Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre B (partie 1)

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons ». J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré : « Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

À qui avez-vous affaire ?

Lettre B

(1ère partie)

on, le plus dur est fait. Le premier pAs. Avec le deuxième, ce sera, non un petit pas pour le lecteur ni un grand pour le blogueur mais un Bond. De A à B, un nouveau monde s’offre à nos yeux. L’arBrisseau devient BaoBaB. On stagnait. On avance. On piétinait. On marche. On Balbutiait. On Bavarde. Bref, vous avez compris, on passe la deuxième avec la lettre B.

B par PL (Pierre Lemaitre)

igre ! Foin des huit entrées de A, voilà les 19 de B ! 12 (voire 13 avec le duo français BN) auteurs : Balzac, Bannel, Bartelt, Bayard, Benacquista, Boileau-Narcejac, Bonnot, Bouysse, Brown, Bunker, Burke James Lee – et Burke Shannon. 1 héros : Baron (Le). 2 titres : Bête qui sommeille (La), Bloc (Le). 3 thèmes : Blanche (Sniffer de la), Bombe sous la table (La), Brève histoire du polar (Très). 1 série : Breaking Bad.

Y a du monde et du beau linge. Relevons alors ce qu’il y a à relever : un coup de cœur, quelques lignes dans lesquelles PL tente de nous convaincre de la majesté et de la magnificence de, un coup de plume dans lequel PL délaisse sa tenue de critique pour endosser celle d’auteur, un coup de griffe qui permet à PL de piquer un peu et le coup de brume qui met en avant un oublié, une méconnue…

Le coup de cœur

arguigner, voilà le verbe. Hésiter mais surtout rechigner à faire un choix. Après plusieurs tours de scrutins et de lectures, sans avoir pu les départager, le coup de cœur de PL va à Franz Bartelt et à Tonino Benacquista. Ça tombe bien, on les aime aussi sur BBB (une formule ampoulée pour dire que j’aime bien ce qu’écrivent ces auteurs).

De Bartelt, il met en avant « sa fantaisie, sa prolixité, mais surtout son humour. Il affirme « ne jamais rire de ses propres plaisanteries, il est bien le seul », ses « fulgurances frappées, comme on dit, au coin du bon sens », sa « précocité » et « sa fanfaronnade ». De Benacquista, il « avoue, un goût spécial pour les Quatre romans noirs, autant dire quatre merveilles », sa lecture est « jubilatoire » grâce au « ton », à « l’humour » et à « une certaine forme de cynisme [et à] la noirceur de la tragédie grecque mêlée à la commedia all’italiana ».

Plus qu’un coup de cœur, cela semble être de l’admiration qu’éprouve PL pour les auteurs. De Bartelt, il complimente : « Son œuvre brouille allégrement les frontières entre littérature blanche et littérature noire même si cet ironique observateur des mœurs contemporaines verse résolument dans le noir. » Et de Benacquista, il confie : « Un jour, j’ai cédé les droits audiovisuels d’un de mes romans uniquement parce qu’on m’avait fait croire que Benacquista était intéressé pour l’adapter : c’est vous dire si j’aime ce qu’il fait. La promesse était un mensonge éhonté, mais j’avais accepté. Le film n’a jamais vu le jour, les droits sont restés bloqués dix ans. Je me suis consolé en relisant les romans d’Antoine/Tonino. »

Le coup de plume

lanc, c’est blanc, noir c’est noir.

PL, Prix Goncourt pour Au revoir là-haut, et lauréat pour son DAP du Trophée 813 Maurice Renault récompensant l’ouvrage qui sert « ce genre que nous aimons« , reste un grand débutant. Quand il croise un des ses anciens professeurs (Pierre Bayard) : « il ne se souvenait pas de moi – ce qui était vexant – et il m’a demandé : « Vous ai-je mis une bonne note ? » Elle était très bonne, j’en rougis encre. » Un grand débutant lucide sur lui-même (voir Le coup de griffe) quand, dans la notule Blanche (sniffer de la), il évoque les tracés délictueux de frontières et leurs migrants. L’édition serait un monde bipolaire mais inégal : « En termes de légitimité, la littérature blanche est souvent placée au-dessus de la noire. » Sur cet état de fait, il avoue y avoir « un peu réfléchi » mais qui est biaisé « d’autant que la frontière entre elles est loin d’être imperméable. » Et de disserter sur les « transferts dans les deux sens » qui « n’ont pas le même sens ». « De la blanche vers la noire, c’est un délicieux frisson. » « Dans l’autre sens, on théorise ». « Des premiers, je n’ai rien à dire, leurs « polars » parlent pour eux. » « Chez les seconds (j’en fais partie, donc je pèse mes mots…), je discerne une motivation (…), du désir de jouer dans une autre cour… (…) Aller sniffer de la blanche. Montrer ce qu’on sait faire à ceux qui, au mieux, vous ignorent, au pire, vous méprisent. » Un coup de plume acérée.

Le coup de griffe

astillonner ses arrières après un coup de griffe et puis, l’air de rien, en redonner un autre avec toute la patte qui y passe. Ça commence gentiment, gentiment, comme disait Nougaro : « Je les ai lus (avec plaisir parfois), et pourtant je ne les ai jamais vraiment aimés. » Voilà une sentence sorti droit du cœur envers le binôme le plus connu peut-être des auteurs de romans de suspense (« ils n’aimèrent ni le roman d’énigme, auquel ils reprochaient d’être artificiel (…), ni le roman noir – auquel ils reprochaient d’être de mauvais goût ») et qui ont donné parmi les plus belles adaptations cinématographiques (Vertigo d’Hitchcock, Les Diaboliques de Clouzot). Il s’agit de Boileau-Narcejac. La deuxième couche arrive : « … j’ai compris ce qui m’a souvent agacé chez eux : le côté donneur de leçons. » Et la finition : « Il y a de plus, dans leurs romans, une ellipse systématique de toute violence qui fleure la propreté provinciale, une fuite devant toute considération sociale qui sent son petit-bourgeois. » Mais le pansement n’est pas loin, l’homme est bon (mais le veau est meilleur dirait Jean-Bernard Pouy). En les lisant PL a « retrouvé des plaisirs oubliés. Le charme agit encore parce que la technique est une des plus sûres qu’on puisse trouver dans le polar français. »

Il n’épargne pas non plus ses lectures de « jeunesse » comme Le Baron d’Anthony Morton : « J’ai essayé d’en relire un et, franchement, c’est difficilement faisable. », ni les grandes figures, comme Balzac, qu’il écorne que pour ne mieux le louer : « Le mieux est peut-être de lire et relire les prodigieux romans de Balzac dont, hélas, ni Une ténébreuse affaire, ni, à fortiori, Maitre Cornélius ne constituent le meilleur… », ni lui-même : « Si j’avais lu [la] biographie [de Cédric Bannel], pas certain que je me serais lancé dans la lecture de ses romans. On a de ces préjugés parfois. » et pour Franck Bouysse : « Je n’ai pas fait preuve d’un esprit bien précoce (ni ordonné) à en [le] découvrant en 2019 avec Né d’aucune femme ; il avait déjà écrit une douzaine de romans… »

C’est pour ce genre de lignes qu’on lit ce DAP, ces aveux-là, cette qualité si rare de nos jours dans ce milieu de l’édition : la franchise.

Le coup de corne de brume

alancer aux orties ses préjugés. Non, l’auteur du polar n’est pas toujours cet être au CV débordant de petits boulots (je connais la vie), ne voyant pas ce qu’il aurait pu faire d’autre (pointer à l’usine ?), à l’imagination aussi débordante qu’une bouée ventrale d’un cinquantenaire à l’IMC gonflé, goûtant à la culture comme un œnologue de compétition.

Non, ce peut être un énarque, un politicien membre du Conseil constitutionnel, un maitre des écoles avec des cahiers à corriger, un inculte enregistrant son roman au dictaphone, un coincé du clavier qui tourne à la page hebdomadaire ou Marseillais incapable de citer un joueur de l’OM ou d’expliquer la règle du hors-jeu.

Bref, il y autant d’auteurs que de fromages.

On ne peut pas les connaître tous. D’où les coups de corne de brume pour se défarcir le brouillard épais de nos préjugés et de notre méconnaissance.

Coup double là encore. Comme pour le A. PL attire notre attention sur deux auteurs que lui-même avoue qu’ils sont rares dans le monde du polar

Le premier est un chef d’entreprise, un énarque, fondateur d’un site de vente automobile et associé fondateur d’un fonds d’investissement. Autant dire un nom qu’on aurait plus de chance de croiser dans Valeurs actuelles ou les pages roses du Figaro (ou peut-être Alternatives économiques ou Charlie – pour panacher le panel en ces temps d’élections). Il s’agit de Cédric Bannel dont PL avoue que son CV aurait pu être un frein à la lecture de son œuvre (voir Le coup de griffe). Ses histoires sont « passionnantes » et ses personnages authentiques. Et il « rend un bien bel hommage » aux femmes afghanes dans sa trilogie : L’Homme de Kaboul, Baad et Kaboul Express.

Le second qui « vient des lettres, de l’histoire, de l’opéra de Marseille et du documentaire » n’est pas de ceux qui versent « quelques gouttes de pastis sur un plat de mots ». L’aveu est de Xavier-Marie Bonnot. Vise-t-il quelqu’un ? On ne le saura pas. En revanche on apprend que son héros se prénomme Michel de Palma dit… Le Baron (voir Le coup de griffe) ! Mais loin de Morton, sa lecture enthousiasme encore aujourd’hui PL : « Depuis les années 2000, il se consacre au polar, personne ne s’en plaindra. » Il nous conseille la lecture de La Première empreinte et de « ce beau roman » qu’est La Dame de pierre dont il ne parle que quelques lignes car « en dire davantage serait en gâcher la lecture. »

B par FB (François Braud)

raud, va falloir assurer maintenant. L’auteur de ces lignes, que l’on nommera anonymement FB, va devoir découvrir son jeu et jouer cartes sur table. Qu’est-ce que PL a pu oublier ? Ou, plus simplement, qu’aurait mis FB dans son Contre dictionnaire amoureux du polar ?

