Ce qu’il vous faut, c’est un Commère

Que faisiez-vous le soir du 12 juillet 1998 ?

« Un accident de voiture au milieu de la nuit, une naissance, le grand amour ou un viol, qui sait comment les choses arrivent ? »

Dès l’incipit, le sort est jeté. Le destin est en marche. Tout démarre par une soirée mémorable pour certain(e)s, terrible pour d’autres. Le point commun ? « Nous sommes le dimanche 12 juillet 1998 au soir, et depuis quelques heures, la France est championne du monde. »

Le destin, c’est le thème au cœur de nombreux romans d’Hervé Commère, mais ici, dans Ce qu’il nous faut c’est un mort (Fleuve noir), le destin a la gueule d’un pare-chocs, le volant d’une voiture que l’on tient de ses mains crispées, on fonce, le pied sur l’accélérateur, vers un mur, et l’on sent bien que l’on ne peut pas mettre le pied sur le frein, on ne sait pourquoi, et même si on y arrivait, debout sur le frein, la voiture filerait toujours droit dans le mur.

Le soir du 12 juillet 1998 donc. Trois jeunes hommes perdent leur jeunesse au volant d’une 205 GTI sur la corniche de Vrainville, une jeune fille naît dans le Var pour redonner l’espoir à tout un peuple d’ouvrières et d’ouvriers, un homme tombe amoureux dans une discothèque et une femme offre un verre d’eau à un garçon gentil.

Plusieurs fils narratifs que l’auteur entremêle avec intelligence, un roman chorale en quelque sorte…

Trois jeunes hommes alcoolisés filent sur la corniche. Il y a là Patrick, le fils du maire, Maxime l’orphelin et Vincent, le fils du patron de Cybelle. Ils rient.

– Ça se voit d’ici, les gars, moi, je vous le dis : celle-là, elle couine ! […] Patrick ignore qu’il parle de celle qui deviendra sa femme.

Mais tout va s’étrangler dans leur gorge. Ils percutent une femme.

Au même moment, une naissance.

« Dans dix-huit ans, la petite Mélie sera la dernière embauchée des usines Cybelle et fera l’ouverture du journal de 20 heures. »

Un futur flic entre en discothèque.

« Il s’appelle William, mesure un mètre quatre-vingt-huit, pèse quatre-vingt-dix kilos sans le moindre gramme de gras et se rend au Mango tous les week-ends. […] Ce soir, il va danser, charmer, onduler dans la lumière des spots et repartira tout à l’heure en compagnie d’une fille qu’il ne connaît pas encore. […] Dans dix-huit ans, William, Françoise et leur petit garçon emménageront dans la minuscule maison de Vrainville […] »

         Marie, en ce soir de 12 juillet 1998, fait entrer dans son appartement un garçon gentil. Gentil ?

« Marie Damrémont remplit un verre d’eau pour celui qu’elle aime bien sans rien savoir de lui, et lui rugit intérieurement. Il va la frapper, elle va crier, il va lui marteler que les appartements voisins sont vides, les gentils étudiants sont tous chez leurs parents, il va arracher ses vêtements, son manteau léger trop femme, sa culotte Cybelle, il va la forcer, son sexe dans sa bouche en la tenant par la nuque, lui prendre les mains, les cuisses, tout lui faire pendant une demi-heure interminable et la laisser hagarde, du sperme et du sang plein ses larmes, recroquevillée sur le sol en la traitant une dernière fois de pute avant de déguerpir. Le verre d’eau est rempli. Marie Damrémont se retourne vers lui.« 

Les lignes de l’auteur font peur. Elles glacent de leur indicible réalisme, de leur inéluctable réalité. Le destin marche et il écrase tout. Hommes et femmes se battent pour survivre dans un monde qui les brise. Mais ils semblent tous vouloir l’ignorer. Pourtant, ils et elles vont toutes et tous se croiser, se mêler, se déchirer et former le puzzle de l’histoire d’une petite commune, celle de Vrainville, dans laquelle toutes et tous vivent pour Cybelle.

C’est l’histoire d’une entreprise, Cybelle, sous-vêtements pour femmes, une entreprise à l’ancienne dans laquelle le patron pense à autre chose qu’aux bénéfices mais soigne son personnel. « Le patron de gauche, c’est un peu un fantasme… » Mais l’histoire va avancer vers ce que l’on appelle la modernité. Et ça va faire mal…

Ce qu’il nous reste à vivre, chez Hervé Commère, est devant nous, et, même si tout semble tracé, rien ne nous empêche de penser que tout est sous contrôle et qu’un rien suffit à tout changer ? En bien. Ou en mal.

Commère nous renvoie à notre propre destin. Dans quelle mesure vivons-nous avec notre passé ? Comment le plie-t-on pour pouvoir encore respirer sans s’étouffer ? Comment fait-on pour avancer ?

La réponse est simple et terrifiante : on avance parce qu’on ne peut reculer. « On ne voit jamais tout complétement, on avance, on ne sait pas. On verra. »

C’est tout vu. Lisez Ce qu’il nous faut c’est un mort. Vous vous sentirez vivant.

Ce qu’il nous faut c’est un mort, Hervé Commère, Fleuve noir, 397 pages, 19€90

François Braud

Commère Ce qu'il nous faut c'est un mort

3 réflexions sur “Ce qu’il vous faut, c’est un Commère

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