Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre H (2ème et dernière partie)

« Le temps est venu de prendre les comiques au sérieux. »*

* Michel Lebrun

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré : « Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime. » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB * JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

C’est déjà du passé…

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

INVITÉ La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéanceAkkouche / Aztèques dansantsWestlake)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La)Jonquet / Battisti / Bête et la belle (La)Jonquet / Bialot / Bible)

INVITÉ La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black BlocsMarpeau / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une)Pouy / Brouillard au pont de BihacOppel / Bruen)

INVITÉ La contribution au CDAP de Jean-Bernard Pouy (auteur de En attendant Dogo), B comme Bruen.

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craquéDessaint / Cadavres ne portent pas de costards (Les) – Reiner / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuseGranotier / Chuchoteur (Le)Carrisi / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des poncifs, Condor (Le) Holmas, Michael Connelly)

Lettre C, partie 3 / À télécharger, (John Connolly, Contrat, Cosmix banditosWeisbecker, Coup du bandeau, Couverture (4ème de), Critique, Cuba, Cummins et BACK in ABC).

INVITÉ La contribution au CDAP : C comme Connolly par Pierre Faverolles (blogueur blacknovel1)

Lettre D, partie 1 / Téléchargez ? (Dahlia noir (Le)Ellroy, DamagesKessler, Kessler et Zelman, Del Árbol (Victor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) – Daeninckx et DexterLindsay/Manos Jr)

La contribution au CDAP : D comme Dahlia noir (Le)Ellroy – par François Guérif (éditeur Rivages, Gallmeister)

Lettre D, partie 2 / À télécharger, ici (Dicker Joël / Dictionnaire Amoureux du Polar (Le) de Pierre Lemaitre / DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède / Divulgâcher, Donneur (Le) Akkouche / Doyle (Conan) / Drôles d’oiseaux Camus.

INVITÉ La contribution de Frédéric Prilleux au CDAP (auteur et spécialiste BD polar, blogueur bedepolar) : D comme Dredd (Le Juge)

Lettre E / Cliquez pour télécharger (Edogawa Ranpo, Encrage, É(L’) ou le polar lecture facile et Excipit (et incipit)).

IINVITÉ La Contribution d’Éric Libiot (journaliste écrivain – Clint et moi, On a les héros qu’on mérite) au CDAP avec le E de La Disparition de Perec et Echenoz.

Lettre F / Téléchargez le post (Fanzine, Fausse piste de Crumley, Faux roman policierGrand maitre de Harrison, Festivals, Fight Club de Palahniuk).

Lettre G, partie 1 / Cliquez pour le téléchargement (Gang de la clé à molette (Le) d’Abbey, Gendron, Goodis).

IINVITÉ La Contribution de Philippe Claudel (auteur : Les âmes grises, Le Rapport de Brodeck, Crépuscule, pour Edward Abbey).

Lettre G, partie 2 / Téléchargez ici ((Le) Grand monde de Pierre Lemaitre, (Le) Grand soir de Gwenaël Bulteau, (Le) Grand sommeil de Raymond Chandler et le film d’Howard Hawks et Jean-Christophe Grand G (Grangé)).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Hélène Martineau, libraire des Instants Libres au Poiré sur vie (Le Grand monde de Pierre Lemaitre)

Lettre G, partie 3 / Le téléchargement, c’est (Gravesend de Boyle, Jean-Paul GuéryLa Tête en Noir, Gunther – héros de Philip Kerr, Jeanne GuyonRivages).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Stéphanie Benson, auteure (collection Tip Tongue) pour Bernie Gunther de Philip Kerr.

Lettre H, partie 1 / Cliquez ici pour le téléchargement (Haine pour haine (Eva Dolan)Happy ValleyHardy Cliff (Peter Corris), Hannibal et Harris ThomasHole Harry (Jo Nesbo) et Himes Chester (Harlem).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Thierrry Maricourt, auteur (Hautes conspirations, La Déviation), spécialiste des littératures nordiques pour Jo Nesbo.

tome 17

SOMMAIRE

appés ou hypnotisées par la partie 1 de la lettre H (match aller) et par ses habitants (Haine pour haine / Eva DolanHappy ValleyHardy Cliff / Peter CorrisHannibal / Harris ThomasHole Harry / Jo Nesbo et Himes Chester / Harlem), vous devriez hennir de bonheur avec la bibliographie du match retour (H, deuxième et dernière partie). Au programme aujourd’hui :

Hinkson Jake,

Homme qui marchait sur la lune (L’) / Howard McCord

Homos privés & flics

Huit cent treize

Humour

Hinkson Jake

« Les deux obsessions de mes jeunes années – la religion et le crime – m’habitent encore aujourd’hui.« 

ypocrisie est le maître-mot du travail de romancier de Jake Hinkson (né en 1975 en Arkansas). Il n’a de cesse de dépoiler les bigots et de désaper les dévots mais, venant de ce milieu rigoureux rigoriste réac, s’il l’asperge de toute son acidité roborative, il n’en garde pas moins une certaine tendresse pour certains personnages qui, par la pureté qu’ils perdent au contact de la société, du mal et de l’hypocrisie ambiante, gardent en eux cette fraîcheur qui fait qu’on peut croire encore, deux secondes, à l’humanité.

« Ce n’est pas facile d’enseigner la grammaire dans les Ozarks. » (page 225*)

* Au nom du bien (ANDB) de Jake Hinkson, Dry County, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister, Totem n °169, 2020, 328 pages, 10€.

« Ces péquenauds de l’Arkansas, ils sont méchants comme des teignes. J’ai un de mes oncles qui est allé là-bas en 1913. J’ai pas de nouvelles de lui depuis. » (page 14*) Les Ozarks et « ses replis obscurs » (LEDCS**, page 159), partagés entre Missouri et Arkansas, est la région souriante des romans de Jake Hinkson, l’Amérique trumpiste blanche (« Parfois on fait fuir des nègres qui sortent de leur coin de la ville pour débarquer dans le nôtre. », LEDCS, page 77). Mais aussi l’Amérique hypocrite de la ville de Little Rock ou, le plus souvent, du bled de Stock, dans lesquels même le cinéma a du mal à s’implanter, ce qui n’est pas le cas en revanche de la religion. L’Église baptiste (Pour une Vie Meilleure ou Du Tabernacle Racheté Par Le Sang) est toujours prospère, emportée avec fougue par des pasteurs qui, s’ils n’ont pas la langue dans leur poche n’hésitent pas à la fourrer un peu partout ou tentent de concilier leur vie pastorale et leurs communautés avec leurs aspirations moins bien reluisantes que le vernis qui les couvre…

* Sans lendemain (SL) de Jake Hinkson, No tomorrow, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister, Totem n °119, 2019, 258 pages, 9€50, Grand Prix de Littérature Policière 2018

** L’Enfer de Church Street (LEDCS) de Jake Hinkson, Hell on Church Street, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister, Totem n °85, 2017, 204 pages, 8€50, Prix Mystère de la Critique 2016.

« Chacun fait ses choix, et ils ont des conséquences. Il n’y a rien d’autre à savoir. Tout le reste, la religion, la rédemption, tout ça, ce ne sont que des âneries. » (SL) – page 251.

Ils sont partout, dans les villes et les campagnes, dirait l’autre : il y a le pasteur Geoffrey Webb, un arriviste* qui tombe amoureux d’une paroissienne de 16 ans* (« aussi sensuelle qu’une plaque de plâtre », LEDCS, page 34) et qui fera tout pour le cacher, il y a le frère Obadiah Henshaw un aveugle illuminé qui voit le malin briller partout, dans le cinéma mais aussi dans les yeux de Billie Dixon qui scrute sa femme Amberley pour en faire une Ève souillée (SL), il y a la famille du pasteur Stevens dont la fille, Lily, 18 ans, enceinte d’un fiancé qui disparaît quelques jours avant le mariage** et il y a Richard Weatherford, le pasteur père de famille, cinq enfants au compteur, qui va devoir cacher son homosexualité en plein week-end pascal et pour cela il va falloir faire plus que mentir (ANDB).

* « Cela me frappa de plein fouet, comme une inspiration divine. La religion est le boulot le plus génial jamais inventé, parce que personne ne perd jamais d’argent en prétendant parler à l’homme invisible installé là-haut. Les gens croient déjà en lui. Ils acceptent déjà le fait qu’ils lui doivent de l’argent, et ils pensent même qu’ils brûleront en enfer s’ils ne le paient pas. Celui qui n’arrive pas à faire de l’argent dans le business de la religion n’a vraiment rien compris. » (LEDCS, page 30)

** Rattrape-le ! (RL) de Jake Hinkson, Find him, traduit par Sophie Aslanides, Gallmeister, 2022, 378 pages, 24€40.

« – Papa, comment c’est possible qu’il y ait des gens qui pensent qu’on descend des singes ? » (ANDB, page 58)

Jake Hinkson pourrait être d’une méchanceté redoutable tant il connaît bien l’Église, ses pasteurs, ses diacres et ses ouailles, tant il sait que ces communautés sont rongées elles aussi par tous les péchés capitaux, la luxure au premier chef, évidemment, et il sait ce qu’est de vivre dans une région oubliée du temps, de la modernité et de la profondeur, dans lequel la surface prime : « Ma mère croyait à la surface. (…) Elle m’a appris que la surface a de l’importance. » (ANDB page 203) Il aime alors gratter la couche de vernis, la voir s’écailler et mesurer l’étendue des dégâts, percer la surface et plonger dans les profondeurs, remuer le couteau dans la plaie et voir comment le corps et l’âme réagissent. Mais ce n’est pas pour autant qu’il s’en réjouit. Il essaye de comprendre et de soumettre la foi à l’épreuve de la réalité, comme quand on met la croyance face à la science pour voir comment elle s’en sort. Et chaque personnage qu’il fait souffrir doit avancer, péleriner sur son chemin de croix, quitte à oublier, un temps, les paroles du seigneur et les sentences de la Bible : « Comment se fait-il qu’ils ne se rendent pas compte à quel point tout ça, ce sont des conneries ? » (LEDCS, page 113)

Mais on sent souvent une forme de tendresse s’insinuer et bouleverser certains personnages pour que l’après remette en cause l’avant, définitivement. Si les caresses ne reculent devant rien, les coups permettent parfois d’avancer. Bille Dixon, la touchante héroïne de Sans Lendemain, lesbienne qui se bat dans un milieu d’hommes, va aller jusqu’au bout de son désir avant de comprendre que c’est une envie de mort qui l’habite: « Toutes les personnes que vous connaissez ne sont que des cadavres attendant leur heure. » (SL, page 245) Lily Stevens s’accroche à son rêve, son amour, son mari qu’elle veut retrouver mais elle tient aussi « à sauver sa famille et se sauver elle-même, en retrouvant ce garçon » (RL, page 192) encore plus à la vérité : « J’en ai assez que d’autres personnes décident de ce que j’ai besoin de savoir. » (RL, page 175) Et la femme du pasteur dans Au nom du bien, Penny Weatherford a soif aussi de vérité, qu’elle appelle alors confiance, partage, famille et quand elle la connaît, si dure, si folle, si incroyable soit-elle, elle accepte, ingère et en fait la sienne dans une scène qui se conclut par : « – Lèche. » (page 317)

« Je ne suis rien d’autre qu’un corps. » « Comme c’est étrange que nous soyons des corps et des personnes ne même temps. » (ANDB pages 267 et 108)

Derrière cette flagellation en forme de rédemption, il y a cette dichotomie entre le corps et l’esprit, cet infichu accord possible entre ce que l’on est et ce que l’on fait, ce que l’on pense et ce que l’on dit, ce que l’on cache et ce que l’on révèle. C’est bien évidemment un programme bien plus politique et qui dépasse de loin la religion même si c’en est le cœur : » La frontière mexicaine a plus de trous qu’un morceau de gruyère. [Trump] a raison sur ce point. Y a toute sorte de gens qui débarquent tous les jours et bouffent les allocations, font baisser les salaires, arrêtent pas de faire des gosses. Faut que quelqu’un arrête ça. » (ANDB, page 89)

Mais Jake Hinkson, c’est aussi un formidable narrateur, équipier modèle dans l’équipe des tourneurs de pages, et pointeur fidèle des happenings finaux. Méfiez-vous ! J’ai ouvert L’Enfer de Church Street* et j’en suis là : quatre Hinkson au compteur et j’attends de lire le 5ème (L’Homme posthume, Gallmeister, Néo Noir n°9, 2016, 174 pages, 15€50, The Posthumous Man, traduit par Sophie Aslanides, 20) et je guette la nouveauté.

* grâce à Hélène Martineau, ma libraire

Si vous aimez Jim Thompson, vous aimerez Jake Hinkson.

Alors ? Et vous ? Vous en êtes où à propos de Jake Hinkson ?

Homme qui marchait sur la lune (L’)

istoriquement parlant (encore), ce fut mon premier Gallmeister lu. Je l’avais reçu en service de presse par Oliver Gallmeister qui, à cette époque, faisait tout tout seul. L’Homme qui marchait sur la lune* était traduit par Jacques Mailhos avait déjà ce qui allait faire le succès de la maison d’éditions ; qualité (du texte et de la traduction), grands espaces américains, nature writing, être humain en proie à de profonds tressautements de l’âme et cette infinie sensation du noir et de ses marges* qui vont pousser Oliver Gallmeister à fondre tous ses ouvrages dans une seule et même collection, du moins, sans la traditionnelle frontière blanche noire. C’est devenu le Totem n°10, de la collection poche de Gallmeister.

* Nature writing et roman noir sont, d’après Oliver Gallmeister, les deux apports de la littérature américaine à la littérature mondiale : le rapport à l’espace, à la conquête de l’espace, à sa destruction et le rapport à la contestation sociale, ce rapport entre le bien et le mal. (à écouter ici)

* L’Homme qui marchait sur la lune, Howard McCord, Gallmeister, Totem n°10, 2017, 128 pages, 8€20

« Je ne savais pas si l’on me suivait, et cela m’était égal. Je crois que si j’avais croisé quelqu’un ce jour-là, ou le suivant, je l’aurais abattu sans hésitation et sans plus de motif que l’agacement suscité par sa présence. C’était à cause de ce genre de sentiments que je passais ma vie sur la Lune ou en des lieux semblables. Je ne suis pas de bonne compagnie pour les autres, je le sais. »

Je l’avais lu, apprécié et critiqué à sa sortie en 2008 (Mille signes, pas plus, espaces compris, parus dans Émancipation). Lisez plutôt.