Cinq auteurs et une série qu’a avancés PL aurait figuré, sans hésiter une seule seconde, dans mon CDAP

Alors, que dévorer pour enfoncer le blanc au fond du fond ?

Franz Bartelt évidemment (les derniers lus sont des petits bijoux d’humour : Un flic bien trop honnête et Hôtel du Grand-Cerf). Même adapté en BD, il ne perd pas une plume : La cage aux cons d’après Le Jardin du bossu. Et je ne désespère pas de le voir s’atteler aux ZAD

Tonino Benacquista assurément. Ancien condisciple de Caïn avec sa célèbre rubrique Les livres que je n’ai pas lus. J’ai récemment chroniqué un des tous premiers romans, un des quatre merveilles selon PL : Trois carrés rouge sur fond noir. Et parlé il y a longtemps de La commédia des ratés dans Shanghaï , une revue dirigée par Laurent Martin et Stéfanie Delestré, l’actuelle « taulière » de la Série Noire et La Noire..

Pierre Bayard œuf corse. Je l’ai découvert avec Comment parler des livres que l’on n’a pas lus*. Ou Comment briller en société ou Faire la bamboche avec la littérature ou C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule. Mais vous pouvez, soit lire ce livre pour comprendre que cela relève plus de l’essai littéraire que de la carabistouille, soit ne pas le lire et en parler en toute connaissance de cause. D’autant qu’il y a des prédécesseurs : L’homme sans qualités de Robert Musil (dans lequel, notamment, paraît-il**, un bibliothécaire invente un système de classement sans avoir lu aucun livre de ceux qu’il classe) ou Avortement de Richard Brautigan (dans lequel une bibliothèque conserve les livres qui n’ont jamais été édités***). Jubilatoire.

* D’ailleurs, la question se pose : Pierre Bayard a-t-il lu Caïn ? Car son livre date de 2007 et Tonino collaborait à Caïn bien avant, comme le prouve cet article du printemps 1996 (Caïn n°18) ou encore ce papier de 1994

** D’ailleurs, j’applique le même procédé littéraire développé par Pierre Bayard puisque je n’ai pas lu ce livre… Dois-je en avoir honte ?

*** Celui-là, je l’ai lu, deux fois.

Franck Bouysse, comme Félicie, aussi. Né d’aucune femme était secouant, perturbant, magnifique. Son dernier roman est un joyau intemporel de roman noir, d’atmosphère : Buveurs de vent. ll faut lire Bouysse.

Burke (James Lee), le grand Burke, indiscutablement (au sens propre). Là, c’est la catégorie au-dessus, la famille des géants, de ceux qui écrivent avec leur sang dont la prose est aussi éthérée qu’un souffle de vent et les mots des blessures mortelles. Enfin, il écrit bien quoi. Et ses héros et héroïnes sont autant d’ami(e)s qui font partie de notre vie : David, Robicheaux, son pote Clete Purcel, sa fille Alafair (voir chroniques Dixie City, Jolie Blon’s Bounce). Même les livres des autres séries sont des lumières : La fête des fous.

Breaking Bad, indubitablement. Ou comment développer une empathie pour Walter White (Bryan Cranston) au début de la série que l’on finit presque par regretter à la fin. Ne pas en dire trop. Un professeur de chimie, atteint d’un cancer, se lance dans la carrière de producteur de métamphétamines pour assurer un avenir à sa femme, enceinte et son fils, handicapé. Classique mais éprouvante question que celle qui vous pousse à réfléchir pour savoir jusqu’où seriez-vous prêt à aller pour vos proches ? Jusqu’à les perdre ? On réfléchit encore longtemps après le binge-watching or, in french, le visionnage boulimique.

Walter White (dessin de Christian De Metter, DAP, page 74)

J’aurais été en revanche encore plus nuancé pour (Pierre) Boileau-Narcejac (Thomas). J’en ai beaucoup lu. J’ai apprécié mais il ne m’en reste plus beaucoup dans ma mémoire qui, il est vrai, ressemble de plus en plus à du fromage blanc. Comme si le disque dur était plein et que pour lire à nouveau, il fallait effacer des blocs. La défragmentation mémorielle est nécessaire. Le seul qui me reste bien en mémoire, c’est Et mon tout est un homme. Et pour cause, je l’évoque dans ce CDAP, Lettre A, partie 2.

Je n’aurais sans doute que peu évoqué Edward Bunker que j’ai découvert avec de son premier roman largement inspiré de sa vie et ses incarcérations (Aucune bête aussi féroce) et Larry Brown, que, à ma grande honte, je n’ai pas lu mais, s’il me faut une excuse, j’ai tous les livres dans ma pile à lire d’urgence. Il en va de même pour Shanon Burke que je ne connais que de nom… Mais au vu de la notule que lui consacre PL, ça devrait changer : « Ce roman réaliste, brutal et déchirant rappelle, par sa force et son authenticité, la série The Wire. » C’est dire ! Si on convoque une autre très grande série, c’est l’assurance de me voir ouvrir ce livre.

J’aurais évoqué Balzac pour son rôle (supposé ?) de précurseur (à lire dans la partie 2 de la lettre B), négligé (La) Bête qui sommeille (dont PL fait un résumé sur 2 pages et clôt sa notule avec 2 lignes où clignotent « classique absolu du roman noir« ), Bannel* et Bonnot (que je n’ai pas lus mais j’y songe dorénavant), de même pour Le Baron**, inconnu pour moi (et qui va sans doute le rester – voir Le Coup de griffe), même si j’ai découvert deux gros bouquins (Œuvres complètes au Masque) dans ma bibliothèque, j’aurais sans doute évoqué les « transferts  » de la noire vers la Blanche (Sniffer de la) et l’inverse mais plutôt à la lettre T, comme Trahison (vous verrez bien), oublié (Le) Bloc de Jérôme Leroy (je n’ai pas encore lu ce livre dont on me parle tant (trop ?) mais j’ai sur ma pile son dernier roman à La Manufacture de livre,  Les derniers jours des fauves). Aucune chance que je ne titre une notule (La) Bombe sous la table mais j’avais pensé au McGuffin*** (voir à M – ha ben oui, c’est pas tout près) dont parle aussi Hitchcock cité dans cette notule pour expliquer qu’il y a deux manières d’exploiter la situation de la bombe sous la table : la surprise (Le Contrat de Westlake) oui le suspense (Mystic River de Dennis Lehane). Le raisonnement est quasi scientifique et les exemples probants, vous m’accorderez cet adjectif ?

* Est-il à la hauteur de DOA et de son phénoménal Pukhtu ?

** Quand je pense au baron et au polar, je pense à Michel Lebrun et à son autobiographie thématique sur l’alcool, Rue de la soif et son énigmatique Le Baron est un con.

*** Vous pouvez faire des recherches.

J’ai gardé l’historique pour la fin. La (très) Brève histoire du polar de PL est (très) intéressante. J’adore ceux et celles qui s’amusent sérieusement à étiqueter, classer, trier, ranger, organiser quelque chose que la plupart des gens pensent inclassable, intriable, inétiquable, inrangeable, inorganisable (et je vous fais que les adjectifs en ables qui n’existent pas pour la plupart). Claude Mesplède, pape du polar après la mort de Michel Lebrun, l’annonce d’emblée dans l’article de l’Encyclopédia Universalis :

« Toutes les tentatives pour définir et codifier le genre, si l’on peut parler de genre, ont échoué. » page 175, corpus 20 (édition 1995). « Dès sa naissance, ce genre littéraire est vite devenu insaisissable parce que multiforme et indéfinissable globalement *».

* Je le sais bien, je m’y suis essayé.

Mais laissons la parole à PL : « Au début était le roman policier. Un roman d’énigme dont le but consistait à jouer avec le lecteur chargé de suivre une enquête à partir des éléments proposés (avec plus ou moins d’honnêteté ) par l’auteur (…) : le whodunit. » Et de citer alors Agatha Christie, Rex Stout. « Après le whodunit vint le hard-boiled (comprenez : dur à cuire). (…) Le policier passe au roman noir. » Et de s’appuyer sur Dashiell Hammet, Raymond Chandler ou William R. Burnett et Chester Himes. Todorov développe la différence essentielle entre les deux dans Nouvelles recherches sur le récit et PL la formule ainsi : « Le premier attise la curiosité en allant de l’effet à la cause tandis que le second créé du suspense en allant de la cause à l’effet. » Mais « La grande nouveauté française sera constituée par une évolution fondamentale opérée par un type nommé Jean-Patrick Manchette« . Sans le citer, il évoque donc le néo-polar, terme que Manchette récusait paraît-il, lui préférant cette périphrase dont j’use souvent : « ce genre que nous aimons ». Ses enfants vont émerger : Didier Daeninckx, Frédéric H. Fajardie, Thierry Jonquet, Jean-Bernard Pouy« Après quoi le paysage devient plus confus. Est-ce un effet de la mondialisation de la littérature ? Un essoufflement du genre ? La naissance progressive de la postdémocratie ?«  PL n’y répond pas. « Toujours est-il que le monde du polar se fragmente et qu’il serait bien artificiel (…) de trouver un indiscutable facteur commun » à toute la production passé et actuelle. Et pour le prouver, il liste : La fille du train, Zulu, Da Vinci Code, le Quatuor de Los Angeles, Le Parrain, Mygale… (Sauras-tu retrouver les auteurs de ces titres ?)*

* Paula Hawkins, Caryl Férey, Dan Brown, James Ellroy, Mario Puzzo et Thierry Jonquet (voir plus bas)

C’est assez clair mais peut-être un petit trop… simple, carré, simpliste ?

