9. À mes dépens (Le feuilleton de l’été, saison 8 / anciennes nouvelles inédites).

« Je veux dormir
M’enfuir
Dans mes rêves
Dormir et sans rire
Je fais une trêve
Je préfère fuir
Dormir
Vers d’autres rêves »
*

* Rita Mitsouko, Évasion

Vous voulez de mes nouvelles ? est la rubrique fictions de l’auteur du site. Il y poste des nouvelles, anciennes oubliées et d’inédites ravageuses, des épisodes loufoques de feuilletons estivaux, de sombres récits noirs et des autofictions autocentrées. De temps en temps, le tout est illustré par un tiers qui prend le quart pour donner corps aux mots. FB

Ce feuilleton est enfin proche du titre de la rubrique qui l’abrite. Vous allez lire de mes nouvelles. Cependant, ce feuilleton n’en est pas un puisque chaque semaine sera l’occasion de découvrir une nouvelle. Enfin, pas si nouvelle que ça. Une semaine sur deux, il s’agira d’une ancienne nouvelle. La semaine suivante, ce sera une inédite. Leur lien ? L’excipit de la première (ancienne) sera l’incipit de la seconde (inédite). On cherchera vainement d’autres liens entre les deux. Il est possible qu’il y en ait.

Aujourd’hui au programme : À mes dépens, une nouvelle écrite pour le 5ème Festival de Mauves en noir en 2006 (et publiée dans le recueil du Festival).

Épisodes précédents :

1. Je n’ai jamais aimé l’été

2. Il n’y a de place que pour le silence

3. On dirait la mer

4. C’était mieux avant

5. Les Seins de Robert

6. C’est mon homme

7. La Soupe à la grimace

8. Les Appels du 18 juin

À venir, la semaine prochaine, une nouvelle inédite débutant par l’excipit de celle que vous allez lire…

À mes dépens

J’aurais dû l’écouter, vraiment. Mais il me bassinait avec ses jeux de mots foireux et minables. Un vrai wagon de queue comme il aimait se qualifier, tu saisis le truc, hein ?, un bout en train, tu comprends ? Ouais, je comprenais d’autant plus qu’il n’évitait jamais l’explication de texte, rien de plus mortel.

J’aurais dû me méfier, dès l’arrivée…

– On peut dire que tu l’as !

Un petit gros, genre comptable tombé pour avoir trafiqué les comptes d’une association sportive et s’être versé directement de la source les dividendes sur son compte en banque perso à lui en propre. M’étonnerait pas qu’il aie piqué du cash en sus dans la caisse, histoire d’avoir de la ferraille en poche pour se payer son p’tit blanc. Une moustache à la Cavanna, bien gauloise, tirant sur le gris pisseux, jauni par les Gitanes sans filtres (avec c’est plus cher !), qui dansait au moindre pet qu’émettait son esprit. Des yeux brillants surplombant un nez étonnement fin, genre sobre et sain, comme une rature au milieu des jolies guirlandes couperosées qui balafraient ses pommettes. Un menton à encoche aussi profonde que la coche qu’il devait : 1. à ses géniteurs, 2. à sa société et 3. à la société. 1 mètre 56, en tirant sur ses cheveux plus poivre que sel, qui tenait essentiellement dans son tronc, vu la petitesse de son cou qui se perdait entre deux épaules carrées et ses cannes qui semblaient  se résumer à du morse : un point pour les chevilles (ouvrières), un trait pour les mollets (comme un œuf de coq), un point (d’horreur) pour les genoux et un trait pour les cuisses (pas celle de Jupiter, c’est les miennes !). Bref, une (bonne) pâte à modeler.

– …

J’suis pas causant quand j’connais pas.

– La Santé !

Et ce rire, massif, franc, généreux, entier, sonore qui résonne encore à mes oreilles aujourd’hui. Et pour cause…

J’allais payer ma dette à la société mais, jamais je ne l’aurais cru aussi retorse de me faire tirer ma peine en compagnie de Paulo, ça ne s’invente pas.

