Montalbano, je suis

« Et est-ce que ce serait ça, son avenir proche ? Promener Selene et s’engueuler avec un autre vieux pour une place sur un banc où tapait le soleil ? Et le soir s’endormir devant la tilévision, se réveiller hébété, appeler Livia plus endormie que lui dans un fauteuil d’â côté et puis, s’aidant l’un l’autre, aller se coucher ?« *

* page 127 , Le Filet de protection de Andrea Camilleri (Fleuve noir)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, pendant qu’il en est encore temps, goûtons notre plaisir de retrouver, le dottori, le commissaire Montalbano, le héros récurrent de Andrea Camilleri (décédé en 2019). Le Filet de protection (Le rete di prottezione, Fleuve noir, traduit par Serge Quadruppani, 2023, 283 pages, 20€90) est sans doute l’antépénultième aventure de Montalbano. Ne nous resteront plus à lire que La Méthode Catalanotti et Riccardino qui nous permettra de dire adieu à Montalbano. Selon son traducteur (à lire dans le CDAP, lettre M, partie 4, notule Montalbano, le 1er mai) il maestro avait écrit cette dernière aventure depuis longtemps pour clore pirsonnellement en pirsonne les aventures de Montalbano. Aussi faut-il profiter d’un ami plutôt que se désoler de devoir le perdre.

Vlatipa que Vigàta est revenu dans les années 50 grâce à cause d’une fique-chionne, envahie par des Suédois et des Suédoises surtout – Mimi Augello en frétille déjà – qui mettent un barouf du diable sur le port (et la promenade postprandiale du môle de Montalbano ?), à la plage de Marinella (la véranda de Montalbano sert de vestiaires !) et, pire que tout, à la trattoria d’Enzo où toute l’équipe du tournage mange.

D’un autre côté, tout le monde est tellement occupé à mater que c’est le calme plat côté commissariat. Comme le dit Catarella : « … même les dilinquants, ils dilinquantent plus passqu’y se sont tous mis à regarder c’te troupe attroupée qui tourne sa pellicule au pays. Même un dealer adurci comme Totò Savaterri, je l’ai vu tout pommadé, endimanché, qui faisait le figurant en poussant une poussette. » (p.21)

Jusqu’à ce que l’ingénieur Sabatello retrouve dans son grenier six films étonnants dans lequel son père filme, plan fixe, le même mur, le même jour, six années de suite. Ça lui titille la coucourde aussi s’en vient-il chercher de l’aide auprès de Montalbano. Qui, évidemment, n’aime pas cette pinsée ; ne pas trouver d’explication. Alors il va creuser.

Mais quel plaisir renouvelé de retrouver la minutie des intrigues de Camilleri, la bougonnerie de Montalbano, les trouvailles linguistiques de Catarella et le regard acéré et émouvant du maestro sur c’te Sicile que nous connaissons si bien grâce à lui depuis plus de vingt ans (le 1er Montalbano est paru en France en 1998 : La forme de l’eau – en 1994 en Italie).

Le Filet de protection nous permet de voir un Montalbano jaloux – y a pas pire jaloux que les volages – qui s’inquiète de sa coucourde (fonctionne-t-elle aussi vite et aussi bien qu’avant ?) et du temps qui lui reste « avant de partir à la retraite ? Pas beaucoup, et même, s’il avait voulu, il y avait déjà un moment qu’il pourrait y être. » (p.126), de plus en plus dépassé par la technique – heureusement il y a l’informaticien Catarella qui s’y connait en blogueu, en touitiste, en fesse de bouc ou en ouassap, nostalgique du passé (« Ha! François le minot…) et inquiet pour le présent au moment où deux hommes armés pénètrent dans une classe d’école… « [Les Américains] exportent toutes leurs saletés, de la fête d’Halloween aux fusillades dans les écoles. » (p.134) Quels tracassins !

Ne manquez pas non plus la préface de Serge Quadruppani (augmentée depuis le décès de Camilleri) dans sa lettre ouverte à Montalbano : « À l’instar de Maigret, ton grand ancêtre, tu ne manifestes pas un attachement forcené aux institutions et à leurs règles, tu es beaucoup moins intéressé à conclure tes histoires en présentant un coupable à la justice qu’à remettre un peu de justice dans le monde. » (p.8) Cette force-là, semble-t-il dire, se traduit dans les faiblesses de Montalbano comme « l’art de ne pas dire la vérité sans mentir tout à fait », sa « peur de vieillir » ou encore son « fanatisme pour les rougets de roche et la pasta ‘ncasciata ». Et c’est ainsi que l’on aime Montalbano, ce grandissime ami qu’un écrivain, Andrea Camilleri, il maestro, même aveugle (depuis L’autre bout du fil), a continué à faire vivre en dictant à Valentina tout le soleil sicilien pour nous aider « à se tenir droit contre les laideurs de la vie. » (p.14)

François Braud

Livre acheté d’occasion. Je dois la découverte de Camilleri à Nadine. Merci à elle. Papier écrit en écoutant le bruit de la machine à expresso qui filtre le café postprandial. Il était bon.