En revanche, PL ne disserte pas sur « la paternité du genre« . Enfin, si, il en parle un peu plus haut, avec Honoré de Balzac :  » Ces œuvres [Maître Cornélius – 1831 et Une ténébreuse affaire – 1841] sont-elles policières ? Si oui, Balzac prendrait, quant à la paternité du genre, un ascendant certain sur nombre de ses concurrents parfois mieux armés mais arrivés après lui. » Mais pour certains (Régis Messac, Yves Ruter), « Balzac nie une règle du genre : celle du mystère et donc du suspense en nous racontant les événements en détail avant de les faire découvrir par » les personnages. Donc, ces érudits déclarent « sa naissance en 1841 avec Double assassinat dans la rue Morgue » d’Edgar Allan Poe. Et toc, encore une médaille d’or ratée pour la France…

Et il en parle un peu plus loin, à O, comme Origine (pages 512-513). « Alors, 1818 ? 1841 ? 1865 ? 1887 ? ou 1907 ? Pour dater le roman policier, vous avez le choix. » Puis, plus loin : « … vous ne souhaitez pas remonter à Sophocle bien qu’Œdipe roi ait été publié dans la « Série noire« . » Alors PL se mouille : « … c’est E.T.A. Hoffmann avec Mademoiselle de Scudéry – 1818 – qui [est] le premier roman policier… » mais il rajoute quelques lignes plus loin qu’on peut très bien opter pour Double assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Poe en 1841, voire L’Affaire Lerouge d’Émile Gaboriau en 1865 ou La Dame en blanc de Wilkie Collins ou encore, l’indiscutable roman de Conan Doyle, Une Étude en rouge (1887). En fait, selon lui, la réponse dépend de notre nationalité : française (Hoffmann), américaine (Poe), anglaise (Collins) ou écossaise (Doyle). Ou alors vous préférez Balzac (voir plus haut) et alors « vous appartenez à une espèce apatride ; vous êtes un lettré ». PL se mouille mais prend un parapluie. Et il en appelle même à la mythologie aztèque en convoquant Tlaloc, le dieu de la pluie, pour rajouter, perfidement (entre parenthèses : « (Normalement, ici, on peut intercaler [Fedor Mikhailovitch] Dostoïevski dont Crime et châtiment est publié en feuilleton en 1866. Mais franchement, cette affaire est déjà passablement compliquée, si on ajoute les Russes, on n’en finit pas.) » Et il ‘en finit pas. « Une date idéale » ? « 1907, année de la publication à la fois du Mystère de la Chambre jaune de Gaston Leroux et d’Arsène lupin, gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc. Ouf, l’association 813 respire… « 1922, voici Carroll John Daly. On le présente comme l’inventeur du roman noir parce que son dur à cuire, Race Williams, a précédé celui de Dashiell Hammett de quelques mois. » *

* Le Faux Burton Combs, décembre 1922 dans lequel affirme Gabriel Thoveron, collaborateur de Claude Mesplède, Dilipo (page 527, deuxième édition), le dur à cuire est anonyme

La coupe est pleine ?

Alors quoiquenpenser ? Hé bien il faudra attendre… la partie 2 de cette Lettre B, c’est-à-dire un petit mois quand j’évoquerai Brève Histoire du Roman Noir (Une) de Jean-Bernard Pouy, qui, lui aussi, s’y est collé avec un titre très proche de celui de PL sur sa forme mais éminemment différent sur le fond. Vous aurez remarqué le changement de vocable, de polar on est passé à roman noir. Toute une histoire. Pour vous allécher : « Si je tente cette brève histoire du roman noir, c’est essentiellement parce que j’en écris, et que je ressens, partialement, la force et la « justesse » de ce genre littéraire flou, à géométrie variable, et sujet à maintes et maintes explicitations, explications et définitions. »

Baronian, Jean-Baptiste (dit Alexandre Lous)

ruxelles, ma belle chantait Dick Annegarn. On a tous en nous un coin de Belgique. Le mien a pour nom Baronian. J’ai eu la chance de croiser Jean-Baptiste Baronian lors d’un débat dont j’étais le modérateur (c’est comme ça qu’on dit de nos jours). Il alternait la parole avec Nadine Monfils. Je les avais présentés brièvement au public. J’avais dit cela de JB Baronian : Né en 1942 (à Anvers), de parents arméniens, belge, c’est la condition pour être invité cette année*, Jean-Baptiste Baronian est un homme multiple, utilisant des pseudos (Alexandre Lous), romancier, essayiste, critique, auteur jeunesse, membre de l’académie royale de langue et de littérature française, président de l’association des amis de Georges Simenon. Auteur d’une quarantaine de livres, on peut lire avec délectation La nuit du pigeon,  Matricide, Le tueur fou, Quator X ou, plus récemment Dans les miroirs de Rosalie. Chez lui, tout est mystère, comme le quotidien qui dérape.

* Festival Impressions d’Europe : les littératures belges et francophones (2013)

Simenon d’une pipe !

Président des Amis de Georges Simenon, c’est un homme charmant doublé d’un auteur talentueux, « protéiforme », essayiste et rimbaldien. Si Je est un autre, il est lui. C’est-à-dire un homme qui doute d’identité*, entre Baronian et Lous et bien d’autres alias. Hésitant à être l’un, rechignant à être l’autre, il choisit souvent d’interchanger les rôles. C’est affaire d’assurance dont on n’a pas lu l’alinéa écrit en tout petit en caractères crypto-cyrilliques. Je m’en faisais la remarque en relisant Le tueur fou (Rivages), 1994, dans lequel on avance dans le brouillard grisant de la place de Brouckère, dans les pas du tueur fou, dans les pas du flic flou et dans le souvenir de la première victime, Caroline. Le tueur : « À en perdre la tête. Et ce qui était arrivé ». (page 29) Le flic : « La folie du tueur fou et la sienne. » (page 67). Plus rien ne semble solide, tout est liquide. Plus on avance dans la lecture, plus la nasse se referme. Sur le tueur ? Sur le flic ? « De plus en plus grisant (page 123). Et à la fin, nous ne savons plus rien, ni ce qu’est réellement une écaille d’huître et une fourchette à huître. Quand tout tourne, on finit par tomber.

* Son premier roman L’un l’autre porte sur le thème du… dédoublement. Étonnant.

Mêlant souvent une once de fantastique à un quotidien gris, l’œuvre de JB Baronian est déroutante. Dr Baronian fantastique et Mr Lous policier. Dans Matricide (Espace nord, noir de noir, 10€), écrit bien avant Le Tueur fou, en 1981, Lous met en scène un policier, Lapierre, qui bascule dans l’autre camp et dont nous savons dès le départ qu’il est un meurtrier doublé d’un paranoïaque délirant et fantasmant sa vie. Le fantasme bourgeois de la pornographie est utilisé, encore à Bruxelles, dans Quatuor X (Métailié) en 2006. C’est le roman d’une ville et d’un produit de consommation que découvre le privé Rubens enquêtant sur le meurtre d’un violoniste sous lequel on retrouve une lettre chaude d’une certaine Jeanne Mansfield. Là encore les identités apparaissent fausses, tout semble biaisé, pour ne pas dire baisé, pour être dans le ton. Une histoire de faussaires en quelque sorte servie par une véritable écriture. Plus que l’envie, c’est l’ennui parfois qui pousse à commettre l’irréparable comme dans La nuit du pigeon (Espace nord) mais comme le laisse supposer le titre, chasseur chassé, l’identité est toujours trouble.

Même lorsqu’il écrit des nouvelles, l’identité est au cœur de ses histoires et les transferts de flics à voyous ou de criminels à policiers sont monnaie courante : Parmi d’autres crimes (Les Belles Lettres,1999). Il y développe son habituel climat angoissant de crimes ordinaires, de malaises amers et ne se départit pas d’une qualité essentielle en plus de la petite musique de la nouvelle, sa chute. Chaque récit est un crachat ou une caresse mais, on ne sait pas toujours une fois la dernière lue, ce que l’on a vraiment reçu.

Qui se souvient de la bataille de Sardarabad ?

« A Sardarabad, en mai 1918, les Arméniens avaient relevé la tête, avaient gagné une bataille décisive – et il était vraisemblable que, sans elle, le génocide aurait été total… » Meurtres sans mémoire – page 81

La victoire de Sardarabad (Armenie, mai 1918) de Afanasyan Serge, L’harmattan, 112 pages, 1985, 13€50 : « Si les Arméniens avaient échoué à Sardabarad, le mot Arménie n’aurait peut-être plus désigné qu’une antique entité géographique, comme la Cappadoce. » J. Walker, in Armenia, Survival of a Nation (pages 254-255)

Autre piste développée par cet auteur : les traces arméniennes, leur mémoire. Il sait de quoi il parle, ses parents l’étaient. Il l’est. Dans Meurtres sans mémoire, en 1983, Alexandre Lous développe par l’entremise d’un attentat dans une agence de voyages truque le thème du « problème arménien* », le génocide arménien** (« … des centaines de milliers d’Arméniens emportés par le génocide, qu’il ne fallait jamais l’oublier, jamais, jamais… » – page 167), sa non reconnaissance par l’État turc*** et l’indifférence qu’il soulève ailleurs : « Il y avait la guerre. Peut-on parler de massacre ou de génocide dans le cadre d’une guerre ? Ce qui s’est passé n’est qu’une des conséquences inéluctables d’une guerre. » (page 100)

* Vous avez remarqué ? Il suffit parfois d’accoler le mot problème à un autre mot pour que tout un chacun se mette alors à chercher une solution à quelque « chose » qui n’en demandait pas une… Et ça ne date pas d’hier : « La question d’Arménie n’existe pas mais nos la créerons. » (page 172) dit Abdülhamid II, le sultan rouge, responsable, entre 1894 et 1896, de l’assassinat de plus de 200 000 Arméniens.