Ça a commencé comme ça et ça ne s’est plus arrêté. Aucun répit, ni le jour, ni la nuit, j’allais l’apprendre…

– À tes dépens !

– …

– Amédée ! À mes dépens… Ha ha ha !

Je suis né pendant les trente glorieuses, la consommation en rut, les années De Gaulle, la poésie de Pou-Pou-Pidou, dans ces eaux-là quoi, pas troubles comme celles de la gauche traître ou de la droite cynique et, allez savoir ou comprendre, papa et maman n’ont trouvé qu’Amédée pour ce bébé joufflu de 1961 alors que les François, Michel, Olivier et autres Thierry n’attendaient que, j’en suis sûr, je rejoingne leur club d’homonymes. Enfin… Enfance ennuyeuse, chérie pourtant par des parents apprenant la veille leur rôle de parents pour le lendemain. Scolarité chaotique : primaire sans souci, secondaire correct jusqu’au collège, foirage au lycée dès la seconde, confirmation lors de la deuxième seconde donc vie active. Petits boulots manpoweriens à l’éco toujours temporaire, magouilles au black (tu travaillais la lumière éteinte !!), courses et paris, trafics frontaliers toujours à la frontière de la légalité, beaucoup de tombé du camion, de transports de colis douteux et LA proposition, le gros coup, celui qui te met à l’aise, tranquille au soleil pour quelques années. J’avais dit oui. J’ai eu l’ombre pour 15 ans. Papa et maman pleuraient en cour d’assises, réconforté par le commis d’office, les larmes coulaient peut-être plus de honte que de regret, je ne sais pas, jamais reparlé, j’suis pas causant, même au parloir.

Je tentais de l’éviter, aussi je profitais de tous les instants. Paulo était quasiment illettré mais il était toujours fourré dans ce qui nous servait de bibliothèque, prenant entre les dents, comme un bolchévik en représentation devant le bourgeois, un livre, pas trop épais quand même, et lâchait :

– J’ai tellement faim que je dévorerais un livre !

Même si on n’entendait pas bien au premier coup, ce n’était pas grave car il y avait toujours derrière une deuxième version, light, pour ceux et ceusses qui z’ont pas compris.

Il était aussi maniaque, l’hygiène ça rigole pas, enfin, c’était une façon de parler car où il y de l’hygiène, y a du plaisir ! Même le savon, ça le faisait mousser, les matons se retenaient de ne pas rire et quelques imprudents étaient pliés en deux. Ils rigolaient moins à la deuxième ou alors, dos au carrelage.

À la promenade, il arrêtait pas de jacter, tout était ou devenait sujet à, prétexte pour, météo, évidemment, mais aussi rénovation de l’habitat (à Rural…) ou prestations bancaires, crédit ou débit (à Urbain).

À la bouffe, je sais pas comment il faisait mais il l’ouvrait constamment, même en mangeant, j’avais l’impression d’être son dentiste, son stomatologue, son oto-rhino-laryngologiste, voire son gastro-entérologue. Putain ! Encore du maïs, ça se digère pas, tu savais ? On les retrouve entier dans les selles. J’suis pas jockey moi, ha ha ha !

 J’ai fini par comprendre en le regardant bien qu’il n’y avait qu’un seul endroit où je ne le croiserais pas : la salle de sports. Oulala, le sport, y a rien de plus mauvais pour le corps. Et avant qu’il en sorte une, j’avais foncé, écarté et fait de la brèche un véritable gouffre en assénant : T’as raison Paulo. Quand on demandait à Churchill le secret de sa longévité, il répondait : No sport ! Si tu te mets maintenant sur la même longueur d’onde que Winston, y va bientôt te sortir radio-Londres par les oreilles mon pauv’Paulo… Et j’ai rajouté, le sciant sur place : chon…  Il a tourné le dos avec un pas très drôle d’un ton à la fois désabusé et étonné face à tant de mots dans ma bouche.

