813#6 (Trophées 2023) : L’art fragile de la biture (Buchholz / Béton rouge)

* page 46 , Béton rouge, Simone Buchholz

La position du critique debout est une zone critique mettant en avant un ou plusieurs livres de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que vous auriez en me disant que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire… FB

En ce mois d’août climatiquement détraqué, broblogblack vous propose de vous ressourcer en puisant dans la lecture de tous les ouvrages qui concourent aux Trophées 813 de l’association éponyme de trouver de quoi vous inquiéter davantage… Vous trouverez là, donc, de quoi voter si vous êtes adhérents et de quoi lire intelligent si vous ne l’êtes pas.**

** Adhérent j’entends, mais ça peut s’arranger

Au programme ce jour : Début du deuxième round, après la catégorie francophone, voilà les boxeurs étrangers et on monte sur le ring avec une boxeuse allemande, Simone Buchholz, Béton rouge, traduit par Claudine Layre (L’Atalante, Fusion, 2022, 228 pages, 20€50), en lice lui pour le Trophée 813 Michèle Witta 2023 du meilleur roman étranger de l’année 2022…

La scène est ubuesque : un homme, visiblement torturé, est découvert nu, dans une cage, devant les locaux du plus gros groupe de presse de Hambourg et les flics ont dû le protéger des badauds qui lui crachaient dessus. Chastity Riley, procureure dépêchée sur les lieux, après que la veille, elle ait assisté à un délit de fuite (une jeune femme renversée et tuée par un chauffard), assisté de d’Ivo Stepanovic du LKA, Bureau des Affaires Spéciales, va devoir comprendre ce qu’a bien pu faire la victime qui se nomme Tobias Rösch et se trouve être le DRH du groupe de presse de l’immeuble devant lequel on l’a déposé. Et peu de temps après, « nous avons une deuxième cage » (p.63), un deuxième homme subit le même sort et il appartient au même groupe de presse. Le lien est tout trouvé… Mais…

Plus que l’énigme qui ne révolutionne pas le genre et semble fonctionner avec une cale en bois et du fil de fer – et reste secondaire chez cette auteure allemande que je découvre – c’est le personnage de Chastity Riley qui interpelle, la prose de Buchholz, hachée, épileptique, lyrique, haïkuesque, éthérée, bleu pétrole et rouge néon, développée dans de courts chapitres aux titres évocateurs et byzantins (Des cigarettes en guise d’armes / Quand tous les lampadaires auront été abattus à coups de fusil, vous verrez que le brouillard ne se mange pas), qui étonne : « La lune m’attire vers elle dans le ciel, j’attire l’homme vers moi sur le sol. » (p.47) et la ville de Hambourg qui fascine; ses bars, ses ombres, sa pluie, sa chaleur, son port et sa lumière, son quartier de Sankt Pauli. Lavilliers avait raison : « On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville. »* Il aurait d’ailleurs dû dire : on n’est pas d’un pays mais on naît d’une ville…

* Saint-Etienne

« c’est un vieux tonneau tout cabossé

où brûlent des encombrants

notre soleil. » (p.102)

Chastity Riley est une femme qui élève l’art de la biture à son acmé et limite celui de la communication à quelques grognements, phrases et gestes futiles mais nécessaires. Originale (« Est-ce que nous ressemblons à de fichus scouts ? », p.31), borderline (« Je me demande fréquemment comment font les gens pour supporter ce genre de vie, celle où, quand on colorie, rien ne doit jamais dépasser, jamais. », p.29) et rebelle (« Selon moi, c’est le fait qu’il existe un chef et qu’il puisse décider du destin d’autrui qui est incroyable, mais personne ne me demande mon avis. », p.71), Chastity Riley ne rentre que dans peu de cases : celles de la ténacité, la lucidité, la désillusion.

Béton rouge oscille entre whodunit fainéant et thriller poussif mais c’est dans le roman noir qu’il est à classer, qu’il s’accomplit, dans le roman d’un personnage, d’une héroïne, Chastity Riley, qu’on ne comprend pas toujours mais qui nous semble diablement proche, comme une cousine qu’on aurait éloignée car elle met les coudes sur la table, les pieds dans le plat tout en crachant dans la soupe (ce qui n’est pas aisé), le mouton noir de la famille en quelque sorte. C’est ça qui fait la saveur de ces pages servie par une écriture affûtée, avec concession à la tension narrative, au lissage du déroulé de l’intrigue. Avec pour contenir le désespoir, des larmes d’humour : « CE CABINET RESTERA FERMÉ JUSQU’À CE QUE LE MAIRE ARRETE DE BAISER MA FEMME. » (p.129)

Le management de la presse et sa déliquescence au mépris de la déontologie (qu’on aurait aimé plus développé) et le passé de l’enfance qui ne passe pas (plus convenu) sont les deux grands axes de ce roman que Chastity Riley semble traverser comme une fantôme sans son ami et collègue Faller (qui lui textote des conseils de sa villégiature hispanique) qui se rapproche et avec son amant Klatsche qui s’éloigne…

L’atmosphère a ici des relents de mal être, de maltraitance et de désir avorté.

François Braud

D’autres avis…

Dans la même collection, sur bbb : Appartement 816 d’Olivier Bordaçarre.

Ce roman est en lice pour le Trophée 813 2023 Michèle Witta du meilleur roman étranger de l’année 2022 : bonne chance à lui !

C’est déjà du passé :

813#1 Le Blues des Phalènes de Valentine Imhof

813#2 Dans les brumes de Capelans d’Olivier Norek

813#3 Les Derniers jours des fauves de Jérôme Leroy

813#4 Le Carré des indigents d’Hugues Pagan

813#5 Pour tout bagage de Patrick Pécherot

Les cinq posts pour le Trophée 813 2023 pour le meilleur roman francophone de l’année 2022 sont aussi à retrouver sur le blog de 813.

À SUIVRE : 813#7 Les gens des collines de Chris Offutt

Source : livre reçu en service de presse, merci à Olivia Castillon.

Passeur :  L’éditeur, la nationalité de l’auteur et les adhérents de 813 ont contribué à me faire tomber l’œil dans Béton rouge.

Bande sonore : papier écrit en écoutant Bleu pétrole de Bashung.

Post recensé sur bibliosurf. Merci.

14 réflexions sur “813#6 (Trophées 2023) : L’art fragile de la biture (Buchholz / Béton rouge)

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