** Le bilan des historiens s’établit autour de 1 200 000 tués sur 1 800 000 vivant dans l’Empire ottoman entre avril 1915 et juillet 1916. Parmi les 600 000 survivants, 200 000 se sont réfugiés dans le Caucase, 150 000 ont survécu aux camps de la déportation et 150 000 ont échappé à ces camps. Ces chiffres prêtent encore à discussion entre les historiens. En revanche, ce qui ne prête pas à confusion, c’est bien l’affirmation du 1er génocide de l’histoire.

*** En 1983, date de la parution du livre et toujours en 2022 à l’heure où j’écris ces lignes. Reconnu par la France depuis 2001, le 24 avril (depuis 2019) est devenue journée nationale de commémoration du génocide arménien en France. En 1983, l’Arménie était une des 15 Républiques socialistes soviétiques, elle obtint l’indépendance en 1991 et va connaître des problèmes frontaliers avec l’Azerbaïdjan (non résolus, autour de la question du haut Karabagh).

Alors, évidemment, même les victimes se taisent : « Il y a une résignation assez caractéristique dans les deux générations qui nous ont précédés. Tout s’est toujours passé comme si les premiers réfugiés arméniens avaient vécu dans la crainte des représailles. » (page 41) Et quand elles passent à l’action, elles sont rongées par la culpabilité, celle de la victime qui se venge effaçant celle du bourreau qui oublie. D’autant plus que la bombe posée en France a tué une innocente qui revient hanter Conrad : « Et brusquement, il revit l’autre, l’autre qui était en train de tomber, la tête en avant, les yeux révulsés d’horreur, qui tombait, qui glissait, qui roulait sur le trottoir, sur son sang dégouttant de son visage et de ses mains, qui mourait, qui n’arrêtait pas de mourir, comme si elle jouait et rejouait sans cesse l’horrible, l’époustouflante scène de son agonie, et toujours de la même manière, avec les mêmes gestes immuables. » (page 66) « … et cette femme (…) qui tombait, qui tombait toujours, qui n’arrêtait jamais de tomber, qui le regardait, lui, qui le regardait sans relâche… » (page 122)

Mais la culpabilité des uns est couverte par la ténacité des autres : « Je suis une homme qui gêne, un homme qui trouble, qui remue sans cesse ce qu’on appelle de vieilles histoires. Un homme qui maintenant, va jusqu’à employer la violence pour dénoncer les massacres de 1915 et faire en sorte que jamais personne ne les oublie. » « Moi, je ne me bats pas seulement pour dénoncer le génocide, je me bats aussi pour sauvegarder notre différence et nos particularités. C’est capital ! Capital ! » (page 142)

Des meurtres pour mémoire* en quelque sorte. Des meurtres pour survivre aussi.

* Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx sort la même année en décembre, le livre de Baronian date de juin.

Chez Baronian, le quotidien est un émerveillement singulier et trouble : « On lui apporta une tasse de café et il examina comme si on lui avait présenté un objet extraordinaire dont il n’avait jamais soupçonné l’existence. » (page 90)

Alexandre Lous, Meurtres sans mémoire, Sueurs froides, Denoël, 1983, 198 pages, 40 francs (!), aujourd’hui épuisé, au prix de 8€20, vous pouvez le retrouver d’occasion… Qu’attend Denoël pour le réimprimer ?

Le petit arménien*

JB Baronian s’est toujours mis hors de ses romans, « Je ne me suis jamais raconté. », « C’est jamais moi » dit-il dans une interview jusqu’au jour où les larmes de sa mère (« maman est une sainte » – pages 80 et 134) lui sont apparues et il a su qu’il devait écrire ce livre, Le petit arménien, pour effacer le « cancre et voleur » (page 13) qu’il était, renvoyé du collège, responsable des pleurs de sa mère. « Je n’avais aucun compte à régler. » Seulement consoler sa mère. Petit, « J’étais insouciant ». Le « petit arménien » était un surnom donné par le père (qui se révéla être un type d’extrême droite, ami de Weygand) de Maurice mais l’auteur n’y avait vu aucun aspect « péjoratif« .

* Récit autobiographique (sous-titré pourtant roman) des années d’enfance à Bruxelles.

La mère de Maurice « reste allongée sur le divan du salon et, du matin au soir, elle lit des romans policiers, uniquement des romans publiés dans la collection jaune Le Masque. » Faut-il voir dans cet épisode, cette anecdote comme le parfum évanescent d’une madeleine littéraire qui va marquer le petit Alexandre ? Il ne le dit pas mais : « Elle m’assure que je pourrais les lire, moi aussi, dans un an ou deux. Que ceux de la romancière britannique Agatha Christie me passionneront [comme] La Mort dans les nuages – le titre qui me fait le plus rêver. » (page 95)

Le Petit arménien, Jean-Baptiste Baronian, Pierre Guillaume De Roux, 133 pages, 2018, 18€

Le père de Maurice « a participé aux Jeux Olympiques de Berlin [comme nageur] et a croisé Adolf Hitler et son ministre Hermann Göring… » (page 94) Il en tire une certaine fierté qu’il fait bien sentir au gosse qu’il surnomme le petit Arménien « avec un sourire ironique ».

Se méfier des hommes. Écouter les femmes. Se frayer un chemin avec ça. Passer entre les gouttes : « [Mlle Courtens] me dit que le tintouin de la machine à coudre de Maman l’horripile (…) J’ai le droit d’aller porter plainte à la police. Mais qu’est-ce qui me retient de le faire ? » « Qu’est-ce qui me retient , moi, de sauter à la gorge de la vieille Mlle Courtens et de l’étrangler ? » (page 126)

Pas l’imagination en tout cas. « L’Arménie est un pays imaginaire ». « Un pays peuplé de nains et de géants ». (page 87). Un pays à inventer. Un pays à écrire.

Jean-Baptiste Baronian mérite sa place dans mon CDAP et, comme tous les auteurs de polars, il écrit le même livre différent à chaque fois (voir Bible – La). La marque des grands.

Jean-Baptiste Baronian est aussi l’auteur du Dictionnaire amoureux de la Belgique, chez Plon, évidemment.

Bataille des Buttes-Chaumont (La), de Thierry Jonquet

rouillées ont été mes relations avec Thierry Jonquet. Elles ont été changeantes, tournantes. Le plus souvent tendues.

Admiratif de ce qu’il pouvait écrire, Mygale (SN 1949, Folio policiers 580), Les Orpailleurs (SN 2313, Folio policiers 2) , La vie de ma mère (SN 2364, Folio 3585), pour ne citer que ces trois titres, l’écrivain était reconnu et respectable. Je l’avais invité à un Festival du Polar à La Roche sur yon que j’organisais en 1995 (5ème édition). Alors que je le cherchais pour un débat le dimanche matin, j’appris qu’il était rentré chez lui le samedi soir. Interloqué, je lui téléphonai. Sans s’excuser aucunement de ne m’avoir prévenu, il a développé un argument désagréable : le festival était crapoteux et pour m’en persuader, il affirma tenir le propos de François Guérif, éditeur de Rivages, également invité. Qui, évidemment, ne confirma aucunement ce jugement en me disant quelque chose comme si j’avais pensé cela, je te l’aurais dit, et ce n’est pas le cas, et si j’avais eu à te dire ce genre de choses, je te l’aurais dit en face. Autant dire que mon « premier contact » fut tendu. Le deuxième fut étonnant. Comme j’étais devenu éditeur, La Loupiote (voir L), je recherchais des novellas pour ma collection Zèbres (voir Z), Jean-Bernard Pouy, camarade fidèle, en 1996, et premier pourvoyeur avec L’ABC du métier, me dit en avoir une de… Thierry Jonquet en magasin. Je lui évoquai mes rapports distendus avec cet auteur. Il me répliqua qu’ils allaient devenir détendus. Je téléphonai donc à Thierry Jonquet qui accepta de me « donner » son texte  » à la condition que le sien ne soit pas en drapeau mais justifié« . Il faisait allusion à l’Abécédaire de Jean-Bernard Pouy, L’ABC du métier (voir Lettre A, partie 1, qui ouvre ce CDAP, dans laquelle je relate cette anecdote mais vue du côté de la réussite de la contrainte), un texte tonitruant et jouissif. Quand je le lui expliquai, il bougonna maugréa un ouais oui OK. Le dégel avait ses limites. Et après le dégel, le regel. Alors que, beaucoup plus tard, j’exprimais mes doutes sur certaines de ses « positions politiques » et sur certains de ses « derniers écrits » sur une liste de discussion à laquelle il n’appartenait pas, il m’insulta copieusement par mail. J’avais le tort d’être proche de Didier Daeninckx. Fin de la guerre froide.

Décédé en 2009, si (tous) les morts (ne) sont (pas) tous des braves types, comme (ne) disait (pas) Brassens, c’est en revanche un putain d’écrivain.