Le livre se termine avec ce double constat lucide et limpide : « Les vraies affaires du monde sont les ombres (…) Ernst Jünger a écrit que les soldats sont « des travailleurs dans l’espace de la mort », Arbeiter im tödlichen Raum, et selon cette acceptation je fus longtemps soldat. » et « Nous sommes tous lumière, lumière dans notre chair pondéreuse, lumière dans notre sang qui pulse. Nos douleurs sont lumière, nos os, nos étrons étincelants, nos fièvres et nos rêves : tout est lumière. » (pages 122 et 124)

Homos privés & flics

éros de romans noirs sont couvent couillus et hétéros, les héroïnes, elles, plutôt fatales et hétéros. La doxa majoritaire a, non seulement, trusté les premières places mais aussi faisandé les deuxièmes, pour ne pas dire s’est gaussé des inverti.e.s : des gouines et des pédés. On a eu longtemps la discrimination facile dans le noir même chez les plus combattifs et progressistes, notamment chez nos voisins d’outre-Atlantique : « Ce qui est vrai de la culture mainstream l’est également pour la culture pulp Pendant l’entre-deux guerres, on ne trouve guère de représentation de l’homosexualité dans le polar américain qui ne soit caricaturale ou phobique. Qu’on pense à Wilmer Cook et Joel Cairo dans The Maltese Falcon (1920) de Hammett, à Winston Hawes dans Serenade (1937) de James L. Cain, à Arthur Geiger dans The Bik Sleep (1939) de Chandler : mignons sadiques, criminels efféminés, manipulateurs méphistophéliques, trafiquants de photos pornographiques et maîtres chanteurs. Preuve que des auteurs progressistes sur le plan politique ou racial pouvaient être réactionnaires quand il s’agissait d’orientation sexuelle. » (page 288)*

* Benoît Tadié, Front criminel, Une histoire du polar américain, de 1919 à nos jours, puf, 2017, 385 pages, 22€

Ce que l’on pourrait résumer ainsi : communiste, oui, Noir, oui, gouine ou pédé, non. Le premier protagoniste homosexuel, Olsen, dans The Shadow Before (1932) est un ouvrier qui se fait passer à tabac lors de la grève de son usine. On tente de le pousser à dénoncer un meneur dont il est amoureux. Et l’efféminé ne lâche rien. Il est amusant de voir qu’un des tous premiers héros homosexuels de romans noirs, Dave Branstetter, sous le clavier de Joseph Hansen, en 1970 (parution en France en 1971) enquêtera dans Un blond évaporé (Série noire n°1408) sur la disparition d’un homme Fox Olson en 1967. Du e à l’o, le parallèle est troublant ou tout du moins amusant.

Homos, amours et emmerdes

Longtemps le hard-boiled va phagocyter l’homo dans son rôle de tante effarouchée ou de dépravé pornographe. La guerre passe mais les préjugés restent : « Dans les années 50, l’homosexuel est rarement à la fête » écrit Claude Mesplède dans son DILIPO* (page 883, 2ème édition), que ce soit « chez Spilane, C.F. Adams, Richard Prather ou McPartland, qui, dans Le Bal des piqués, les considère comme des êtres dépravés. » Et les Européens ne sont pas en reste dans ce noir tableau : « Même appréciation péjorative chez Scerbanenco » [l’Italien] et « l’homosexuel sert souvent d’exutoire ou de bouc émissaire au héros. » Rares sont alors ceux qui rament à contre-courant, comme John Evans ou Ed Lacy.

* DILIPO = DIctionnaire des LITtératures POlicières, sous la direction de Claude Mesplède, Joseph K., 2003, 916 pages, 50€

Et puis, ô tempora ! o mores !, times are changing, en 1966, George Baxt publie Drôle de sauna où évolue Pharoah Love, policier noir et bisexuel, en 1968, Joseph Hansen sort Homosexuel notoire dans lequel un Noir est soupçonné du meurtre de son amant et, en 1970, « coup de génie », selon Claude Mesplède, crée Dave Brandstetter, un enquêteur d’assurances homosexuel (« une tante d’âge mûr » – page 136*) à Los Angeles à la fin des années 60, travaillant pour son père (« un vieux satyre » – page 136 – qui collectionne les femmes). Et c’est sans doute la première fois que l’homosexuel est reconnu comme un personnage à part entière avec ses amours et ses emmerdes, sans fard, mais avec pudeur.

* Toutes les références de ce livre sont celles de l’édition de Rivages/Noir. C’est référencé et expliqué après.

Fadeout est publié en 1971 dans la collection Série noire (n°1408) sous le titre de : Un blond évaporé. On sait depuis ; la propension commerciale poussait la maison Gallimard à standardiser ses titres, sa pagination afin d’arriver aux 250 attendues (249 ici), et, pour se faire, n’hésitait pas à sabrer dans le texte (des chapitres entiers), à argotiser le style et à réécrire les titres (il fallait hameçonner le chaland). Grâce à François Guérif qui va republier le livre (et d’autres) sous le titre de Le Poids du monde (Rivages/Noir n°611) en confiant au traducteur, Pascal Loubet, la tâche de « respecter le texte », ce qu’il fait, on découvre alors trois chapitres amputés au texte de la Série noire (traduite par Florian Robinet), les 10, 13 et 22 (le dernier !). Certes, ces trois-là, n’empêchent pas de cerner l’intrigue mais dégraisse l’histoire d’une part capitale : la relation qu’entretient Dave Brandstetter avec Madge, une amie lesbienne et le sexe partagé avec Anselmo, un jeune homo d’à peine dix-huit ans qui rêvait depuis toujours de coucher avec Dave. C’était sans doute trop osé pour l’époque et comme narrativement, ça « n’apportait rien »… Mais du coup, comment comprendre la quatrième de couverture de l’époque et sa dernière phrase ? « Vingt ans d’humiliations et d’échecs à écrire des romans que refusent tous les éditeurs, et puis, soudain, le succès, foudroyant La radio, le cinéma, la Télé allaient s’arracher Fox Olson, le chanteur de folk-songs quadragénaire. Et c’est ce moment-là qu’il aurait choisi pour se tuer, ou pour disparaître ? Non, il y avait un secret dans la vie de Fox Olson. Un secret honteux et misérable. »

Deux choses encore sur ce tour de passe-passe et de coups de ciseaux : en privant le lecteur la lectrice de l’époque de ces trois chapitres, on le prive là aussi de ce qui fait le sel du roman : : « Le poids du monde, c’est l’amour. Sous le fardeau de solitude, sous le fardeau de l’insatisfaction, le poids que nous portons est l’amour. » (page 120, édition Rivages/Noir n°611, 2006, 247 pages, 7€50) La citation d’Allan Ginsberg devait être trop intello, sans doute. Elle donnera le titre à la nouvelle édition : Le Poids du monde.

Maintenant qu’on sait tout ça, Le Poids du monde vaut-il la lecture que son originalité prétend ?

Oui parce que Dave vient de voir son compagnon mourir d’un cancer des intestins et que cela reste une clef de sa vie, un fantôme qui apparaît, le hante et le fait chanceler : « Brutale et vive, la vision du visage de Rod avait surgi devant lui, blanc comme un linge, les yeux remplis de terreur ; tel qu’il l’avait découvert dans la lumière aveuglante de la salle de bains, cette première nuit et pendant les horribles mois qui avaient précédé sa mort… » (page 15) Il en parle avec Madge, il en parle avec Anselmo, il en parle dans son travail. Il ne sait pas s’il va s’en sortir : « On peut arrêter d’avoir envie de vivre. On peut avoir envie de mourir de regret. » (page 64) Cette odeur d’hôpital est palpable et si Dave ne lui cède pas, c’est parce qu’il travaille et qu’il est persuadé que Fox Olson est vivant. Jusqu’à ce que l’on retrouve son cadavre, non pas noyé comme le laissait supposer sa voiture accidentée dans l’arroyo, mais tué d’une balle en plein cœur, sur une plage, quelques jours après son soi-disant accident. Si le problème passe de où est passé Fox Olson ? à qui a tué Fox Olson ?, la question reste la même : pourquoi a-t-il voulu disparaître ? Et évidemment, l’enquête va faire écho aux tourments de Dave. Si ce n’est pas un chef cœur absolu, c’est un roman noir original (au moins pour son époque), bien écrit et qui donne envie de lire la suite (11 autres romans). Hansen, avec ce roman, a le mérite d’avoir initié le courant et contribué à un autre regard sur la communauté.

Après ce roman, « le détective s’affirme comme personne « normale », évoluant à l’air libre et au grand jour, abandonnant les bars spécilaisés et bains turcs fréquentés par ses prédécesseurs noctambules ». « Le détective est sorti du placard et du souterrain débarrassé aussi bien de signes d’une culture minoritaire hip que des stigmates d’une féminisation caricaturale. » « C’est une victoire por la minorité, qui peut tomber le msasque de l’outlaw ou de la créature underground et gagner d’autres territories de la fiction. Pour le roman noir, c’est la fin d’une époque. »

* Pages 305-306, Benoît Tadié, Front criminel, opus cité.

« J’adore les préjugés et je ne supporte pas les pédés. » (page 44)*

Ainsi le Cubain Leonardo Padura, avec Électre à La Havane*, l’Anglais Dan Kavanagh (pseudonyme de Julian Barnes), avec son privé bisexuel Duffy (4 aventures dont Duffy dans lequel il peine à baiser Rachel mais arrive avec toutes les autres femmes et tous les autres hommes : face à elle, « il se retrouvait face à une grosse crevette posée sur une chataîgne » – page 94**), fichu à la porte de la police pour une scabreuse affaire de mœurs et Donna Leon, l’Américaine vénitienne, avec Un vénitien anonyme, creusent le sillon et offre des portraits plus réalistes, plus humains et plus sensibles.

* « […] tout était possible s’agissant dudit Alberto Marqués : homosexuel avec une longue expérience de prédateur, politiquement apathique, idéologiquement tordu, être conflictuel et provocateur, attiré vers l’étranger, hermétique, précieux, consommateur potentiel de marihuana et d’autres drogues, protecteur de pédés paumés, homme à la filiation philosophique douteuse, petit-bourgeois rempli de préjugés de classe, selon la classification sans appel d’un manuel moscovite d’évaluation des techniques et procédés du réalisme socialiste… Cet impressionnant curriculum vitae était l’aboutissement des rapports écrits, conjugués, résumés et même cités textuellement, de plusieurs informateurs, successifs présidents du Comité de Défense de la Révolution, cadres de l’ancien Conseil National de la Culture et de l’actuel ministère de la Culture, conseillers politiques de l’ambassade cubaine à Paris et même un prêtre franciscain, qui à une époque préhistorique avait été son confesseur, sans oublier deux amants pervers, interrogés pour des motifs de strict droit commun. Où merde suis-je venu me fourrer ?  » (Électre à La Havane, Máscaras, traduit par René Solis et Maria Hernandez, pages 43-44, Points Seuil, P1495, 2006, 253 pages, 6€80) + de Padura ? C’est .

**Duffy de Dan Kavanagh, traduit par Philippe Loubat-Delranc, Actes sud, Polar sud, 1992, 283 pages

L’Allemand Franck Goyke en fait le thème ou l’arrière-fond de toute son œuvre ou presque. Le Petit Parisien (Der Kleine Pariser, traduit par Brigitte Soelzer, Fleuve noir, 190 pages, 1996) a aussi une originalité, pas celle de mettre en avant l’orientation sexuelle des victimes d’un prédateur voulant nettoyer la ville de Leipzig de ses « rats » mais en l’ancrant dans une normalité (nous sommes au début des années 90) : il n’en fait pas trop mais il est cru et réaliste et, l’air de rien, contribue au changement de mœurs, au respect de toutes et tous : « Les pédés qui ne se laissent pas cajoler comme des chats castrés en sont pas bien vus. » (page 39), « – Que me veut la police ? demanda le « pédé en chef » de Leipzig, qui, quand il n’était pas occupé à « fédérer » les homosexuels, travaillait dans son agence artistique » (page 47) « – État civil ? – Actuellement sans femme. – Comment ? (…) – Je suis lesbienne. (…) – D’accord. (…) Il détestait les gens qui vous lancent leur préférences sexuelles à la figure avant d’avoir été présentés. – Et votre profession ? – Photographesse. » (page 104) Plongez dans ce roman pour découvrir une intrigue qui laisse à l’auteur le choix du style direct et elliptique, dans de courts chapitres mêlant les fils narratifs de la victime, du prédateur et du flic, et qui font de cette lecture un plaisir non dissimulé.

« – Vous êtes quoi, dit-il en riant pour cacher ce qu’il perçoit comme un rejet, une gouine ? – Oui. – Hein ? » (Tout ce qui est à toi…, Sandra Scoppettone, page 140).

À la même époque arrive sur l’étal, l’homo qui s’assume et vit son quotidien au jour le jour comme Lauren Laurano, la privée lesbienne de Sandra Scopettone, militante féministe. Première aventure avec Tout ce qui est à moi dans laquelle Lac, victime de viol finit la corde autour du cou mais il semble bien qu’on l’ait fortement aidé à la passer. Lauren a sa façon à elle de poser des questions entre deux silences et aime habiller les gens en les décrivant la première fois qu’elle les voit. Elle commence d’ailleurs par elle-même : quarante-deux ans, a « une liaison durable (onze ans déjà) et heureuse avec Kip Adams », thérapeute spécialisée dans l’hypnose, « cheveux raides et châtains » qui commencent à grisonner, « yeux marron », « nez grec » et petite : 1m57. Elle a son passé bien en poche : viol et homicide involontaire sur la personne de son collègue quand elle travaillait au FBI, démission reconstruction réorientation. Privé, elle développe une aversion envers les armes et une phobie de l’informatique. La modernité arrive et elle est déjà fatiguée d’apprendre mais ne veut pas d’aide. Alors qu’elle rencontre les membres de la famille éclatée recomposée de Lac, elle croise Gordon Peace, avec qui elle échange des livres, il est « grand » « avec des cheveux blonds toujours bien coiffés » et une moustache, « jeans noir serré et tee-shirt de la même couleur qui et met en valeur ses pectoraux » et peut-être gay, elle l’aime bien , mais le lendemain, il n’est plus là. Il a disparu. Avec son livre. Pas sn genre. Décidément ces temps-ci, on veut lui faire croire que les personnes qu’elle rencontre font des choses qu’ils ne font pas. C’est énervant. Mener deux enquêtes en parallèle, ça ne lui fait pas peur. On est à New-York ou pas ?

