Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre C (partie 2)

Attention, vous pénétrez sur un site à prétention littéraire. Vous en connaissez les risques, vous en assumerez les conséquences.*

* Un livre est une promesse. À vous de la tenir…

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré :  » Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéance / Aztèques dansants)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La) / Battisti / Bête et la belle (La) / Bialot / Bible)

La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black Blocs / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une) / Brouillard au pont de Bihac / Bruen)

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craqué / Cadavres ne portent pas de costards (Les) / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuse / Chuchoteur (Le) / Chute)

SOMMAIRE

Y a quoi à lire ? Une technique infaillible, une recette inratable, la Méthode Assimil pour Classer/déClasser vos livres, une étude des Codes et des ponCifs dans cette littérature, « objet de notre passion », un vol planant à l’aide du Condor de Stig Holmas et le grand Michael Connelly et la tribu du sujet : Harry Bosh, Mickey Haller, Jack McEvoy et, last but not least, Renée Ballard.

Lettre C

(2ème partie)

Rappel C (1ère partie)

Après avoir dit tout le bien que je pensais des choix de PL (Cook, « l’amant du désespoir« , Chandler, « le père terrible du Hard boiled« , Chainas « l’enfant terrible cru« , Colette et son pouvoir d’enfoncer les clous, Commère à la verve narrative exultante et bien d’autres C), j’ai évoqué ceux qu’il avait ignorés, celles qu’il avait oubliées (voir Lettre C, partie 1) en mettant l’accent sur la puissance des mots (Ça y est j’ai craqué) de Pascal Dessaint (qui ne craquerait pas ?), l’humour et l’hommage de Reiner aux films noirs des années 50 avec Les cadavres ne portent pas de costards, Caïn, la revue crypto-biblique potache qui fait rien qu’à renaître (la prochaine résurrection, c’est pour quand ?, le palmipède bourré dessiné par Benoit Sokal, Canardo, qui colorie dans les marges (voir illus.), la gouaille féministe de Sylvie Granotier, Cette fille est dangereuse, non ? et celui qui chuchote à l’oreille des lectrices et fait frissonner les lecteurs, Donato Carrisi (Le Chuchoteur) et, pour finir, sans spoiler ou divulgâcher, la chute, parce que tout a une fin.

La Cadillac blanche (page 11), Une enquête de l’inspecteur Canardo, Benoit Sokal, Casterman, 47 pages, 1990, 12€50

Désormais, place à la succession, ne jouons pas à cache-cache, il faut, couci-couça, creuser le CDAP avec le C.

Classer/déclasser

omment ne pas penser à penser/classer de Perec ?

Car très vite, face à l’afflux de livres qui s’accumulent de piles en piles, s’entassent sur les étagères, bourrent les bibliothèques, squattent les bureaux, tapissent les murs et, que cela ne s’arrange pas au fur et à mesure que l’âge permet de gagner du temps sur des moments perdus, on sent monter en soi comme un besoin de clarté, de ranger, de classer. « Toute bibliothèque répond à un double besoin, qui est souvent une double manie : celle de conserver certaines choses (des livres) et celle de les ranger selon certaines manières. »*

Perec

« La liberté ne s’use que quand on ne s’en sert pas. » Et la plus grande liberté en matière de création littéraire, c’est bien de s’imposer des contraintes. P r c a tout d m m crit tout un roman, La Disparition, sans la l ttr «  »!

Pour éviter que certains livres ne disparaissent et de ne plus pouvoir mettre la main dessus, il faut donc résoudre un « problème double : un problème d’espace d’abord, et ensuite un problème d’ordre. » Pour l’espace, le « coin bibliothèque » peut se trouver « à peu près n’importe où. » : « dans l’entrée / dans la salle de séjour / dans la ou les chambres / dans les chiottes ». Si Perec rajoute la cuisine (dans laquelle on entrepose précisément les livres de cuisine), j’y adjoindrais les couloirs et les bureaux. On peut aussi déposer ses reliques sur « les tablettes de cheminées ou des radiateurs », « entre deux fenêtres », « sur les marches d’un escabeau »…, voire en piles par terre, sur la table de nuit, dans le lit, dans le porte-revues… L’ordre ensuite, nous y voilà. Perec énumère 12 « manières de ranger les livres » : « classement alphabétique, par continents ou par pays, par couleurs, par date d’acquisition, date de parution, par formats, genres, grandes périodes littéraires, langues, par priorités de lecture, reliures et séries. » Mais « mon problème, avec les classements, c’est qu’ils ne durent pas ; à peine ai-je fini de mettre de l’ordre que cet ordre est déjà caduc. »

* Toutes les citations sont extraites de Georges Perec, penser/classer, Points Essais, 2003, 177 pages, 8€80

J’ai, pour mes besoins et ceux de la cause, après un stage de 21 mois en bibliothèque comme objecteur de conscience, expérimenté quatre types de classement. Je vous les livre.

Le classement par collection est le plus classe. Outre que cela donne une unité colorée et visuelle et permet de se passer de papier peint, ce type de rangement est idéal pour les collectionneurs qui peuvent ainsi s’apercevoir qu’il manque tel ou tel numéro. Prenez la Série noire (voir mon couloir ci-joint), la veille dame à l’âge tintinophile de 77 ans (bientôt 80 piges la vieille, en 2025) habille d’un joli camaïeu tricolore noir blanc jaune l’espace qui lui est alloué. C’est ainsi toute une histoire qui se déploie sous nos yeux :

– les premiers cartonnés aux titres prestigieux (jusqu’au numéro 413* inclus) : Pas d’orchidées pour miss Blandish (n°3) – No orchids for Miss Blandish, traduit par Marcel Duhamel de James Hadley Chase, La Dame du lac (n°8) – Lady in the lake, traduit par Boris et Michèle Vian – de Raymond Chandler ou Sans attendre Godot (n°310) de John Amila,

– les cartonnés souples (jusqu’au n°1458) avec la publicité Balafre (à partir du n°1230), celle de la SNCF (à partir du n°1401) et ceux avec la nouvelle couverture (jusqu’au n°1724), l’apparition du jaune (et de la pub Bastos) et ma première Série noire, Le der des ders de Didier Daeninckx (n°1986, balafré au dos), et les couvertures illustrées (à partir du n°1942),

– le retour au noir et à l’ancienne couverture à partir du n°2287 (avec l’arrivée de Patrick Raynal) et le déjanté Cosmix Banditos de A.C. Weisbecker – traduit par Richard Matas (voir Lettre C, troisième et dernière partie), n°2288,

– et enfin, le nouveau et ultime format, plus grand, plus large, qui a fait râler les collectionneurs à partir du n°2621, dont le premier Bruen à paraître (en 2004), Le Gros Coup, A white arrest, traduit par Marie Ploux et Catherine Cheval (n°2704). Mon dernier numéro est le n°2743. Le dernier serait le suivant.

* si j’en crois mes sources (Les Années Série noire, de Claude Mesplède, encrage) et ma bibliothèque (il me manque des numéros et des rééditions viennent moucheter ici et là ces continuités de tranches…)

Cependant, il faut bien reconnaître un gros inconvénient à cette classification ; bon courage pour faire des recherches, à moins d’avoir mémorisé le livre grâce à son numéro (comme le n°813 donné à Stephen Longstreet pour Le grand plongeon – Living high, traduit par Antoine Béguin, le n°1945 pour Didier Daeninckx pour Meurtres pour mémoire, le n°1968 attribué à JiBé Pouy pour son Nous avons brûlé une sainte ou le n°1000 à Jim Thompson pour 1275 âmesPop 1280, traduit par M.D. ou encore le n°2000 à Thierry Jonquet pour La Bête et la Belle). Certains numérologues à la mémoire éléphantesque y arrivent ou les amateurs de dates historiques* (ou alors il faut consulter). Pour les autres, les poissons rouges, les fêlés du bocal, il faut impérativement changer de façon de procéder.

* Le n°1515 appartient à Richard Sapir & Warren Murphy, Le guerroyeur (Created, the Destroyer, traduit par Marcel Frère), le n°1789 à George Markstein, Cible 5 (Traitor for a cause), traduit par Jacques Hall

En revanche, cela peut permettre de découvrir des scories qu’adorent les fondus comme Rémi Schulz et d’autres adhérents de 813. On remarquera ainsi que sur les premières jaquettes de la Série noire les numéros n’apparaissent pas avant le n°44 (du moins dans ma collection) et que la Série noire n°2288 (A.C. Weisbecker) est jaquettée (les jaquettes apparaissent au n°9 jusqu’au n°413) et floquée d’un beau n°0000. On s’aperçoit aussi que les premières Série noire n’étaient pas numérotées mais lorsqu’on les rééditait, elles le devenaient (comme pour La Chair de l’orchidée de J. Hadley Chase, non numérotée en 1948 et qui le devient en 1957, n°10).

Ailleurs, une collection des Rivages noir (voir mon étagère ci-jointe) permettra ainsi de démasquer deux n°717 (Laurie Flynn Drummond, Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous (traduit par Isabelle Reinharez) – Anything You Say Can and Will Be Used Agains You ET Samuel Ornitz, Monsieur Gros-Bidon (traduit par Andhrée Vaillant) – Haunch, Paunch and Jowl) et deux n°813 (tiens tiens, comme par hasard…), deux Français (tiens, tiens…) : Joseph Bialot, L’Héritage de Guillemette Gâtinel ET Tito Topin, Des rats et des hommes.

Évidemment, envoyer quelqu’un pour enquêter sur ces doublons pourrait permettre d’y voir plus clair mais est-ce bien nécessaire de faire la lumière sur ces belles ombres ?**

Le n°1000, lui, ne souffre aucune contestation. Il a été attribué par François Guérif à l’époustouflant Gravesend (traduit par Simon Baril) de William Boyle (Lire à G), à suivre désormais chez Gallmeister.

