Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre C (3ème et dernière partie)

Attention, vous pénétrez sur un site à prétention littéraire. Vous en connaissez les risques, vous en assumerez les conséquences.*

* Un livre est une promesse. À vous de la tenir…

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré :  » Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéance / Aztèques dansants)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La) / Battisti / Bête et la belle (La) / Bialot / Bible)

La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black Blocs / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une) / Brouillard au pont de Bihac / Bruen)

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craqué / Cadavres ne portent pas de costards (Les) / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuse / Chuchoteur (Le) / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des ponCifs, Condor (Le), Michael Connelly)

SOMMAIRE

Au programme aujourd’hui : Ça va vous…

* booster les poils de bras avec un grand du noir qui flirte avec le fantastique et hérisse notre effroi, John Connolly, avec une contribution de Pierre Faverolle de Blacknovel1,

* sauver peut-être la vie, du moins l’honneur : vous vous apprêtez à signer un contrat, êtes-vous bien sûr d’avoir pris toutes vos précautions ? Vous avez un contrat sur la tête, êtes-vous sûr de pouvoir dormir sur vos deux oreilles ? Tante Jeanne-Hortense (merci Tata) et BBB dont là,

* épater les neurones et bousculer les synapses avec Cosmix banditos (AC Weisbecker) est un OLNI, un de ces romans qu’on n’oublie pas, une série noire (n°2288) nouvelle formule reprenant la formule d’origine*, voir CDAP, Lettre C, partie 2, jaquettée avec le n°0000,

* un lecteur féal, écrivain et de bon conseil me signale que le premier numéro de la Série noire nouvelle formule reprenant la formule d’origine est le n°2287 de Jean-Hugues Oppel, Piraña matador. Merci JHO.

* énerver sévère avec le coup du bandeau,

* nettoyer le pare-brise avec la couverture (4ème de ),

* jouer de l’essuie-glace grâce à la critique,

* faire voyager, empreinte carbone réduite au maximum, vers Cuba,

* élargir l’horizon avec Elizabeth Cummins.

… et, je n’ai pas pu m’empêcher, même si je me l’étais interdit (voir présentation du CDAP plus haut), revenir en arrière pour ripoliner le passé avec BACk in ABC (anomalies, oublis et remerciements)…

Lettre C

(3ème et dernière partie)

Rappel C (1ère partie)

Après avoir dit tout le bien que je pensais des choix de PL (Cook, « l’amant du désespoir« , Chandler, « le père terrible du Hard boiled« , Chainas « l’enfant terrible cru« , Colette et son pouvoir d’enfoncer les clous, Commère à la verve narrative exultante et bien d’autres C), j’ai évoqué ceux qu’il avait ignorés, celles qu’il avait oubliées (voir Lettre C, partie 1) en mettant l’accent sur la puissance des mots (Ça y est j’ai craqué) de Pascal Dessaint (qui ne craquerait pas ?), l’humour et l’hommage de Reiner aux films noirs des années 50 avec Les cadavres ne portent pas de costards, Caïn, la revue crypto-biblique potache qui fait rien qu’à renaître (la prochaine résurrection, c’est pour quand ?, le palmipède bourré dessiné par Benoit Sokal, Canardo, qui colorie dans les marges (voir illus.), la gouaille féministe de Sylvie Granotier, Cette fille est dangereuse, non ? et celui qui chuchote à l’oreille des lectrices et fait frissonner les lecteurs, Donato Carrisi (Le Chuchoteur) et, pour finir, sans spoiler ou divulgâcher, la chute, parce que tout a une fin.

Rappel C (2ème partie)

Débarrassé du maître PL, parti promotionner son dernier dans Le Grand monde (Calmann-Lévy) – il faudra que je vous en parle – j’ai pu vous aider à ranger votre bibliothèque avec classer/déclasser, à vous dérider les zygomatiques avec Les Codes et ponCifs, à vous faire voler avec William Oppenshaw sur le dos du Condor en respirant les coquelicots et vous faire vivre à Los Angeles avec la tribu de Michael Connelly.

Clôturons et rendons caduc ce c avant qu’il ne nous calcifie le crâne de son encéphalite crevure.

Connolly (John)

(Death Calling)

ésar l’exige, paraît-il. Alors, il faut reconnaître ce que l’on doit et rendre à Pierre Faverolle ce qui est à Pierre Faverolle.

