Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre D (2ème partie)

Attention, vous pénétrez sur un site à prétention littéraire. Vous en connaissez les risques, vous en assumerez les conséquences.*

* Un livre est une promesse. À vous de la tenir…

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré :  » Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

C’est déjà du passé…

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéance / Aztèques dansants)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La) / Battisti / Bête et la belle (La) / Bialot / Bible)

La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black Blocs / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une) / Brouillard au pont de Bihac / Bruen)

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craqué / Cadavres ne portent pas de costards (Les) / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuse / Chuchoteur (Le) / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des ponCifs, Condor (Le), Michael Connelly)

Lettre C, partie 3 / À télécharger, (Connolly, Contrat, Cosmix banditos, Coup du bandeau, Couverture (4ème de), Critique, Cuba, Cummins et BACk in ABC).

La contribution au CDAP : C comme Connolly par Pierre Faverolles (blogueur blacknovel1)

Lettre D, partie 1 / Téléchargez ? (Dahlia noir (Le), Damages, Del Árbol (Víctor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) et Dexter)

La contribution au CDAP : D comme Dahlia noir (Le) par François Guérif (éditeur Rivages, Gallmeister)

Lettre D (partie 2)

SOMMAIRE

ans la partie 1, le D de Pierre Lemaitre a été scruté, disséqué et analysé. Et puis, j’ai proposé mon D à moi, avec : Dahlia noir (Le), Damages, Del Árbol (Víctor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) et Dexter.

ans la partie 2, je vais donc clore ce qui n’a que décidément trop duré avec : Dicker (Joël), Dictionnaire Amoureux du Polar (Le) de Pierre Lemaitre, DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède, Divulgâcher, Donneur (Le) de Mouloud Akkouche, Doyle (Conan), Dredd (Le Juge), une contribution de Frédéric Prilleux et Drôles d’oiseaux de Thierry Camus.

Dicker (Joël)

(ou J’ai déjà donné)

e la condition de l’écrivain, il est question ici. Il y en a fort peu, en fait. Il y a le génie désespérement inconnu qui écritécritécrit mais n’est jamais publié, le parvenu encensé du public et des médias, l’incompris lauréat, peu lu mais qui brigue prix, reconnaissance et compliments (un commerçant sans client avec une belle devanture) et le chouchou des lecteurs honni des critiques.

« Le crime parfait existe : il suffit de trouver un faux coupable.* »

* Cosmopolitan. La formule est jolie (essayez de remplacer crime par livre et coupable par lecteur…).

Joël Dicker est de ces derniers. Il vendvendvend et, depuis que son éditeur, Bernard de Fallois, a disparu en 2018, se publie lui-même*. Absent du DAP de PL, il m’a semblé honnête de le mettre. Membre du club des gros vendeurs** comme Musso, Bussi, Chattam, Minnier et autres Thilliez, il est loin d’avoir la couverture critique (« honnête« , « nouvel épisode du Club des cinq« , « pure mécanique« , « plein de clichés et poncifs« ***…), que ses lecteurs lui tissent (qui se comptent par millions).

* L’Affaire Alaska Sanders, Éditions Rosie et Wolfe (576 pages , 23€****) est la suite de La vérité sur l’affaire Harry Québert.

** 450 000 exemplaires de L’Énigme de la chambre 622 (De fallois, 576 pages, 23€****) 622 vendus ! 3 millions pour La vérité sur l’affarie Harry Québert ! 12 millions pour ces 5 romans ! Guillaume Musso, lui, en est à plus de 30 millions de livres vendus (avec plus de vingt livres) ! J’arrête avec l’inflation des points d’exclamation…

*** et je ne vous parle même pas de ce qu’en a dit Le Masque et la plume mais vous pouvez le lire,

**** c’est un concept cette standardisation ?

Le lecteur que je suis a apprécié La vérité sur l’affaire Harry Québert* (9€50, Éditions Rosie et Wolfe), l’histoire de Nola, 15 ans, qui disparaît un soir d’été 75 dans le New Hampshire pour réapparaître déterrée de la propriété de Harry Québert, écrivain (Les origines du mal) ami et ancien professeur de Marcus, écrivain en panne d’inspiration après un premier best-seller. Marcus enquête pour innocenter son ami…

* professionnel, je me suis même laissé aller à regarder la série éponyme. Voilà voilà…

Tache, tâche, tâcheron

Le lecteur a apprécié mais le critique a préféré n’en pas parler. Ha bon, pourquoi ? Ben en fait, la tâche était trop haute et celle de Philipp Roth* inatteignable (La Tache, Gallimard).

* « Un roman de faux faussaire et de tâcheron admiratif« . Arnaud Viviant, L’Obs.

Dicker appartient à ce type d’écrivain qui sait narrer, avec métier, pageturner sans trop d’anicroches, bousculer sans faire de mal. C’est bien fait, c’est lisse, ça ne reste pas trop longtemps en tête. C’est un peu comme quand on peut mettre la main sous l’eau qui coule sans danger : ni chaud, ni froid, tiède. Mitigé. On a passé un bon moment de lecture, on n’a pas lâché le livre, on voulait savoir. Mais quand on a su, on s’est dit qu’on préférait le début à la fin. L’attente était meilleure que la lecture. Le plaisir de l’escalier en quelque sorte. Le projet est toujours plus excitant que la réalisation, la recette succulente que le plat (à l’image de la photo et de l’assiette), le Big Mac appétissant avant qu’après : « Ça ou des cailloux… »

L’appétit, le désir, la faim, le besoin, la satiété, le plaisir, le rassasiement, le dégoût. Tous les sentiments sont dans la nature du livre… Et jamais je ne dirai « fontaine je ne boirais pas de ton eau ». Un jour subsaharien, fatigué des neurones, constipé des synapses, j’ouvrirai L’Affaire Alaska Sanders et j’irai au bout – en poche, faut pas abuser non plus…