* Il n’y aurait tout simplement pas de n°716 – qui aurait dû être attribué à Monsieur Gros-Bidon si l’on en croit Albert Wikipédia. En revanche, il y aurait un n°812 et un n°814. Mais si l’on en croit le moteur de recherche de Rivages, le Tito Topin , Des rats et des hommes (n°813) n’existe pas (sic) mais apparaît chez Albert et c’est L’Héritage de Guillemette Gâtinel de Joseph Bialot qui disparaît qui a pourtant le n°813 sur le site de Rivages… Quelqu’un aurait le numéro de Canardo ? Jack est-il de garde au Grogan’s, « le plus ancien pub de Galway à ne pas avoir changé » ? **

** Delirium Tremens, traduit par Jean Esch, Série noire n°2721 , 2005, page 12.

Le classement par auteur reste le plus respectueux, évidemment. Chaque auteur a sa place et une place pour chacun. On peut ainsi trouver tout (du moins ce que l’on a) sur Marion Brunet, Lawrence Block, Pierre Bérégovoy ou Jean Bruce (je ne vous fais que les B là).

L’alphabet, si on le suit, parce que si on ne le suit pas, c’est le bordel) nous réserve quelques surprises. Outres les homonymes, Cook (Robin, le nôtre – Mémoire vive – The Hidden Files, traduit par Jean Esch), Cook (des frilleurs médicaux) et Cook (Thomas H.) ou Connell Jack et Connell Carol (voir plus bas) qu’il rapproche, les ubiques qu’il divorce (Lebrun, Lenoir, Cade et cie / Pouy, Raynal, Pennac et JB Raynac / Westlake et Stark, Millar ou McDonald…), il écartèle les Siamois et il faut choisir entre le fromage ou le dessert : Boileau ou Narcejac, Sjöwall ou Wahlöö, Allain ou Souvestre ? *

* Évidemment, on peut, dictature alphabétique, choisir le premier mais, quelquefois, on oubliera de chercher Laissez bronzer les cadavres ! de Manchette au B de Bastid.

J.-B. Nacray, La vie duraille, Fleuve noir n°1968, 1985, 217 pages

Il nous embrouille avec tou.te.s ces Mac (Daniel Betty, traduit par François Happe -, Namee Orchid blue, traduit par Freddy MichalskiBain Le sourdingueLet’s Hear it for the Deaf Man !, traduit par Rosine Fitzgerald – Donal, Gregory – Rafaël, derniers jours – The Brave -, Ross Le Frisson – The Chill, traduit par Jacques Mailhos), tous ces Cook (voir plus haut) ou tou.te.s ces O’ (Connell Jack Porno palace – The Skin Palace, traduit par Gérard de Chergé ou Connell Carol Retrouve-moi – Shark Music, traduit par Leslie Boitelle ou Ppel avec Noir diamant)

Il amuse en collant côte côte (ou presque, tout dépend de vos fournitures) l’élève Ellory (Vendetta – A Quiet Vendetta, traduit par Fabrice Pointeau et le maître Ellroy (à venir dans le CDAP, lettre D comme Dahlia noir), le français provincial Sénécal Un crime en Lorraine et le Ricain Selby Waiting period, traduit par Claro) ou Vilar – Ce sont toujours les autres qui meurent et VillardSur la route avec Jackson.

Mais surtout, il coûte en espace (et énerve) quand il faut classer un petit livre de poche avec un roman grand format et une bande-dessinée (Prenez Pouy par exemple qui coche toutes les cases et même celles qui n’existent pas…). En fait, souvent, ce ne sont pas les livres qui ne rentrent pas ou mal dans les étagères mais les auteurs qui entrent mal ou pas dans les cases.

Le classement par thème demeure le plus réjouissant mais.

Évidemment, abandonnons tout de suite un classement par genre, le polar étant la majorité proche d’un score d’élection soviétique, il dévore tous les autre genres. De même, les sous-genres vont nous donner la migraine (voir CDAP, Lettre B, partie 2). L’intérêt de ce classement est d’inventer les étiquettes : humour, alcool, serial killer, revues, Sherlock Holmes… nouvelles mais très vite, on en perçoit la limite : où classer une revue mettant en scène Sherlock Holmes dans une nouvelle qui se fout de sa gueule parce qu’il n’arrive plus à aligner deux neurones en face pour élucider le crime d’un tueur en série, racontée par le Dr Watson ? Vous allez me dire, ça n’existe pas ? Et pourquoi pas ? Tenez, où classeriez-vous un inédit de Sherlock Holmes, très drôle, publié dans la revue Caïn, hein ? Rayon revue ? humour ? Holmes ? Ha ben oui. Réjouissant mais casse-tête. Très vite, si on s’amuse, on perçoit vite les limites de cette méthode, aussi passe-t-on rapidement à la suivante.

Le mélange des trois pour un quatrième prosaïque et foutraque s’éternise à être le plus jouissif. Ainsi, un monde nouveau s’ouvrira à vous. Il faut savoir casser les logiques et en créer d’autres. Je n’ai ni méthode mais un peu d’expérience aussi voilà ce que j’ai mis en place chez moi.

J’ai deux murs de collections, comme je l’ai déjà dit, de Série noire et de Rivages Noir, classés of classe par numéro. Je classe, en général tous les autres livres par auteur mais par format, attention, étagères de grands formats et étagères de poches. Mais j’incorpore un dynamitage bien personnel.

Quand la vie ne vaut pas la peine d’être vécue ou que les merdes volent en escadrilles, je vais piocher, c’est moins liquide qu’un verre de vin, moins olfactif qu’une clope mais tout aussi roboratif et ça vaut tous les anti dépresseurs du monde, un livre sur mon rayon humour (voir à H avec Camilleri, Mizio, Dorsey, Barcelo, Westlake…), dans les toilettes du haut car, dans celles du bas, c’est le rayon des nouvelles, et ne me faites pas écrire ce que vous voulez lire, je n’ai jamais dit qu’une bonne nouvelle se mesurait à l’aune d’une défécation ou d’une miction (là, à part les aphorismes de CioranDe l’inconvénient d’être né – ou les très courtes nouvelles de Jacques SternbergContes glacés -, je ne vois pas qui peut rivaliser avec un telle record de durée frisant celui du 100 mètres masculin)..

Pour être un jour enfin admis dans la société très fermée des Amis de Sherlock Holmes, j’entretiens un rayon holmésien qui grandit tant les hommages et pastiches se reproduisent aussi vite que les fougères ou le désintérêt des électeurs et électrices pour tout scrutin. S’y croisent évidemment le canon, l’œuvre originelle et originale de Conan Doyle, y compris les récits non holmésiens mais tous les pastiches, mangas et autres BD, et il y en a…

J’ai une étagère composée des nouveautés reçues en service de presse, une autre de livres achetées, une pile à lire sur la table de nuit et par terre, voire dans le lit (lectures très très très urgentes), un rayon à lire d’urgence (relative*) et une caisse rouge CDAP*.

* Je m’impose depuis que je construis ce CDAP un rythme soutenu de lecture en assolement trimensuel ; du 1 au 10, liberté totale, du 11 au 20, CDAP à venir et du 21 au 30/21, CDAP du mois en cours.

J’ai des recoins particuliers au gré des envies et des nécessités. Il y a la pile Côte Côte* dans laquelle on trouve des futurs binômes comme Arsène Lupin contre Sherlock Holmes de Maurice Leblanc Le Livre de poche, 1963 – et Arsène Lupin contre Sherlock Holmes de Maurice LeblancLe Livre de Poche, 2021 ou Lumière noire de Jean-Pierre Conty et Lumière noire de Didier Daeninckx ou Un bon jour pour mourir de Jim Harrison et Le Gang de la clef à molette d’Edward Abbey ou Ce bel été 1964 de Pierre Filoche et L’été 64 de Romain Slocombe), le rayon des voyages (Penser global, lire local / Cuba – même quand celui a avorté, j’ai démantelé déjà Prague, la Pologne ou des voyages sans empreinte carbone – ou très très légères – avec les modérations des débats d’Impressions d’Europe à Nantes que j’ai menés depuis 2012 déjà), l’étagère Polaroïd (Secret), la collection de novellas dirigée par Marc Villard dont je ne dis que le plus grand bien parce qu’elle le mérite et l’étagère Suites noires (la collection hommage à la Série noire avec le solide La déposition du tireur caché d’Oppel, Suites noires n°8), le rayon ALIBI, Vous en aurez tous besoin un jour

* Rubrique à découvrir : Côte côte, c’est l’occasion de confronter des livres que rien n’assemble ou que tout rapproche : leur titre, leur thème, leur date de publication, leur collection, leur auteur, leur couverture… D’émettre un avis quand on n’avait même pas pensé le donner, donner une interprétation en prenant de l’altitude pour minimiser le rassurant planplan du sempiternel résumé-avis, aviser le rapprochement comme une éthique de l’éloignement, s’éloigner de l’attendu et n’attendre rien si ce n’est l’étonnement, l’amusement, la réflexion, cerner l’architecture, bref, ces choses propres à nous donner envie de lire… ou pas. Côte côte, c’est une critique parallèle, l’une révélant l’autre.

J’envisage aussi de créer un rayon écran total pour les livres adaptés au cinéma – avec leurs DVD – car je suis friand des adaptations afin de comparer les deux œuvres, voire ce qui a été conservé ou ce qui a été coupé (Fight club de Palahniuk et Fight club de Fincher, Six-Pack d’Oppel et Six-Pack de Berberian, Créance de sang de Connelly et Créance de sang de Eastwood, Zulu de Férey et Zulu de Salle, Shutter Island de Lehane et Shutter Island de Scorcese …).