Il y a quelques étés, alors que je végétais en me demandant si je n’allais pas arrêter de lire, je galèje, j’ai eu l’idée de rajeunir un peu, ce qui ne me ferait pas de mal, en relisant ceux qui avaient fait les joies de ma trentaine, voire les plaisirs de la quarantaine. J’ai donc relu quelques séries comme les Dave Robicheaux de James L. Burke, les Harry Hole de Jo Nesbo, les Montalbano je suis d’Andrea Camilleri et autres Harry Bosh de Michael Connelly et Matt Scudder de Lawrence Block. Et entre deux tomes, je flânais sur les blogs amis mais néanmoins concurrents comme celui de l’ami Pierre Faverolle. Et que lis-je ? Le bougre avait eu la même idée que moi* ; se (re)faire une fixette littéraire (binge-reading ou lecture boulimique) sur une série, en relisant les Connolly. Comme moi les Connelly ! Non, les Connolly**. J’avais déjà lu cet Irlandais (2 tomes de la série Charlie Parker, surnommé Bird, forcément***, pour être précis, les 7La Proie des ombres, The Inquiet, traduit par Jacques Martinache, Presses de la Cité, Sang d’encre, 2008, 443 pages, 20€50 et 8Les Anges de la nuit, The Reapers, traduit par J.M., même éditeur, même collection, 2009, 346 pages, 20€), en avait conservé plutôt un bon souvenir (accrocheur, noir teinté de fantastique) mais n’avais pas poursuivi l’aventure avec le tome 9 (L’Empreinte des amants). Je décidai alors de m’y remettre en ouvrant le numéro 1 de la série tout en gardant Pierre Faverole sous le coude pour lui parler de bois de chauffe au cas où ou converser avec lui sur l’autel de la cheminée si jamais.

* lui, c’est Jean-Marc Laherrère (blog Actu du noir) et La Petite souris (blog Passion polar) qui lui ont donné l’idée. On est toujours le César d’un autre.

** Dans la série curiosités (c’est d’ailleurs sous ce terme, curiosities, que s’ouvre l’onglet) du site de l’auteur, John Connolly, un papier sur Micheal (sic) Connelly avec en photo, que le Grand Cric me croque si je ne me trompe, James Lee Burke. C’ets à s’y mléanger les touhces du clvaier.

*** ce qui lui permet quelques traits d’humour : « – Je m’appelle Charlie Parker, répondis-je (…) – Et lui ? dit-il en désignant Louis. – Count Basie. Le reste de l’orchestre n’a pas pu se libérer. » (page 450, Tout ce qui meurt, opus cité plus loin)

Site officiel de l’auteur

Bien m’en a pris. Merci donc à Pierre pour son coup de badine et pour sa contribution en fin de notule. Merci Pierre. Et dire que cela, tu l’as fait pour pas un sou Pierre.

Je n’ai pas terminé la série* aussi ne vais-je parler que du début, des deux premiers cycles dirait Pierre (pour en savoir plus, je vous renvoie sur son blog, Balcknovel1).

* et pas non plus la série de Samuel Johnson ou ses autres romans

Zoom sur le premier tome

Parker fait 1m80, a une carrure d’haltérophile, est plutôt sec et grisonne quelque peu des cheveux qui s’accordent à ses yeux qui tirent aussi un peu vers le bleu. Il a trente-deux ans au moment de son drame personnel et familial. (page 86) Il a pour amis un couple gay constitué d’Angel, un voleur blanc démocrate qui écoute de la soul, fagoté comme un rôti dans un gilet jaune fluo (il est même nécessaire de se protéger les yeux) et Louis, un tueur noir républicain (le seul que connaisse Parker, page 346) fan de country : « Personne n’a jamais [lynché un Noir] sur Johnny Cash ».

« J’avais un alibi d’ivrogne : pendant que quelqu’un me prenait ma femme et ma fille, j’étais dans un bar, en train de m’imbiber de bourbon. » (page 20)

Charlie Parker est un flic (fils d’un flic suicidé) dont le couple vacille et qui s’oublie quelque peu dans la bouteille. Or un soir qu’il boit pour oublier qu’il boit, sa femme et sa fille sont assassinées. C’est ce que relate le tome 1 de la série, Tout ce qui meurt*, qui doit (évidemment) être lu en premier (même si les livres plutôt sont indépendants les uns des autres) car il pose le canon de la série et de son héros.

* Tout ce qui meurt, Every Dead Thing, traduit par Philippe Hupp et Thierry Arson, 2001, 549 pages, 19€82 (en poche chez Pocket, 2002**, 557 pages, 6€65 – aujourd’hui, 2018, 672 pages, 8€30)

** Ce seront mes références de page, désolé

Ce double meurtre va non seulement changer la vie de Charlie Parker (il va démissionner, arrêter de boire pour éviter de se réveiller à Singapour avec de la barbe, une semaine plus tard – page 472, et devenir détective privé – la plupart du temps, il recherche des personnes disparues et il en a des clients : « Chaque année, rien qu’à New-York, on signalait la disparition de quatorze mille personnes. » page 67). Mais cet événement va aussi bouleverser sa vision de la vie. Et de la mort. Sa femme, sa fille, « elles viennent à moi, et leur haleine accompagne le vent léger qui glisse sur ma joue, et leurs doigts se mêlent aux branches à ma fenêtre. Elles viennent à moi, et je ne suis plus seul. » (page 21). Il va devenir un pendant flou entre le monde des vivants et celui des morts, dans l’escalier entre deux mondes.