Dictionnaire Amoureux du Polar (Le)

de Pierre Lemaitre

(ou Tous les goûts sont dans ma nature)

ifficile de rédiger un Contre Dictionnaire Amoureux du Polar sans parler de l’origine du truc, de ne pas concasser à César ce qui aurait dû revenir à Paul Belmondo, de ne pas remercier celui sans qui. Pierre Lemaitre, né en 51, Goncourt en 2013 et trophéisé en 2020, je l’ai rencontré en 2010 dans les pages de Cadres noirs (décliné en série avec Dérapages et Cantona) dans lequel Alain Delambre tient du Burke Devore qui tente de surnager dans Le Couperet de Donald Westlake : il est prêt à tout pour un boulot. J’ai enquillé sur Robe de marié, Alex avant de sourire comme celui qui ne baise qu’une fois par an quand c’est la veille quand j’ai appris que le Goncourt de 2013 récompensait Au revoir là-haut (Flammarion)*. J’ai lu la suite de sa trilogie (Couleurs de l’incendie et Miroir de nos peines) avec le même enthousiasme pour sa verve narrative, son talent de cerner une âme humaine, son souci de mener le lecteur vers le plaisir. De la haute littérature, de la grande littérature, au sens noble du terme, populaire, vivante, ouverte, altruiste. J’ai savouré son Dictionnaire Amoureux du Polar chez Plon Trophée 813 2022 ou Prix Maurice Renault du meilleur ouvrage vantant le genre – et le travail que je mène depuis février 2022, et qui devrait me mener autour de juin 2026, en est la preuve.

J’ai souri à nouveau en 2019 pour Jean-Paul Dubois (Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façons, L’Olivier).

« Ce roman est remonté à ma mémoire, comme une espèce de bulle qui remonte à la surface, lorsqu’il y a un an et demi j’ai travaillé sur Le dictionnaire amoureux du polar. Et je me suis rappelé de ce livre (…) et je me suis dit que c’était une bonne chose d’offrir aux lecteurs mon premier roman policier qui est en même temps le dernier que je publierai »confie Pierre Lemaitre.

Mais, comme tout « ami » qui se respecte (aurait dit Desproges), il m’a, au moins une fois, déçu, quand il a annoncé qu’il n’écrirait plus de polars. Non pas qu’il n’en ait pas le droit ou qu’il ait trahit la cause noire, non, il a démontré depuis longtemps son attachement au « genre que nous aimons » et son respect à cet « objet de passion« . Non, non, rien de tout ça. Il (ou sa maison d’éditions) m’a agacé de le répandre dans la presse, comme s’il allait enfin passer autre chose tout en ressortant, de ses tiroirs, son premier polar non publié, Le Serpent majuscule chez Albin Michel en 2021. Coup mercantile s’il en est, qu’il n’a peut-être pas orchestré mais que, tout de même, il avait les moyens de dédaigner.

Comme je le dis plus haut, tout critique qui aime bien, égratigne autant : l’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera.

Et que vais-je lire dans les jours qui viennent ? Le Grand Monde (Calmann-Lévy).

DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède

(ou La même tribu)

écidément, c’est le moment de la lèche. Je dois beaucoup à Claude Mesplède (décédé en 2018) et à son DIctionnaire des LIttératures POlicières. (publié en 2003, réédité en 2007, préfaces de Guérif, de Pennac, chez Joseph K., éditeur nantais engagé). Cette bible du polar orchestrée par le pape du polar (qui a succédé à Michel Lebrun, décédé en 1996 avec qui il avait publié La reine du crime – une anthologie de nouvelles chez L’Atalante) est une véritable mine, un trésor d’érudition, de découvertes grâce à ses milliers d’entrées (Auteurs, Bibliothèques et associations, Collections et séries, Genres et sous-genres, Historiens et critiques, Illustrateurs et peintres, Maisons d’édition, éditeurs et directeurs de collection, Personnages, Thèmes, Pays, Revues et fanzines, Prix et festivals, Romans, nouvelles, anthologies et études) et ses dizaines de collaborateurs et collaboratrices (de Alfu à Zylberstein, en passant par Éric Libiot, Frédéric Prilleux, Marie-Caroline Aubert, Marc Villard, Stéphanie Benson…). On n’en attendait pas moins de ce spécialiste qui avait déjà péché – en duo avec Jean-Jacques Schléret – en livrant Voyage au bout de la noire (chez Futuropolis en 1982, 1985) révisée en 1996 sous le titre : Les auteurs de la Série noire (Joseph K.) ou seul avec Les Années « Série noire » (de 1992 à 2000, 5 volumes chez Encrage, voir Lettre E).

Abordable, il pouvait être agaçant tant son sérieux appliqué au genre tournait parfois à l’obsession et au ridicule quand il peinait à voir la lune cachée par son doigt ; je sais qu’il n’appréciait que moyennement nos facéties (ça prend, ça n’prend pas) chez Caïn, et que le site de Tutu reporter, l’opportuniste, le hérissait au plus haut poing, comme si ces gens-là n’œuvraient pas, eux aussi, pour cet « objet de passion » commun.

François Braud, Claude Mesplède et Jacques Jamet (Caïn) en 1995 (?)

Mais il était comme ça le Claudeu, franc, entier, fallait pas toucher « au genre que nous aimons » et s’il fallait entonner une Marseillaise pour abreuver nos sillons, il n’était que rarement précédé par son/mon vieux compagnon du noir, son ami de Toulouse, Pascal Dessaint. Il faut l’avoir entendu meugler Le pinard, c’est de la vinasseu ! pour comprendre que l’homme était fidèle aux êtres de chair et de papier. Il ne faisait pas de différences entre les deux et était fier – comme un pape – d’être devenu, dans certains romans, un héros d’aventures noires sous la plume des plus grands de Dessaint à Lehane, d’Ellroy à Pouy.