 Je rassure toutes les synapses qui relient (vraiment ?) les neurones des fachos ; la salle de sports ne se mesurait pas, ç’aurait été indécent et ça aurait inquiété la ligue des droits de l’homme, on marchait sur les deux haltères et le vélo d’appartement déraillait régulièrement. J’étais devenu, par nécessité, un pro de la gonflette, un assoiffé de sueur, un dépendant des pompes sur deux bras, sur un bras, sur deux poings, sur un poing, sur deux doigts, sur un doigt. J’ai rapidement perdu le peu de graisse qui m’ankylosait les hanches (à la Santé, les poignées d’amour sont des appels au viol dans les douches collectives, dixit auparavant – chinois) et je me suis fait des muscles, des tablettes de chocolat et du body-building à mort. Vous auriez vu l’état de mon corps au bout de quelques mois, j’aurais pu postuler pour n’importe quelle pub avant/après, sans EPO, sans anabolisants et sans silicone. En plus, avec la cuisine qu’on nous servait, pâtes aux nouilles, soupe à l’eau, surimi au surimi, pain sec et dur, ratatouille de tout sans tomates ni courgettes ni aubergines ni poivrons ni oignons mais avec des grumeaux quand même, je risquais pas d’affoler la balance.

Je n’avais plus un corps mais une véritable géographie pleine de collines, de monts, de vallées, de plateaux de force et de plaines de muscles.

Tout allait bien, si tant que tout peut aller quand on est à la Santé (du moment qu’on est là !, ouais Paulo, t’as raison…). Tout allait donc bien sauf que j’étais enfermé. Jusque-là, rien d’anormal, vu que la société réclamait de droit que je paye mes erreurs. Tout allait donc presque très bien sauf que je ne fermais pas l’œil de la nuit rapport à Paulo qui jactait sans arrêt.

– Tu connais celle de Sherlock Holmes et Watson qui font du camping et à la nuit tombée le détective à la pipe questionne Watson à la lumière des nombreuses étoiles qui parsèment le ciel sous leurs yeux…

Avec Paulo, je n’avais même pas le temps de répondre qu’il continuait et, le point d’interrogation s’étiolait à mesure qu’il soliloquait.

– … Mon cher Watson, que déduisez-vous de ce que vous voyez ? Et l’acolyte d’ânonner des vérités telles que : l’infini est grand et le monde est petit, il devrait faire beau demain, Saturne est dans Jupiter… Mais non Watson, vous êtes une burne, on nous a piqué la toile de tente, tu la connais ?

Le poing d’interrogation arrivait enfin. J’évitais de répondre mais ça n’avait aucune importance, il repartait de plus belle.

Je ne sais pas si je me suis évadé parce que 15 piges, c’était long ou si je me suis évadé car 15 piges, c’était long avec Paulo. Et que je ne rêvais que d’une chose, m’éloigner de La Santé, de Paulo et pouvoir dormir…

Enfin, je me suis évadé.

Dehors, avec la détermination et les muscles que j’avais, il ne m’a pas fallu argumenter longtemps à la jeune fille timide qui venait, sans doute, de coller bien proprement un A (comme assassin) rouge sur le cul de sa Citroën Évasion, de me laisser le volant. J’y ai vu comme un signe, comme si Paulo était à côté de moi, sur le siège du mort.

– Et après tu dis que c’est moi qui en rajoutes, non, c’est vrai, t’es un marrant toi en fait, tu te fais la malle en Évasion. T’es un comique, un vrai.

J’ai vite chassé Paulo de mon esprit et ai ouvert les yeux sur la route qui s’ouvrait à moi, la ligne blanche comme leit-motiv visuel, manquerait plus que je m’endorme.

Putain, ça m’apprendra à braquer une jeunette. J’avais pas fait trente kilomètres que la jauge se mit à clignoter, le moteur à tousser et la caisse à s’arrêter.

C’était bête, j’avais pas pris ma carte bleue et question flèche, j’étais un peu rac. Pas de problème, j’avais ce qu’il fallait dans les mollets pour mettre une distance raisonnable entre les sirènes de police, Paulo et moi. Je me mis donc à marcher d’un bon pas et, à la vue de voitures me doublant sans arrêt, j’ai tendu le pouce.