Dès les premières lignes, j’ai la confirmation de mes souvenirs, noir et fantastique, mais plus noir que je ne le pensais et moins fantastique que je ne pouvais le croire. Et surtout, je vais découvrir un livre drôle car John Connolly a de l’humour et il le partage avec Charlie Parker. À propos d’un flic : « Windgate ne serait même pas fichu de faire le profil d’un pet. » (page 34) ou d’un voyou : « Le seul service que je pourrais rendre à Tony Loo-Loo serait de ne pas pisser sur sa tombe le jour de son enterrement. » (page 78) ou un médecin : « Fucking Franck Forbes était pourri jusqu’à la moëlle. Quand il vous donnait un dollar, l’encre bavait avant que vous n’ayez eu le temps de mettre le billet dans votre portefeuille. » (page 99) et, comme souvent, ce sont les fédéraux qui trinquent : « [Ils] refuseraient même de nous dire quel jour nous sommes s’ils pensaient pourvoir garder l’information pour eux. » (page 502)

« … c’était moi qui avais attiré le malheur sur les miens. J’étais un bon flic à deux doigts de devenir un poivrot. J’étais en pleine dépression, ce qui me rendait faible, et quelqu’un avait exploité cette faiblesse. » (page 113)

Rongé par la culpabilité, Parker va s’enivrer de vengeance et de justice, les frontières étant poreuses : « Je crois au mal, parce que je l’ai touché, tout comme il m’a touché. » (page 171). Il part au secours des autres non parce qu’ils en ont besoin mais parce que lui en a besoin. (page 176) Il veut mettre la main sur l’assassin de sa famille et c’est une voyante aveugle qui lui affirme qu’il s’agit d’un homme appelé Le Voyageur. Ce que ses yeux à lui ne voient pas, ce sont ceux aveugles d’une voyante en Louisiane qui va lui indiquer le chemin à suivre. Les yeux, le regard, jusqu’où il porte, celui qu’on emporte (« En ce qui concerne les yeux, une légende veut que l’image du tueur reste imprimée sur la rétine de la victime. » page 382), celui qu’on porte sur l’autre, sur les autres. L’humanité est au cœur de Tout ce qui meurt et de l’œuvre de John Connolly.

« Tout doit avoir une fin, le mal comme le bien. » (page 287)

John Connolly est un homme précis, attentif, observateur que l’on pourrait qualifier, comme un de ses personnages dans Laissez toute espérance (Dark Hollow, tome 2, traduit par Philipp Hupp*), de « genre d’homme à manger sa soupe avec une fourchette sans en perdre une goutte. » (page 108) De retour dans le Maine où il s’est installé dans sa maison d’enfance à Scarborough; Pour aider une vieille amie à récupérer sa pension maternelle auprès de son mari, Parker visite Billy Purdue, c’est tendu (Billy croyait avoir affaire à la mafia et à Tony Celli : « C’était le genre de gars que l’on pouvait ramener à la maison et présenter à sa mère, n’eût été le fait qu’il risquait de la torturer, de la sauter, puis de balancer ce qui restait d’elle dans le port de Boston. » page 157). Tendu donc mais ça l’est moins que la rencontre suivante avec Caleb Kyle – ses yeux ! – qui cherche justement Billy. Le bonhomme est demandé. Aussi quand sa femme et son fils sont tués et que Billy Perdue disparaît, Parker pense que tout recommence…

* Désolé de ces informations si peu précises ; la version que j’ai est un livre France Loisirs duquel on a retiré les pages blanches sans doute pour faire des listes de courses…

Ce deuxième tome fait pressentir à Parker ce lien qu’il développe avec les morts et notamment la certitude que sa femme et sa fille lui parle comme les éléments naturels : « … on eût dit que la pluie me chuchotait quelque chose, dans une langue que je ne comprenais pas. » (page 187). Une galerie de personnages tous les plus glauques les uns que les autres que Charlie qualifie toujours d’une formule qui fait mouche, bien plus que de grandes descriptions : Al Z n’était « même pas capable de réunir suffisamment de ressources morales pour pisser sur un orphelinat en feu ». (page 296) Mais comme Jacques a Frida, Parker a Rachel (rencontrée dans le tome 1, elle est psychologue) dont il va tomber amoureux avec ce sentiment de trahir la mémoire de Susan, sa femme assassinée.