Je ne vous fais que les Da

Son D à lui est beaucoup plus étoffé que celui de PL et le mien réuni. Il comporte les notules suivantes (reprenez votre souffle et je ne vous fais que les Da) : Pierre Dac, Paulina Dachkova, Will Daemer, Didier Daeninckx, Jean-Michel Dagory, Roald Dahl, Yvan Daily, Antonio Dal Masetto, Henri Dalbret, Celia Dale, Serge Dalens, Robert Daley, Adam Dalgliesh, John Dalmas, Caroll Daly, Géo Dambermont, Thimothy Dane, Séphane Daniel, Harold Daniels, Norman Daniels, Robert Dansler, Maurice G. Dantec, Pierre Darcis, Gil Darcy, Paul Darcy, Frédéric Dard, Patrice Dard, Paul Dargens, Daridjana, Georges Darien, François Darnaudet, Sarah Dars, Yves Dartois, José Da Silva, Dan Dastier, Leif Davidsen, Albert Davidson, Avram Davidson, Christopher Davis, Dorothy Davis, Frédérick Davis, Kenn Davis, Lindsey Davis, Mildred Davis, Norbert Davis (c’est le dernier Davis), Patrick Dawlish, Max-André Dazergues, Sandrone Dazieri

Un exemple (page 597, Tome 1, édition de 2007) ?

2000 pages d’une érudition rare qui sont encore aujourd’hui LA référence mais qui se cherche un successeur, capable, de ripoliner certaines notules et d’en ajouter d’autres, des œuvres, des éditeurs, des pays, des thèmes que Claude Mesplède n’aurait pas manqué d’additionner, si une troisième édition avait vu/voyait le jour et s’il était encore de ce monde. Je crois qu’il aurait aimé, par exemple, Solak de Caroline Hinault (Prix Claude Mesplède) et peut-être aurait-il même contribué à ce CDAP… Ne faisons pas parler les morts mais nous pouvons les lire, car, nous le savons malheureusement à chaque décès (Jean Teulé au moment où j’écris ces lignes) : un auteur n’est mort que quand on ne le lit plus.

Divulgâcher

(ou Fais pas ci, fais pas ça)

isons-le tout de suite tout de go, ça va spoiler à mort dans cette notule. Les yeux sensibles doivent donc passer à la notule suivante pour éviter de passer leur soirée à rédiger un mail de courroux à broblogblack.

Passée cette limite, bbb ne répond plus de rien

ivulgâcher, c’est divulguer à quelqu’un une information importante d’une intrigue, la fin d’un livre par exemple, et lui gâche ainsi le plaisir de la découverte, sa lecure, comme dire que dans Ils étaient dix, And Then They Were None (Les 10 Petits nègres, Ten Little Niggers) d’Agatha Christie, c’est le juge Wargrave l’assassin. Oups !

Ça me rappelle un mien ami qui me disait que c’était crétin de dire à quelqu’un qui n’avait pas vu Le 6ème sens, que Bruce Willis, en fait, est mort. Oups oups. Je ne l’avais pas vu.

Me raconte pas la fin, steuplai !*

* d’accord…

Divulgâcher, mot créé par nos amis québécois, c’est refuser le locavorisme (mode de consommation local limité à 250 km de chez soi). Ce qui me permet de placer dans la même phrase deux mots nouvellement entrés dans le dictionnaire français. C’est surtout devenu une règle, qu’écrivai-je ?, un tabou, voire un crime. Shame on you si vous divulgâchez la fin d’un roman, pas bien, pas sympa le copain.

Comme l’explique très bien PL (voir Lettre D, partie 1), dans Des Dangers de la Mécanique, tout l’art de l’auteur consiste à multiplier les « acrobaties pour que l’histoire apparaisse solide sans pour autant livrer des éléments qui ruineraient son projet de la faire découvrir ». Il s’agit donc de dévoiler au lecteur ce qu’on lui a caché tout le roman uniquement à la fin. Le plus tard possible, c’est le mieux. Un peu comme quand on dit quand on a assisté à ce que l’on attendait depuis si longtemps : on peut mourir maintenant mais le plus tard possible, hein ? La plupart du temps, on ne sait jamais que c’est la fin. Cette photographie où l’on sourit bêtement, qui nous dit que ce ne sera pas celle utilisée pour notre mort, ce repas pris sur le pouce au fast food dans la voiture l’ultime collation, ce verre d’eau le dernier pour la route, cette cigarette, effectivement, celle du condamné, ces mots prononcés, notre dernière parole* : non, non, ne me dis pas comment ça finit, tu vas me gâcher la surprise ! Couac.

* J’ai entendu, lu (?) que Jean Teulé aurait dit : Heureusement que j’avais mis un point final à mon texte.

Mais, ne connaît-on pas la fin dès le début (ou presque) ? Nous sommes mortels, contrairement à ce que chante Dominique A. Ce qui compte, c’est quand-comment-où-pourquoi ? On touche là, me semble-t-il, la limite de l’exercice du roman policier, du whodunit particulièrement. Quand tout tient sur la fin, on risque de lâcher dès le début. Et la dernière bouchée de la tarte aux fraises sur un biscuit au beurre salé nappé de crème à la pistache, c’est la meilleure ? Si on la mange en premier, ça pourrit-tout-le-gâteau ?

Alors comment en dire sans trop en dire ? C’est le propre de la critique ou l’art de la quatrième de couverture. Hameçonner pour ferrer sans écorcher la gueule. Titiller sans balancer la purée. Naviguer entre le carré blanc sur fond blanc et l’outrenoir, entre Kandinsky et Soulages*.

* dont j’apprends le décès à l’instant, à 102 ans.

C’est un jeu de dupes. Le manipulateur et le manipulé sont volontaires. Ils s’accordent sur le scénario. Chacun son rôle. Ils font semblant. C’est un vieux marronnier aussi âgé que le conte que l’on se transmettait de bouche à oreille, le soir, quand le noir, par capillarité, envahissait notre écran.

Les contes de fée modernes, ce sont les Série Noire aurait fit Giono. Comme quoi, on a toujours besoin qu’on nous en raconte. Après, la façon dont on nous les raconte, c’est affaire de goût. Le dessert, on a bien le droit de la manger en entrée. Qu’est-ce qui m’empêche de lire la dernière phrase d’un roman avant la première ? Ce que je fais quasiment systématiquement. Le suspense, c’est bourgeois ! Il faut étrangler le suspense avec les tripes des policiers et des détectives, noyer le frileur dans les chiottes de l’histoire du roman policier et asphyxier le roman procédurier dans les poubelles de la littérature !

Bon. Quand on a dit ça, on a le droit de se tromper.

