« Il faudrait prendre les écrivains au sérieux. »

« La beauté peut rendre malheureux. »*

* page 91, Le malheur prend son temps de Pascal Dessaint (La Déviation)

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

Aujourd’hui, Le malheur prend son temps, un recueil de nouvelles de Pascal Dessaint (2024, 151 pages, 12€) à La Déviation (qui a déjà publié En attendant Bukowski et Jusqu’ici tout va mal).

C’est une évidence tellement mal partagée que certains viennent à en douter, certaines pensant même que ces derniers sont des ectoplasmes désuets d’un monde qui meurt. En cela, elles ont raison. Notre monde se meurt. Et ils feraient bien de s’en convaincre : « Il faudrait prendre les écrivains au sérieux. » (p.91) Ce n’est pas Pascal Dessaint qui le dit mais Bruno et Erwan citant Russell Banks. Ils avaient décidé d’en finir en allumant un feu sur la couche glacée d’une rivière. On verrait bien ce qui arriverait. On n’était pas pressé. « Le malheur prend son temps. Parfois. » Pourtant il y avait urgence. Pourtant il y a urgence.

Alors évidemment, allumer un feu sur la glace, c’est un peu notre lot à toutes et à tous qui laissons la Terre bouillir et cuire dans son jus écocide.

Pascal Dessaint a toujours aimé autant la nature que les nouvelles. Courtes. Le temps d’une inspiration. Ou d’une expiration. Le souffle de l’âme.

Résolument naturalistes ou teintées de noir (« Et pas que ça finisse avec une fourche plantée dans le bide d’un vieux porc. Elle ne dirait pas autre chose aux gendarmes. », p.47), ces 21 textes mettent en scène ce qui nous pend au nez : la disparition de ce qui nous entoure encore, la nuisance humaine et son facteur d’empathie qui se livrent un combat perdu d’avance.

Et si nous restons aveugles, Pascal Dessaint lui est lucide. Ne comptez pas sur lui pour écrire de belles page feel-good, « un truc qui marche mon chéri », non, lui, son truc, c’est justement ce qui ne marche pas ou ce qui ne marche plus. À la différence du malheur qui s’abat, le bonheur lui méandre et finit par se perdre.

Pascal Dessaint, dont le clavier touche de plus en plus à la grâce, ne sombre pas dans le cynisme mais affronte la vérité. Et il nous fait là « un beau cadeau » (excipit p.152).

« Il faudrait prendre les écrivains au sérieux. » Pascal Dessaint en est un des plus émouvants.

François Braud

Pascal Dessaint est un vieux compagnon du noir. Livre reçu en service de presse. Papier écrit dans le silence assourdissant. Papier recensé par bibliosurf. Merci.

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