Un putain d’écrivain

Et je ne regrette aucunement d’avoir publié La Bataille des Buttes-Chaumont en 1996 (qui retrouvera une nouvelle vie dans un recueil de nouvelles publiée par L’Atalante : La vigie et autres nouvelles). Ce Zèbres n°3 de La Loupiote était couplé avec Un quart d’heure pas plus de Francis Mizio (voir U et L comme loupiote et Z).

Ce récit dystopique d’un Paris futuriste, qui se veut racialement pur, et en flammes, tient, aussi, dans la résolution d’une énigme simple : qui peut bien être le narrateur ? C’est un petit bijou taillé au cordeau, ciselé avec finesse.

« Durant ma longue existence, à vrai dire assez oisive, j’ai couvent eu le loisir d’imaginer les circonstances de ma mort. » (page 9, La Loupiote) Ainsi débute la chronique d’une France de souche en lutte qui, malgré la « ligne Maigret », doit traquer « la populace cosmopolite », « la racaille », « les Sémites de toutes obédiences, Africains et métèques » (page 16-17), « l’immigré clandestin, le basané, le crépu », les « tribus ghanéennes qui infestaient les égouts »(page 12) afin de clore « l’offensive de purification ethnique. » (page 15) ; il faut se débarrasser des Tchétchènes pour faire de Belleville un quartier témoin avec « une exposition pédagogique sur le thème : Le Tchétchène et la France » (page 33). Le narrateur travaille pour Garry, préfet de police de Paris, en 2027, mais ses souvenirs remontent loin : « Je ne peux le comparer à Son Excellence le général Vinoy que j’eus l’honneur de rencontrer en 1871″ (page 13) et se souvenant même « d’Antonius, aide de camp du grand César ! Voyez un peu si ça date ! Moins 53 avant J.-C. ! » (page 15) ! On est ferré. On avale les pages. Car le narrateur semble avoir été de toutes les répressions, de toutes époques : le gibet de Montfaucon en 1273, les carrières d’Amérique, la Commune, en 40, à Charonne, en 68…

Des indices chez vous…

Ce qui est fort avec cette novella, c’est qu’une fois l’énigme résolue, dans les dernières pages, on a envie de relire le texte à l’aune de la solution pour voir si on avait loupé quelque chose. Car les indices étaient là, en quantité, l’auteur m’avouant même s’être amusé à les multiplier à profusion*. On s’aperçoit alors qu’on s’est fait avoir. En beauté.

* En relisant le texte, j’en ai relevé 4 dans une seule page ! Et il y en a plus de vingt dans tout le texte.

À lire en parallèle avec La Bête et la belle (voir plus bas). Vous comprendrez…

Battisti (Cesare) (L’Homme, l’Auteur, L’Affaire)

izarrement, les imbéciles, quand on leur montre la lune, ne voient que le doigt. Je voulais parler de Cesare Battisti.

De l’Homme avant tout. Je l’ai croisé, plusieurs fois, dans des festivals polars, un peu partout en France à la fin du siècle dernier. Je garderai pour moi ce que je pense de lui mais je tenais à dire que je l’avais « connu ».

De l’Auteur aussi. Un homme qui avait troqué son arme pour la plume, ou plutôt le clavier. Un auteur à qui on a collé sur sa page Wikipédia le qualificatif de terroriste*. Pétain n’a pas d’adjectif collaborateur antisémite qui lui est accolé, Jean-Marie Le Pen, pas non plus celui de fasciste ou raciste. Ha bon, ils n’en sont pas ? Un auteur que j’ai lu et apprécié (Les Habits d’ombre, 1993, L’Ombre rouge, 1994, Buena onda, 1996 et, plus récemment, Indio, 2020…).

* On me rétorquera que c’est pour le distinguer de son « ancêtre » homonyme irrédentiste. Il n’en reste pas moins le choix de l’adjectif. Même Salah Abdeslam ne l’a pas entre parenthèses après son nom…

Cesare Battisti, L’ombre rouge, traduit par Gérard Lecas, Série noire, n°2369, Gallimard, 1994, 302 pages

Un mot

De l’Affaire enfin. Cet homme a été soutenue par de nombreuses personnes, auteur(e)s de polars, et notamment Fred Vargas, infatigable avocate (La vérité sur Cesare Battisti, 2004). Fuyant la France en 2004 suite au reniement de la doctrine Mitterrand, par Chirac, exilé au Brésil (Lula refusera de l’extrader en 2010), puis fuyant le Brésil (quand son successeur Temer l’acceptera en 2018) mais arrêté en Bolivie (2019), Cesare Battisti croupit aujourd’hui en prison en Italie dans des conditions déplorables. Sans aucune chance d’être rejugé un jour (pas de droit de contumace, l’Italie est le seul pays en Europe dans ce cas-là). Il aurait avoué les quatre meurtres pour lesquels il était poursuivi. Passons sur les conditions dans lesquels ces aveux ont sans doute été lâchés, que dirait-on pour échapper à un confinement quasi total ? Et peu importe d’ailleurs, comme le dit mieux que moi Hervé Le Corre.

Il est un mot qu’Hervé Le Corre a parfaitement illustré dans un texte d’une clarté limpide et imparable : AMNISTIE.

À lire ici, avec son aimable autorisation et mon admiration pour son travail comme je l’exprimais le 25 mars 2020. Je n’en retire aucun mot, aucune virgule : À l’heure où tout le monde est confiné, un homme que nous connaissons bien dans le monde du polar, tourne en rond dans une geôle de 3 mètres sur 3, en Sardaigne, dans cette Italie meurtrie par le virus. Au menu : promenade au repas ou repas mais sans promenade. Il doit choisir. Il choisit d’écrire encore et toujours. Indio (Seuil, Cadre Noir) sort (doit sortir ? sortira ?) ces jours. Cesare Battisti, lui, n’est pas près de sortir. À l’heure où le défendre, c’est être attaqué par toute la presse, l’attaquer, tirer sur une ambulance, un homme a su trouver les mots. Il parle mieux et surtout écrit bien mieux que nous, évidemment, c’est un grand écrivain. C’est Hervé Le Corre. Je le remercie encore ici de me permettre d’user de ses mots. « C’est du commun » m’a-t-il écrit. Moi, ce que j’aurais dit aurait été commun. C’est ce « du » qui change tout. Moi je dirais ce « dû », celui que l’on a envers Hervé pour nous avoir ôté les mots de la bouche, mais avec talent.

La contribution au B par Gérard Lecas

Évidemment, Gérard, traducteur de Cesare Battisti tenait à évoquer son ami. Merci à lui.

Avoir pour nom Cesare Battisti en Italie, c’est un peu comme s’appeler Jean Moulin en France. Héros de la Première Guerre mondiale et de la lutte contre l’empire austro-hongrois, ce Battisti-là finit pendu par ceux qui le considéraient comme un traître dans sa région d’origine, dans le nord extrême de l’Italie, alors occupé par l’Autriche. À croire que d’une certaine façon, l’histoire se répète et finit mal pour les Cesare Battisti. Rien ne prédisposait le nôtre, de Cesare Battisti, à connaître la notoriété. Né en 1954, fils d’une famille de paysans de la région de Latina, ville entièrement construite sous l’ère mussolinienne dans une contrée marécageuse, il est adolescent au début des années soixante-dix, le début de ce que des journalistes riches en métaphores faciles ont appelé « les années de plomb ». On pourrait pour qualifier le Battisti de cette époque faire appel à une autre image : « Rebel without a cause ». Petits larcins, braquages d’épiceries, c’est un révolté sans conscience politique. Cette conscience, il va l’acquérir en prison, au contact d’autres détenus appartenant à des mouvements d’extrême gauche plus ou moins actifs.

Nous n’allons pas reprendre ici l’historique de l’engagement politique de Battisti, ni les détails de ses procès successifs et nous laissons à ceux qui voudraient avoir un aperçu exhaustif de l’affaire le soin de consulter un excellent article de Fred Vargas, « À la recherche de la justice perdue » (dans la revue « La règle du jeu » n°30 janvier 2006).

Le goût de Battisti pour l’écriture nait au Mexique, sa première terre d’exil dans les années quatre-vingt, où il fonde une revue littéraire « Via libre » et fait la connaissance de l’écrivain Paco Ignacio Taibo 2. En 1991, rassuré par la décision de Mitterrand d’accueillir les anciens activistes italiens, il rentre en France où il rencontre Patrick Raynal, le nouveau directeur de la Série Noire. Il lui propose un premier texte, « Les habits d’ombre », où il évoque la clandestinité des réfugiés italiens des années soixante-dix, puis un second titre « Buena Onda ». Viendra ensuite « Dernières cartouches » aux éditions Joëlle Losfeld, un texte qu’on pourrait interpréter comme une autobiographie et qui pèsera lourd dans les accusations portées plus tard contre lui puisqu’on y verra l’aveu des crimes qu’on lui reprochera. En 2001 sort « Avenida Revoluçion » chez Rivages, où Battisti évoque des souvenirs liés à son séjour mexicain, en jouant avec les codes d’un certain pittoresque latino…

Il faut noter que jusqu’en 2004, Cesare Battisti, en dehors de sa notoriété littéraire naissante, mène une existence discrète dans l’anonymat et l’indifférence absolue, aussi bien côté français que côté italien, où absolument personne ne semble se soucier de lui ni même connaître son nom.