Donneur (Le) de Mouloud Akkouche

(ou L’hymne à l’amour – moi l’nœud)

« eux secondes, le monde ouvrier. » Spécial dédicace à Mouloud, que j’ai connu à l’époque d’Avis déchéance. Ça fait un bail. Je l’ai relu il y a peu pour ce CDAP, juste après l’avoir redécouvert grâce à In8 et à Marc Villard, directeur de collection de Polaroïd. Avec Le Donneur. J’ai aimé. Ça avait donné ça, ce qui va suivre. Je n’en retirerai aucune ligne, aucun mot, j’en rajouterai même*…

* si vous voulez vérifier, l’original est

Les jours sans faut faire avec (Hervé Prudon)

Je ne suis, ni dans le secret des Dieux puisqu’athée (j’ai, comme écrivait Stig Dagerman « la candeur ardente« ) vous pensez bien qu’Il ne me confie rien le vexé, ni dans le proche entourage de Mouloud (que j’appelle quand même Mouloud, nous avons tutoyé quelques verres Duralex autrefois dans laquelle nous regardions nos âges respectifs en festoyant dans des festivaux de polardeux tout en faisant tourner le pot vide pour savoir qui allait le remplir de vinasse : « le pinard, c’est de la vinasse….« ) mais je peux affirmer que ses derniers mots, si je puis dire, qui me sont passés sous la rétine étaient extraits d’une novella particulièrement émouvante : Le Donneur chez In8.

Mourir en bonne santé

Il est cinq heures, Paris s’éveille. Non, il est huit heures et Fabien est dans son lit. Il ne se réveille pas. À ses côtés, il y a Carole. Carole ne dort plus. Fabien non plus. Il est mort. À 51 ans. En bonne santé. Comme l’arrêt brutal d’une mécanique de précision. Carole n’a pas le temps de « faire son deuil ». Elle doit agir vite. Fabien avait décidé de donner son corps à la science. Carole avait promis de respecter cette parole. Mais la respecter, en 2019, c’est ne pas tenir la promesse faite autrefois en 1994. Parole contre promesse. Elle a 48 heures. Et l’horloge murale dans le dos. Mais jamais des mains anonymes ne charcuteront Fabien. Il suffirait simplement attendre 48 heures et, passé ce délai, ce ne sera plus possible. Sa décision est prise. Alors, elle fuit. Dans la maison de campagne, la maison d’enfance, la maison de la promesse. Fuir pour oublier. Mais en arrivant la maison n’est pas vide. Il y a Samir qui se cache. Il fuit quoi lui ? L’émoi ? Et moi et moi et moi ?

Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve (Serge Gainsbourg et Francis Picabia)

À part ça, les deux êtres vont se jauger, s’affronter, douter, s’ouvrir et repartir, chacun chacune vers un autre port. Un autre pont. Un autre point. De fuite ?

Texte qui plonge les mensonges dans le bain de la vérité, ça grésille, ça pique un peu. La rencontre est salvatrice. Mouloud Akkouche dépeint le portrait de deux êtres en perdition, par le fond, qui vont, en s’opposant dans ce présent dont ils ne veulent pas, s’affronter passé contre passé, se reconstruire pour aller de l’avant, se confronter à l’avenir. Le tout est servi par une écriture qui va au cœur, tranche dans le vif et porte la sincérité en étendard.

Donneur, Mouloud Akkouche, Polaroïd, In8, 91 pages, 2019, 8€90

papier écrit en écoutant (deux secondes) Zebda, Y a pas d’arrangement

Essence Ordinaire

« Le livre aurait pu être une grenade capable de faire exploser la connerie humaine. »

Si l’envie vous prend de le lire, là, maintenant, sans attendre qu’il ne publie quelque chose sur du papier, retrouvez-le sur son blog Médiapart, contre le merde in France. Mouloud, si tu me lis…

Doyle (Conan)

(ou Opium)

ingue ! Rien à Doyle. Ni à Sherlock, pas plus à Holmes qu’à Watson, ni à Dr, ni même à Sir (il a été anobli en 1902 par la reine Victoria). Je n’irai pas jusqu’à affirmer que le maître de la machine à penser n’a le droit à aucune ligne ou aucun mot mais tout de même, c’est étonnant, voire consternant. Comment PL a-t-il pu oublier le génie du 221B de la rue du boulanger ? Et son candide médecin et rédacteur ami ? Rien que cet oubli justifie un CDAP à son DAP (avec Bruen) diront les aficionados de la corrida holmésienne.

Alors, évidemment, parler de Conan Doyle, après tous les spécialistes du canon, c’est faire œuvre d’humilité, et, à défaut de respect, se prendre une torgnole sémantique, un coup de semonce dans le clavier, voire un boulet dans les gencives. Ne riez pas (ou moins fort, ça me déconcentre)! Il me semble avoir déjà raconté la lettre carabinée indignée outrée que nous avions reçu à la rédaction de Caïn quand nous avions osé braver le tabou : exhumer un inédit* de Sherlock Holmes… On ne rigole pas avec le sacré, pas vrai Claudeu.

* quelque peu réécrit par Franck Braumi.

Observation / Déduction

J’ai rencontré Sherlock à la fin des années 90 quand j’avais osé, en rédaction, à Caïn, en fait chez Jacques Jamet devant un café (aussi serré qu’un anus transalpin) pouffer devant un avis positif sur Conan Doyle émis par le rédacteur en chef. Il m’avait vitre recadré et mis entre les mains les œuvres complètes* du bonhomme avec pour consigne de ne pas remettre les pieds chez lui avant d’avoir lu les aventures du bonhomme. Féal, fidèle, obéissant, c’est ce que je fis. Et à ma plus grande honte, j’ai aimé. Le lecteur d’alors se moquant du lecteur d’avant médusé de cette revirade, ce retournement de veste, cette trahison au noir impardonnable.

* Rééditées (vintage !) ces temps-ci et disponibles chez les marchands de journaux (à l’heure où j’écris ces lignes, on en est au 38ème volume). Si les livres sont soignés, illustrés par Sidney Paget et traduit par Éric Wittersheim, The Sherlock Holmes Collection contient un certain nombre d’aventures qui n’appartiennent pas au canon holmésien et ont été écrites, sans doute, par un Allemand comme leur titre le laisse supposer : Le Fabricant de diamants, Der Diamentenmacher (1909), traduit par Anna Bonhomme et illustrés par Alfred Roloff. Faudrait pas trop rincer l’amateur… Et c’est évidemment encore le DILIPO, opus cité, page 993, qui nous souffle la solution : il s’agit d’apocryphes allemands : « Aus den Geheimakten des Welt-Detektivus » (1907-1911), « pâle succédané de Holmes »….