Comment aussi ne pas voir en Hap Collins et Leonard Pines de Joe Lansdale ou en Angel et Louis de John Connolly des héros comme les autres. S’il est vrai que Hap et Leonard sont au centre du jeu, Angel et Louis sont en retrait derrière Bird (voir Lettre C comme Connolly) entre New-York et la Louisiane. Mais il est amusant de constater que si chez Connolly, Angel, est un voleur blanc démocrate qui écoute de la soul et Louis, un noir républicain, fan de country, tous deux homosexuels et tous deux tueurs, chez Joe Lansdale, Hap est blanc et hétérosexuel et Leonard noir et homosexuel (au Texas s’il vous plait) qui vivent l’un chez l’autre et inversement, en tout bien tout honneur. Chez les deux auteurs, le premier américain plutôt vachard humour noir, le deuxième irlandais tendance ironie fantastique, l’homosexualité est partie prégnante de l’aventure, au centre ou à côté, mais elle est là, elle existe, elle est reconnue, le combat ne semble mené que dans l’intimité ou le quotidien. L’homosexualité devient une caractéristique, une qualité, pas forcément chez une victime, ni une dépravation ou une lutte. Pour rencontrer Angel et Louis, il suffit de suivre les conseils d’un spécialiste comme Pierre Faverolle (La Contribution, voir à la lettre C). Pour Lansdale, on peut commencer par le premier, Les Mécanos de VénusSavage Season, Folio Policier n°789, 2016 ou par le trépidant Tsunami mexicainCaptains Outrageous, traduit par Bernard Blanc, Série noire, 2007, réédité en Folio Policier n°691, 2013 dans lequel, grâce à une sorte d’héritage gagné aux poings pour sauver la vertu de la fille de son patron, Hap emmène son pote Leonard au Mexique mais les vacances ne sont pas si reposantes que ça au pays de l’eau d’agave.

On retrouvera aussi des héros héroïnes homosexuel.le.s chez Cornwell (la nièce du personnage récurrent, Kay Scarpetta), les journalistes Lindsay Gordon (chez l’Écossaise McDermid) et Sandra Kahn (Sadoul), la commissaire Hane Wihelmsenen de la Norvégienne d’Ann Holt ou l’avocat Henry Rios double de l’auteur Nava :  » « Sans le vouloir, j’en suis arrivé à rédiger la chronique de l’existence d’un homme qui n’est pas loin de mes contemporains gays. Et ce faisant, j’ai peut-être aussi également écrit une sorte d’autobiographie spirituelle. »

À noter grâce au talent de lanceur de lectures de Pierre Faverolle, le récent La colère de S.A. Cosby, sur ce thème, que vous pouvez retrouver ici.

Et le temps me manque pour en citer bien d’autres car, selon la blague éculée, ils sont d’autant plus nombreux qu’ils ne se reproduisent pas. Preuve, s’il en fallait une fois encore (?!) que « l’orientation sexuelle » vers le même sexe que le sien est partie intégrante de l’identité de notre monde (mais pas du leur, diront certain.e.s). Ce n’est qu’un combat, nous n’en sommes pas au début, heureusement.

Le thème m’a inspiré un roman, un feuilleton, que vous pouvez retrouver sur bbb : Je préfère les garçons.

Huit cent treize

exagonale l’association 813 mais son ambition est européenne, voire mondiale. Née en 1980, ce repaire de fondus et fêlées exhibe toute la palette teintée du polar, du whodunit couleur de thé japonais (Ranpo Edogawa) au noir soulagien de Lehane en passant par le neige beige d’Almendros et le grand gris de Garnier. Pour une cotisation dérisoire de 40€, vous voilà membre – à moins que le gang ne soit complet (on ne peut être statutairement pas plus de 813) – de l’Association présidée par Corinne Naidet – et récepteur de la revue trimestrielle. Et si vous caressez comme il faut la moustache de Boris Lamot, appelé le facteur, vous pourrez participer à la liste de discussions. Et aussi envoyer vos votes à Frédéric Prilleux pour les Trophées 813*, remis tous les ans (depuis 1981) à cinq catégories (roman francophone, étranger, nouvelle, BD, ouvrage ou blog* de référence).

* et cette année, broblogblack y est nominé

On y trouve toutes sortes de cinglés et allumées : lecteurs, lectrices, traducteurs, traductrices, auteurs, auteures, bibliothécaires, bibliothécaires, libraires, libraires, journalistes, journalistes, éditeurs, éditrices, correcteurs, correctrices, connus et connues, inconnus et inconnues qui échangent, s’écharpent et se congratulent sur toutes sortes de sujets : les faits divers, Horace McCoy, [Festival], Polar et IIIème Reich, [politik], Agatha la moderne, Enquête sur la traduction, [recontres], des entretiens et des hommages, des dossiers (Lansdale, Petits éditeurs) et contribuent à fournir à la liste de discussions des sujets et à la revue des chroniques, critiques et rubriques : Cases noires (Prilleux / BD), Morceaux choisis (Marchisio / musique), Court et sans sucre (Villard / nouvelles), Cinq bonnes raisons de lire (Denieul / feuilleton* critique), Séries sur canapé (Cohen / Séries TV), Polaroïds (collectif / infos)**…

* Cette rubrique a été tenue longtemps par un collaborateur de broblogblack, Le Fouton mièvreux et portait pour titre : Le feuilleton Triple S (à retrouver sur ce blog SSS – saison 1, 18 épisodes, 1er épisode, , saison 2 inédite en cours – 3 épisodes – dernier ici) ou encore Les Épîtres de Noiraud de Tarse (réédition en cours sur broblogblack).

** rubriques actuelles (n°145, printemps 2023)

Vous vous demandez sans doute depuis le début de la notule quelle est l’origine du nom de l’association ? Non ? Je vais vous le dire quand même : c’est un hommage au roman éponyme* et à son créateur, Maurice Leblanc, auteur populaire de romans policiers délicieusement whodunit qui a écrit aussi L’Aiguille creuse, dont je vous livre ici l’haïkaisation (pour vous faire saliver, vous hameçonner ou vous faire gagner du temps, c’est vous qui lisez, hein ?) : « Raymonde prêta l’oreille dans l’ombre profonde. »

* Heureusement qu’ils n’ont pas choisi Les huit coups de l’horloge ou pire Les trois yeux

J’ai cru bon de demander à Corinne Naidet de nous éclairer sur cette association pas comme les autres. Elle s’est soumise au célèbre Cinq sur Cinq. Et selon la formule que le monde de l’interview m’envie : ce sont mes questions, voici ses réponses.

5 sur 5 avec Corinne Naidet

Ça fait quoi d’être à la tête d’une association unique (?) d’amateurs et de professionnels du « genre que nous aimons » (Manchette), « notre objet de passion » (Pouy) ?

Je n’ai jamais pris le mot de présidente au pied de la lettre, même si au bout de quarante ans j’ai apprécié mettre un « e » au bout de ce mot. C’est une responsabilité enthousiasmante, il faut mettre nos pas dans les sillons déjà tracés mais aussi innover. Il faut répondre aux attentes de nos adhérents, parfois les surprendre plus rarement aller au front !

C’est surtout après des heures et des heures de travail parfois pénible et pour tout dire rébarbatif, faire des rencontres. La littérature, le noir en particulier, ce n’est pas un objet, ce n’est pas du papier, ce sont des personnes !

Qui est votre « sans qui, rien n’aurait été possible » ?

Claude Mesplède, sans aucun doute. Au début des années 2000, et ce depuis longtemps,  il était partout et représentait la passion du genre à lui tout seul ! Il semblait tout connaitre, et son DILIPO l’a prouvé. Il était surtout le sourire qui accueillait chacun – dont moi – et qui mettait en relation les professionnels et les amateurs, les nouveaux écrivains avec les plus aguerris. C’est lui qui a déclaré un jour : « 813 est au polar ce que le nougat est à Montélimar ! » Quel parrain !

Pourquoi lire du noir ?

Parce que cela m’aide à vivre ! Parce que lire certains auteurs entre en résonnance avec mes propres convictions, mes idées. Parce que le noir décrit le monde quand il ne va pas bien, hier, aujourd’hui, demain. Parce que c’est une pépinière d’auteurs de grande qualité, qui souvent, contrairement à d’autres formes de littératures qui ronronnent, innovent et créent du mouvement. Parce qu’à lire du noir, on s’y sent moins seule !

Militer pour un genre qui truste les ventes, est-ce bien raisonnable ?

Certes, le genre, est d’après les statistiques, le plus vendu en France. Mais quand on entend encore dans un festival : « Mais après vos polars, c’est quand que vous écrivez un vrai roman ? » ou dans une célèbre radio : « Ah voilà enfin la rentrée littéraire, fini le polar de l’été, vite lu, vite oublié », on sent qu’il y a du chemin à parcourir. Tout fait sens, et l’on peut remarquer que la plupart des magazines sont dithyrambiques sur les romans noirs à l’approche de l’été – série de nouvelles, chroniques multiples – alors que le nombre de critiques le reste de l’année se compte sur les doigts d’une main (allez, j’exagère, des deux mains !)

Parce qu’enfin, c’est un plaisir sans cesse renouvelé que de conseiller, dans une rencontre en médiathèque, en festival, Le lézard lubrique de Mélancholy Cove de Christopher Moore à quelqu’un qui vient de vous dire qu’il n’aime pas du tout le polar. Et le voir revenir l’année suivante rencontrer les auteurs présents.

Que va faire 813 en 2030 pour ses 50 ans ?

Quelle bonne question. Nous comptons sur tous nos adhérents, toi, entre autres, pour nous aider à fêter dignement cet évènement.

Pour ma part, je penserai encore plus fort à toutes les ombres qui sont constamment présentes au sein de l’association, qui furent à un moment à un autre dans cette planète polar et avec qui nous avons tant partagés. Des écrivains ou bien des adhérents, des militants de la culture partagée par tous. Souvent des amis.

Un verre à la main, nous trinquerons à toute cette histoire incroyable depuis le festival de Reims. Et nous imaginerons les 60 ans !

Corinne Naidet, présidente de 813

Merci Corinne !

Bon si avec ça vous n’adhérez pas ou ne vous abonnez pas à la revue… mais dépêchez-vous, il n’y a que 813 places.

Humour

a ha ha ! L’humour et le polar… Très drôle. Oxymore, incongruité, ridicule. Soyons sérieux. Justement. Comme disait (Habebamus papam) Michel Lebrun : « Le temps est venu de prendre les comiques au sérieux. » Et ça fait longtemps que j’ai fait mienne cette sentence pleine de bon sens. Le bonhomme parlait de Westlake et c’est vrai, que les autres se gaussent s’ils veulent, Donald reste le boss. Même mort.

Voilà ce que je disais de lui, dans le fanzine L’Ours polar, au siècle dernier, en 1999 :

Ça n’arrive pas qu’aux autres.

Ça arrive souvent au voisin, à l’ami, au cousin du collègue qui prend le café à la pause avec vous. Tout le monde en connaît un. Au début, on est persuadé que ça ne va pas durer. Qu’il saura rebondir. Se motiver. Prendre le dessus. Que ce n’est qu’un passage à vide, un moment difficile à passer. Puis ça dure… On s’en inquiète, un peu, pas trop, des fois que ce serait contagieux. Et puis, sans vraiment s’y attendre, ça vous tombe dessus. À vous !

Au début, on est persuadé que ça ne va pas durer. Qu’on saura rebondir. Se motiver. Prendre le dessus. Que ce n’est qu’un passage à vide, un moment difficile à passer. On y voit même une chance, un signe. Puis on guette. Ça n’arrive pas. Ça dure…

On se retrouve alors à tout budgétiser ; les sorties avec les gosses, limitées, l’abonnement à la chaîne câblée, supprimée, la voiture, au garage, le cinéma, oublié, le shopping, mis de côté. Le temps est venu de faire des économies. On se retrouve au chômage à cinquante balais. Et on doute. De tout. De sa capacité, de son courage, de ses compétences dans le milieu. De son utilité.

X – ce pourrait être vous – travaillait dans l’industrie du papier, et, « compression de personnel oblige», «coûts salariaux devenus exorbitants », « restructuration », « dégraissement », la boîte a pris des mesures, et il en fait partie. Le voilà licencié. X cherche une solution. Il bétonne à mort son CV. Il achète une cravate, suit les cours et les stages pour se recycler, apprendre à se vendre, à s’entraîner à être un winner. Il étudie le marché, consciencieusement, religieusement et X s’aperçoit qu’il n’est pas seul. Il existe, tout près de chez lui, d’autres personnes qui ont le même bagage que lui, un CV presque identique au sien et qui deviennent, ipso facto, des concurrents. Des ennemis. Et que fait-on des ennemis ? Quelle est la solution pour se débarrasser de ses ennemis ? Les éliminer. Eh oui ! Le problème se résout par l’élimination. Physique évidemment. X décide donc d’éliminer les adversaires qui pourraient, le cas échéant, lui piquer son boulot. Sa maison, son ordinateur, les sorties avec les enfants, son confort, ses traites, sa vie quoi.

X passe alors une annonce pour un job fictif auquel il pourrait postuler. Il trie les candidatures et en sélectionne six. Six CV pouvant lui faire ombrage dans l’obtention d’un futur boulot. Les éliminer, c’est se donner un avantage. Il décide alors de tuer ses six candidats potentiels.

Donald Westlake, grand comique devant l’éternel, à qui l’on doit le grandiose « Aztèques dansants » et bien d’autres livres où il met en scène Dortmunder, le bandit malchanceux, a décidé avec « Le Couperet » de tomber les masques et de rétablir une vérité libérale : je vis parce que j’ai écrasé l’autre.

X a une théorie implacable. Le meurtre est justifié et inéluctable. C’est la seule solution. S’ensuit alors une longue descente dans l’horreur, un meurtre en appelant un autre. La difficulté de tuer, le remords, le doute, la confrontation avec le quotidien. X tue parce qu’il veut vivre son confort parce qu’il a peur qu’on lui enlève sa télé, ses restaus, sa voiture. Et sa quête devient, au fil de sa narration, logique, probante, justifiée. X tue parce que la société ne lui laisse aucun autre choix. Et ça devient terrible, absurde et tellement crédible.

Vous l’avez peut-être déjà rencontré, ce cadre épuisé, à bout, qui est prêt à tout pour retrouver un job. C’est votre voisin, votre collègue, celui avec qui vous prenez l’apéro en sortant du boulot, l’ami de votre ami, le cousin de votre voisin. Il est proche de vous, vous l’ignorez, mais il est là qui vous guette. Il vous regarde de biais. Prenez garde, il a peut-être déjà en tête une solution radicale pour prendre votre place. Méfiez-vous !

Bon, évidemment, vous allez me dire que je prends le contre-exemple de ce que je veux prouver avec un des rares livres sérieux de Westlake… Pfff… D’abord, Le Couperet (Rivages/Noir collector, 2014, 374 pages, 10€) n’est pas un livre sérieux, c’est un livre noir, nuance… et, ensuite, ce n’est pas rare que Donald Westlake écrive du noir, il en a même écrit des palanquées (Le Contrat, Ordo, la série Parker sous le pseudonyme de Richard Stark…) et enfin, vous pouvez dire ce que vous voulez, moi, j’écris ce que je veux. Et toc dans l’éthique.