Et pourquoi pas, même, un « endroit melon/chevilles » ? Composé d’un coin dédicacé (j’en ai des dizaines) et d’un rayon exergué (j’en ai quelques-uns : Les Roubignoles du destin de Pouy ou Gangsta rap de Villard) il viendrait compléter, je l’avoue, un mètre François Braud, sur le frigo du bureau, composé de mes productions jeunesse, romans et nouvelles polars.

Monde nouveau, donc, mais monde en perpétuelle construction, en changement incessant car, évidemment, rien n’est jamais terminé, c’est un rangement pour Sisyphe, un classer/déclasser qui se nourrit, autosuffisant mais jamais définitif, car à jamais insatisfaisant. Je laisse le dernier mot à Georges Perec : « …je n’en viens jamais à bout [et] je m’arrête à des rangements provisoires et flous, à peine plus efficaces que l’anarchie initiale. »

Un bon marque-page (opus cité)

Codes et poncifs

‘est peu dire que les codes et les poncifs sont partie intégrante du « genre que nous aimons« . Les distinguer est même l’essence de « notre objet de passion« .

Chat ou panthère ?

Don de madame Pylette

J’ai déjà traité du sujet longuement*, en conférence et dans un Bang récent, le #5, . Vous pouvez le relire. En voici la conclusion : « Le polar est une littérature de genre. De codes. Les ignorer, c’est basculer dans une autre division. Les multiplier, c’est livrer la médiocrité quand on attend l’excellence : on est déçu. Il faut alors, en tant qu’auteur et lecteur, savoir naviguer entre les profondeurs et l’horizon. Pas facile. C’est pour cela que nous lisons du noir. Pour chercher la lumière dans une zone d’ombre. Ceux qui veulent nous éclairer le chemin ou ceux qui avancent fiers et naïfs tout droit alors que la courbe s’annonce ne sont pas de notre famille. »

Si vous voulez quelque chose de plus pointu, vous pouvez vous référer à des spécialistes comme Adrien Thet, c’est ici. Voilà sa conclusion : « La place occu­pée par le roman poli­cier dans la lit­té­ra­ture contem­po­raine relève fina­le­ment autant de la décons­truc­tion de ses codes que d’une adhé­sion sin­cère au pou­voir de la lit­té­ra­ture noire. La déri­sion, avec laquelle les modè­les anciens sont par­fois trans­for­més, dis­si­mule une mélan­co­lie cer­taine devant l’enquête qui n’abou­tit plus, et ne trouve plus un cou­pa­ble unique aux maux de l’enquê­teur et de la société. Le poli­cier est alors le genre idéal où expri­mer cette perte, par son examen pes­si­miste de la cons­cience humaine et des valeurs mora­les. »

Choisissez la griffe. Après tout, c’est vous qui lisez…

* Et j’en reparlerais avec Le goût du noir dans la fiction policière contemporaine, sous la direction de Gilles Menegaldo et Maryse Petit, en lice pour le trophée 813 Maurice Renault.

Condor (Le) de Stig Holmas

« 

inquantes roupies, sahib ». « Allez, viens, me disent les putes. »

Il fait partie de mon petit panthéon personnel des romans qu’on n’oublie pas, comme Dalva de Jim Harrison, Un privé à Babylone (lire à U) de Richard Brautigan, Le Dahlia noir (bientôt à D avec la contribution de François Guérif) de James Ellroy, Rafaël, derniers jours (Lire à R) de Gregory McDonald et tant d’autres… Le Condor est un ovni de Stig Holmas paru à la Série noire et réédité par Sonatine. Il laisse l’empreinte qu’on découvre au détour d’une sente dans une forêt, un soir, dans l’ombre, et on ne sait pas vraiment à quel animal elle appartient. Le Condor, c’est ça. Des vers crachés à la figure, une chronique de la vie de misère, un pamphlet politique, un brûlot social, une pépite noire. Il est tout. Il n’est rien.

Un cantique athée

Stig Holmas est né en 1946 à Bergen, en Norvège. Poète, il publie quelques fictions dont Le Condor en 1997 (Kondoren, traduit par Alain Gnaedig) dont Mesplède, dans son DILIPO (DIctionnaire de LIttérature POlicière lire à D), à la page 988 (2ème édition, 2007), dit qu’il « est une construction formelle sophistiquée et très habilement agencée [qui] permet au lecteur d’oublier les situations très conventionnelles décrites dans ce roman, curieuse incursion d’une écriture lyrique et métaphorique dans le monde du roman noir. »

Le Condor de Stig Holmas (Kondoren, traduit du norvégien par Alain Gnaedig), Sonatine, 2016, 253 pages, 13€

Après la prétention d’avoir donné une leçon sur les codes et les poncifs dans le monde du polar, je ne peux que m’insurger, en partie et calmement, contre cette analyse de Feu notre pape du polar Claudio. C’est l’écriture qui est une révolution tant elle dynamite les situations volontairement conventionnelles du roman policier. Et ce n’est pas une incursion dans le monde du roman noir, à mon avis, mais c’est un roman noir qui s’émancipe en ne montrant de ces conventions que leur fatuité, le vide de ces codes devenus, à force d’être trop utilisé systématiquement, des poncifs. On les utilise sans en connaître seulement leur intérêt premier. Un peu comme le chapeau ou la casquette qu’il faut ne pas garder quand on entre quelque part, quand même. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi. On oublie que la casquette, c’est le paysan qui l’enlève en entrant dans l’église devant le curé ou la met derrière son dos quand il parle au patron. Ça a un goût soumission cette « habitude« . Et je pense à Pascal Garnier, souvent affublé d’un tel attribut, voyou chez les snobs et snob chez les voyous. Stig Holmas doit porter une casquette et rarement l’enlever.

Ce livre laisse des cicatrices. Et l’ayant lu plusieurs fois, j’en oublie régulièrement l’histoire mais pas la chair de poule qui s’en dégage.

Favelas, musseques, slums, ghettos, mapane, kachi abadi, matiti, achwayates, gecekondus, jughi, bustee, townships, ranchos, invasiones, bariadas, tugurio…

Le Condor est un voyage dans une contrée qui n’existe pas et est pourtant habitée par un milliard d’entre-nous (dont 20 000 à Nantes, par exemple). Peu importe le nom qu’on lui donne, elle est apatride, on la trouve partout, près des grandes villes et de leur lumière aveuglante, leur piège de richesse, leur miroir qu’on ne peut traverser. La misère y pousse comme les coquelicots et qui peut d’autre peut, à part les poètes, trancher dans le vif et vivre avec.

« Pourquoi les nuits n’ont-elles plus de lèvres ? » (page 13)

Alors oui, l’histoire… William Openshaw est un poète mondialement connu qui vit dans les bidonvilles, avec les putes et les mendiants : « Une roupie, sahib ! ». Son enfance entre des parents ivrognes et un ami violeur ont esquinté sa vie. Il cambriole des banques pour alimenter de quoi faire vivre la cause. Il ne vit pas. Il ne survit pas. Il fuit le monde.

Qu’y avait-il avant qu’il n’y ait le monde ? William Openshaw ne le sait pas, pas plus qu’il ne sait ce qu’il y aura après. Le présent déjà lui suffit tant il le fuit.

Et nous le suivons dans sa fuite avec l’espoir, un jour, de retrouver la beauté d’un champ « de haricots où [s]a mère courait » et « le parfum des coquelicots qui [l’]a toujours suivi [et] chatouillé [s]es narines. » (page 9), pour s’apercevoir, en fait, que les coquelicots ibériques (Papaver rhoeas), s’ils sont très beaux ne sentent rien.

« – Ce n’est pas possible.

– Mais si, je le sais bien (…). Pas de parfum. » (page 254)

Connelly (Michael)

omptez un tout petit plus d’une page sur les 808 que compte le Dictionnaire Amoureux du Polar (Plon) de PL, c’est maigre. Certes, il évoque Le Poète – The Poet, traduit par Jean Esch, avec enthousiasme (« page turner« , « roman très persuasif« , « suspense« ) mais s’arrête à cet unique chef d’œuvre. Certes, c’en est un, évidemment. Mais Michael Connelly ne peut se résumer à ce seul ouvrage (il a vendu 75 millions de livres dans le monde). Michael Connelly, c’est le créateur, notamment*, de quatre personnages que nous lisons vivre : Hyéronymous Bosch, inspecteur (25 tomes** et une série TV), Mickey Haller, avocat et demi-frère de Bosch (6 tomes et une série TV), Jack McEvoy, journaliste (3 tomes), Renée Ballard, inspectrice (3 tomes**) dans la cité des anges : Los Angeles.

* Sans compter les one-shot, comme Créance de sang – Blood WorkPoints Seuil n°835, traduit par Robert Pépin, avec le personnage de Terry McCaleb***, dont Clint Eastwood a tiré un film éponyme en 2002

** 26ème et 4ème tome, annoncé chez Calmann-Lévy en septembre 2022 : Les ténèbres et la nuit. Tous les personnages de Michael Connelly se croisent (on appelle ça des crossover) comme des compagnons dans ses romans… *** comme Terry McCaleb, vivant (L’Oiseau des Ténèbres – A Darkness More Than Night, traduit par R.P.Points Seuil n°1042) et mort (Los Angeles RiverThe Narrows, traduit par R.P.Points Seuil n°1359)… ou Rachel Walling, agent du FBI, ancienne maîtresse de Bosch et compagne du journaliste McEvoy qu’il recroise, par exemple dans Mariachi Plaza (The burning Room, traduit par R.P., Le Livre de poche, 2016, 506 pages, 8€30) : « – Dis à Jack qu’il a sacrément de la chance. – Quoi ? demanda-t-elle. Pour son boulot ? – Non, Rachel. De t’avoir, toi. »

Connelly, c’est avant tout une écriture ciselée, fluide et travaillée « à l’os » pour l’intérêt de l’intrigue et servir des personnages, Harry, Mickey, Renée et Jack, au mieux afin de les ancrer dans la réalité, celle de Los Angeles, la nôtre.