Car, il faut le reconnaître, les aventures du violoniste opioïde appartiennent au whodunit sans conteste possible. Et si le détective qui sait se grimer en « vieillard difforme » et user de son charme auprès des enfants des rues du Londres de l’époque pour mener une enquête, il peut énerver de mini mini mini à grave avec son art de la déduction dans la poussière, l’encre, la boue ou la cendre d’un cigare.

« C’est bête comme chou !« 

« – Alors Watson, me dit-il soudain, on ne veut pas investir dans les valeurs sud-africaines ? Je sursautai de surprise. Même habitué comme je l’étais aux curieuses facultés de Holmes, cette soudaine intrusion dans mes pensées les plus intimes m’apparut inexplicable. » Élémentaire mon cher Watson : « 1. Vous aviez de la craie entre l’index et le pouce de la main gauche lorsque vous êtes rentré du club hier soir. 2. Vous mettez de la craie à cet endroit lorsque vous jouez au billard pour affermir la queue. 3. Vous ne jouez jamais au billard, sauf avec Thurston. 4. Vous m’avez dit il y a quatre semaines que Thurston possédait une option sur une propriété en Afrique du Sud expirant dans un mois et pour laquelle il souhaitait s’associer avec vous. 5. Votre chéquier est sous clé dans mon tiroir et vous ne m’avez pas demandé la clé. 6. Vous n’avez pas l’intention d’investir votre argent de cette manière. » (Les Hommes dansants, The Adventure of the Dancing Men, 1903)

Élémentaire mon cher Watson ! Ce que n’a jamais prononcé Sherlock Holmes dans aucune de ses aventures, ni même dans Une étude en rouge, A Study in Scarlet (1887), sa première apparition, pas plus dans Le chien des Baskerville, The Hound of the Baskervilles, son aventure la plus célèbre (1901-1902), ni dans Les aventures de Sherlock Holmes, The Adventures of Sherlock Holmes (1892), ni, pour en finir, dans aucun des 4 romans et 56 nouvelles écrites par Conan Doyle (1859-1930) dans lequel son héros apparaît.

Mais c’est là la force du cinéma (qui a sans doute imposé cette idée) et du mythe du personnage. Hercule Poirot avait ses petites cellules grises, Sherlock Holmes manie l’art de la déduction (et aussi celui du déguisement) et ne crache pas (comme les gars de la narine) sur une seringue de cocaïne ou une pipe d’opium (à ses débuts avant… que le Dr Watson ne le sèvre). Et c’est la force de Conan Doyle de nous faire accepter cet être surnaturel que l’on suit avec délice flairant les mouchoirs, pratiquant la divination dans les taches d’encre sur les doigts, expérimentant un mélange chimique audacieux* ou qui, alors qu’il lutte à mort contre Moriarty affirme : « Je possède toutefois quelques notions de baritsu, une technique de lutte japonaise, ce qui m’a plus d’une fois été fort utile » (La Maison vide, The Empty House, 1903). Ha ben oui, forcément, le baritsu, quand on maîtrise, ça fait peur. On se délectera aussi des pastiches et autres hommages, nombreux, qui ont mis en avant cette sucrerie-là.**

* Et qui c’est qui nettoie ? Cette brave Mme Hudson, la logeuse deux compère, les playboys de Baker Street. D’origine écossaise, elle est toujours attentive au bien-être de ses locataires et va même jusqu’à collaborer parfois à une enquête (comme dans La Maison vide, The Empty House, 1903).

** Le dictionnaire Sherlock Holmes de Lucien-Jean Bord (Néo/Le Cherche midi, 2008, 299 pages 21€) qui loue les vignettes de Sidney Paget, les mangas de la série Moriarty, les livres de Rivages : Les Avatars de Sherlock Holmes ou Élémentaire mon cher Conan Doyle, par exemple…

L’ère de tout

Cette attractivité tient aussi de la plume délicieusement ampoulée et météorologique (le fond de l’air est frais et smoggy) de Watson et de son assurance civilisatrice britannique, qui se complait, avec une modestie toute flegmatique, à narrer les extraordinaires aventures de son compagnon (dans le Beeton’s Christmas Annual en 1887 pour Une étude en rouge, A Study in Scarlet – qui passe complètement inaperçu* – et dans The Strand Magazine en feuilleton à partir de 1891 pour les nouvelles – succès foudroyant, il en abandonne les études de médecine !*) et des personnages qui composent ses récits : clients angoissés, clientes paniquées entrant dans la demeure au 221B Baker Street et se trouvant mis.e.s à nu avant même ou presque d’avoir proféré la moindre parole, témoins gênés, aristocrates floués, malfrats sans foi ni loi, artistes massacrés au violon par Holmes, gamins effrontés, ecclésiastiques dévots, policiers balourds (ce Lestrade tout de même qui arrive toujours avant ou après la bataille), étrangers louches, gens de maison suspicieux, criminels endurcis, marins des docks, militaires de l’Empire, médecins de campagne et autres sujets britanniques de Sa Majesté souriante Victoria. L’ère de rien, tout un monde sépia s’ouvre à nous, une peinture des hauts et bas-fonds du Londres de l’Empire britannique avant que tout ne fonde dans le Commonwealth et que le thé ne se retrouve en sachet avec des Anglais capables de le foirer en le faisant.

* DILIPO, page 618, tome 1, édition de 2007

Jamais personnage n’a été plus employé, disséqué, encensé, moqué dans la littérature, la BD et au cinéma (en 1990, 204 adaptations cinématographiques avaient été recensées, le DILIPO en recense en 2007 plus de 500 ! – page 989, opus cité). Sherlock Holmes est tellement fort que même mort et tué par son créateur (Le Dernier problème – 1893), il ressuscite grâce à la conviction d’un éditeur américain* (et avec l’aide de Conan Doyle, of course) dans Le Chien des Baskerville, The Hound of the Baskervilles en 1901-1902 et dans La Maison vide en 1903 (véritable suite).