Plus sérieusement. L’humour ne prête pas à rire. Il s’en sert. Rire n’est jamais gratuit. Rire est incisif, décisif même. Rire tranche dans le vif. Et puisque vous avez besoin de théorie, je vous livre de suite La Contribution de Francis Mizio, docteur ès flamants roses, expert en brouette et adepte professionnel de la sieste pré-postprandiale, c’est vous dire s’il réfléchit, je vous préviens, il le dit d’ailleurs : ça va « être super sérieux, sinon chiant. »

La Contribution de Francis Mizio

Polar humoristique : ce devrait être quoi, le job ?

À l’invitation (*) de François pour sa lettre H comme Humour de son Contre Dictionnaire Amoureux du Polar, voici un article qui n’engagera que moi, mais qui veut poser une question que je soumets à votre sagacité : « Polar humoristique : ce devrait être quoi le job ? » Désolé, je vais être super sérieux, sinon chiant.

Comme dans le polar on est burné, on va s’empoigner les deux choses une à une. La première, c’est le polar, la deuxième c’est l’humour. Et ensuite, forcément, sous cette pression, on va pousser un long cri.

Le polar : on m’a seriné quand je suis arrivé dans le « milieu » (milieu de quoi ? Passons, ce n’est pas le sujet) que le polar, fort des Grands Anciens du Néo Polar que ce devait être une littérature d’alerte, porteuse de messages politiques ou sociétaux, qui relève le tapis pour révéler toute la merde cachée en dessous — évacuant le roman policier, de chambre close, de mamies à bégonias, etc.). Ce en quoi, eh bien, je suis complètement d’accord. Un polar qui ne me dit rien, un polar qui ne roule pas une pelle à une figure sociétale, politique ou humaine pas nette ne m’intéresse pas — en notant toutefois que le genre par nature moral, moraliste, justicier, n’est en vérité que rarement révolutionnaire (De fait, si tous les lecteurs de polars étaient vraiment indignés, ce pays serait à feu et à sang au-delà des 64 ans pour la retraite). Du polar qui dénonce : oui, plus que jamais. Non pas que je souhaite m’entretenir dans un état de dépression permanente à y lire parfois pire que dans la rubrique des faits divers ou des grandes vilénies de partout, à y lire des surenchères de violence non signifiante, mais voilà : j’attends même plus. J’attends quelque chose qui ressortit de la littérature — une posture à laquelle ne cesse et ne cessera jamais d’aspirer le polar — c’est-à-dire transcender le réel et d’essayer d’élever le client pour faire évoluer tous ces cons que nous sommes — et donc j’attends évidemment aussi ces ambitions du polar.

C’est très loin d’être toujours le cas.

C’est le premier terme de mon équation : il faut me dire quelque chose, sinon c’est de la distraction, de la tragédie platouille et désolante, du voyeurisme malsain, du défoulement politique, de l’alibi moral.  De l’engagement intellectuel de canapé.

Attention, si j’ôte l’exposition des trucs et des machins qui choquent comme dans les chiens écrasés, même brillamment mis en scène, je n’ai rien contre la distraction, la décharge d’adrénaline, l’indignation de salon, le sujet politique du moment ou le pur jeu intellectuel. Voire : j’aime ça, et parfois même moi aussi je prends plaisir à des trucs très cons. Mais on ne bâtit pas la force et la pérennité, sinon la crédibilité d’un genre sur des codes et des modèles simples, bruts et inchangés, qui sont aujourd’hui ceux de l’industrie du divertissement (scannez le catalogue de Netflix ou de n’importe quels éditeurs qui ont tous d’ailleurs un catalogue polar… À quoi bon écrire un polar « sérieux » de plus aujourd’hui pour dénoncer les magouilles d’ici ou de là ? Les motivations du Néo Polar sont elles-mêmes devenues un cliché rebattu…).

Si je parle de créateurs, et non pas de faiseurs, si je veux considérer le polar comme un genre noble, je m’intéresse donc qu’à celui qui essaie de s’élever des formats attendus et usés, qui se caractérise selon moi sur 3 critères :

1- Une identité > cet-te auteur/autrice est reconnaissable par son style et son mode de restitution du monde.

2 – Un univers > La vision et la retranscription du monde sont particuliers et identifiables.

3 – Un propos > la vision et la restitution du monde portent un propos consensuel ou polémique, mais, au minimum déjà si c’est pas trop demander messieurs-dames, elles en portent un. Ce qui serait pas mal, si vous avez ça en rayon, c’est en sus un propos qui ne serait pas convenu. Là, aujourd’hui… ça se complique.

Ça, c’est mon premier filtre. Ça vous vire déjà pas mal de monde du fichier Excel. Mais, certes, il en reste quelques-uns. Pour le polar humoristique, je vais prendre le même filtre, mais je vais en ajouter un deuxième, que je considère être une exigence supérieure.

Le polar humoristique : je vais être d’autant plus à l’aise pour taper dans le tas que je vais inclure dans le rebut à délaisser mes propres polars comiques passés. Si on prend pour postulat que la littérature prétend donner du sens et avoir une identité, et puisque le polar exigeant prétendrait tout en étant tragédien à faire littérature, alors le polar humoristique doit à mon sens dépasser ce qu’il fait que de trop : le pastiche, la parodie, le jeu avec les codes et la gesticulation, qui n’élèvent loin s’en faut pas le genre, qui ne le font pas progresser, n’aident toujours pas à sa reconnaissance malgré son omniprésence, même s’il y a de grands maîtres et virtuoses en la matière d’art de la pantalonnade.

L’humour dans le polar, selon moi, se doit d’être dans la subversion ultime : non pas porter du factuel pour simplement dénoncer en ricanant (le ricanement est une défaite de l’humour, il a tout neutralisé) un quelconque travers qui relève du sketch de stand up, mais il se doit de prendre de la distance, s’emparer des faits, pour les biaiser et les recracher dans une démarche idéologique assumée (— de préférence progressiste, hein). Le polar humoristique se doit d’être idéologiquement plus pervers, plus manipulateur que le polar commun le plus aboyeur et corrosif soit-il. Le polar humoristique doit chercher à rire avec vous et contre vous. Vous faire adhérer à sa vision et l’état du monde dans lequel vous êtes, désolé de vous le dire, compromis. Mettons que je dénonce comment on a jugulé une grève de mineurs avec des milices privées : je montre. Vous serez d’accord, on est bien d’accord : le mal, c’est mal. L’injustice, c’est injuste. On pourra accuser l’auteur de biaiser les faits, de ne présenter que ceux qui servent son propos, mais c’est tout. Si je le dénonce avec humour, j’élève le niveau à une interprétation qu’il sera impossible de contrer car il y a une lecture supérieure des faits qui sera insidieusement distillée — l’interprétation qui est induite et qu’on veut vous communiquer en faisant appel à votre intelligence — car, surprise, vous en avez une et n’êtes pas bon qu’à ingurgiter les mêmes schémas délavés — en vous malaxant l’esprit critique plutôt qu’en sollicitant vos réactions, émotions ou organes primaires. Le mal, c’est mal, mais toi aussi lecteur tu n’es pas clair et je te mets le nez dedans. L’injustice, c’est injuste, mais on s’est tous garé sur une place handicapée au moins une fois. Oui, tu le sais bien, lecteur chéri mon amour : Toi non plus, t’es pas clair et t’as le nez dedans. Le polar humoristique, à la différence du polar « simple » laissera le goût amer de l’impasse. Non, la justice ne triomphera pas tant que toi et moi lecteur ne cesserons d’être dupes sur nous-mêmes. Les polars humoristiques les plus optimistes laisserons vaguement entrevoir l’idée qu’on mobilisera notre intelligence pour vivre ensemble correctement… mais ça fait des millions d’années qu’on n’y est pas parvenus.

La majorité du polar humoristique actuel se contente d’être dans le pastiche, la parodie, le jeu avec les gimmicks du genre ou pire, la simple gesticulation burlesque. Ces romans ont le droit d’exister pour nous distraire (ce que je disais précédemment pour le polar de base) et parfois ils font du bien pour le fameux temps de cerveau disponible, mais ils n’apportent rien de plus qu’un téléfilm ou un film de cinéma de genre — sachant encore une fois qu’aujourd’hui le polar est omniprésent, devenu l’alpha et l’oméga de la majorité des fictions d’aujourd’hui, humoristique ou non. Le polar est devenu la tarte à la crème de toute fiction. À quoi bon, alors ? Après, si vous aimez lire mille fois la même chose, libre à vous…

En somme, (1ère partie > 2e partie > Conclusion, merde je n’en sors pas de cette structure), j’attends d’un polar humoristique qu’il soit  :

1 – pas un simple polar avec des blagues

2- pas une simple pochade gesticulante.

3 – qu’il dise vraiment des choses, avec vous et aussi, contre vous, c’est à dire en ayant une force supérieure au simple l’appel à la connivence (Rire avec, c’est ricaner ; rire avec et contre, c’est rire de soi, de tous… si de toute part il y a l’intelligence de l’auto-dérision). Cela implique des personnages fouillés et profonds, paradoxaux, pas des marionnettes. Cela appelle à de de véritables questions de fond. Dénoncer, même avec un brio de mise en scène, c’est du factuel. En rire, c’est interpréter, c’est proposer un axe de réflexion.

J’attends du polar humoristique qu’il soit satire, acide, matière à gamberger, auto-critique, émulation à se bouger le. Qu’il contienne un propos qu’on ne puisse contre argumenter car il aurait une véritable vision séditieuse et subversive du monde, en propre, fluide et insaisissable — bref qu’il m’élève du polar moraliste et indigné dans un cadre sociétal qui est toujours somme toute normé, balisé politiquement ; qu’il cherche à foutre la merde chez eux, chez toi, chez moi.

Le polar humoristique ne devrait pas être que punchlines, running gag et situations absurdes que font les autres, ces imbéciles. J’attends d’un polar humoristique qu’il confine à une véritable littérature de propos, qu’il soit à « un niveau méta », comme disent certains, du polar sérieux, grave. Car oui, parfois, et trop souvent, c’est vraiment grave (> ici un jeu sur la polysémie)

Avec ce deuxième filtre, vous allez pouvoir virer 99% des auteurs de polars humoristiques — et certainement moi. M’en fous : j’assume mes erreurs de jeunesse et, depuis, fort de ces conceptions, je préfère me taire (dans le polar du moins).

Je ne donnerai pas ici de noms passé à ces deux filtres : noms de perdants (j’en sais ; ils sont pléthore) ou noms d’élus (j’en ai trouvé — vraiment trop peu) — je suis déjà assez grillé comme ça — mais essayez de les appliquer et vous trouverez au fil de vos lectures facilement de qui je pourrais bien parler.

Francis Mizio

(*) J’ai été invité parce que j’ai pour réputation et spécialité de faire dans le comique quel que soit le genre littéraire, et aussi parce que j’ai lancé en avril 2022 VIS COMICA, une newsletter gratuite qui traite de la littérature et des écrits humoristiques (Abonnez-vous ! https://vis-comica.francismizio.net/). Accessoirement, mais ce n’est pas anodin, je dois le début de ma (loupée) carrière d’auteur à François qui fut mon premier éditeur, sous l’égide de La Loupiote.

Merci Francis.

Bon. Nous voilà bien. Les comiques qui vont suivre et que je considère comme le haut du panier (qu’on trouve souvent au fond du cabas) vont-ils passer les deux filtres de Francis ? Je ne sais. Si, en fait, je sais, je sais que Westlake les enjambera ces filtres car Francis lui voue une admiration maladive (parlez-lui d’Aztèques dansants, il est presque autant inarrêtable que si vous lui demandez ce qu’il pense de la nouvelle La Foire du crime* de Tonino Benacquista) et je sais que Schwartzmann sera recalé**. Cela dit, tranchons maintenant dans la production des nouilles comiques pour ne retenir que le gruyère qui nous fait fondre de rire et nous nous pose question comme on dit en réunion.

* La Machine à broyer les petites filles, Rivages/Noir n°169, 162 pages, 1993

** « Encore un roman noir drolatique gesticulant basé sur une ficelle idiote à laquelle on ne parvient pas à croire (le héros sosie de Kassovitz). C’est branché sur la vie des cités et le monde des producteurs cinéma, avec des quiproquos, des archétypes usés et l’argot d’jeun’s mais ça ne suffit pas pour amuser avec intelligence et présenter un regard particulier sur le monde et se dire « décapant ». On préfèrera regarder ça à la TV car c’est de ce niveau. On a mieux à lire. »  Francis Mizio à propos de Kasso de Jacky Schwartzmann. Pour contrebalancer, un autre avis, celui de Jack Never, sur bbb, , la preuve par les mots.

L’ancêtre sicilien : Andrea Camilleri (1925-2019)

copyright D. Carton pour Opale

Évidemment chez Camilleri (absent du DAP), c’est la langue qui frappe d’abord, d’emblée, d’entrée, puis ensuite, c’est l’humour franc, plein et grinçant pour enfin découvrir en Camilleri un juste observateur des splendeurs et de la décadence de la Sicile et de l’Italie… Ouvrir un livre de Camilleri, c’est sentir l’huile d’olive, les calamars grillés et le chianti, mais c’est aussi sentir l’ombre de la mafia et les travers du monde.

« – Dottori, qu’est-ce que je fis, je vous réveillai ?

– Cataré, six heures du matin, il est. Pile.

– En virité, ma montre marque six heures trois minutes.

– Ça veut dire qu’elle avance un peu.

– Vous êtes sûr, dottori ?

– Tout à fait sûr.

– Alors, je l’aretarde de trois minutes. Merci, dottori.

– De rien.

Catarella raccrocha, Montalbano aussi et il commença à retourner vers la chambre. À mi-chemin, il s’arrêta en jurant. Mais putain, c’était quoi ce coup de téléphone ? Catarella l’appelait à six heures du matin pour voir si sa montre était à l’heure ?« *

* La Patience de l’araignée, La pazienza del ragno, traduit par Serge Quadruppani, avec l’aide de Maruzzia Loria, 2007, Fleuve Noir, 210 pages, 20€). Tous les Camilleri grand format Fleuve Noir sont parus en poche Pocket me semble-t-il…

Aréveillez-vous !

