêtise humaine
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