C’est très brutalement, grâce à une gigantesque campagne d’intoxication médiatique menée par la presse berlusconienne, qu’il acquiert quasiment du jour au lendemain le statut d’ennemi public n°1. Menacé d’extradition, il prend la fuite pour le Brésil, épisode qu’il racontera dans un nouveau roman, « Ma cavale » (Grasset) faisant ainsi de sa vie une sorte de littérature-réalité en direct. À nouveau arrêté au Brésil, il purgera quatre années d’emprisonnement dans des conditions difficiles et, fidèle à son système, il tirera de cette expérience un nouveau texte, « Face au mur » (Flammarion). Avant que le régime de Bolsonaro ne décide de mettre définitivement fin à la cavale de Cesare, il aura le temps de boucler un dernier roman « Indio », où il reprend à sa façon l’histoire de la colonisation de l’Amérique.

Aujourd’hui, Cesare purge en Italie une peine en principe à perpétuité. Tous ceux qui l’aident tentent avec ses avocats, d’obtenir un régime de semi-liberté, voire une promesse d’amnistie, sans succès pour l’instant. Il représentera un rare exemple d’auteur dont la vie et l’œuvre se sont confondues mais en conservant toujours une distance fictionnelle qui empêche ses romans d’être catalogués dans le registre des autobiographies ou (encore pire) dans celui des autofictions.

Gérard Lecas

Merci Gérard.

Faites-vous une idée : lisez Battisti ! FB

Bête et la belle (La), de Thierry Jonquet

ig Jim Thompson !

Le numéro 1 000 de la Série noire avait été attribué au grand Jim pour son inoubliable 1 275 âmes (Pop. 1280, traduit par Marcel Duhamel).

Pour le n°2 000, ce fut Thierry Jonquet (voir Bataille des Buttes-Chaumont- La) à qui l’honneur revint. Il livra La Bête et la belle. Il était très fier de suivre Jim Thompson qu’il admirait : Il « a sans doute en commun avec [lui] ce brouillage des frontières entre le Bien et le Mal et un puissant ancrage dans le réel. » (PL, page 354) Si, j’en conviens avec raison, PL, dans son DAP, n’évoque pas La Bataille des Buttes-Chaumont, je suis étonné qu’il n’évoque pas dans sa notule sur Jonquet ce n°2 000 de la Série noire, paru en 1985.

Léon est vieux et muet. Compagnon du Coupable accusé du meurtre du Gamin, de la Vieille, et du Commis. Et d’Irène, la mégère. Arrêté par le flic Gabelou, il tient sa langue. Mais il nous parle à nous. Et le Coupable aussi il parle. Par cassettes interposées qu’écoute Gabelou. La vie courante avec Irène, givrant, le travail de prof, fatiguant*, la passion dévorante, monomaniaque « pour les trains, les wagons, les maisons (…) Tcchh, tchh, tchh » (page 39), les gueuletons enivrants, les sacs poubelles, odorants… On remonte ainsi l’histoire, et, évidemment, on ne comprend… que tardivement, dans les dernières pages.

* En relisant ce roman pour cet article, j’ai retrouvé cette sensation qui me met mal à l’aise : la vision de l’éducation nationale me semble quelque peu trop calquée sur des stéréotypes qui, certes, comme tous les stéréotypes se basent sur des faits et des réalités, donnent à voir un sacerdoce décontextualisé avec des acteurs déphasés. J’avais aussi eu cette impression à la lecture de Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. On me rétorquera que c’est parce que je suis prof. Oui, justement.

Difficile d’en dire plus sans divulgâcher. Avec ce roman noir aux relents de Diogène, Jonquet surprend, épate et régale. De la belle ordure pourrait-on dire. Philosophe cynique, le lecteur, une lampe à la main, parcourt le livre à la recherche d’une vérité, que seul Léon, peut-être, détient…

Œuvrant le plus souvent vers la critique sociale, Thierry Jonquet n’écrivait pas de littérature engagée : « Je n’écris pas de tracts » disait-il (pages 357, DAP). Il était souvent là où on ne l’attendait pas et avait horreur des étiquettes, des cases, des conventions. Il ronchonnait souvent comme tous les grands timides. Pas sûr qu’il ait apprécié l’hommage que lui rend PL, ni même le mien, mais ça, je le comprends.

À lire en parallèle avec La Bataille des Buttes-Chaumont (voir plus haut). Vous comprendrez…

Bialot (Joseph)

abel fut une tour, Babel fut une ville, Babel fut un savoir. Joseph Bialot fut les trois. Tour de force d’un homme de rire du temps, tour de Paris et de ses quartiers populaires de Belleville et du Sentier, dans lesquels il a vécu, tour angulaire d’une langue, d’une culture, d’une érudition peu commune. Joseph Bialot fut tout cela.

Né en 1923 et mort en 2012, Joseph Bialot, né Joseph Bialobroda, d’origine polonaise, a traversé le XXème siècle dignement (et écorné le XXIème) en essayant d’en rire. Je ne sais pas s’il a réussi mais il aura essayé. Ça commençait mal. Arrêté pour faits de résistance, il est déporté à Auschwitz, près de Birkenau, « l’usine à tuer », et libéré le 27 janvier 1945. De retour en France, il s’occupe de « prêt à porter ». Il entre en série noire avec, justement, Le Salon du prêt-à-saigner en 1978. Décrivant le milieu du sentier à travers un racket à la sécurité, il reçoit le Grand Prix de Littérature Policière (créé en 1948 par Maurice-Bernard Endrèbe) l’année suivante, en 1979. C’est parti. Il livrera un livre bon an, mal an il attendra l’année suivante, voir plus. Car, ce qu’il voulait, c’était « durer, écrire, écrire et écrire ».

Deux axes sont à retenir chez lui : l’humour et le témoignage du génocide des Juifs. Et il y a un livre traversé par ces deux thèmes, c’est Babel-ville, sorti en 1979 en Série noire (n°1745)

Un humour « dévastateur« 

Qualifié de « dévastateur » par Claude Mesplède dans son Dictionnaire des littératures policières* ou Dilipo (tome 1, page 191, édition de 2003, à gauche, et 223 de la deuxième édition, à droite, revue, mise à jour, augmentée en 2007 – et avec une nouvelle couverture – j’y reviendras à la lettre D), « l’humour à la Pierre Dac » de Jospeh Bialot fait mouche. Dans Babel-ville (Série noire n°1745, 1979). Ça fuse de toute part.

Bernard est mal. Il attend, non pas Mylène**, mais Florence. Elle est en retard. Il neige. Un chien le suit partout mais quand il marche dans la neige, elle reste « imperturbablement vierge de toute trace » (page 13). Alors qu’il sort pour le chasser à l’aide d’un hachoir à viande, il tombe sur un cadavre. Les flics enquêtent : « Pour ce qui nous concerne, nous avons trois assassinats identiques et 12 femmes qui vont finir à la ma morgue si nous n’avançons pas plus vite. » (page 97). Sur une base somme toute assez classique, la poursuite d’un serial killer, Joseph Bialot développe une verve roborative s’en prenant à tout le monde, à coup de listes vengeresses, de jeux de mots et d’a-peu-pré-ismes goguenards, sans s’interdire des envolées poétiques (le bus « avait l’air d’un gros palet de curling glissant maladroit sur une piste d’envol. (…) On dirait qu’il roule sur la pointe des pneus. » – page 106) cassant autant à ceux qui bulldozérisent le quartier de Belleville qu’à ceux qui aimeraient le voir moisir dans son passé.

* Les renseignements biographiques concernant Joseph Bialot en sont extraits

** Comme Mickey 3D, J’attends Mylène

Bernard est « un artisan et non un éleveur de chèvres de la Contrescarpe, sculpteur de poils entre les doigts, gratteur de couilles de boucs, inventeur de techniques nouvelles pour fabriquer des cubes anciens. » (page 19). Bernard tombe sur un second cadavre. Il « avertit la police qu’un cadavre de plus traînait dans les rues » à l’aide d’un jeton de téléphone au café Métro, s’installe « au comptoir où un inconnu, débile profond comme presque touts les supporters de foot, l’entrepr[end] sur le thème essentiel de savoir si l’arbitre du match, Saint Michel-Chef-Chef (Loire-Atlantique) contre Saint Julien-Molin-Molette (Loire), était vendu ou acheté. (page 47) Bernard revoit le chien et découvre un troisième cadavre : il « avait le crâne fendu et le manche du hachoir se dressait vers le ciel comme une antenne chargée de transmettre un funèbre message. » (page 51). Bernard n’est pas clair clair..

Chaligny et Brancion, les flics, interrogent et menacent : « – Motifs ? tu veux un motif, gamin. Dix motifs, vingt, cent. Obstruction à enquête criminelle, éjaculation précoce, détournement d’avion, tapage nocturne, insalubrité publique, désertion en temps de guerre face à l’ennemi, crachats dans l’escalier, voyage en métro en 1ère classe avec un ticket de seconde. Motifs ? Tu veux des motifs ? » (page 57), tempèrent : « – OK. Mais en revanche, ne m’appelez plus gamin. Et voilà, songea Chaligny. Ça recommence. Si tu les appelles gamin, ils râlent. Si tu les prénommes Charlot, ils se plaignent des sévices moraux. Si tu les traites de Loulou, ils écrivent à la S.P.A. et si tu t’enquiers, oui mon vieux, si tu t’enquiers de leur santé en disant « ça va Gégène ? » ils t’accusent de tortures. » (page 63) et s’instruisent : « Des livres de psycho, du Freud, du Mélanie Klein, un dictionnaire Français-Lacan, un Baudelaire dans la collection de la « Pléiade ». Des ouvrages féministes aussi, « Le clitoris autogéré » par Scriban-Cerbère, voisinait avec « Ainsi parlait Zarathoustrette » de Benoîte Prout. Le policier, plongé dans « Ton cor est à toi », ouvrage de vénerie érotique de la célèbre pédicure Katia D. Poc. » (page 90) et court après « le boucher fou » (page 115).