Il faut savoir entrer dans le monde de Montalbano (absent du DAP), le commissaire d’Andrea Camilleri, non pas que le personnage soit antipathique, loin de là, non, c’est l’univers de l’auteur mâtiné d’une langue louvoyant entre l’italien et le sicilien, le parlé et l’écrit qu’a su, avec talent et inventivité, retranscrire son traducteur, Serge Quadruppani (une notule dans le DAP). Il faut s’y faire et pour tout avouer, j’ai eu du mal la première fois, je ne suis pas entré en collusion avec eux mais plutôt en collision, je n’ai pas trouvé la cohésion nécessaire à la poursuite de ma lecture. Et il est des livres qu’il faut savoir lire au bon moment. Ce n’était pas, pour moi, à cette époque, le bon. Je l’ai repris plus tard devant les louanges que m’en faisait une proche. Je me suis dit, ce n’est pas possible, j’ai dû passer à côté. Eh bien oui. Et je suis rentré à Vigate comme dans du beurre, riant aux biographies généalogiques des protagonistes* que subit Montalbano d’un de ses collègues ou aux réparties fumeuses de cet autre, Cataré, me tapant l’incruste à la table de Montalbano, allant même jusqu’à me promener au phare pour faire la digestion en me délectant des recettes que sa domestique culinaire, Adelina, allait lui préparer le soir et, bien évidemment, me tracassant comme Montalbano quand une pinsée lui traverse la coucourde et frissonnant de plaisir quand le commissaire s’écarte de sa fiancée Livia : « Elle avait mis une robe très légère, très courte et très moulante. On l’aurait dite peinte sur la peau. » (page 27, Jeu de miroirsIl gioco degli specchi, traduit par S.Q., Pocket, 2017, 250 pages). Bref, j’ai avalé quasiment tous les volumes. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer ce dialogue entre Montalbano et son ennemi de collègue, le questeur :

*«- Si tu te mets à débiter nom du père, de la mère et lieu de naissance de ces repris de justice, je te jure que je te fais manger la feuille. » (page 38, Jeu de miroirs, opus cité)

« – Qu’est-ce que tu veux ?

–Tu as quelque chose à dire ?

– Oui.

– Dis-la moi.

– Dis « s’il te plaît ».

– S’il te plaît.

– Demande.

– Où est-ce qu’elle a été tuée ?

– Là où elle a été trouvée.  

– Précisément.

– À côté de ce qui allait devenir la porte-fenêtre du salon.

– Tu en es sûr ?

– Très sûr.

– Pourquoi ?

– Là, il s’était formé carrément une mare de sang.

– Et ailleurs ?

– Rien.

– Rien que cette mare ?

– Des traces de traînées de la mare jusqu’à la malle.

– Vous avez trouvé l’arme ?

– Non.

– Des empreintes digitales ?

– Un milliard.

– Même sur le nylon qui enveloppait le corps ?

– Là, aucune.

– Trouvé autre chose ?

– Le rouleau de ruban adhésif. Celui qui a été utilisé pour les huisseries.

– Là aussi pas d’empreintes ?

– Rien.

– C’est tout ?

– Tout.

– Va te faire enculer.

– Pareillement. »*

* page 80, Un été ardentLa vampa d’agosto, traduit par S.Q. et M.L., Pocket, 2010, 7€70).

« Montalbano doit beaucoup à Maigret : tous deux se heurtent constamment à la duplicité d’une bourgeoisie dont la vie n’est paisible qu’en apparence. Et bien sûr, Montalbano doit sa passion de la gastronomie à Maigret. » avoue Camilleri.

L’air de rien, cette chronique policière d’un petit commissariat de Sicile vaut bien plus qu’une galéjade pour rire un peu avec les carabiniers. Le fond est plus puissant que la forme. On assiste par le filtre de la plaisanterie à deux thèmes essentiels de la série : la mainmise de la maffia sur une région et les tourments de l’âme humaine, notamment de ce petit peuple soumis à la délicate position d’être entre l’enclume policière et le marteau mafioso.

Du roman noir, assumé et revendiqué : « Puis il resta à lire jusqu’à 11 heures du soir un beau roman policier de deux auteurs suédois qui étaient mari et femme et où il n’y avait pas une page sans une attaque féroce contre la social-démocratie et le gouvernement. Montalbano le dédia mentalement à tous ceux qui dédaignaient de lire des polars parce que, selon eux, il ne s’agissait que d’un passe-temps du genre énigme. » (page 98, Un été ardent, opus cité)

Et c’est ainsi que Camilleri est grand.

Andrea Camilleri est le grand maitre de cette peinture qui ressemble à une série. Méfiez-vous. Si vous mettez l’œil dans ces pages-là, vous risquez d’y laisser du sourire en tonne, des rires en pagaille et la sensation d’avoir trouvé un ami, de ceux dont on n ‘a pas besoin de prendre des nouvelles parce qu’on sait qu’ils sont là. Malheureusement, Andrea Camilleri est mort. Montalbano, orphelin, devrait nous délivrer grâce à Serge Quadruppani encore quelques aventures, dont, paraît-il la dernière, écrite par Camilleri, il y a quelques années nous annonçant la mort de l’inspecteur. Il y a des fois, on aimerait user du ralenti, le temps d’en profiter un peu plus*…

* Je reviendrai dans ce CDAP, lettre M pour Montalbano, sur tous ces romans…

+++ de Camilleri sur bbb : La peur de Montalbano, L’odeur de la nuit, La Démission de Montalbano, La Forme de l’eau, Nids de vipères, Jeux de miroirs, Le Toutamoi

Le Grand-père chenu : Donald Westlake (1933-2008)

Quand on a un prénom qui prête à rire, il ne reste plus qu’à se faire un nom pour équilibrer.

Il y a les auteurs de polars drôles et il y a Donald Westlake. C’est un fait. Avant lui, on riait jaune où ne riait pas. Ou peu. Ou alors en se tordant la bouche comme pour avaler une cuiller d’huile de foie de morue. Encore aujourd’hui, accoler polar et humour peut, dans les rangs du lecteur commun, de la lectrice non singulière, vous attirer une sourde méfiance ou un profond mépris. Pensez, même Pierre Lemaitre, dans son DAP n’inscrit aucune notule Humour à H (ni à R pour Rire ou P pour Poilade ad libitum) et même le Grand Claude Mesplède (il faudra attendre le M, car le Claudio est absent du DAP de PL) ignore cette entrée dans son DILIPO. Certes Lemaitre et le pape ouvrent leurs colonnes à Westlake (manquerait plus du contraire !). Le maître l’appelle le maitre qui est tout sauf un pitre (pages 769 et 771 du DAP : Dictionnaire Amoureux du Polar, Plon, 2020, 808 pages, 27€). Et Mesplède ajoute : « A l’humour truculent et dévastateur (…) Westlake ajoute une grande imagination et l’art de faire rebondir l’action de façon surprenante. » (page 1013 du DILIPO : DIctionnaire de LIttérature POlicière, tome 2, Joseph K., 1086 pages, 50€).

Alors, si on ne le présente plus, il serait bon de le lire. D’abord parce qu’il est désopilant et rafraîchissant et ensuite parce qu’il est décédé en 2008 (le 31 décembre !). Et un auteur ne meurt que si on ne le lit plus. C’est mon credo, ce devrait être le vôtre.

Donc ça, lire, c’est fait. Vous êtes convaincu. Mais lire quoi ? Alors d’abord, là encore, deux conseils : le premier, c’est de se plonger, si vous le n’avez pas encore déjà fait, dans Aztèques dansants, un de ses nombreux chefs d’œuvre. Pour les Aloïs débutants, j’en ai déjà causé à la lettre A, . Puis, après, d’ouvrir n’importe quel livre d’une (més)aventure de John Dortmunder. John est un voleur professionnel, très sérieux dans son travail, dont les coups sont minutieusement préparés mais qui foirent systématiquement : la poisse plus que la maladresse, le grain de sable qu’on n’avait pas prévu, le hasard envoyant valser la nécessité. En gros, avec toute la rigueur de l’opération planifiéepréparéeminutée, Dortmunder et ses coéquipiers, finissent par mettre joyeusement les pieds dans le plat pour tenter d’y prélever leur pitance gâchée par, si c’est un potage, une grosse couille. La soupe à la grimace pour finir mais nous, on s’esclaffe.

Quatre livres pour se mettre en bouche…

Dans Pierre qui roule*, John Dortmunder retrouve son comparse Kelp pour un coup fumant : subtiliser une émeraude à un petit État africain pour la revendre à un autre petit État africain. Facile. Mais comme toujours, les plans savamment orchestrés par Dortmunder ont tendance à émettre de légers couacs. Quand la pierre est entre les mains d’un complice, il l’avale. Quand il la recrache, il la cache… dans la cellule d’un commissariat. Certes, Dortmunder a toujours un plan de rechange. Mais quand celui-ci foire, il faut un plan de rechange au plan de rechange. Et cela se complique quand il faut un plan de rechange au plan de rechange du plan de rechange.

* Pierre qui rouleThe Hot Rock, traduit par Alexis G. Nolent, Rivages/Noir n°628, 2006, 300 pages, 8€50 – le 1er Dortmunder

Son génie touche au sublime quand il ose (non, pas tout, c’est à ça qu’on le reconnaît). Comment sortir d’une galerie marchande que l’on est en train de piller lorsque l’on est cerné par la police* ? Eh bien, si on se prénomme Rambo, on fonce dans le tas. Mais pas John Dortmunder… Lui, il pénètre chez un opticien, choisit une paire de lunettes, la paye avec une carte bleue volée et fait semblant de s’endormir sur le fauteuil… Mais Dortmunder ne s’arrête jamais. Il est mis sur un coup par son pote Kelp. Un coup à 1000 dollars. Ça remboursera celui raté de la galerie marchande. Il suffit juste de se cracher dans les mains, d’avoir de l’huile de coude et de travailler de nuit. Dortmunder ne peut pas refuser ça. Une fois qu’on s’est tiré du guêpier de la galerie marchande, on peut tout faire, même déterrer un cadavre pour le remplacer par un autre. Car, le petit travail de nuit consiste à échanger deux cercueils…

* Mauvaises nouvellesBad News, traduit par Jean Esch (Rivages Thriller, 279 pages, 2002, 18€50, Rivages/noir n°535, 2004).

La télé sirupeuse roucoule en programmes dans lequel le quotidien est transcendé d’ennui enduit de spectacle.. Alors si, en plus, le programme Le Stand s’arrête, sous le fallacieux prétexte que le fils du fermier est gay (« Qui a pu lui donner une idée pareille ? »), c’est à ne plus croire en la réalité. « Il prétend qu’il l’est, gay. » Allons bon. « – Pas dans notre émission, c’est hors de question ». Non mais. Heureusement, un nouveau programme vous divertira, au moment où le lave-vaisselle tourne et que votre moitié n’est pas encore rentré du café, avec l’émission : Le Gang est au complet. Autour de Dortmunder, inquiet : « Et il veut nous suivre pendant qu’on fait quoi ? – Un coup. »*

* Top réalitéGet real (2009), de Donald Westlake, traduit par Pierre BondilRivages/Noir n°1048, 2019, 378 pages, 8€60 – le dernier Dortmunder

Si vous doutez encore et que vous voulez vous vraiment faire une idée (rapidement) de qui est ce Dortmunder, Voleurs à la douzaine est fait pour vous. En effet, John Dortmunder n’est pas (encore) un de vos amis ? Pourtant vous allez avoir de ses nouvelles grâce à Rivages/Thriller, Donald Westlake vous emporte dans de folles aventures où vous allez avoir l’impression d’être l’apôtre d’un club très fermé, celui de la grande déconnade élevée au rang du sérieux académique. Dortmunder se sort de tout : même en plein vol, il est capable de se fondre dans une soirée sélecte, voire de faire le loufiat et de servir à boire. Vous allez vous régaler et vous apercevoir que Donald est décidément quelqu’un qui casse trois pattes à un canard.

Donald Westlake, Voleurs à la douzaineRivages/Thriller, 2008, 217 pages, 17,50€.

Vous comprenez maintenant pourquoi, après l’avoir lu, Michel Lebrun (ancien pape du polar – lire à L – avant Claude Mesplède – lire à M) a écrit : « Le temps est venu de prendre les comiques au sérieux. »

Michel qui rata sa dernière blague en décédant. Ce qui lui vaudra cette épitaphe caféinée de Francis Mizio (présent plus haut et à suivre plus bas ; cet homme est partout) : « Je me souviens que j’ai reposé la nécro de Libé, que je me suis payé un autre caoua au distributeur parce que c’était donc une foutue journée qui commençait, et ça s’est vite confirmée car j’ai pas eu de touillette.»*

* In Caïn n°19, 1996 (Si vous trouvez aussi Caïn n°13, c’est un spécial Lebrun…)

Il faudrait une vie et demie pour parler de Donald Westlake, l’homme aux cent romans, aux 40 films tirés de ses œuvres, à la palette de tons variés (noir avec Le Couperet ou Le Contrat, sérieux avec la série Parker sous le nom de Stark…) et aux vingt pseudos (Stark, Coe, Allen, Culver, Cunningham, Holt, West…) qu’il a employés en plus de cinquante années de carrière. Mais ce serait beaucoup moins parlant que de faire une seule chose simple et capitale, vitale même, ouvrir un de ses livres. Big Donald !

+++ de Westlake sur bbb : Donald, tu reviens quand tu veux, Jean Esch, un de ses traducteurs, Aztèques dansants, extrait 1, extrait 2, Motus et bouche cousue, Monstre sacré, Couac, Donald est mort.

Le fils prodigue : Francis Mizio (1962)

Mais que peuvent bien venir faire là-dedans le perroquet vert à deux touffes et le bousier lubrique ?

Ce garçon est confondant. Absent dans le DAP mais présent partout où l’on ne l’attend pas, Francis Mizio déconne et détonne (comique de rime) dans le milieu du polar. Il déboule à la fin des années 90 avec Un quart d’heure pas plus. À l’époque où je recherche des auteurs inconnus (Éditions de La Loupiote) pour ma collection Zèbres (un auteur connu, un auteur inconnu), sorte de concept littéraire de ce que la première partie est au concert (avec une inversion, je place l’auteur connu en avant pour l’effet locomotive) et qui a déjà donné les binômes Pouy/Congiu et Raynal/Bianco, je reçois dudit Francis Mizio que je ne connais ni Dave ni des dents (comique à-peu-près) , à tel point que nous nous vouvoyons comme deux gentlemen anglais se croisant dans une partouze (comique de provocation), un texte parlant d’un Homme Élastique et d’une Femme-Oiseau absolument délirant mais sans aucun grain, si ce n’est celui de l’auteur, qui me permettrait de la placer dans ma collection noire. Entre deux hoquets de rire (comique inclusif) : « C’était pas mon jour. D’ailleurs, en y réfléchissant bien, ce n’était même pas mon année », je ne démordais pas du fait que ce garçon-là pouvait faire mal dans le noir. Je lui demande alors de le polardiser. Ce qu’il fait entre un café et une clope la veille de la dead-line que je lui avais fixée. Et mon fax de dérouler (c’était l’époque du papier avant que les modems ne fassent des bruits de conversations militaires au fin fond du Larzac – comique militant) l’histoire que vous pouvez retrouver publiée chez Librio. Il entre alors dans l’équipe de la Loupiote (comique troupier). Après, il a été difficile d’arrêter (encore aujourd’hui) ce fou furieux qui a composé le célébrissime La Santé par les plantes (édité quatre fois par quatre maisons d’édition dont la première à La Loupiote of course puis à la Série noire, Après la lune et Hélios), polar écolo comique qui nous narre la course au sopochymol, un médicament aux vertus laxatives insoupçonnées (mais à effet retard) issu de l’Allocasuarina Portuensis (comique latin). S’enchaîne alors une course entre des écolos radicaux et des labos libéraux (comique allitératif). Mais que peuvent bien venir faire là-dedans le perroquet vert à deux touffes et le bousier lubrique ? Si vous ne comprenez pas ce que vous venez de lire, il est temps alors d’ouvrir La Santé*.