« Les personnages sont, pour moi, plus importants que les histoires ». (L’express)

Michael Connelly est né en 1956 à Philadelphie, fait des études de journalistes en Floride. En 1986, il figure comme co-auteur sur la liste des finalistes du Prix Pulitzer pour un article sur les rescapés du crash du vol 191 Delta Air Lines et finit par devenir chroniqueur judiciaire au Los Angeles Times*. En 1993, il obtient le Prix Pulitzer pour ses reportages sur les émeutes de Los Angeles de 1992. Il arrête le journalisme pour se consacrer à l’écriture avec un succès confirmé par les lecteurs et lectrices et les prix qui tombent au fur et à mesure que son piédestal se solidifie : Prix Edgar Allan Poe en 1993 pour Les Égouts de Los Angeles – The Black Echo, traduit par J.E. (Points Seuil n°19), Prix Nero, Prix Anthony, Prix Dylis en 1997 et Prix Mystère de la Critique en 1998 pour Le Poète, Grand Prix de Littérature Policière pour Créance de sang en 1999, Prix Anthony en 2009 du meilleur roman pour Le Verdict du plomb (The Brass Verdict), traduit par R.P. (Points Seuil n°2397)…

Il a quitté Los Angeles en 2001 pour vivre à Tampa en Floride.

Pour sa bibliographie et la pléthore de prix qu’il a reçus, on se référera à Albert Wikipédia pour les moins anglophiles d’entre-nous ou au site de l’auteur pour les accrocs à la source.

* Lire Chroniques du crimeCrime Beat, a decade of Covering Cops and Killers, traduit par R.P. (Points Seuil n°1761)

Pour voir l’homme et entendre sa (vraie) voix (en-dessous de celle de la traductrice ou du traducteur), on peut suivre l’interview (en 2021) d’une trentaine de minutes qu’il a accordée quand il est venu dernièrement à Quais du Polar à Lyon, ici, pour parler de Séquences mortelles (voir plus bas) ou sur France inter (un peu moins de 12 minutes) pour la promo (en 2019) d’En attendant le jour (voir plus bas), .

« – Projectile ôté de la thoracique 12, partie antérieure. Objet en mauvais état, avec fort aplatissement. Je vais le (…) confier à l’Inspecteur Hiéronymus Bosch (…) de la police de Los Angeles. (…) – Je ne pensais pas que tu t’en souviendrais. (…) Très peu de gens connaissaient le nom complet de Bosh (…). » (Michael Connelly, Mariachi Plaza, page 11 opus cité)

Bosh. Hiréonymous Bosch, dit Harry. Portrait d’un ami lu.

Né en 1950 d’un père avocat, Michael Haller (qui ne le reconnaîtra pas, longtemps il se croira né de père inconnu) et d’une prostituée, Marjorie Lowe (assassinée dans la rue en 1961*) est affublé d’un prénom américanisé en Harry hérité du peintre Hollandais. À la mort de sa mère, tout bascule dans sa vie, il est confié en familles d’accueil puis en foyer. À 17 ans, il s’engage et sera « rat de tunnel** » lors de la guerre du Vietnam. À son retour il effectue deux ans de fac au City College, entre au LAPD, Los Angeles Police Department , dont il va devenir un inspecteur réputé des Homicides et des Affaires non résolues, prendra sa retraite mais reviendra dans le jeu en rempilant comme détective expérimenté sous contrat, allant même jusqu’à travailler bénévolement.

« Ce qui m’intéresse est moins le conflit entre le bien et le mal (il y a eu tant de superbes livres sur le sujet) que la zone grise qui se situe entre ces deux pôles antithétiques ». (L’express)

Il s’est donné pour mission de parler au nom des morts et reste très attaché à la justice. Homme de dossier, méthodique et obsessionnel, il lit et relit le livre du crime, préfère éviter la paperasse mais quand il doit la faire, fait très attention aux détails. Il sait sortir du bureau, prendre la rue, « se bouger le cul et » « aller frapper aux portes », se mouiller, s’infiltrer. C’est un flic à l’ancienne, peu rompu aux charmes du numérique par exemple (même s’il progresse, époque oblige, il reste parfois nostalgique de l’époque du Rodolex) et se fie beaucoup à sa première impression, à l’instinct. Il est avant tout libre, au service de la justice et favorable à la peine de mort (contrairement à Michael Connelly). C’est un flic qui a « un espace creux » en lui-même, « un vide où la flamme ne cesse de brûler. Pour quelque chose. Appelons ça la justice. Ou le désir de savoir. Le besoin de savoir que les tenants du mal ne sauraient profiter des ténèbres à jamais. » (MP, page 81, opus cité) Il ne travaille pas seul mais ses binômes n’ont pas été épargnés : « … j’ai perdu deux coéquipiers. Un troisième s’est fait tirer dessus, mais en a réchappé, et j’en ai encore eu un qui, lui, s’est suicidé, mais bien après que nous avons fait équipe. » (MP, page 428, opus cité)

Il est la marque des institutions publiques mais est assez retors face l’autorité. Bâti seul, au contact de l’adversité, il découvre peu à peu sa famille, père, demi-frère, fille. Sa une fille, Madeline, surnommé Maddie, qu’il a eue avec Eleanor D. Wish (agent du FBI reconvertie en joueuse de poker professionnelle) et Maddie, c’est sans doute sa seule « faille », sa vulnérabilité*** (il lui a cependant appris à tirer, on ne sait jamais : « je voulais qu’elle sache tout ce qu’il faut en savoir pour sa sécurité » MP, p.288, opus cité) et le travail qui lui mange sa vie le fait culpabiliser comme tout « père absent à cause de son travail ». Gaucher, il boit peu (de la bière), est devenu un ex-fumeur, est plutôt insomniaque (du moins dort-il mal depuis la guerre du Vietnam, ses souvenirs le hantent) et claustrophobe. Il écoute du jazz, notamment Franck Morgan, Dizzie Gillepsie, Art Pepper dans sa maison sur pilotis sur une des collines d’Hollywood, à Woodrow Wilson Drive, à Los Angeles.

Brun, grisonnant aujourd’hui, yeux sombres, moustachu, costaud, mais amaigri et malade (irradié, il est atteint d’une leucémie) depuis la retraite, Bosch mesure 1m75 et vieillit mais reste pugnace. À la retraite, il bénéficie de sa pension que son avocat de demi-frère à réussi à lui conserver (on tentait de la lui enlever, lire Incendie nocturne (page 52) – The Night Fire, traduit par R.P. chez Calmann-Lévy – en grand format – et au Livre de Poche) et il a amassé un petit magot (un million de dollars !) grâce à l’intervention de son demi-frère avocat qu’il garde jalousement pour sa fille Maddie mais est prêt à dépenser pour sauver son demi-frère, Mickey Haller (lire L’Innocence et la loi – voir plus bas). Plus empathique, c’est le sacrifice.

Ce qui différencie Bosch et Connelly et ce qui les rassemble ? « Au début, Bosch n’avait rien à voir avec moi ». « Cependant, je ressemble à Bosch sur un point: j’ai de l’empathie pour les gens ». (L’express)

* Il enquêtera sur cette affaire dans Le Dernier CoyoteThe Last Coyote, traduit par J.E. (Points Seuil n°781).

** Lire Les Égouts de Los Angeles.

*** Lire Les neuf dragons9 Dragons, traduit par R.P. (Points Seuil n°2798).

« Tout le monde compte ou personne. » (devise* d’Harry Bosch)

* Un politicien lui pique dans Mariachi Plaza, opus cité, et ça ne lui plaît pas du tout mais alors pas du tout, il déchire deux fois l’affiche qui s’en sert…

C’est en 1993 que nous découvrons Harry Bosch dans Les Égouts de Los Angeles qui entend « l’hélicoptère tout là-haut, quelque part au-dessus de l’obscurité, décrivant des cercles dans la lumière. » « Harry avançait dans un tunnel sombre et enfumé, et ses piles rendaient l’âme. » « Jamais il ne regardait en arrière, il savait que l’ennemi était derrière lui, dans le brouillard noir. » Il finit par se réveiller de son cauchemar, la faute à la sonnerie du téléphone. « – Police de Los Angeles, district de Hollywood. Officier Pelch à l’appareil. Que puis-je pour vous ? » Et Bosch de répliquer : « – On aurait le temps de crever avant que vous ayez fini de débiter tout ça ! »

Cette première affaire, du moins celle qui nous est donnée de lire, va remuer sérieusement Harry car le cadavre dont il doit s’occuper, on vient de le trouver dans une canalisation d’écoulement d’eaux de pluies d’Hollywood. Et c’est un « rat de tunnel », un ancien compagnon de guerre. Il va devoir replonger dans ses cauchemars mais va faire une rencontre décisive (pour la suite) : Eleanor Wish, agent du FBI.

Nous le retrouvons en 2020 (et bientôt en 2022 !) dans Incendie nocturneThe Night Fire, traduit par R.P. chez Calmann-Lévy (en grand format) et au Livre de poche. Harry Bosch est à la retraite, marche à l’aide d’une canne à cause d’un genou défectueux juste opéré pour se rendre à l’enterrement d’un ancien collègue, un mentor pour lui, « John Jack » (…) « avait donné quarante ans de sa vie au LAPD, d’abord en qualité de flic en tenue, puis d’inspecteur. » Maragaret, sa femme, confie à Harry un dossier que JJ aurait volé aux scellés avant de quitter la police, une affaire non résolue. Pourquoi ? Pour essayer de la résoudre ou pour éviter que quelqu’un y arrive ? Harry va enquêter, de manière officieuse, en demandant de l’aide à Renée Ballard, affectée au quart de nuit à Hollywood qui enquête sur un sans-abri brûlé dans sa tente. et, dans le même temps, travailler aux côtés de son demi-frère, Mickey Haller, pour innocenter un suspect qui a tout du coupable. Bosch du côté de la défense, on rêve (même s’il avait déjà goûté au fruit défendu dans Jusqu’à l’impensable- The Crossing, traduit par R.P., Le Livre de Poche n°34920, 2018, 471 pages, 8€20)… On navigue entre des chapitres Bosch et des chapitres Ballard avec délice et se perdant dans la multitude de personnages et d’intrigues policièro-judiciaires et, puis, tout s’éclaire peu à peu en mangeant les pages. C’est ça la magie de Connelly et un pari une nouvelle fois relevé qui se termine sur une fin annonçant une suite.