On peut compter sur eux et la police ? Poursuivie par quelqu’un qui lui veut du mal, « elle fit signe à la voiture de police en agitant le bras. La vitre embuée coulissa à l’avant et le policier souriant lui rendit son salut en remuant la main  » (page 121) et « la voiture (…) disparut. » C’est pas gagné… « Donc mon petit Brancion, vous avez 24 heures pour trouver le coupable. Si vous nagez, si vous n’avez personne sous la main, eh bien, débrouillez-vous. Mettez la main sur UN coupable. N’importe lequel, n’importe quoi. » (page 137)

« Belleville ! Belleville-taudis, Belleville-temps-des-cerises, Belleville-ghetto, Babel-ville. » (page 9)

Comme Joseph Bialot s’y connait, il n’a pas de mal à mettre en scène le racisme ambiant : « Pasque Amin Dada, on l’appelle comme ça, le locataire du 3è droite, c’est un pas commode. Un bougnou… un Nègre, je veux dire un Africain. I’s croit tout permis celui-là. Ces Nègres, à peine ils descendent de l’arbre qu’y sont déjà à l’ONU. » (page 28), « – Encore un coup des loubards ! – Non. Le casse-tête, c’est un truc de bougnoules. – Bougnoules ? Mon cul. Y’a qu’un camé pour faire ça. – Ou un raton . » (page 18) « Certains accusant les Arabes d’être derrière le « boucher fou », pendant que d’autres reprochent aux Juifs de faire porter le chapeau aux Noirs. Les Noirs incriminent les missionnaires chrétiens et les Chrétiens dénigrent tout le monde dans un but œcuménique. » (page 137) À ça, il oppose : « – Avez-vous une idée de ce qu’est un émigrant et de ce que peut-être sa vie ? La vie des émigrants… Problèmes de langue, oh, combien ! Problèmes de cartes de travail, de permis de séjour. Rien de nouveau sous le soleil. Problèmes de mœurs, de cuisine, de logement, problèmes d’emploi. (page 126) « Les terrains de jeu ? La rue… L’école supérieure ? La rue. Le stade ? La rue. » (page 127)

« Les morts sans sépulture (…) les cramés, les pendus, les écartelés »

Et évidemment, les souvenirs du temps d’avant ne sont pas loin : « Mort Belleville. Et les copains d’école ? Morts, déportés, fusillés, guillotinés les copains d’école. Eh oui, certains furent guillotinés. Communistes, Juifs, parfois communiste et Juif, ça ne pardonnait pas. » (page 51).

Le glas sonne toujours à ses oreilles : « Ce glas pour les morts sans sépulture, pour les cramés, les torturés, les pendus, les écartelés, pour tous ceux qui, pris dans la nasse, n’avaient pas pu d’échapper dans la nuit douce de l’été 42. » (page 68)

« Belleville, vivier de la déportation, piège sans issue à partir de 42, va payer un prix terrifiant à la paranoïa brune et l’ombre d’Auschwitz pèse encore sur le quartier. » (page 130) Aussi, pas question d’oublier. D’autant plus que la relève est là ; « – Tu fais une rédaction ? Tu t’entraînes pour devenir écrivain ? – Oh non, M’sieur. J’m’entraînais à écrire une lettre anonyme. » (…) Pour faire comme Mon Pépé. (page 110). Le pépé, il écrivait tous les jours à la « Jestapo » dénonçant les Juifs le lundi, les communistes le mardi, les francs-maçons le mercredi, les enfants qui travaillaient mal en classe le jeudi, les marchands de poisson le vendredi, les gaullistes le samedi et les curés le dimanche ! Le temps du « Paris de l’occupation, dans la France de l’ordre nazi, la France du marécage vichyssois et de la déliquescence maurassienne » (page 116) n’est pas mort. Et le souvenir toujours présent : « Il y eut un matin… La neige avait fondu. Idiot ! Il ne neige pas en juillet. Et ces bus de la… mais non, la R.A.T.P. n’existait pas. C’était quoi déjà ? Ah, oui ! la T.C.R.P., les Transports en commun de la Région Parisienne. Les cars bleus, les bus vert et blanc à plate-forme, la foule grise, les étoiles jaunes. La rafle de juillet 42. L’œuvre maudite de la police française. Pas un Allemand. Uniquement des flics parisiens, seulement des flics français. » (page 180)

On retrouvera le duo de flics, Chaligny et Brancion dans Sigmund Freud ne répond plus en 1982 (Denoël, Sueurs froides) et s’il abandonne le quartier de Belleville pour celui du Faubourg Saint-Martin dans Le Manteau de Saint-Martin (Série noire n°1994) en 1985, il garde son ton mordant et, somme toute, sa délicatesse. Il reçoit en 1989 le Prix mystère de la critique pour Un violon pour Mozart (Série noire n°2184). En 1990, changement de ton avec La nuit du souvenir (Série noire n°2215), un livre tendu comme une corde piano, dans lequel il évoque plus crument la déportation. Rescapé des camps de la mort, un entrepreneur voit son petit-fils enlevé. Alors qu’il remet la rançon, aveuglé par « cette saleté de neige », il tue les ravisseurs et la piste de son petit-fils se refroidit. La nuit qui le recouvre alors va tomber sur sa vie et va l’obliger à replonger dans ce qu’il s’était efforcé de mettre de côté., à aller jusqu’au bout de sa nuit.

« Rassurez-vous. Je n’ai rien oublié ! »

Il en parlera encore avec C’est en hiver que les jours rallongent (Seuil 2002), véritable témoignage de ce qu’il a vécu après avoir constaté qu’à Auschwitz, les arbres ont poussé. Le temps passé le fait revenir en arrière côtoyer « les crevards », « les hâves, les dépenaillés » et « le[s] squelette[s] encore vivant[s] yeux immenses dans un visage sans viande, côtes saillantes, fesses disparues à l’anus apparent ». On en ressort épuisé de cette lecture. Epuisé mais vivant.

Il en parlera toujours avec 186 marches vers les nuages (Métailié, 2009), retour à la fiction dans la peau de Bert Waldeck, un Schutzhäfling, un Allemand détenu dans un camp enfermé sans jugement, devenu flic, qui part à la recherche d’un Hauptsturmführer et qui comprend que la guerre n’est pas finie- voir bbb, . Il aurait pu clore sa bibliographie avec un titre évocateur de ce qu’il vécut : A la vie ! (La Manufacture de livre, 2010 – réédition de deux titres, semble-t-il revus et corrigés par l’auteur : Le Semeur d’étincelles et La Gare sans nom devenus, selon l’éditeur Pierre Fourniaud, indisponibles) mais il publiera encore deux livres : L’Héritage de Guillemette Gâtinel (Rivages/Noir no 821) en 2011 et Le puits de Moïse est achevé (Rivages/Noir no 888) en 2012 un mois avant son décès.

« Le 27 mars 1942, un convoi d’internés de Drancy quitta la gare du Bourget pour une destination inconnue. » (page 527)

Vous verrez. Après l’avoir lu, vous l’appellerez Jo.

Lire Bialot, c’est faire durer l’indicible.

Bible (La)

alzac, œuf corse ! Dans l’éternelle et querelle byzantine, comme avec l’origine picrocholine de la guerre, sur la recherche de paternité du roman policier, si certains penchent pour Balzac, d’autres avancent Poe (voir plus haut). D’autres (comme Rafaël Nedzynski, gérant le site polarsethniques.wordpress.com, intervenant sur la liste de discussion de 813) réfléchissent à l’antériorité de cette origine en élisant « Le crime » de Robert-Martin Lesuire* – qu’Albert Wikipédia qualifie de précurseur du roman policier – publié en 1792, mais Jean-Bernard Pouy la donne lui à Sophocle pour Œdipe-roi (voir Lettre B, partie 2 : Brève Histoire du Roman NoirUne). Et pour lui, bien que « les historiens situent la naissance du roman policier au milieu du XIXème siècle (Balzac et Poe) – toujours eux -, il pense qu’il existe des « Monsieur Jourdain » du polar, « qui ne savaient pas encore qu’ils écrivaient ce genre de livres. » Et le premier fut donc Sophocle** avec Œdipe-roi (-430), qui « est un roman noir » « La preuve, il a été réédité par la Série Noire en 1994″ (revisité par Didier Lamaison). Œdipe est alors le premier personnage endossant les habits de la sainte trilogie noire : « enquêteur, coupable et victime ». Et Pouy d’énumérer ses descendants et ascendants et autres glorieux collègues : Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Christo – 1844), Shakespeare et les Élisabéthains, Thomas de Quincey avec Justice sanglante (ou Le Vengeur – 1838).

* « Le crime » est-il chronologiquement le premier polar de la littérature française ? La question est ouverte. Est-il vraiment un polar ? Sans doute pas d’un point de vue très classique. Il est plus le récit des tribulations rocambolesques du jeune César. Mais il contient des ingrédients du polar : escroqueries, faux en écriture, duels déjà interdits, incarcérations d’innocents et de coupables, évasions, prostitution, confrontations entre justiciers et criminels… (Rafaël Nedzynski)

** Ce que sous-entend aussi, en l’écartant un peu, PL, page 512 du DAP

Pour moi, le fil remonte, non pas à Ariane, dommage pour Thésée dont le mythe aurait été écrit au VIIème siècle avant J.-C. mais un siècle plus tôt à La Bible, du latin « biblia« , livres sacrés ou du grec « biblia » livres saints. Le livre est pluriel. Les livres.

À l’origine était le verbe !