* Oui, entre amateurs, on se reconnaît comme ça, en disant La Santé, le par les plantes, on le laisse aux afficionados de Rika.

François Truffaut, dans Vivement dimanche, avait, joué avec les codes des amateurs de série noires et les nerfs des cinéphiles, à l’aide d’un gros plan sur un clé d’une voiture qui ne démarre pas. Francis Mizio va plus loin. Alors que les écolos Flore et Narcisse sont poursuivis par un monstre, une brute appelée la chose, ils se réfugient dans leur voiture. « – Démarre, démarre, ordonna-t-elle hystérique. Narcisse la regarda, décomposé. – C’est un diesel. Soudain la voiture fut secouée, blackboulée. Une force incontrôlable s’en était emparée. Ils se cognèrent la tête contre les portières, le pare-brise. Les rugissements dehors, étaient épouvantables. – MAIS DÉMARRE MERDE, DÉMARRE , gueula Flore en pleurant en pleine crise de nerfs. – PUISQUE JE TE DIS QU’IL FAUT ATTENDRE QUE LA PETITE LAMPE S’ÉTEIGNE. (pages 118-119)*

La Santé par les plantes, c’est ce roboratif remède qui ringardise les codes du roman noir et les fait passer au mieux pour des poncifs au pire pour des cordes qui veulent se faire passer pour des ficelles. La Santé par les plantes, c’est le constat des absurdités scientifico-scientifiques colportées par des types en blouse blanche obnubilés par les lignes de crédit. La Santé par les plantes, c’est le calcul pharamineux qu’effectue un entrepreneur, assis sur sa cuvette, du fait d’une constipation chronique, lui, le grand dirigeant du laboratoire pharmaceutique qui fait bouffer de la gélule et refile du suppo à la planète « avait passé QUATRE VIRGULE HUIT ANS dans ses chiottes » (page 10) – comique anal. La Santé par les plantes, c’est la rigueur des recherches, l’emploi du chiffre exact, la source authentifiée, le respect et la morale : « En fait l’auteur s’est basé sur 1% de réel et a ajouté 99% de fiction. » (Avertissement au lecteur, page 8). La Santé par les plantes, c’est l’excipit dévastateur, la cerise sur la gâteux, le poing d’orgue, la claie du doute qui assaille le lecteur nostalgique, déjà, la lectrice qui en redemande, encore : « Car je n’ai pas dit mon dernier mot. » (page 218) – comique de suspense…

La Santé par les plantes, c’est aussi la croix que porte Mizio, son tube qu’on lui demande de chanter tout le temps, comme si le garçon s’était reposé ou s’était étouffé avec ses lauriers – comique glorieux. C’est mal le connaitre.

* Éditions de La Loupiote (épuisée, au fond du couloir à droite, oui, là, l’arbre à suppos… Pff…)

Les vases communiquent : le niveau baisse mais le rire grimpe

Cet adorateur de Westlake et admirateur de Moore va creuser son sillon humoristique dans le noir avant que de prendre ses distances autant avec l’édition qu’avec le roman noir… La bonne nouvelle c’est que, s’il ne revient pas dans le noir, il n’a pas lâché l’humour (il surfe dessus et travaille avec sérieux sur le thème avec Vis comica comique comique, très rare, et précieux) et se lance dans l’édition : Au lourd délire des lianes est publié par lui dans sa boîte qu’il a fièrement nommée Le Niveau baisse. Pas le sien en tout cas*. Je viens de m’y plonger et quelque chose d’étonnant/détonnant est arrivé : je me suis senti chez moi – comique de familiarité. À l’aise dans cette fluidité d’écriture, heureux de retrouver les VaniVani et les Macroqa, comme si on s’était quitté la veille… Parce que ce sont eux et parce que c’est moi, en quelque sorte. Ça se soigne ça ?

* Critique à venir sur bbb.

Amateur de brouettes, de flamants roses et de siestes post/préprandiales (voir plus haut – comique de répétition – et voire au cours du repas – comique zeugmatique), Francis Mizio ne prête pas à rire, il donne à réfléchir, nuance. Obsession de la vie saine et profits libéraux ne tendent-ils pas vers un même monde, constipé et égoïste ? (La Santé) Cette volonté de singularisation n’est-elle pas, en fait, ce qu’il y a de plus commun dans l’humanité… et de plus ridicule ? (Un quart d’heure pas plus) Les croyances relèvent-elles plus de chamanerie de ceux qui les développent ou de la bêtise de ceux qui les écoutent ? (La Cosmogonie Macroqa) L’administration est-elle une fin en soi ou un univers gillianesque ? (D’un point de vue administratif) Tout ce qui tombe du ciel est-il béni (ouioui – comique jeu de molets) ? Qui d’Oliver Castani l’ornithologue ou de Claude Levi-Strauss l’ethnologue a-t-il fait son stage d’observation professionnelle chez un plombier Macroqa (Twist Tropiques) ? Est-ce végan de faire tourner des aubergines et des courgettes dans un film porno (Pizza sur la touffe) ? Le travail aliène-t-il vraiment l’homme ou est-ce plutôt la recherche du travail qui est aliénante (L’Agence tous-tafs) ?

Vous pouvez lui dire merci, l’ami Miz’ répondra, il est urbain mais honnête. Méfiez-vous ! (comique de prévention)

Une dernière chose – comique insoutenable. Ses personnages s’appellent souvent Ladislas Krobka. Pourquoi ? Il répond (je vous le disais plus haut – comique faut suivre) dans Cain °26 (page 53)* : « Ladislas est un prénom utilisé en souvenir de mon grand-père qui était un homme bien car il me racontait des histoires des heures durant sans essayer de me tripoter. Hélas, il y en a de moins en moins des gens comme ça à en croire les journaux. Krobka est un mot polonais lié à une histoire qu’il me racontait et que je ne peux détailler ici car on m’a dit [d’être concis]. Sinon la question habituelle est : vos personnages portent toujours le même nom, pourquoi? Réponse : 1) moi aussi je porte toujours le même nom. 2) j’ai réalisé récemment que Francis Weber faisait la même chose dans ses films avec « Pignon » et « Perrin ». Ça fait qu’on a au moins deux points communs lui et moi car moi aussi je connais quelqu’un qui s’appelle Francis Weber et a pignon sur rue (« La Cave Avonnaise » à Fontainebleau, près de la gare. Dites-lui bonjour de ma part. Ses cubis sont très bien). » Comique final, poil grammatical.

* Baleine, Printemps 2001, Dossier Pascal Garnier et L’humour dans le polar, tiens tiens…

Le cousin frapadingue : Jerry Stahl (1953)

Author Jerry Stahl (Photo: Mercedes Blackehart)

J’ai déjà ici remercié l’auteur.e des quatrièmes de couverture de chez Rivages. On leur prête souvent des maladresses, notamment celle d’en dire trop, ou d’écrire le pied sur le frein, c’est-à-dire de ne pas en dire assez. Les gens ne sont jamais contents. Mais là le lecteur le plus grognon, la lectrice la plus pointilleuse seront ravies. Jugez plutôt : « Tony Zank, minable malfrat allumé au crack, a perdu quelque chose de très précieux qu’il avait pourtant dissimulé sous el matelas de sa mère, pensionnaire d’une maison de retraite. Flanqué de son complice McCardle – surnommé « le Dino noir » pour cause de ressemblance avec Dean Martin – Tony va employer les grands moyens : suspendre la vieille dame par les pieds jusqu’à ce qu’elle prononce le nom de son infirmière, Tina, qui a dû faire main basse sur l’objet. Tina a pourtant déjà des soucis : elle vient de tuer son mari de manière voyante, et, dans ces cas-là, il est difficile d’éviter l’intervention de la police. La situation se complique quand l’inspecteur Manny Rupert trouve le moyen de tomber amoureux de la meurtrière… Quoi, au fait ? Une photo du président américain… Impossible d’en dire plus. C’est juste une photo qu’on ne peut pas se permettre de laisser traîner. » Ça donne envie, non ?

Salué avec enthousiasme par James Ellroy et Nick Tosches, le Jerry a de beaux parrains qui se sont penchés sur son berceau (imaginez la scène : le nouveau-né hurle !).

Alors vous commencez à lire l’incipit : « La mère de Tony Zank s’engouffra dans le couloir de la maison de retraite, ses spongieuses et tremblantes fesses à l’air, en hurlant : « À l’aide ! ». La suite ? « Arrêtez ce monstre ! Son déambulateur raclait le sol avec un bruit métallique et sa robe de chambre « Septième Ciel » pendait le long de son corps, à moitié enfilée, comme si elle avait traversé une corde à linge au pas de charge dans un jardin, et qu’un de ses bras avait accidentellement accroché le vêtement. »

Autant dire que l’on entre avec ce roman dans l’Amérique des loufoques et autres allumés, celle de Chester Himes et de ses héros noirs de Harlem, Ed Cercueil et Fossoyeur, celle de Tim Dorsey* (voir plus bas) et de Serge et Coleman, le tandem hallucinogène accompagnée de Sharon, la sculpturale « aux lèvres boudeuses et cruelles, de celles qui font avoir des accidents de voiture aux hommes » et celle aussi de Donald Westlake (voir plus haut) et l’inénarrable Dortmunder, le voleur sérieux qui met toujours les pieds dans le plat. On est rassuré : c’est la famille.

* Cité par Pierre Lemaitre dans son DAP, il est étonnant qu’il fasse l’impasse sur son collègue Jerry Stahl de la même boîte (Rivages) qui travaille dans le même ministère de l’humour grinçant…

Car, évidemment, sous les travers de la poilade, Jerry Stahl, d’une écriture survoltée, nous entraîne férocement dans une satire de son pays où politiciens, truands, flics, journalistes courent tous après une photographie du président… où la partie de son anatomie révélée risque de faire passer le cigare de Bill et la robe de Monica pour un téléfilm érotique des années 50… Allez, j’ai été alléchant, si je puis dire… aussi je vous révèle, comme qui dirait, l’origine de la puissance du monde : « Les mots inscrits en bas étaient MONSIEUR BIOCERVEAU. Au-dessus s’étalait le machin lui-même, une forme enflée couleur chair, oblongue et sillonnée de veines, qui brillait d’une façon particulière. Un index et un pouce apparaissaient juste à l’endroit où ils pinçaient la base, sans aucun doute pour faire gonfler l’objet en question de cette manière. Pour le rendre… semblable à un cerveau. Ce qui obligeait à y voir autre chose qu’un simple scrotum d’homme blanc, c’était la face lunaire et souriante tatouée dessus. Deux yeux et un sourire. La face lunaire conférait à tout ça quelque chose de festif et de sain. Deux autres visages apparaissaient encore sur la photo (…). En haut, bizarrement, c’était George Bush fils souriant, écervelé, avec l’expression de perplexité joviale qu’il abhorrait quand on lui posait une question de politique étrangère. Au même niveau que les testicules proéminents de George W., l’ai tout aussi guilleret, se trouvait Margaret Beeman, maire du Haut-Marylin depuis 1995. (…) – Mon Dieu, regardez-moi la tête que fait Marge. – Vous appelez le maire Marge ? – Plus maintenant (…). Mais je l’appelais comme ça quand on était mariés. » (page 65-66)

Jerry Stahl, À poil et en civil, Plainclothes Naked, traduit par Thierry Marignac, Rivages/Noir n°647, 2007, 459 pages, 10€40

Rien n’arrête Jerry Stahl. Il s’attaque au sacré avec la jouvence d’un collégien devant une page blanche à l’aide d’un quatre couleurs Bic. Pas même la Shoah et encore moins les nazis.

Jerry Stahl a raison : les pères ne sont pas les seuls responsables de leur rejeton : Ma mère adorait les chaussures à talons hauts. C’est le seul conseil pratique qu’elle m’ait jamais donné : « Aie toujours de la colle pour tes chaussures ». Ça, et aussi : « Ne donne jamais ton vrai numéro de téléphone ». Elle bascula sa tête en arrière et prit une posture dramatique, avec la main à l’envers sur le front, comme vaincue, abandonnée : « J’ai donné mon vrai numéro à ton père, et regarde où ça m’a menée ».

Un conseil n’est jamais suivi. Notamment par la mère de Mengele. C’est ainsi qu’est né (merci Albert Wikipédia) le Josef, le 16 mars 1911 à Guntzbourg (Allemagne). En mai 1943, le docteur Josef Mengele arrive à Auschwitz et va acquérir le surnom d’« ange de la mort ». Outre la sélection qu’il effectue sur la rampe, il multiplie les expériences au nom de la science. L’effondrement du Reich le rend à sa Bavière natale jusqu’à ce que son nom ne soit souvent cité dans les procès qui suivent l’après-guerre, et le voilà en fuite en 1951. Malgré le travail incessant de Simon Wiesenthal, il échappe souvent à l’arrestation et meurt, noyé, en 1979 au Brésil. Fin de l’histoire officielle*.

* C’est aussi celle qu’imagine Olivier Guez dans son roman : La disparition de Joseph Mengele, un grand livre (Grasset).

Début de l’histoire de Jerry Stahl intitulée : Anesthésie générale. On propose à Manny Rupert – ex-flic, ex-drogué – d’enquêter sur un vieillard de 97 ans, pensionnaire à San Quentin, qui déclare être Josef Mengele et qui s’en vante et revendique son patronyme et le statut qui va avec.