Entre les deux, à peine trente ans et 23 romans. Une vie de milliers de pages. Tout semble bon chez Connelly et aucun Bosch (à part Les Neuf dragons – qui m’avait filé une impression de lassitude…. J’avais alors fait une pause pour mieux retrouver Harry quelques années après, huit ans en fait….*) n’est à négliger. On peut les lire dans le désordre mais il est plaisant de les lire dans la chronologie pour voir Bosch évoluer, vieillir, sa fille grandir, mais aussi mourir certains personnages… Trois Bosch qui m’ont marqué récemment.

* Elles sont rares mais les critiques existent : « A genoux** est un très mauvais livre ». (Éric LibiotL’express). Il est clair que devant une telle production d’un tel niveau, il est des tomes moins savoureux que d’autres, moins réussis, voire qui ne prennent pas… Laissons filer… On peut ne pas prendre le menu mais choisir à la carte…

** The Overlook, traduit par R.P., Points Seuil n°2157, 2009, 277 pages, 7€20

1. Une vérité à deux visages dans lequel Bosch est accusé par le LAPD (qu’il attaque d’ailleurs en justice suite à un événement narré il me semble dans À genoux*) d’avoir fabriqué des preuves. Il travaille alors bénévolement à San Fernando aux Affaires nos résolues.

* À genoux présente la particularité d’avoir deux fins (version Points Seuil) !

2. L’autre est Mariachi Plaza (opus cité) pour sa construction linéaire sans interruption qui permet de suivre trois affaires (un décès qualifié de meurtre 10 ans après que la victime se soit fait tirer dessus, un incendie provoquant la mort d’enfants et le braquage d’une banque), d’appréhender Bosch dans ce qu’il est vraiment (un flic soucieux de sa devise toujours prêt à former une coéquipière, Lucia Soto, mais rétif à la hiérarchie, prêt à, non pas tout, mais à beaucoup pour approfondir une enquête au nom de sa devise) avec une sad end qui fait de Bosch un homme serein et droit dans ses bottes et hérisser les poils des bras du lecteur, de la lectrice qui frissonnent en lisant le dernier paragraphe. On a vraiment l’impression de quitter un ami, là.

3. Enfin, Nuit sombre et sacrée (Dark Sacred Night, traduit par R.P., Calmann-Lévy, 454 pages, 2020, 21€90) dans lequel on assiste à la rencontre de deux personnages de Connelly. La scène est cocasse. Renée Ballard (tome 2), au quart de nuit à Hollywood, blacklistée pour avoir osé dénoncer un supérieur de harcèlement sexuel, surprend, à trois heures du matin,  » une moustache et des cheveux gris » en train de fouiller dans les classeurs du commissariat : « Moi, c’est Bosch » (tome 24). Elle le chasse mais intriguée, elle lit ce que Bosch lisait : l’affaire Daisy Clinton (évoquée à la fin d’Une vérité à deux visages). Et cette affaire qui ronge Bosch va devenir aussi celle de Renée Ballard. Un régal.

Une série intitulée sobrement Harry Bosch (7 saisons, 68 épisodes), a été réalisée qui passe sur Amazon vidéo mais je ne l’ai pas vue…

« Votre boulot vous immerge dans les abîmes les plus sinistres de l’âme humaine. (…) Plongez dans les ténèbres et c’est aussitôt en vous qu’elles plongent, elles aussi. » (Michael Connelly, En attendant le jourThe Late Show, traduit par R.P., Calmann-Lévy, 2019, page 350, 21€90)

En attendant le jour est le premier roman de la série Renée Ballard. On a vite crié au pendant féminin de Harry Bosch. C’est vite dit. On a pensé qu’elle pourrait remplacer un Harry Bosch vieillissant, malade. Peut-être, on verra : « je cherchais un personnage qui pouvait lui succéder ».*

« Ballard me fait penser aux herses posées sur la route par la police pour arrêter les fuyards en voiture. Elle est incontournable, on ne peut pas l’ignorer. »*

* Michael Connelly nous raconte son nouveau personnage, Renée Ballard. (https://www.pointdevue.fr/culture/livres/michael-connelly-nous-raconte-son-nouveau-personnage-renee-ballard)

Renée Ballard est flic au quart de nuit à Hollywood de 23 heures à 11h du matin. Elle a pour partenaire John Jenkins, « son compagnon des ténèbres« . Élevée à Maui à Hawaï, son père est mort noyé alors qu’il surfait, abandonnée par sa mère, elle est sans-abri jusqu’à ce que sa grand-mère, Tutu, la recueille, à Ventura en Californie. Elle devient journaliste au L.A. Times pour couvrir les crimes. Elle décide, après, de ne plus les couvrir mais de les résoudre et s’engage au LAPD et grimpe les échelons.

Après sa nuit de travail, elle rejoint sa chienne, Lola, ou sa grand-mère, fait du surf ou du paddle et dort dans sa tente ou dans son van. C’est une femme relativement jeune, la quarantaine, décalée, sportive, intransigeante qui paie son franc parler et a dénoncé un supérieur , Robert Olivas, pour harcèlement sexuel. Comme elle n’a pas pu le prouver (Chastain son supérieur a couvert Olivas et l’a blanchi de tout soupçon), elle se retrouve placardisée mais ça lui convient : « J’aime bien le quart de nuit ». « C’est là qu’on envoie les branleurs » dit Olivas… (En attendant le jour, pages 413 et 52, opus cité) Ambiance…

« J’aime bien les heures sombres, moi. » (Incendie nocturne, opus cité, page 464)

Dans le premier tome, on fait sa connaissance, on apprend qu’elle est rétive à l’autorité et peine à confier aux inspecteurs de jour les enquêtes qu’elle cerne la nuit au cours de son service. Dans En attendant le jour (opus cité), elle tient à résoudre deux affaires : celle d’un prostitué tabassé à port et du meurtre d’une jeune fille dans un night-club. Et elle y travaille de jour, s’y épuise, asphyxiée par les relents de son passé, elle s’acharne à les résoudre. Et, à la fin, quand Olivas lui propose de rejoindre son équipe : « – Lieutenant, dites à la face du monde ce que vous m’avez fait, reconnaissez-le, et je reviendrai travailler avec vous. » (En attendant le jour, page 413, opus cité)

Dès le deuxième tome (Nuit sombre et sacrée, opus cité), elle rencontre Harry Bosch (voir plus haut). Et ne le quitte plus puisque les tomes 3 (Incendie nocturne* – The Night Fire, traduit par R.P., Calmann-Lévy noir, 2020, 470 pages, 21€90) et 4 (Les Ténèbres et la Nuit – The Dark Hours, Calmann-Lévy noir, à paraître le 7 septembre 2022) les associent de nouveau (et le 5 à paraître aussi apparemment : Desert Star).

* évoqué plus haut…

Ballard et Bosch, ça ressemble de plus en plus à une association (les chapitres sont alternés pour avoir leurs deux points de vue), à un jeune couple, un binôme d’objectif, et on sent que pour Bosch, c’est une façon de passer la main sans la passer vraiment, comme s’il retrouvait en Ballard, un peu de sa jeunesse et de sa fougue enfuies. Il arrive même à Ballard d’avoir des accents d’intimité que Bosch, pudique, réprouve vite : « – Tu as dormi avant de te lancer dans tout ça ? – Oui, papa, j’ai dormi. – Ne m’appelle pas comme ça. » Ils s’en amusent tous les deux : « – Tu as eu du mal à entrer ? – Non, dit-il. Je suis enfin sur la liste des personnes âgées. – Je leur ai dit que tu étais mon oncle. – C’est mieux que grand-père. – J’aurais dû y penser. »

Ce qui les réunit, c’est évidemment d’avancer vers la résolution : « Sarah Freelander, dit-elle. (…) – Si tu travailles dessus, je le fais avec toi. – Oui, dit-il (…). Marché conclu. »

On attend la suite…

« Un procès a tout d’un arbre. (…) Je suis l’homme à la hâche. Mon boulot consiste à l’abattre et faire cendres de son bois. » (Michael Connelly, prologue de L’Innocence et la Loi – The Law of Innocence, traduit par R.P., Calmann-Lévy, 2021, 483 pages, 21€90)

Mickey Haller a sa série contenant 6 tomes.