La Bible comprend deux tomes qu’à l’époque on appelle testaments, c’est comme ça, ne me demandez pas pourquoi. L’Ancien Testament que vénèrent les Juifs qui nous raconte la cosmogonie terrestre, c’est moins drôle que La cosmogonie Macroqa de Francis Mizio* mais plus connue et Le Nouveau Testament (qui nous narre les aventures de Jésus) apprécié plus particulièrement par les Chrétiens qui pour se démarquer des Juifs appellent Yahvé Dieu, tout humblement. Et dès le premier tome de La Bible, ça démarre fort. Je vous fais le pitch en gros.

* Au lourd délire des lianes, dernier roman de Francis Mizio

Yahvé, personnage central, un gentil qui va évoluer au cours de l’Histoire (se transformer en serial killer en éradiquant tout ce qui vit sur terre en tirant la chasse d’eau) créé la terre, la nuit, le jour, les eaux, les bêtes, le pari PMU etc. Mais il s’ennuie alors il invente Adam, l’Homme (il y a déjà, là, l’idée reprise plus tard par certains de mêler le fantastique au polar) qu’il modèle à son image, enfin moins bien que lui quand même pour garder une once de supériorité, avec lequel il joue (voir L’Algorithme), puis profitant d’une sieste, même pas crapuleuse, et pour cause, pour créer Éve, la femme, à base d’une côte d’Adam. Mais cette dernière, ben tiens, comme par hasard, est retorse, la femme, pas la cote d’Adam, et désobéit au grand manitou et pousse l’homme à manger le fruit interdit de l’arbre de la connaissance ; elle voulait tout simplement savoir à quoi pouvait bien donc servir ce truc qu’Adam avait entre les jambes car en le voyant changer elle avait bien une idée mais bon, fallait s’en assurer. Les voilà chassés, malgré les récriminations d’Adam jurant (ce qui ne l’aida pas) sa bonne foi, du paradis originel (j’ai oublié de vous dire qu’ils vivaient dans un lieu où coulent des rivières de miel et poussent des dattes partout, avec tout ce sucre, ça va attirer les guêpes) et condamnés, pour elle, à enfanter dans la douleur et, pour lui, à suer comme un bœuf pour labourer la terre. Maugréant qu’on ne peut plus rien dire de nos jours, et elle, qu’on ne peut plus rien faire, Adam, de sagesse, s’acquitte tout de même de sa tâche et entre deux ensemencements de sillons s’occupe de celui de sa femme sans nombril, ce qu’il ne sait pas, évidemment. Mais elle, elle va comprendre, croyez-moi. Elle va sentir sa douleur en donnant naissance à deux garçons : un premier tout chafouin, tout fripé, avec un nombril convexe et protubérant, Caïn et un deuxième luisant, brillant, avec un nombril concave bien propre, Abel. Le premier, mesquin faux-cul jaloux de son frère, que lui préfère son grand-père, le tue. Et il se défend bien mal.

– Où est ton frère ? tonna l’Éternel ?

– Je sais pas. Il était là y a deux minutes, rétorqua Caïn.

– Qu’as-tu fait Caïn ? s’enquit YHWH.

– Rien. Je suis innocent. Je vous l’jure sur la têt’ de ma mère.

Si on sait pourquoi, en revanche, on ignore comment ? Et avec quelle arme ? (voir Arme du crime (L’), Lettre A, partie 2) Les historiens se disputent encore.

Mais pour nous, l’affaire est pliée. Nous avons notre premier meurtrier, Caïn, notre première victime, Abel et notre premier enquêteur, Yahvé, qui n’a pas de mal à confondre le coupable car il voit tout (on appelle ça un narrateur omniscient). L’enquête est bâclée, le suspense moyen moins, l’alibi n’étant pas inventé, Caïn a fait ce qu’il pouvait mais le polar est né. CQFD.

Plus tard (je pratique l’ellipse narrative), Moïse, un patriarche hébreu, après un petit rallye dans les sables suivi d’une légère grimpette recevra de Yahvé Les Tables de la Loi sur lesquelles étaient gravés Les Dix Commandements. Je vous les remémore, bande de mécréants goyim païens :

1. Tu n’auras pas d’autre Dieu.

2. Tu n’adoreras pas d’image.

3. Tu ne prononceras pas en vain le nom de dieu.

4. Le 7ème jour est celui du Shabbat.

5. Tu honoreras ton père et ta mère.

6. Tu ne tueras point.

7. Tu ne commettras pas d’adultère.

8. Tu ne voleras pas.

9. Tu ne feras pas de faux témoignage.

10. Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui.

Vous avez bien lu ? Vous ne remarquez rien ?

Tout est dans la Bible

Ces 10 commandements sont l’énonciation des 10 tabous absolus (à part les gens qui mettent des chaussettes dans leurs claquettes, je sais, Dieu ne peut pas penser à tout non plus).

Et qu’est-ce qu’un polar sinon la transgression d’un tabou ? Hein ?

D’autre part, je pense que la théorie, que je valide, selon laquelle les auteurs de polar écrivent toujours le même livre et travaillent la plupart du temps essentiellement sur un seul tabou ou ne donnent qu’une unique raison à cette transgression – l’appât du gain, le dérangement mental, la soif de pouvoir, la jalousie… est une théorie qui tient la route.

Ainsi, pour chaque commandement, on trouve un auteur, un livre : Yasmina Khadra (Morituri), Tim Willocks (La Religion) ou Baroux Salamé (Le Testament syriaque*) travaillent sur les trois premiers commandements, Andreas Eschbach (Jésus Video), Schlomo Sand (La mort du Khazar rouge) le 4, Olivier Thiébaut (Enquête d’un père) ou Jean-Baptiste Baronian (Matricide) le 5, le 6 n’a pas besoin d’exemples, si ?, Noël Calef (Ascenseur pour l’échafaud**) ou la BD de Rabaté et Gnaedig (Le Linge sale) le 7, le 8 est illustré avec maestria par Donald Westlake et son acolyte Dortmunder ou Les trottoirs de Manhattan de Jeffery Deavers, le 9 par Michael Connelly et son avocat Mickey Haller, le demi-frère de Harry Bosch ou la série Engrenages et le 10 (qui copine avec le 5) par la reine du crime qu’est Agatha Christie, par exemple.

Sans compter le rôle salvateur (chez les AA, for example), voire néfaste (chez les tueurs en série) que la Bible joue dans de nombreux opus…

« De véritables correspondances entre Bible et polar« 

Elle peut même être l’aiguillon pour en écrire un de polar : « Il faut dire que [Marc Voltenauer], licencié en théologie, avait frappé les esprits (chrétiens ou non) en inscrivant son premier roman, «Le dragon du Muveran» (2015), dans un décor résolument protestant, entre un cadavre découvert dans un temple, un verset biblique planté dans le cœur, et une pasteure aux prises avec ses propres démons. Au-delà du cadre de cette première intrigue diffusée à plus de 50 000 exemplaires, [il] théorise  de manière plus générale de véritables correspondances entre Bible et polar, à commencer par la lutte sempiternelle entre le bien et le mal qui s’y déploie. »

Elle est aussi au cœur de la culture, chez Ken Bruen (Le martyre des Magadalènes, Chemins de croix etc… – voir Lettre B, partie 2), Alexis Ragougneau (La Madonne de Notre-Dame) ou dans Le nom de la rose d’Umberto Eco ou chez le père Brown de Gilbert Keith Chesterton.

Tout est donc dans la Bible, peut-être à part le smartphone et le fist fucking, quoique… si à Sodome, on savait quel mal régnait, on peine à imaginer celui qui régnait à Gomorrhe…

* Je rappelle, au préalable, que Jésus est un prophète pour les musulmans. Barouk Salamé dans son Testament syriaque nous enivre aux sources de l’islam et nous assène que ce qui nous tuera tous, c’est notre inculture. Méconnaître la religion, c’est connaître sa fin, voilà la morale de l’histoire. Et ce ne sont pas forcément les plus croyants qui maîtrisent leur religion, le commissaire Sarfaty est là pour en apporter la preuve. Il enquête sur ce texte écrit en syriaque qui, à défaut de pains et de poissons, multiplie les cadavres. Car, révéler le testament du prophète Muhammad se révèle être une bombe pour tous les musulmans. Et si le prophète de l’Islam se repentait de tous les morts qu’il a causés ? En particulier le poète Kab’ dont on lui avait amené la tête dans un panier ? Car : Qui tue un homme est meurtrier du genre humain (Coran 5, 36). Ce n’est pas digne d’un roman noir ça peut-être ?

** Julien Tavernier, ancien parachutiste, accomplit un crime parfait : il assassine son patron avec l’aide de sa femme dont il est l’amant. Voulant effacer ses traces, il se retrouve bloqué dans l’ascenseur – qui, ça change, diffuse une musique de Miles Davis et pas du Clayderman – qui l’emporte sur les lieux du crime.

 BIENTÔT (tous les premiers du mois)

…prochain épisode le 1er juin 2022 (Lettre B, deuxième partie)…

Avec au menu (sous réserve des places disponibles et de l’arrivée de produits frais et Biologiques) :

Black Blocs (Elsa Marpeau)

Block (Lawrence)

Blogs

Brève Histoire du Roman Noir (Une) (Jean-Bernard Pouy)

Brouillard au pont de Bihac (Jean-Hugues Oppel)

Bruen (Ken)

… et le bonus des notices ouBliées (vaine tentative de se couvrir en cas d’impairs…)

François Braud

papier écrit en écoutant Les oiseaux de passage de Georges Brassens

oui, je sais y avait Mike Brant mais bon…

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