L’affaire semble grave. Traitée par Stahl, on doute que le sérieux soit au rendez-vous. Détrompez-vous, si ça chie à chaque phrase : « … j’étais en train de mettre le doigt dans une espèce d’embrouille interservices, au centre de laquelle se trouvait le boss de Jim, concoctée par le FBI et Interpol, Scotland Yard, le MI5, le Mossad et l’équipe de vigiles du McDo d’Addis-Abeba », si le mot d’humour est toujours préféré à la justesse de la situation : « Je sentis quelque chose d’humide sur mon genou, que j’avais appuyé contre sa jambe [celle de Mengele] pour le faire tenir en place. J’espérais l’humilier. Mais même après s’être pissé dessus, il restait arrogant. C’est vrai que c’était de la pisse de la race des seigneurs, et ça faisait toute la différence », l’auteur nous parle avec sérieux de cet ectoplasme nazi et file un grand coup de pied au cul à l’Amérique et à sa bonne conscience. Car Mengele vivant, c’est un Mengele beuglant son génie à la face de l’Amérique, Mengele, quand il se retourne derrière lui, ne voit que le bienfait et l’avancée de la science dont il est l’unique responsable. Il revendique. Il accuse l’Amérique de fermer les yeux sur son passé mais en récupérant discrètement tout ce qui peut lui servir, notamment ses découvertes à lui, le grand savant.

Anesthésie générale est un grand roman qui nous met mal à l’aise car parce qu’il confronte le mal vaincu au bien vainqueur et qu’on se dit que tout n’a pas été jugé comme on l’aurait cru. Aucune concession envers « l’ange de la mort » et ses coreligionnaires nazis, pauvres loques persuadées d’avoir eu raison, aucune concession non plus envers l’Amérique, pauvre pays persuadé n’avoir pas eu tort d’embaucher, après-guerre, d’anciens nazis, barbouzes, médecins, scientifiques, pour une guerre froide à mener. Juste une histoire de fin et de moyens.

* Jerry Stahl vient de sortir Nein, nein, nein (Rivages) sur le tourisme de la Shoah…

Décidément, on ne choisit pas son nom. Mais vous retiendrez celui de Sthal. Mais vous l’appellerez Jerry, pas de finasseries entre vous. On ne choisit pas non plus (les trottoirs de Manille je sais) le pays où l’on naît, son histoire et ses compromissions. Et là l’Amérique est bien placée et Jerry s’en occupe. Il suffit pour cela de lire Thérapie de choc pour bébé mutant pour comprendre que notre société est malade des solutions qu’elle trouve à ses problèmes : les médicaments. « Les archéologues du futur (en admettant qu’il y ait un futur) fouilleront dans nos détritus et trouveront plus de flacons de pilules que de livres, d’iPad ou de Kindle – la vie en Amérique de nos jours étant plus quelque chose qu’on traite que quelque chose qu’on vit. Que sommes-nous donc, sinon la somme de nos symptômes? » Décapant dans tous les sens du terme.

Jerry Stahl, Anesthésie générale, Rivages/Thriller, 2011, 488 pages, 22€

L’allumé déjanté : Tim Dorsey (1961)

Tim Dorsey est présent dans le DAP de Pierre Lemaitre, c’est selon lui « une valeur sûre » (page 195, opus cité) à « l’humour décapant ». « Avec lui, vous ne savez jamais dans quelle direction ça va partir. » Le mieux est de lui laisser la parole. Le film projeté est Stingray Shuffle* (Rivages/Noir n°706, 462 pages, 10€50), détendez-vous, profond au fond du fauteuil. Noir.

C’est un roman pédagogique : « – … très vite, dans les années trente, les compagnies de chemin de fer révélèrent au monde les wagons joliment décorés qui allaient permettre aux gens du nord de découvrir Palm Beach, les joies des vacances au soleil et des ébats entre adultes consentants du meilleur monde … Serge s’interrompit. Là, au fond, il y a un singe qui bavarde. – Silence, je vous prie. J’essaie de vous instruire, là. » (page 19) et : « – Et toi Térésa ? Quel métier voudrais-tu faire ? (…) – Pilote. – Tu veux dire, hôtesse de l’air. – J‘veux pas être hôtesse de l’air. – Je ne veux pas être hôtesse de l’air, corrigea la maîtresse. – Moi non plus, répondit Térésa. » (page 140)

C’est un roman féministe : « Le problème n’est pas la défonce, c’est plutôt… les femmes (…) Oh, bien sûr, ça commence toujours avec des orgasmes en technicolor, mais avant que tu aies le temps de dire ouf, tu t’aperçois que tes assiettes ne sont plus dépareillées… » (page j’ai perdu la référence) et : « Avant de tomber enceinte, elle avait fait du volontariat dans des services de soins palliatifs, où même les malades les plus abandonnés faisaient semblant de dormir lorsqu’ils l’entendait débarquer. »  (page 38)

C’est un roman où les durs sont durs et menaçants : « – Qu’est-ce qu’il y a encore ? demanda M. Grande. C’était la compagnie d’électricité. – Savez-vous seulement à qui vous parlez ? hurla M. Grande. Je pourrais vous faire tuer, juste pour avoir osé me parler comme ça. Je n’ai qu’un mot à dire et toute votre famille est volatilisée ! Allô ? Allô ? M. Grande raccrocha… et toutes les lumières s’éteignirent. » (page 115)

C’est un roman zeugmatique : « Elle prit simultanément un boulot sous-payé et l’habitude de fondre en larmes à tout bout de champ. » (page 141)

C’est un roman qui défend la littérature populaire :« Cela étant, je suis content de voir que le genre policier obtient enfin la reconnaissance qu’il mérite. Pendant très longtemps, tout le monde considérait que le polar, c’était rien du tout. Or c’est tout simplement faux. Pour moi, il s’agit toujours d’un voyage intérieur. L’intrigue policière n’est finalement qu’un prétexte pour explorer l’existence sous son aspect spirituel. C’est ainsi que j’ai utilisé un M. Pipi comme métaphore du Christ, par exemple… » (pages 428-429)

C’est un roman, plus, un polar, mieux un Cluedo : « – La liste des ennemis accumulés par Preston est impressionnante… – Vous par exemple ! s’écria-t-il, en se retournant brusquement pour désigner Dee Dee Lowenstein qui serrait son chapeau sur son ventre. Vous avez menacé de tuer Preston ! Des dizaines de personnes vous ont entendue ! (…) – Et vous… vous êtes bien le dénommé Spider, n’est-ce pas ? Preston vous a humilié tant et tant de fois ! Et vous, Frankie Chan… À cause de lui, vous avez bien failli être tué, à Bridgeport ! » (page 447)

Ça donne envie, non ?*

* Tim Dorsey, Stingray Shuffle, traduit par Jean Pêcheux, Rivages/Noir n°706, 2008, 462 pages, 10€50

Même Miranda Mirette qui collabore avec bbb avait repéré l’oiseau (on dirait l’apibot dans le coin) dans sa célèbre rubrique Astro Aspro (quelle a fait migrer ici, je le répète), en mars 2006 (Bélier). C’est concis, juste et péremptoire :

Lire Tim Dorsey, c’est participer à un joyeux bordel et mettre les pieds où d’autres ne mettraient pas les mains. Dans Orange Crush* oulala la faute Miranda) le vice-gouverneur de Floride, Marlon Conrad, ne brille pas par son intelligence mais il fait voter les lois qui avantagent ses donateurs de fonds et se consacre à la pêche au tarpon sur son jeu vidéo) : il fait le job. Alors qu’il postule comme tout incompétent le poste de son supérieur, on lui fait comprendre que le fait de ne pas avoir souscrit à ses obligations militaires va le desservir. Aussitôt, il s’inscrit à une préparation militaire pour enlever de la bouche de son adversaire démocrate cette accusation de planqué et il se retrouve en opération extérieure au Kosovo Il en revient transformé, brusquement intelligent et humain, voulant aide son prochain, il prend alors la tête d’une expédition en Floride et en camping-car pour prêcher la bonne parole. Autant vous dire que ça va secouer dans l’État du gouverneur de Floride Jef Bush (1999-2007), d’autant plus que Serge Storms n’est pas loin…

* Tim Dorsey, Orange Crush, traduit par Jean Pêcheux, Rivages/Noir n°897, 2012, 441 pages, 9€65

Chez Tim Dorsey, c’est la politique expliquée à la base selon le principe que si vous ne vous intéressez pas à la politique, ce n’est pas grave, elle, elle s’intéresse à vous. Un job de salubrité républicaine en fait. Merci Tim.

Le chaman romantique : Christopher Moore (1957)

Absent lui aussi dans le DAP de Pierre Lemaitre sûrement parce qu’il ne le connaissait pas. Si mon CDAP peut rattraper cette injustice, je n’aurais pas lu et travaillé pour rien. Et heureusement que je ne suis pas le seul à mener ce christophermoorethon : Mizio et Corinne Naidet de 813 y apportent leur écot (plus haut). Je vais essayer de faire grossir la cagnotte (plus bas).

« Je pensai à un truc, dit-il. Nous sommes là tous les trois, un Indien, un policier et un courtier en assurances. Il nous manque plus qu’un maçon pour faire les Village People.« 

Christopher Moore entre en Série noire avec Un blues de coyotteCoyote Blue (n°2531, traduit par Luc Baranger, Gallimard, 394 pages) et nous découvrons Sam Hunter, agent d’assurance blanc bien loin de ses racines crow et au top de la modernité est troublé dans le panthéon de se croyances matérialistes quand Vieux Bonhomme Coyotte vient lubriquement* le visiter pour lui rappeler d’où il vient, ce qu’il est (Samson Chasseur Solitaire) et ce qu’il a fait (apprendre à voler à Anus, un flic qui menaçait sa fiancée, en l’aidant à franchir pas du parapet d’un pont) tout en lui faisant rencontrer la femme de sa vie Calliope. Évidemment sous le burlesque se cache tout l’histoire amérindienne, sous la galéjade le respect que porte Moore aux vérités de ces peuples et la critique de ce que nous sommes devenus : des êtres sans mémoire qui ont oublié d’autres êtres perdus dans notre monde. Pour Francis Mizio : « Il y a un mélange de Tex Avery et de Groucho Marx, de Westlake et de Don Winslow, de Hiaassen et de Swift. » (Caïn, opus cité) On peut en jeter plus ! Jubilatoire ! Subtil ! Intelligent !

* – Neuf heures, reprit Espagnola, Mme Feldstein appelle pour signaler qu’un loup a pissé sur sa glycine. Tiens! je l’avais pas remarquée celle-là. Neuf heures cinq: Mme Feldstein signale que ce même loup est en train de violer son chat persan. C’est moi qui ai pris son appel. Neuf heures dix: Mme Feldstein signale que le loup a bouffé son persan après lui avoir fait son affaire. Quand j’y suis allé y avait encore du sang et des poils dans l’allée. Mais pas de loup.
– Tu crois qu’il s’agit d’un vrai loup?
– J’en sais rien. je l’ai seulement aperçu sur ta terrasse, mais d’en bas. Ça a plutôt la couleur d’un coyote. Mais alors d’un gros coyote !

La vestale à paillettes d’Alualu (Island of the Sequined Love Nun, traduit par L.B., Gallimard, Série noire n°2572, 504 pages) est de la même veine chamanique mais un peu moins fournie (la barre était haute après Un blues de coyote). Il s’agit là d’un cargo culte (en Micronésie, quand un appareil de la modernité se posait sur une île perdue, il était pris pour une divinité et l’objet d’un culte de la part des populations locales). Dans ce roman, la Déesse Céleste est ici une pin-up blanche peinte sur un avion bombardier et elle est vénérée par la tribu du Requin en Polynésie. Bousculée par un trafic odieux, la tribu embauche Tucker Case pilote obsédé sexuel viré arpès avoir crashé un jet en batifolant pour les aider à retrouver la virginité de la Déesse Culte… Christopher Moore écrit en se demandant toujours : « Est-ce vrai ou dois-je en rajouter ? ». Il est évident que la réponse est claire : « Utiliser mes livres comme des références littéraires équivaudrait à construire un gratte-ciel avec des petits beurre. » D’un autre côté, pour décrire la vie quotidienne des habitants, il s’est basé sur « l’expérience de vie sur l’île de Mog Mog dans l’atoll d’Ulithi, où j’ai eu le privilège d’habiter chez le chef Antonio Thaitau et sa famille. » Alors au lieu de démêler, appréciez. Comment une civilisation peut-elle s’amouracher d’un objet issu de la société de consommation dont ce n’est évidemment pas le but ? Là encore, c’est drôle et intelligent. Vraiment.

Peu à peu, de livre en livre, Moore va s’attaquer ainsi aux grandes croyances et aux grands malheurs de notre société en la crashant avec son passé ou ses turpitudes : L’Agneau* nous raconte la vie de Jésus, entre 12 et 30 ans, avant Jésus, grâce à Biff, son meilleur pote qui tentera de la sauver de son destin tragique, Le Secret du chant des baleines** (Fluke, or, I Know Why the Winged Whale Sings, traduit par L.B., Gallimard, Série noire, 2006) narre l’aventure de JonasPinocchio spécialise du chant des baleines dont le labo est saccagé et qui est avalé dans la foulée par une baleine. Là où tout devrait s’arrêter, tout commence. L’art de mêler le vraisemblable faux et le douteux vrai au point que l’on s’y perd… de rire et d’abyme de réflexion. Notre monde est dépourvu de foi, et Moore ne parle pas que de religion, non, notre monde est une désolation. Et Moore préfère en rire.

* L’AgneauThe Gospel According to Biff, Christ’s Childhood Pal, Gallimard, Série noire no 2707, 2004, traduit par Luc Baranger, réédité en Folio Policier n°482.

** Fluke, or, I Know Why the Winged Whale Sings, traduit par L.B., Gallimard, Série noire, 2006.

Le tonton d’Amérique : François Barcelo (1941)

François Barcelo, photo d’Alain Decarie, Montréal, 27 août 2016, © Alain Decarie.

Ancien publicitaire jusqu’en 1988, le tonton d’Amérique parle français. Né à Montréal au Québec, ça explique. Ce qui pose quand même problème quand on veut être publié en France : « Au Québec, on est écartelé au niveau de la langue dans les romans. Devons-nous utiliser une langue vernaculaire, difficilement comprise en France ? Ou au contraire nous en tenir à la langue académicienne (…). Dans mes romans, particulièrement dans ceux destinés au public français, j’opte dans le narratif pour un français plus ou moins normatif (même si nous n’écrivons pas du tout comme vous), sauf dans les dialogues où il serait stupide de faire parler des personnages d’ici en argot parisien ou en langage guindé. » Ne pas s’attendre donc à un vivier linguistique d’expression à la mords-moi-l’tabernacle les chums mais rien n’empêche de croiser quelques Maudit menteur ou Mangez de la marde ! ou en masse (à prononcer avec l’accent). Ce n’est pas non plus pour autant qu’il faut se lâcher en anglicisant chaque word et chaque sentence, méfiez-vous, on est amendé là-bas quand on spoile mais pas quand on divulgâche, quand on checke ses mails mais pas quand on tend l’oreille pour tchèquer une nouvelle chanson qui passe à la radio. Méfiez-vous des forces de l’ordre. Au Québec, on les appelle les Chiens sales

Les poupées québecquoises

Que faire pour cacher une grosse bêtise ? Faire une immense connerie pour la camoufler ? Puis faire une monumentale bourde pour dissimuler la connerie. Et ainsi de suite… C’est du boulot d’être flic au Québec. Faut de l’imagination. Et en ces temps de chômage et de jalousie systématique, il en faut peu pour que la populace se moque et nomme ses poulets des Chiens sales (Série Noire n°2589). Oh ! Il n’y a guère que les chiens, et il y en a des propres, pour s’offusquer de ce surnom. Enfin, les chiens et les flics (voir préface de l’auteur, François Barcelo, 1er Québécois à être publié en Série noire), y z’aiment pas trop qu’on mette le doigt sur leurs conneries. Aussi quand vous les pointez du doigt, ils font une énorme boulette pour masquer tout ça. C’est ce qui est arrivé à Carmen Paradis.