J’eus de la chance, je le crus tout d’abord, en voyant s’arrêter ce que je jugeais dans un premier temps comme une camionnette mais qui s’avéra être une dépanneuse.

– Montez ! Vous allez où ?

Je fis un signe du pouce en direction de là. Il hocha la tête en affirmant :

– Oqué. Ça roule. C’est parti…

J’eus alors comme un tremblement irrépressible, presque prémonitoire.

– … mon kiki !

Putain… Un Paulo bis… Il me poursuivrait partout…

– Moi, c’est Henri mais tous les potes m’appellent Riton.

– ‘chanté, grognai-je.

– Non, c’est vrai, À mes dépens, je t’assure, à te sculpter le corps comme ça, il va t’arriver des bricoles, regarde Armstrong, il a choppé un cancer à force d’ingurgiter des trucs…

– C’était avant.

J’suis pas causant mais bon, la connerie a des limites

– Peu importe, je te le dis, cirrhose du foie de Paulo, tu mets ton corps dans tous ses états à faire du sport comme ça, ça te jouera sept tours (comme Lance, ha ha ha !). Tu l’apprendras, à tes dépens !

– T’es fatiguant Paulo, tu dors quand ? fis-je en me retournant contre le mur.

– Pendant que t’es à la salle de sports. J’ai rien à faire, je m’emmerde…

CQFD…

Tentant d’engager la conversation, le conducteur de la dépanneuse a vite compris que je n’y tenais pas grâce à deux trois borborygmes bien placés. Il eut, de toute façon, autre chose à faire, occupé qu’il était de répondre à sa radio, encore un fondu de cibi. Et nous avons filé. La liberté avait comme un goût de somnifère, je m’endormis…

Si je rêvai de Paulo, je ne m’en souvins pas au réveil. Il faut dire que j’eus autre chose à faire. C’était un véritable cauchemar. La dépanneuse était entourée par tous les flics de France qui me braquaient avec leurs flingues. J’suis pas causant, j’suis pas Mesrine. Je suis sorti les mains si haut que mon tee-shirt laissa entr’apercevoir mes abdos et que je réussis à faire rougir une jeune fliquette. On me mit les menottes avec difficulté. Oh, je ne me débattais pas, non, non, j’suis pas violent mais les keufs étaient morts de rire. Je compris rapidement en voyant sur le bas-côté un A rouge collé sur le cul d’une Citroën Évasion me faire comme un clin d’œil complice. La suite me fut narrée entre deux quintes de rire par les deux flics qui conduisaient l’estafette qui me ramenait à l’ombre.

– On pourra pas dire qu’on fait mal notre boulot, hein Valéry. À peine évadé, déjà repris.

– Ouais, t’as raison Herbert, c’est le roi de la cavale du Monoply le gars. Il repasse par la case départ mais il touchera pas 20 000 balles.

– Quand j’ai appelé Riton sur sa radio pour venir chercher la caisse, j’m’attendais pas à ce qu’il livre le colis, gratuit et endormi.

– Tu crois qu’on l’a réveillé en plein rêve, Herbert ?

– Chépa mais, tout ce que je sais, c’est que du temps pour pioncer, il va en avoir le roi de la cavaléry !

Rires ad infinitum….

– T’étais où Amédée ? Je me suis fait ièch moi… Tu m’as manqué. Remarque, j’ai piqué un roupillon d’enfer, j’suis en pleine forme. Alors, tu dis rien, raconte… T’as l’air crevé. Tu devrais dormir un peu, je te l’avais dit, le corps, faut pas trop tirer dessus, on le regrette toujours. T’as pas faim ? J’peux manger ta pitance ? Remarque, comme disait ma mémé qui travaillait de nuit aux Sardines des Dieux, à Saint Gilles Croix de Vie, en Vendée, qui dort ne mange pas de sardine. Elle est bonne, non ? Hé, Amédée, tu m’écoutes ou tu fais la gueule, dis ?

François BRAUD

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