* Malgré les virulentes pressions du public, Conan Doyle abandonne son héros plus tard qu’il ne l’avait prévu (« J’envisage de tueur Holmes dans la sixième aventure. ») grâce aux idées d’intrigue de sa mère. Il le fait périr dans les chutes du Reichenbach mais finit tout de même par lui accorder une aventure antérieure en 1901 chez les Baskerville puis, de guerre lasse face aux arguments (économiques ?) de l’éditeur américain, le resuscite en 1903. (DILIPO, opus cité, page 618)

Un canon nul

« En littérature : nulles. En philosophie : nulles. En Astronomie : nulles. En politique : faibles. En botanique : spéciales. Est calé sur la belladone, l’opium, tous les poisons en général. Ne connaît rien au jardinage. En géologie : pratiques, mais restreintes. Distingue au premier d’œil les différentes espèces de terrains. (…) En chimie : approfondies. En anatomie : exactes, mais sans système. En littérature à sensation : immenses. (…à Joue bien du violon. Est adroit à la canne, à la boxe, à l’escrime. A une bonne connaissance des lois anglaises. » (Une étude en rouge, opus cité)

Je ne peux rivaliser avec les spécialistes, thésards, universitaires, les j’ai-tout-vu-tout-lu-tout-bu et autres experts canoniques mais je peux vous conseiller une chose : Lisez Conan Doyle (grâce à John Watson) et vous découvrirez comment Sherlock Homes a résolu le mystère des Cinq pépins d’orange, The Five Orange Pips (1891) ou l’affaire de La bande tachetée, The Adventure of the Speckled Band (1892) ou, une de mes nouvelles préférées, Les Hommes dansants, The Adventure of the Dancing Men (1903). Un conseil, préférez les nouvelles aux romans* ; Conan Doyle et Sherlock Holmes y sont plus convaincants, sur la durée, ils s’essoufflent, comme dans un escalier pentu. À leur âge, canonique, c’est normal, non ?

* surtout depuis que Pierre Bayard a démythifié Le Chien des Baskerville avec L’Affaire du chien des Baskerville chez Minuit en 2008 (version poche en 2010 à 9€)…

Conan Doyle meurt d’une crise cardiaque en 1930, à l’âge de 71 ans. Sur sa tombe, on peut lire : « VRAI COMME L’ACIER / DROIT COMME UNE LAME / ARTHUR CONAN DOYLE / CHEVALIER / PATRIOTE, MÉDECIN & HOMME DE LETTRES ». Sherlock Holmes, et son fidèle Dr Watson, eux, vivent toujours. Comme les héros immortels, ils ont simplement changé de maître et appartiennent, aujourd’hui, à tout le monde.

Ainsi on n’hésite pas à revisiter leurs aventures, soit en les réinterprétant, comme Une étude en émeraude de Gailman, Albuquerque, Scavone et Stewart, une BD chez Black River, qui, vous l’aurez compris donne à Une étude en rouge, une vision fantastique ou René Réouven, qui, pasticheur en chef, à partir de phrases sibyllines du canon (« …. et le compte-rendu des singulières découvertes qui furent faites dans le vieux tombeau anglais. », in Le Pince-nez en or, The Adventure of the Golden Pince-Nez, 1904), donne vie à des affaires résolues par le maitre et non racontées par Watson, dans Les Passe-temps de Sherlock Holmes (Sueurs froides, Denoël, 1989, 247 pages, 75 francs – sic).

Ils iront ainsi, sous des plumes plus ou moins inspirées, rencontrer Jack l’Éventreur (Ellery Queen), Einstein, Marx (Lecaye), Freud (Meyer), Wilde (Brown) and so on… visiter le monde (France avec Hall, l’Afrique avec Farmer, le Brésil avec Soares), voyager dans le futur, feront des émules qui vivront d’autres aventures sans leurs modèles (Mycroft Holmes, Lestrade, Moriarty, Mme Hudson, les gamins de Londres…), seront clonés (Herlock Sholmès chez Leblanc, Harry Dickson, Solar Pons, Schlock Homes de Fish…), voire ridiculisés… Laissons tout ce bestiaire à l’holmésologie (appelée par les Américains la Sherlockiana) développée, entre autres, par la Société Shelock Holmes de France.

Dredd (Le Juge)

(ou La Fille du Père-Noël)

La contribution à la lettre D

par Frédéric Prilleux

is, Frédéric, tu me ferais pas, toi le spécialiste BD, une notule sur Canardo ou Canalès, dis ? Pas le temps le Frédo, en revanche, je peux te faire le juge Dredd.

‘accord. Comment avouer que je ne connaissais que vaguement à peine pas du tout ce personnage de BD, Toute honte bue, vous en êtes peut-être là, vous aussi ?

élai dépassé qui nous permettra, donc, en tout cas, de nous coucher moins con ce soir. Grâce à qui ? Merci Frédéric Prilleux.

Dredd (Joe, Le Juge) : He is the Law !

Annoncée par le patron à grands coups de messages publicitaires, la présence dans ce respectable CDAP de l’inoxydable Juge Dredd (Judge Dredd pour les anglophones) a été retardée pour d’évidentes mauvaises raisons, mais voici tout de même, enfin, l’homme de l’année 2099. Dois-je plaider coupable pour ce léger décalage horaire et vous présenter mes plus plates excuses ? Bien sûr que non, car j’ai fait mienne la devise de Judge Dredd : « I am the Law ». Non mais.

Bienvenue au 22ème siècle !