C’est le demi-frère de Harry Bosch : ils ont le même père, l’avocat pénaliste Michael Haller, la légende du barreau ayant défendu Mickey Cohen et les filles Manson, mort quand Mickey avait cinq ans. Il lui doit son « air d’Irlandais noiraud ». Il boit peu (une Guinness, un martini-vodka de temps en temps) mais peut se laisser aller en fonction des circonstances (au fond du trou, il boit tout pareil : « Je me pinte le vendredi soir pour être hors course le samedi parce que c’était le samedi soir que je voyais ma fille »Les Dieux du verdict – The Gods of Guilt, traduit par R.P., Calmann-Lévy noir, 452 pages, 2015, 21€90) pour finir par s’abstenir de toute consommation d’alcool : « je n’ai pas pris une seul verre depuis plus de cinq ans » (L’Innocence et la loi – The Law of Innocence, traduit par R.P., Calmann-Lévy noir, 2021, 483 pages, 21€90). C’est sans doute le seul « héros ascendant » de Connelly : d’avocat des chauffards, des dealers, des bikers et autres bad boys de la fange américaine – la plupart du temps, il est pris par des affaires de drogues (son ordinaire) – mais aussi les laissés-pour-compte de la crise des subprimes (Le 5ème témoin – The 5th Witness, traduit par R.P., Le Livre de Poche, 2014, 640 pages, 8€60), Mickey Haller va devenir un avocat à la réputation quasi flamboyante de l’avocat à la Lincoln avec chauffeur – Earl, Rojas… – (c’est son bureau même si dans Le Verdict de plomb, opus cité, récupérant les affaires d’un avocat tué l’ayant couché sur son testament, il profite de son bureau et qu’il loue, à l’occasion, aussi, un « bureau temporaire », Volte-Face The Reversal, traduit par R.P., Le Livre de Poche, 2013, 519 pages, 8€10 – et Le 5ème témoin, opus cité) défendant des « clients pactole ». Sa plaque d’immatriculation affirme, péremptoire : IWALKEM (« Avec moi, ils sortent« *). Certes, il souffre/souffrait de quelques addictions (aux antalgiques, suite à des opérations chirurgicales consécutives à un « petit problème » dans La Défense Lincoln – The Lincoln Lawyer, traduit par R.P., Seuil Policiers, 2006, 433 pages, 23€50, qui l’emmènera dans une clinique de désintoxication). Il est souvent passablement déprimé. Il est amoureusement défaitiste (deux ex-femmes : Maggie McPherson, procureure, et mère de sa fille Hayley et Lorna Taylor, associée de son cabinet). Il lui arrive quelques tuiles : il perd son élection au poste de procureur dans le tome 5, Les dieux du verdict (opus cité) et il est accusé de meurtre dans le dernier tome, L’Innocence et la loi, opus cité) mais il n’est pas placardisé comme Renée Ballard, il se sort de tous les guêpiers. Il n’est pas suspendu, à la retraite, malade comme Harry Bosch, il arrive à se soigner (blessures, addictions, moral…). Il n’est pas viré, même si le barreau l’a à l’œil (il est envoyé à « CUBA : Conduite Ultra-indigne d’un Bon Avocat = un mois et demi au rancart à la fin de La Défense Lincoln, opus cité) et que le district attorney et les flics le conchient (« La Lincoln avec chauffeur pour vous balader partout comme une pute de haut vol », « le baveux à la Lincoln », opus cité), ni bringuebalé par les changements professionnels de l’époque comme Jack McEvoy, même s’il y a un temps avant et un temps après. Plutôt désabusé sur ce qu’est devenu le droit dans son pays, il continue à travailler d’arrache-pied pour, comme son père, sauver ce qui est à sauver, même les innocents : « Il n’y a pas de client plus effrayant qu’un innocent. » J. Michael Haller, avocat de la défense au criminel, Los Angeles, 1962, (La Défense Lincoln, exergue, opus cité).

* Même si quelquefois, il le regrette (Les Dieux du verdict, opus cité).

Il habite une maison avec garage sur « Fareholm Drive , qui monte en terrasses dès l’entrée sud du canyon. » et bénéficie d’une terrasse avec vue sur Hollywood Boulevard permettant de se lancer « dans des millions de rêves » (La Défense Lincoln, opus cité, page 210) dont il a du mal à payer les traites.

« Vivre et mourir à L.A. / C’est là qu’il faut être / Faut y être pour savoir / Tout l’monde y veut voir »

Il est plus rap que jazz et il lui arrive d’écouter sur sa Bose, le grand feu Tupac Shakur, God bless the dead, To Live and Die in LA, Big Smalls, Snoop Dog ou, sur les conseils de Earl, son chauffeur, le Three Six Mafia. La musique des victimes et des criminels, des succès et des procès, des clients donc de leurs avocats.

On sait peu de choses de sa jeunesse si ce n’est qu’il suit les traces de son père pour devenir avocat de la défense. Soutenu par son ex-femme, Lorna Taylor, associé à Jennifer Aronson à partir du tome 4, Le 5ème témoin (opus cité) et secondé par ses détectives Raul « Mish » Levin (qui n’intervient que dans La Défense Lincoln, opus cité – et Cisco Wojciechowski – présent à partir du tome 2, Le Verdict de plomb, opus cité, qui a épousé Lorna).

Il forme avec Harry Bosh et son ex-femme McPherson un trio explosif : Harry arrête les criminels, McPershon tente de les faire condamner et Mickey Haller de les faire sortir.

« Je ne faisais ni dans la culpabilité ni dans l’innocence, parce que tout le monde était coupable. De quelque chose. » (La Défense Lincoln, page 37, opus cité)

C’est le grand thème récurrent de la série : le travail pour la défense (« … je croyais vraiment que l’idéal qui exige que tout individu accusé de crime ait droit à la meilleure défense possible »). Et pourtant, par deux fois, il a travaillé « comme – ou pour le – procureur », car il est convaincu de ce qu’il fait même s’il doute et même s’il respecte l’autre camp. Il pense même que sa fille, Hayley, qui étudie le droit (la fille de Harry est à l’académie de police, elle, L’innocence et la loi, opus cité, page 111elle devrait devenir flic) choisira son camp comme elle le voudra (celui de sa mère ou celui de son père) sans animosité aucune de la part de son géniteur. Il a, comme les autres héros de Michael Connelly, de la ténacité à revendre, ne lâche rien, prend des risques et l’argent quand il pense qu’il l’a mérité (et n’hésite pas à rappeler au client l’importance que revêt le billet vert : « – (…) Il y a un problème. La dernière fois qu’on s’est vus, vous m’avez dit que je recevrais du fric. Sauf que nous revoilà ensemble et que je n’ai toujours pas rien. – T’inquiètes pas. Je l’ai, ton fric. – C’est bien pour ça que je suis inquiet : c’est vous qui l’avez. Et moi qui ne l’ai pas. »*) sans poser de questions sur sa provenance : ce sont ses honoraires et il est « des questions dont il valait mieux de pas connaître la réponse »*. Pas de traçabilité pour lui. « Le droit n’avait rien à voir avec la vérité. Mais tout avec la négociation, l’amélioration et la manipulation. »* Il est pragmatique jusqu’au cynisme : « En termes de stratégie, que l’accusé ait ou n’a pas fait ce qu’on lui reproche n’a aucune importance. »* (pages 60-61, opus cité) Comme Harry, son demi-frère, il n’a qu’une seule faille, « la seule chose dont [il] pouvait être fier »*, (page 63, opus cité) : sa fille : « J’avais trop longtemps fait passer mon travail avant ma fille »* (page 58, opus cité). Et peut-être Maggie… S’il est prêt à la rabaisser dans le cadre de son travail (opus cité), il en est toujours plus ou moins amoureux et, ils finissent par revivre ensemble à la fin du 6ème tome après bien des montagnes russes du tome 1 au tome 5…

* Lire La Défense Lincoln, opus cité

« Je dis toujours qu’au début les affaires rugissent comme des liions et qu’à la fin elles bêlent comme des agneaux. » (La Défense Lincoln, opus cité, page 15)

La série Mickey Haller est une pure série de romans de procédure judiciaire. Rien n’est épargné aux lecteurs et lectrices, aucune astuce, aucun truc, aucun vocabulaire, tout est parfaitement huilé et mis à la portée des lectrices et lecteurs. Objection votre honneur est un gimmick aussi célèbre qu’Élémentaire mon cher Watson et bien plus réel (en effet, dans tout le canon holmésien, pas une fois Sherlock ne le prononce, tout cela étant du ressort du cinématographe), au point paraît-il que certains sont persuadés que c’est un recours utilisable en France (ce qui n’est pas le cas). D’ailleurs, chez nous, on se base sur « l’intime conviction » de la culpabilité, chez eux « le doute raisonnable« . On suit avec délice les affaires (ici c’en sont, ce ne sont pas des sujets comme pour Jack McEvoy) dans leur processus judiciaire, de l’avant procès au délibéré, voire au-delà, avec l’établissement de la caution, la mise en accusation officielle, la possibilité de déclarer au juge qu’on ne souhaite pas renoncer à son droit d’être jugé rapidement (sous 60 jours), l’échange des pièces et preuves entre défense et « peuple » (l’accusation par l’État se fait au nom du peuple), l’art de choisir un jury (pages 302-303, L’innocence et la loi, opus cité), la récusation des jurés (pour motifs graves ou récusation péremptoire), chronologie des faits (qui revient à l’accusation), témoins interrogés, en contre interrogatoire, suspensions de séances, entrevue accusation défense juge et en parallèle, stratégie et enquête (c’est là qu’intervient parfois Harry Bosch pour aider son demi-frère), offres de l’accusation à la défense pour « écourter » le procès, plaider coupable, réduction et/ou abandon des charges, premier et dernier ressort, délibéré etc… Mickey Haller, lui, se contente de s’insinuer dans les failles du dossier et de développer l’argutie fatale (faisant ce qu’il peut pour éviter « le troisième coup, c’est le bon » qui entraîne la prison à vie pour tout criminel ayant déjà été condamné deux fois) afin d’obtenir le not guilty final.