Carmen Paradis est venue se réfugier dans la maison de son oncle sur un îlot, tranquille, pour oublier son mec qui l’a plaquée, la perte de son travail, de sa maison et pour apprendre la guitare. En gros, elle fait des lignes de bling et des lignes de blong pour s’empêcher de pleurer.

Roméo, son voisin, il habite quelque part de l’autre côté du canal, vient la visiter, des questions essentielles à la bouche comme :

– Tu joues de la guitare ? (…) … comme si je pouvais jouer du trombone avec une guitare entre les mains. (p.11)

Ou encore :

– T’as de la bière ? (…)

Je ne réponds pas. Mais je dois avoir secoué la tête, parce qu’il constate :

– L’hiver va être long.

– Il n’est même pas commencé. Nous ne sommes qu’à la fin de septembre (…) (toujours page 11)

Difficile de jouer de la guitare dans ces conditions. Surviennent alors Armand et Ti-Méné qui reviennent de la chasse (avec de la bière, morte mais fraîche) :

– Ils ont eu un petit problème, commence Roméo (…) (page 20)

Les deux chasseurs entrent alors avec un cadavre, les deux côtés du visage arrachés.

– C’est qui ? demande Roméo.

– Je sais pas, je le connais pas, dit un des chasseurs. (…)

– Je veux dire : c’est qui, qui a tiré dessus ? précise Roméo. (…)

– On a tiré en même temps, dit l’un. (…)

– En tout cas, vous l’avez pas manqué, conclut Roméo (…) (pages 21 et 22)

Survient alors un bulldozer :

– Ils réparent le pont. (…)

– Moi, je dirais plutôt qu’ils sont en train de le débâtir. (page 33)

Voilà Carmen, Roméo, les chasseurs isolés sur un îlot. À la télévision on annonce la disparition du ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche. Il vient d’être enlevé. Il devait aller à la chasse, on n’a retrouvé que sa voiture. Un cadavre et une info, ça fait une idée :

– Il est plus tellement reconnaissable (…)

– Combien on demande ? (pages 38 et 39)

« Mes anti-héros ont bien raison d’être paranoïaques. J’écris généralement les premières pages d’un roman, tôt le matin, à partir d’une situation dans laquelle un personnage se retrouve soudainement dans une mauvaise passe. Le lendemain, avant même de me lever, je cherche une manière de lui enfoncer la tête encore plus profondément dans la merde. Et j’en trouve rapidement, parce que ça me vient tout naturellement. « *

* Sur cinescribe.fr

C’est à ce moment que les chiens sales entrent en scène. Et vous savez comment ils sont ? S’ils font une grosse bêtise, ils la cachent par une immense connerie qu’ils camouflent par une monumentale bourde. Et ainsi de suite…

Carmen Paradis n’est pas au bout de ses peines, et pendant que la moitié des chiens sales du Québec lui courent l’arrière-train, la guitare n’avance pas.

Ce qui n’est pas le cas de François Barcelo qui à chaque livre (Cadavres, SN n°2513, Moi, les parapluies, SN n°2547…) nous entraîne lucidement dans un univers loufoque dont les bases se gondolent autant que le lecteur.

« Si j’étais mon grand-père, je ne serais pas fier de moi ».

Faut pas énerver les policiers mais pas non plus les motards. Fantasia chez les Plouffe nous narre l’anniversaire du grand-père : 90 ans ! C’est son petit-fils Guillaume qui parle et qui lui présente l’enfant qu’il garde comme son arrière-petit-fils pour lui faire un cadeau. Il est vrai qu’il a annoncé ne pas pouvoir mourir avant que d’avoir un arrière-petit-fils (l’héritage reste alors en attente et, normalement, il devrait lui revenir vu que son grand-père le préfère lui, une histoire entre sa mère et lui…). Mais vlatipa que l’enfant, Benjamin, disparaît. Sa vraie mère, Louise, est membre du club des motards Devil’s Own va-t-elle comprendre la situation ? On en doute, rien que par le nom que porte le club.

La famille Plouffe a ça de commun avec toutes les familles, ce plaisir de se retrouver pour se foutre sur la gueule. Il faut dire que le Guillaume et plus crédible lorsqu’il ment quand il est est honnête. Alors, mettez-vous à sa place, c’est plus facile à vivre de mentir que de dire la vérité, surtout quand on est doué pour ça. Enfin, doué, il a des limites… Ainsi quand il décide d’aller la nuit dans la tente de sa cousine, la jaune, toute sa famille lui apprend qu’une lampe de poche peut servir d’arme contondante. C’est d’autant plus drôle qu’il en prend plein la gueule : on rit toujours du malheur des autres, surtout quand il glisse sur une peau de banane. Et Guillaume n’a pas fini sa glissade.

« Le personnage dont je m’inspire le plus, c’est moi, soit dit dans vouloir me vanter ou me déprécier. Mais ce n’est jamais tout à fait moi. « *

* Sur cinescribe.fr

L’auteur de L’Ennui est une femme à barbe (quel titre !) a la prétention et la propension de nous faire rire avec les petits et grands malheurs de l’existence des autres (et de la sienne), ce qui fait de lui un charognard qui rit de tout. En ces temps d’on ne peut plus rien dire, la preuve que si.

Le Bisontin du coin : Jacky Schwartzmann (1972)

Le dernier-né n’est plus un nouveau-né et commence à se tailler une réputation qui ne lui ont pas permis pourtant d’être présent dans le DAP, ce qui ne saurait tarder, à la prochaine édition revue et corrigée (pas trop vite Pierre, je n’ai pas fini de contrer, sans doute vers l’été 2026, si tout va, jusque-là, bien).

+++ de Jacky . Ses ZAD, Allez-vous faire foot1 et 2.

C’était hier que je rencontrais Jacky pour quelques heures seulement avec Demain c’est loin grâce à Jack Never, qui officiait à Caïn, et revient piger de temps en temps sur bbb…, comme ici :

C’est un roman dans lequel les mots sont un marqueur social : « C’était une Française, de bonne famille, bien élevée, le genre de meuf qui ne dit jamais par contre mais en revanche. » (page 13).  « – (…) elle, elle lit dans les lignes de la main. Tu le crois ça ? – Putain ! Les lignes de la main… Pis quoi encore ? – Eh ben tu sais ce que je lui ai dit ? – Nan. – Je lui ai dit que moi, je lisais dans la raie des fesses. » (page 26).  « J’étais un peu en mode parano, et stressé avec ça, j’ai tout de suite senti dans l’air l’odeur de la droite. » (page 135). Et permettent l’intégration professionnelle (voir ci-dessous).

C’est un roman qui fleure bon l’Auto-Entreprise :  « Dans ma boutique je ne vendais que des T-shirts et des sweats, sur lesquels je faisais imprimer des citations d’hommes célèbres. Sauf que ce n’étaient pas forcément de vraies citations, plutôt des conneries que j’inventais. Une de mes préférées était :  « On est bon, avec les nouveaux freins ? Ayrton Senna. » J’avais aussi :  « Mais puisque je vous dis que ça passe ! Capitaine du Titanic. » Enfin voilà, ce genre de trucs. » (…)  « La citation, c’est : « Bonjour, c’est bien ici Charlie Hebdo ? » Et c’est signé Chérif Kouachi. » (page 16) . Et ses inconvénients :  « J’ai un cerveau plutôt rapide et j’ai évalué ma situation : catastrophique. Saïd voulait me tuer parce qu’il n’avait pas trouvé très cool mon projet de me faire des thunes sur le dos des Algériens morts et, cerise sur le kebab, voilà qu’une meuf qui prononçait mon nom devant tout le monde venait de tuer son cousin en l’écrasant entre un capot d’Audi et un mur. J’avais déjà eu des journées merdiques meilleures. (page 50).  » La situation : en cavale, pas un centime sur nous, une voiture de police volée, le tout en slip et en peignoir. Je pense que nous étions les Bonnie and Clyde les plus rignards de toute la création. » (page 130). Et on dit merci à qui ? (voir ci-dessous).

C’est un roman qui rend hommage aux jardiniers de l’esprit :  « Duffle-coat appartenait à une catégorie bien particulière de Français : les professeurs. Celui-là était un spécimen typique, un marqueur, un poster. Il était parfaitement identique aux derniers de son espèce qu’il m’a été donné de côtoyer, l’année de mon bac. Pour commencer, il a précisé à plusieurs reprises qu’il était enseignant. On ne sait pas pourquoi ils font ça, personne, pas même eux, mais tous les professeurs le font. C’est hyper important. Imaginez un peu, si on les prenait pour le commun des mortels. Vous vous rendez pas compte, vous. Ils sont au-dessus. Ils sont supérieurs. Ils passent leur vie à donner des leçons à tout le monde, y compris en dehors des heures de boulot, du coup ils ont en permanence le sentiment de dominer leur entourage. » (page 22). Qui ont su bâtir l’école de l’égalité (voir ci-dessous).

C’est un roman sur l’invisibilité :  « C’est pourtant pas compliqué de comprendre les Français de Daech. Ce sont des blaireaux de cité qui ne sont pas aimés en France, et qui réagissent à leur manière : s’ils ne sont pas aimés, alors ils seront craints. Le problème n’est pas l’islam, le problème c’est l’absence de regard sur eux. Ils sont invisibles. L’islam ne s’est pas radicalisé, c’est la radicalisation qui s’est islamisée. Les petites racailles se sont trouvé un discours, mais leur vraie quête, c’est d’être vus. C’est du terrorisme Afflelou. Du coup ils vous font un Bataclan et, depuis leurs ténèbres, semblent nous demander : Et là, tu m’as vu ou bien … ? » (pages 24-25). Et l’identité :  « Les mecs, tiens, qui se laissent pousser la barbe. Ils développent ce truc que les femmes n’ont pas, cette pilosité, cette virilité un peu bestiale finalement, donnée par la nature. Il n’y a aucun mérite à avoir la barbe, ça ne demande aucun effort, aucune intelligence, aucun courage, et pourtant c’est toute leur identité. »  (page 40). À la gloire de la culture :  « Ah. Ils sont défoncés, quand même, chez Arte. Ils sont les seuls à passer des films asiatiques de sept heures avec un ficus comme personnage principal. » (page 34).

Schwartzmann Demain c'est loin

C’est un roman dans lequel le peuple populaire est présent :  « Brigitte s’est mise à quatre pattes pour que je la prenne en levrette et j’ai découvert qu’elle avait le visage de Johnny Halliday tatoué dans le dos. En énorme. »  (page 66)

C’est un roman en avance sur son temps :  « Parce que l’argent c’est quelque chose, alors que les gens, c’est juste quelqu’un. » (page 55).

Jack Never

Jacky Schwartzmann, Demain, c’est loin, Points Seuil (P4885), 182 pages, 6€60

« J’avais un nom de juif et une tête d’Arabe mais en fait j’étais normal. »*

Corrosivement vôtre, on pourra dire, à sa mort, on n’est pas pressés, qu’on pourrait plus le dire, ça. Alors, profitons-en maintenant, là, tout de suite. Quand il est encore temps, avant que les puissants nous mettent à genoux et l’éteignoir sur la bouche. Il faut s’armer d’ouverture pour s’identifier aux héros de Jacky Schwartzmann qui ne respirent pas l’empathie totale : CPE trafiquant de Shit, gigolo au Luxembourg de vieilles dames embagousées et emperlousées, et riches autant faire que se peut (Pension complète, voir plus bas), arnaqueur sosie de Kassowitz, autoentrepreneur lyonnais éponyme du chanteur des Valses de Vienne dansant dans la banlieue avec sa banquière (Demain, c’est loin*, lire plus haut)… Ça dégage, rarement en touche, ça fait mouche, sans épargner personne et ça ne respecte rien si ce n’est le respect de faire rire. Car, ça, contrairement à ce que l’on croit, c’est un métier.

Tiens comme tueur aussi…

Tueur, c’est un métier, un vrai.

Le camping est devenu un sport à la mode, envié même. Pourtant, il y a des risques. À tout moment vous risquez de vous retrouver en photo sur fb, le rouleau de pq à la main ou pire, dans une vidéo sur Snapchat, en train de beugler lors d’un karaoké spécial Carlos. Dino, gigolo au Luxembourg, aurait dû réfléchir avant de séjourner aux Naïades à La Ciotat. Faut dire que Macha sa belle-mère centenaire ne lui a pas laissé le choix. En panne de respectabilité, il tente de se faire oublier, mais pas trop quand même. Charles, l’écrivain, lui, est en panne de vécu et tente, au contact des gens normaux, de se reconnecter à la vie 2.0, histoire de se faire mieux reconnaître. Ils sont voisins de bungalow, bientôt alcooliques de camping mais avec ce qu’il faut de distance. Pas si sûr en fait. Autour d’eux, ça tombe (une Anglaise, un ado, un garagiste…) et c’est pas la chaleur qui l’explique car ça ne se relève pas. Si les Serial killers s’attaquent au camping, on n’est plus en sécurité nulle part !

Pension complète

 Jacky SchwartzmannPension complète, Seuil, 2018, 184 pages, 18€, existe en poche.

+++ de Jacky . Ses ZAD, Allez-vous faire foot1 et 2.

À SUIVRE…

Incroyable ! Le I va irriser l’été. Imaginez ce que vous allez lire ici : I got my mogette working (revisited), Ikigami, In-8, Ippon et Iran. Sans oublier La Contribution d’un invi (?) et un 5/5 de Josée Guili.

C’est mistérieux hein ? Nein ? Si !

François Braud

ourra pour Vali Izquierdo et pour sa lettrine, qui, quand elle ne dessine pas, enfile des perles avec talent, voyez plutôt.

papier écrit en écoutant Hoshi mais aussi, on s’en fout des lettres, Jean-Louis Murat qui a pris le grand toboggan ce 25 mai 2023… J’ai dû faire un Mauvais rêve.