Et oui c’est comme ça en 2099 à Megacity One : les Juges sont la Loi… et vous feriez mieux de le croire, comme le proclame sans ambageq, mais non sans fierté, – et avec un zest de menace, peut-être ? – la couverture du n°1 de la version kiosque (Arédit, 1983) de cette série star de l’autre côté de la Manche. « Bienvenue au 22éme siècle » annonce sympathiquement aussi ce premier numéro, dans sa petite présentation du futur riant qui nous attend :

« Le monde que nous connaissons a été ravagé par une guerre atomique qui a dévasté la surface de la Terre . Il ne subsiste que quelques cités géantes, surpeuplées, entourées d’une zone désertique, radioactive et infestées de mutants appelée avec justesse la Terre Maudite. Aux Etats-Unis il existe trois de ces métropolis – Mega-City Un, Deux et Trois – et toutes souffrent d’un taux de chômage de 80 à 90 %  et d’une criminalité effrénée. Elles sont gouvernées par un groupe d’hommes et de femmes appelées les Juges, qui sont là pour empêcher l’effondrement total de la Société et pour établir un système de loi et d’ordre… Le plus fort et craint de ces Juges, autant par les hors-la-loi que par les honnêtes citoyens est … JUDGE DREDD ! » (Juge Dredd pour les non-anglophones).

Wow, damned et mazette ! On comprend que la tâche doit être immense, voire impossible, voire même suicidaire. Cet environnement un brin hostile ne semble pour autant pas perturber le sémillant Joe Dredd, car, quarante-trois ans après ses débuts, il est toujours là, frais comme un klegg (vous ne connaissez pas encore ces sympathiques bestioles, mais vous allez les adorer), imperturbable sous son casque, droit dans ses bottes.

Dès les premiers numéros de la série, créé par John Wagner et Carlos Ezquera en plein période punk (1977, quoi !) dans l’hebdomadaire 2000 AD, le lecteur ébahi découvre la manière de s’y prendre de ces fameux Juges : pas question de s’embarrasser de fastidieuses procédures, ni de remplir des monceaux de paperasse pour stopper les contrevenants à l’ordre public puisque la sentence est immédiatement prononcée et exécutée sitôt le délit constaté. Pratique. Elle est plus souvent rendue suite à une poursuite où les pauvres délinquants se font rattraper sans coup férir par les motos puissantes, ultrasophistiquées et surarmées des Juges. Le combat est inégal, objectez-vous ? C’est oublier la redoutable armada de malfrats et malfaisants de tous poils que Dredd et ses confrères se coltinent : confrérie de mutants aveugles, plantes carnivores, hooligans à moto, casseurs nocturnes, citoyens atteints d’obésité morbides se croyant tout permis (les « Fatties »), tyrannosaure, Père Nature  (un vrai cinglé celui-là), blobs, singes déments ou tiens : … cultivateurs d’encéphales : des têtes humaines qui chantent. Peu courant, et très rigolo, mais formellement interdit. Surtout quand il s’agit de tête de Juges.

Le jour où la loi est morte

En quarante-cinq ans, et près de 2500 « progs » (épisodes), Dredd en aura vu de toutes les couleurs et petit à petit, les auteurs de la série en ont profité pour dévoiler le passé de cet homme obnubilé par le maintien de l’ordre. Un dur-à-cuire dont on ne voit jamais le visage, caché par un casque ne laissant apparaître qu’une large mâchoire carrée et le plus souvent crispée. Et au fil des livraisons hebdomadaires, les « enquêtes » de Dredd deviennent de plus en plus passionnantes, les auteurs n’hésitant plus à se lancer dans de longues histoires (ou « arcs narratifs » si vous préférez, mais ne venez pas me dire que Dredd c’est du roman graphique, hein?), des mini-feuilletons dans la série, propices aux développements de personnages secondaires forts, ami du héros, comme la juge Psi Anderson, ou ennemis  tels le terrifiant Juge Death (Judge Death pour les… ), ou le Juge principal Cal, devenu complètement fou à en décider la condamnation à mort de tous les habitants de Mega City One…

Évidemment, avec un comics de ce calibre, on se retrouve à la croisée des genres, entre SF, fantastique, et policier. Et côté polar tous les thèmes classiques sont abordés dans Judge Dredd, avec toujours la même ligne directrice : tout est interdit dans le monde de demain, et les Juges sont là pour vous remettre dans le droit chemin. À première vue, ou avec une lecture un peu rapide, Judge Dredd pourrait passer pour vaguement fascistoïde : ce héros viril et répressif, toujours prompt à appliquer des lois de plus en plus dures, n’aurait-il pas le cœur un peu trop à droite ? Ou pas de cœur du tout ? Ce serait oublier l’humour constant des dialogues, et le second degré qui règne depuis les origines dans les pages de Judge Dredd. Et puis cet aplomb face à l’adversité, cette certitude de toujours avoir le dernier mot poussent constamment le superflic à lâcher des sentences ou menaces définitives hilarantes.

Graphiquement, le personnage est passé de mains en mains, en raison du rythme soutenu des planches à livrer chaque semaine, et il peut être parfois déroutant de passer d’un style à un autre.  Mais chacun des dessinateurs des débuts de la série a laissé son empreinte avec une mention spéciale pour Carlos Ezquerra, Ian Gibson, Mike McMahon, et surtout, Brian Bolland. Et de grands noms du comics se sont également frottés à la légende de Mega City One, comme Simon Bisley, dans le très réussi « crossover » (quand une vedette des comics vient squatter les planches d’une autre star des comics) Batman/Judge Dredd, scénarisé par Alan Grant et John Wagner themselves.

Bon, et maintenant, comment faire pour s’attaquer à la bête ?

En France, la publication des aventures de Dredd a été un joyeux bazar : d’abord en kiosque, en petit format au sommaire de Super Force en 1981, dans Métal Hurlant en 1982, sous son propre nom en 1984, puis dans les pages de USA magazine en 1989 et 1992. Sans aucun respect de la chronologie éditoriale originale. Résultats : Dredd est resté dans l’ombre pendant des années, hormis la parution de deux albums aux Humanoïdes Associés, en 82 et 83, dont le fameux Dredd contre Crève.