L’État de Californie contre Mickey Haller

Le dernier tome (le 6), L’innocence et la loi (opus cité) est le plus intéressant car, cette fois-ci, Mickey Haller voit ce déroulement de l’intérieur : il est en effet accusé de meurtre sur Sam Scales, un ancien client (il apparaît dans La Défense Lincoln, opus cité) qui lui devait de l’argent, qu’on a retrouvé mort dans son coffre après avoir été arrêté par un policier pour défaut de plaque d’immatriculation (elle a disparu cette fameuse IWALKEM). Interpellé et emmené au poste avec ces bijoux de fer aux poignets que sont les menottes, Mickey va manger sévère et, lorsque la sauce le noie (l’enquête démontre que la victime a été tuée dans son garage et qu’on y a retrouvé une douille), Mickey comprend que le piège est plus que solide et bien étudié. L’avocat à la Lincoln est bon pour la prison : les Twin Towers (« prison principale du comté. Elles abritent des femmes* dans l’une et des hommes** dans l’autre. »***) et leur régime de « sandwich au bologne et une pomme rouge abîmée en guise de petit déjeuner » (page 28). Difficile de préparer sa défense dans ses conditions. L’homme qui vient défendre Mickey Haller n’est autre que lui-même – il sera aidé de tout son staff (Jennifer, Cisco, Lorna…) et même par Harry Bosh (le coup du bandeau exagère les interventions de Bosch qui sont ici succinctes et guère plus nombreuses que les doigts d’une main) et un ancien client (qui sont prêts à payer sa caution) et son ex-femme Maggie, avec le soutien de sa fille Hayley (« C’est elle qui me fait tenir », page 277). Mais en face, il y a Dana Berg, dite Ice Berg ou Dana Couloir-de-la-mort (page 422), c’est dire si la procureure est affable, mais surtout un état de faits tous les plus probants et lourds en la défaveur de Mickey. En apparence… « Un procès pour meurtre à tout d’un arbre ». Mais Mickey est « l’homme à la hache » (page 9). Le problème, c’est que l’arbre du procès à l’apparence d’un chêne centenaire à la circonférence sans fin et que la hache de Mickey ressemble à un couteau en plastique. Il aura bien besoin de psalmodier son mantra: « Conduis-toi en gagnant et tu en seras un » (page 232) et de ressasser que la loi est parfois injuste (page 251) et que le droit ne l’est pas toujours… En attendant de prouver son innocence, Mickey est incarcéré. Et il n’aime pas ça : « Je déteste me trouver à l’intérieur d’une prison. Je ne sais pas trop pourquoi. Faut croire que la frontière est bien mince – la frontière qui sépare l’avocat au criminel de l’avocat qui l’est. Il y a des moments où je ne sais plus trop de quel côté de la barre je me trouve. À mes yeux, pouvoir ressortir par le chemin par lequel je suis rentré a toujours quelque chose de miraculeux. » *** Et les pensées noires sont là aussi car cette incarcération « fait penser à ce qui est de l’autre côté du mur. On peut bien vous prendre votre ceinture et vos lacets, on ne peut pas vous empêcher de passer par-dessus. » (page 419).

* « Les femmes sont dépossédées de tout lorsque la porte de la prison se referme sur elles. »***

** « Les hommes survivaient encore grâce à leur force et à leurs ruses. »***

*** Lire La Défense Lincoln, opus cité (pages 69, 30 et 26)

« Je n’étais qu’un ange crapoteux » (La Défense Lincoln, page 37, opus cité)

Autre tome particulièrement intéressant, Le Verdict de plomb (tome 2, The Brass Verdict, traduit par R.P., Points Seuil n°2397, 2010, 525 pages, 7€80) dans lequel Mickey hérite d’un cabinet d’un collègue assassiné et d’une de ses affaires, un richissime concepteur de jeux vidéos accusé du double meurtre de sa compagne et de son amant qui veut laver son déshonneur et affirmer son innocence le plus rapidement possible. Mickey relève le défi. C’est cette aventure qui est le cœur de la série télévisée intitulée La Défense Lincoln

Et il faut aussi lire (Volte-face, opus cité) dans lequel Mickey Haller travaille comme procureur : « Mickey Haller au nom du peuple ! » (page 21) Et, évidemment, il va se faire aider par Bosch et McPreshon

« Je suis un neutralisateur. Mon boulot, c’est de neutraliser le dossier du ministère public ». (La Défense Lincoln, opus cité, page 141)

Mickey Haller a donc sa série télévisée : La défense Lincoln (avec Manuel Garcia-Rulfo dans le rôle de Mickey Haller). Bonne série qui emprunte curieusement le titre du 1er roman des aventures de l’avocat mais pour développer l’intrigue de la deuxième (Le Verdict de plomb, opus cité), peut-être parce que le film, La défense Lincoln (2011, avec Matthew McConaughey dans le rôle de Mickey Haller) développait déjà l’intrigue du premier tome…

« La mort, c’est mon truc. » (Connelly, Le Poète, opus cité)

Réédition du chef d’oeuvre de Connelly chez Calmann-Lévy

Jack McEvoy est né le 21 mai 1961. Il a (eu) un frère jumeau de Sean, « suicidé » dans Le Poète, et a (eu) une sœur Sarah, décédée en 1976. C’est un journaliste (au Rocky Mountain News au départ, puis au L.A. Times dont il se fait virer dans L’épouvantailThe Scarecrow, traduit par R.P., Points Seuil n°2623, 519 pages, 7€80 et, enfin, au Fair Warning, un site web* dans Séquences mortellesFair warning, traduit par R.P., Calmann-Lévy noir, 2021, 432 pages, 21€90). Il est pugnace et ne travaille pas sur des affaires mais sur des sujets (et le pire c’est qu’on lui pique son sujet), n’a pas son éthique en bandoulière et sait ce qui vaut un article ou pas. Conscient, lucide sans être cynique sur ce que devient le journalisme, il le déplore : « On en était arrivés à l’ère des fake news et des journalistes qualifiés** d’ennemis du peuple par le pouvoir. Les journaux fermaient à droite et à gauche et d’après certains, l’industrie était maintenant prise dans une spirale mortelle. En attendant, il y avait de plus en plus de reportages non vérifiés et de sites médiatiques biaisés, la ligne de séparation entre journalisme impartial et partisan ne cessant de s’amenuiser. » (Séquences mortelles, pages 58-59, opus cité). Le journalisme souffre et en plus on lui « donne des coups de pieds » et Trump, par exemple, n’est pas le dernier, pense Connelly. Jack McEvoy est donc là pour refuser la laisse, éviter les coups de pieds et mordre s’il le faut.

* Ce site existe vraiment et c’est un ami de Connelly qui le dirige.

** En France, certains les qualifient de « journalopes »…

C’est, a dit Michael Connelly, le personnage le plus autobiographique de ses romans (« Ce personnage, c’était moi, oui. »). Forcément. Et Le Poète est écrit à la première personne, contrairement aux quatre premiers romans écrits auparavant sur Harry Bosch.

Jack McEvoy apparaît donc dans le chef d’œuvre dont j’ai longuement parlé déjà : Le Poète dont l’incipit nous hante pour la vie : « La mort, c’est mon truc. ». Le Poète, c’est l’histoire d’un journaliste – Jack McEvoy – qui perd son frère – un flic qui mange son arme – qui ne s’y résout pas, qui enquête pour retrouver un assassin éliminant les policiers, sans être une seule fois identifié, inquiété, et même « imaginé ». Jusqu’à ce que McEvoy s’y colle. Avec pour seule piste un mot, comme des traces sur les vitres embuées d’une voiture ou dans la poussière sale d’une carrosserie : « Hors de l’espace. Hors du temps. »

On le retrouve dans L’épouvantail (opus cité), dans lequel il tente d’innocenter un adolescent de 16 ans d’un crime qui ressemble étrangement à celui d’une série et dont il pense venir à bout grâce à Rachel Walling l’agent du FBI qu’il a connue dans Le Poète.

Séquences mortelles (opus cité) (nouveau coup du bandeau : Le héros du Poète est de retour) ne peut effacer Le Poète (opus cité) mais il contribue à souffler sur les braises. Roman de modernité (l’industrie de l’ADN), de vérité et de liberté (les médias ne sont pas l’ennemi du peuple quoiqu’en dise Trump)* mais de compassion aussi (le passage de l’interrogatoire d’un des victimes du tueur est saisissant, elle ne peut plus parler mais elle peut écrire : NE LE PRENEZ PAS VIVANT) et d’avenir (Connelly est plus intéressé par l’avenir que par le passé et par les personnages que l’intrigue). Intrigue addictive, documentation savante mais vulgarisée, tout est fait pour qu’on ne lâche pas Séquences mortelles (opus cité). Et on ne le lâche pas. Une réussite**.

* Écoutez l’auteur en parler (source citée plus haut).

** Michael Connelly a écrit un scénario de cette intrigue. À suivre…

Jack McEvoy est devenu web journaliste (« Ce n’était pas une bonne époque pour être journaliste.») et se retrouve accusé du meurtre d’une femme avec qui il a passé une nuit. Pour se défendre, il se met à enquêter. Même si flics et hiérarchie le lui déconseillent fortement. Mais « la meilleure question est celle qu’on ne se pose pas »« … si on fout la merde dans cette histoire, ça pourrait nous revenir en pleine figure. » Doit-il alors se tourner les pouces ? « C’est juste l’impression que c’est à ça qu’on en est réduits (…). Aux fakes news, à être les ennemis du peuple et à un président qui annule des abonnements au Washington Post et au New York Times. Et à un LAPD qui n’hésite pas à jeter un journaliste en prison. Quand allons-nous commencer à résister ? » Il découvre alors que ce meurtre – surnommé l’écorcheur – n’est, là encore, qu’un parmi d’autres qui ont vu des femmes mourir le cou brisé, des victimes qui ne sont pas choisies au hasard mais pour leur patrimoine génétique, le « dirty four ». Le tout étant d’avoir « Elvis dans la boîte« . Une « vieille expression de journaleux. Ça désigne le truc, le détail, la photo que tout le monde veut*. (*soit la photo – volée- d’Elvis dans son cercueil – ndt). » Et quand McEvoy l’a, il rédige son article : « La mort, c’est ma spécialité. Grâce à elle, je gagne ma vie et je forge ma réputation professionnelle. » On y revient. Au « truc« .