Les dynamiques éditions Délirium ont décidé de mettre de l’ordre dans tout ça en 2016, et ont lancé la publication (et retraduction de tout ce qui avait déjà été publié) des Complete Cases Files de 2000 AD, sous le titre Affaires Classées. Aucune d’hésitation à avoir : il faut commencer par ces belles intégrales ! Et, dès le premier volume, le travail de Laurent Lerner, éditeur passionné, est exemplaire : longue introduction de Pat Mills, éditeur cocréateur avec Wagner de Dredd, sommaire des quarante-six épisodes composant ce tome, suppléments, galeries de couvertures… Le must pour le fan et une excellente entrée pour le néophyte ! Sans oublier la somptueuse maquette, et le respect du format de publication original de 2000 AD, plus grand que les comics habituels. Les sept volumes parus à ce jour contiennent les progs 1 à 321 et sont tous aussi soignées que ce tome 1 : c’est assurément l’édition la plus réussie à ce jour du Judge Dredd des débuts. Chez le même éditeur, des histoires plus récentes, en couleurs, valent aussi le détour, en particulier « Les liens du sang » et « Démocratie »

Enfin, faut-il évoquer les deux adaptations pour le septième art de la série ? Faut voir… (ou pas)

Un premier Judge Dredd, est sorti en 1995 avec Stallone dans le rôle-titre. Verdict ? Coupable ! Trop de libertés prises avec la bande dessinée, en particulier celle de montrer le visage de Dredd à découvert, sacrilège pour le fan… Le fan qui se tournera alors vers Dredd, de Pete Travis, sans acteur vedette, et sorti discrètement directement en France en vidéo en 2013. Beaucoup plus proche des comics, il permet aussi de retrouver la Juge Psi Anderson, un des personnages les plus marquants de la série. Et donne à voir un Mega City One sombre et flippant à souhait.

Voilà. Envie de vous risquer à une petite virée à Mega City One ? Une excursion dans la Terre Maudite ? Foncez ! Judge Dredd est là pour vous protéger. Mais d’abord : êtes-vous bien en règle, citoyen ? On va vérifier ça tout de suite, veuillez me suivre sans faire d’histoire.

Judge Fredd, Archiviste Classe 66, matricule 72-BZH-2229, 4 novembre 2144

(alias Frédéric Prilleux)

Bibliographie sélective

Aux éditions Delirium

– Affaires classées 01 à 07 (2016-2022) / Collectif

– Origines / Wagner, Ezquerra et Walker (2016)

– Les Liens du sang / Wagner, Ezquerra, Fraser et MacNeil (2016)

– Démocratie / Wagner et Mac Neil (2017)

– Contrôle / Williams et Weston (2022)

Aux éditions Urban Comics / DC

– Batman / Judge Dredd

Et en prime parce que c’est pas mal du tout, aux éditions Soleil

– Heavy metal Dredd / Collectif (2010)

– Mandroid / Collectif (2011)

Merci Frédéric.

Drôles d’oiseaux de Thierry Camus

(ou Le Petit Jardin)

ernier loupiot (le Zèbres n°8 sera le dernier de la série) découvert du côté de Granville si ma mémoire est bonne. Je l’avais binômé avec Cette fille est dangereuse de Sylvie Granotier dont j’ai parlé à la lettre C. Drôles d’oiseaux est un drôle de texte d’une poésie urbaine et d’une vision déroutante de la situation de danger…

J’observe les gens je renseigne, je soigne les genoux égratignés, je fais respecter l’ordre et, pour être honnête, ma casquette fait le plus gros du boulot. « Je suis gardien. Gardien du jardin public, c’est pas tuant comme boulot. Généralement… « 

Francis Loquet est gardien du jardin public « le Thabor, un petit paradis de senteurs, de verdure et d’ombre, piaillant d’oiseaux, avec une roseraie à tomber par terre., tout ça en plein centre de Rennes. » (page 80) Il vit avec Marie et boit l’apéro avec Lionel. Pépère. Jusqu’à ce que deux mariolles refusent de sortir du parc à la fermeture à 21h30. Francis insiste et ne reçoit comme réponse qu’un énigmatique : « – Bon, d’accord ! décide le petit. On va s’en aller . Mais toi tu restes ici. » (page 81) Drôles d’oiseaux.

Alors là évidemment, ça change tout. Surtout que la nuit va être longue dans la cage aux perroquets, les Bengalis. Sans compter que Marie doit se faire un sang d’encre et Lionel s’inquiéter devant son verre d’apéro. En fait, pas tant que ça. Ses proches, à son retour, le lendemain matin, lui avoue ne pas avoir téléphoné aux flics, ni fait le tour des hôpitaux et cliniques. Drôles d’oiseaux

.

Éditions de la Loupiote, 1998, 69 francs (sic)

Thierry Camus à la plume légère et virevoltante, sait mener l’inquiétude, le suspense et la poursuite avec tension en quelques pages. On lit cette novella d’une traite en se disant que les drôles d’oiseaux, ce ne sont pas les volatiles, perruches, bengalis et autres tourterelles, mais bien les humains.

Francis Loquet s’est laissé enfermé une fois pas deux. L’aventurier du parc compte bien voler dans les plumes de deux marioles et comprendre pourquoi on lui a joué ce tour. Aussi quand ils reviennent, il les attend… et il n’a pas que la clé au fond de sa poche.

Si vous faites l’acquisition de ce livre, sachez que vous y lirez qu’un Zèbres n°9 était en préparation avant que tout ne s’effondre avec deux textes dont vous ne pourrez trouver que le premier si vous cherchez bien et frappez aux bonnes portes : Jean-Jacques Reboux, Le Paradis des pickpockets a trouvé sa niche chez La Bartavelle. Pour le texte de Jacques Jamet, L’Affaire Protée, c’est tout bonnement un inédit.*

* ou alors le gars de l’un des deux gars de Caïn l’a publié sans me le dire…

François Braud

merci encore à Vali Izquierdo pour sa dépense alphabétique, qui, quand elle ne dessine pas modèle de la pâte et enfile des perles avec talent, voyez plutôt.

À suivre…

et ce n’est pas la peine d’édenter les éléphanteaux, la lettre E sera bien là le 1er décembre !

Avec, sans tirer des plans sur la comète de Halley, autour de : E (la lettre), Edogawa Ranpo, Encrage, Été et Excipit (Incipit)

papier écrit en écoutant Jacques Dutronc, vous l’aviez remarqué ? De nombreux titres de l’artiste se sont glissés dans ce post. Saurez-vous les retrouver ?

Évidemment, y avait Doc Gynéco mais pff…

16 réflexions sur “Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre D (2ème partie)

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