[« Jack] is easily the most autobiographical character I have ever written about.« 

C’est sous un nouvel angle, autre que judiciaire (Mickey Haller) ou policier (Harry Bosch et Renée Ballard), que Michael Connelly se révèle une nouvelle fois redoutable et c’est sans conteste parce que sa plume s’est affutée dans cet exercice qu’est le journalisme (si l’on peut résumer ce métier à un travail de brouillon d’écrivain et, évidemment, on ne peut pas, je rappelle que Connelly* a obtenu le Prix Pultizer) qu’il frappe juste et fort dans cette « trilogie » McEvoy.

* Avec 86 autres journalistes aime-t-il à rappeller modestement…

Rien n’est jamais figé avec Connelly, chaque livre est ancré dans une réalité. Le monde change mais ses personnages gardent en eux ce qui fait qu’ils sont ce qu’ils sont : des êtres entiers tourné vers la justice, la vérité, la réputation professionnelle. Aussi McEvoy n’a pas changé depuis Le Poète (opus cité) , c’est le journalisme qui n’est plus ce qu’il était dans Séquences mortelles (opus cité) , écrivant son « papier », il reprend les mots de ce qui a fait sa réputation de journaliste avec l’affaire du Poète : « La mort, c’est ma spécialité. Grâce à elle, je gagne ma vie et je forge ma réputation professionnelle. Je m’appelle Jack McEvoy et vous écoutez La Ronde du meurtre, le podcast du crime vrai qui, bien au-delà des grosses manchettes, vous lance à la poursuite d’un tueur avec tous ceux qui enquêtent sur l’affaire. » (page 407). La forme a changé, pas le fond. La boucle est bouclée ?*

* Jack McEvoy apparaît dans d’autres que ces 3 titres-là : L’oiseau des ténèbresA Darkness more than Night, traduit par R.P., Points Seuil) et Le Verdict de plomb, opus cité).

« Los Angeles est comme votre cerveau : On ne s’en sert qu’à vingt pour cent. Imaginez un peu si on s’en servait à fond ! » (Michael Connelly, Mariachi Plaza, page 224, opus cité)

Los Angeles est le terrain privilégié de Michael Connelly et de ses quatre héros même si des excursions peuvent avoir lieu, aux confins, à Hong-Kong (Les Neuf dragons), à touche-touche, à Adelanto (Mariachi Plaza), chez les voisins à San Francisco (La Défense Lincoln) et même dans « South Side de nulle part » (Une vérité à deux visages)…

« [Los Angeles] est un décor très important. Mes personnages vivent dans cette ville, ils sont connectés avec elle. Bien la connaître est nécessaire pour construire leur caractère. Je veux les faire évoluer dans un monde qui soit le plus proche possible de la réalité. Je vais toujours sur les lieux que je décris. » (M.C.)*

* (source déjà citée : https://www.pointdevue.fr/culture/livres/michael-connelly-nous-raconte-son-nouveau-personnage-renee-ballard)

Los Angeles, c’est surtout une ville encombrée de deux maux : les crimes et les embouteillages (ces derniers sont tellement légion que les rares fois où il n’y en a pas, Bosh s’en étonne comme dans Mariachi Plaza, page 271, page 286, page 369, et leur origine aussi trouble qu’une querelle byzantine pour Haller : « À Los Angeles, la circulation sur les autoroutes est aussi mystérieuse que la vie de couple. » La Défense Lincoln, opus cité). Les embouteillages contribuent au smog, qui souille les murs et obscurcit les esprits, et se colle aux fumées des incendies automnaux. Si James Ellroy (à qui on pense dès que l’on parle de L.A.) évoque souvent la Cité des Anges du passé, Michael Connelly, lui (qui loue le travail et l’aide de son confrère), décrit celle du présent, dans laquelle il a vécu longtemps (jusqu’en 2001) avant que de s’exiler à Tampa, dans celle qui grouille d’humeurs, attendant aujourd’hui le « big one » comme elle peut, comme autrefois une jeune fille s’étiolait dans le rêve perdu d’une carrière avortée à Hollywood dans la gloire fânée d’une carrière cinématographique à peine esquissée (comme Regina Campo dans La Défense Lincoln, opus cité), aux confins du désert de Mojave qui parfois fait monter son air vif à la fin de l’hiver et à 450 kilomètres d’une Las Vegas (Nevada) perclus de clichés, coincée, naturellement, touristiquement, entre la Vallée de la mort et le grand Canyon (Arizona).

« Tous mes livres sont une seule et grande lettre d’amour à Los Angeles ». (L’express)

À L.A. on y mange dans des food truck, des sandwichs aux fruits de mer ou des donuts sucrés.

À L.A. on y habite dans des vieux immeubles décatis des années 50.

À L.A. les flics travaillent au Parker Center (nommé ainsi en mémoire d’un de ses chefs mort en 1996), QG du LAPD, quartier dowtwon de L.A., au cœur des émeutes de 1992 déclenchées par le verdict de non-culpabilité des 4 policiers (blancs) inculpés dans l’Affaire Rodney King (noir). Ils ont des casiers et des bureaux qu’ils ferment à clé mais qu’on peut crocheter à l’aide d’un trombone (même Harry y arrive dans Mariachi Plaza, opus cité) et des fauteuils qu’ils attachent à l’aide d’un anti-vol.

À L.A., « les dernières statistiques donnent un total de 100 000 crimes violents par an. L’année dernière* il y a eu plus de 140 000 arrestations pour crimes, plus 50 000 autres pour des délits sérieux en matière de drogue et de sexe. En y ajoutant les arrestations pour conduite en état d’ivresse, on pourrait remplir deux fois le stade du Rose Bowl avec tous ces clients. » (La Défense Lincoln, opus cité, page 107).

* Le livre datant de 2005 pour la publication américaine, on peut penser que Connelly, par l’intermédiaire de Mickey Haller cite des stats de 2004, voire 2003. Cela n’a pas dû baisser en 2022

À L.A. on y boit aussi. Et on peut y déguster un cocktail du nom de titres de Chandler ou d’Ellroy, hommage de Connelly à ceux qui l’ont inspiré et aidé (notamment dans En attendant le jour, opus cité).

« Los Angeles est un terminus ». (L’express)

Mais il y a trois L.A..

1. Une L.A. respectable : L.A. le jour, pour les touristes et les gens du quotidien. Tentaculaire vallée couperosée d’autoroutes dont les habitants oublient parfois qu’il existe un métro. Le rêve en surface…

« J’ai rencontré Mitzi Roberts, une femme inspecteur au service de nuit qui m’a beaucoup inspiré*. Elle m’a expliqué que Los Angeles est une ville différente quand le soleil disparaît. » (M.C.)**

* pour le personnage de Renée Ballard.

** (source déjà citée : https://www.pointdevue.fr/culture/livres/michael-connelly-nous-raconte-son-nouveau-personnage-renee-ballard)

2. Une L.A. inavouable : L.A. la nuit, pour les criminels et les flics. Et les victimes qui crient justice. L.A. la nuit, c’est « la destination finale de tous les monstres et autres perdants de la société »* L’usine à cauchemars fabrique toujours des candidats. Il y a dans la cité des anges des gamins des rues qui n’ont jamais vu la mer, à Venice Beach ou à Santa Monica.

* article de l’Express (réservé aux abonnés)…

3. Une L.A. cachée : La L.A. filmée. Un vase clos. « Los Angeles est une ville de caméras de surveillance. » (Mariachi Plaza, page 87, opus cité). On ne parle pas des drones ?

Et quand on croit la connaître, on la connaît mal, au point que même Harry Bosch, peut avoir besoin d’aide pour y circuler et d’« …un antique guide Thomas Brothers de Los Angeles qui avait dû faire dans les trois cent mille kilomètres à bord de toutes ses voitures » (Mariachi Plaza, page 238, opus cité) pas pour trouver la route de Mulholand Drive mais peut-être pour la route Zzyzx* qui mène de Baker (Californie) à Las Vegas (Nevada).

* Lire Los Angeles River, opus cité.

Pour y sentir l’atmosphère et la nuit, regardez Planète polar : le Los Angeles de Connelly avec pour guides Michael Connelly et Olivier Marshall. Un documentaire de Paolo Bevilacqua, Marc Fernandez, Jean-Baptiste Bussière et Matthieu Jaubert (2019). 52 min. (si vous y arrivez à la trouver… Un extrait ? Un reportage ?)

Pour y visiter 12 lieux que côtoie Harry Bosch, on peut lire l’article des Échos, avec le siège du Los Angeles Times, les restaurants Musso & Frank Grill et Chez Dan Tana, le Parker Center (voir plus haut) siège du L.A.P.D., la Woodrow Wilson Drive où habite Harry, le Bradbury Building, le service des Affaires Internes, le belvédère (The Overlook), l’hôtel Chateau-Marmont, le funiculaire Angel’s flight, la Mariachi Plaza, le club de jazz Catalina Bar & Grill et le quartier d’Echo Park.

Mais pour y être vraiment, ouvrez un Connelly. N’importe lequel. Ça scintille comme des cristaux liquides. Mais attention, c’est addictif.

À suivre…

Incessamment (1er septembre)

…prochain épisode : Lettre C, troisième et dernière partie…

Bien calé dans une chilienne, vous consulterez les scolies, sous couvert des stocks encore vacants :

Connolly (John)

Contrat (Tante Jeanne-Hortense)

Cosmix banditos (AC Weisbecker)

Coup du bandeau (Le)

Couverture (et 4ème de)

Critique

Cuba

Cummins

… et BACk in ABC (anomalies, oublis et remerciements)…

François Braud

That’s all flok !

merci encore à Vali Izquierdo pour sa Contribution alphabétiC, qui, quand elle ne dessine pas enfile des perles avec talent, voyez plutôt. Il y a même un bracelet Bruen (voir photographie) !

Bruen – Barcelet – 52€

papier écrit en écoutant Feu ! Chatertton, Palais d’argile (dont l’intégralité des titres est camouflée dans l’article que vous venez de lire)…

oui, je sais, il y avait Carlos, mais bon…

19 réflexions sur “Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre C (partie 2)

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