« La rédemption est l’ombre portée au salut. » (page 184)

Le troisième tome de la série, Le Pouvoir des ténèbres (The Killing Kind, traduit par J.M., Presses de la Cité, Sang d’encre, 2004, 418 pages, 18€90) est centré sur la recherche de gourou d’une secte responsable du massacre des baptistes d’Aroostock, près de chez Parker. Nous sommes toujours dans le Maine, dans son coin d’enfance : « … n’être pas du coin signifiait qu’on venait de n’importe quel endroit situé à plus ‘une demi-heure de voiture. », page 100. Et alors qu’il recherche une disparue, Grace Peltier, et que l’on retrouve son cadavre, Parker comprend que les affaires sont liées puisque la thèse de recherche de Grace portait justement sur cette secte… Et voilà Parker à la recherche de ces yeux dans lesquels flamboyait sauvagement une flamme : « J’y vis brûler des églises pleines de fidèles. » (page 135) Encore de beaux portraits d’une humanité sensible « surtout si vos opinions politiques et sociales se situaient assez à droite pour qu’en comparaison le Ku Klux Klan fasse figure de mouvement scout. » (page 142) avec laquelle « l’envie pressante de partir en voyage dans un pays sûr et tranquille, comme le Kosovo ou la Sierra Leone. » (page 163) vous prend subitement lorsque vous la croisez. Il aura là encore besoin de ses amis Angel et Louis, de l’amour de Rachel et de ses visions et fantômes : « – On t’a dérouillé, truffé de plomb, électrocuté, noyé, congelé, injecté du poison, un vieux mec que tu croyais mort t’a fait sauter trois dents à coups de pied et tu te fais de la bile pour de la fumée de cigare ? » (page 248-249) Parker s’inquiète pour sa santé, il va devoir s’inquiéter aussi pour celle de Rachel : « – Je suis enceinte. » (page 418)

Apporter la paix aux vivants et aux morts

Le baiser de Caïn (The White Road, traduit par J.M., Presses de la Cité, Sang d’encre, 2003, 415 pages, 18€90) est le tome 4 de la série. Cette aventure a pour cadre la Caroline du Sud (Louis est né « dans le coin »), un État au passé raciste et au sport local qu’est le lynchage de noirs : « Ils viennent voir brûler l’homme ». (page 17). Passé, pas si sûr. On va retrouver dans ce tome le gourou du tome précédent (Faulkner) et s’aventurer, outre à prouver l’innocence d’un Noir accusé du meurtre d’une jeune fille blanche, dans le passé de ses deux amis Angel et Louis. Toujours « à la croisée de deux mondes », celui des vivants et celui des morts, Parker devra s’efforcer « d’apporter à chacun d’eux un peu de paix. » (page 71) en prenant les morts dans ses bras, et eux, en retour, ils trouveront un moyen de l’atteindre (page 181). Et il aura fort à faire puisque son « arrivée dans la ville » semblera « coïncider avec une augmentation choquante des homicides. » (page 317)

« …quelque chose qui m’attendait au fond de la glace voilée. » (page 146)

Le cinquième tome, La Maison des miroirs (The Reflectinf Eye, traduit par Didier Sénécal, Pocket n°15 336, 2013, 159 pages, 2€90) est particulier. C’est à l’origine une novella qui a été publié dans un recueil de nouvelles (l’auteur s’en explique dans la préface) fantastiques : « … c’était pour moi une façon de signifier que les histoires de Parker et les nouvelles fantastiques appartenaient au même univers, et que je n’établissais aucune distinction entre les deux. » (page 9) Ce tome 5 est « une étape importante dans le parcours personnel de Parker » (page 12) car il voit la naissance de sa fille et l’acceptation de son destin : « Je me répète que je n’ai plus peur. » (page 159) Ce roman se déroule dans un trou perdu : « … quelques magasins, une école, une église, un poste de police et le cadavre d’un chien. On ne pouvait pas être sûr de la cause de sa mort mais l’ennui était une hypothèse à envisager. » (page 20) et ouvre un nouveau cycle centré autour d’un nouveau personnage quelque peu étonnant, voire maléfique : Le Collectionneur : « … yeux enfoncés dans leurs orbites » (…) « front bombé et dégarni » (…) « cheveux raides » tombant « dans le cou. » (page 73). Ce qu’il souhaite . Il veut juste qu’on lui donne un mirroir de la maison ayant appartenu à un tueur en série : John Grady. Une maison qu’est chargé de surveiller Parker à la demande de son propriétaire, le père d’une ancienne victime de John Grady. Pourquoi ? Parce que quelqu’un vient de glisser dans la boite aux lettre la photo d’une jeune fille.

Vous pourrez ne pas aimer la part fantastique mais vous devrez l’accepter

J’en suis là, dans le tome 6, L’Ange noir, le livre que n’aime pas trop Pierre. Le livre qui fera le lien avec les deux tomes que j’avais précédemment lu (en 2008-2009). Dans La Proie des ombres (opus cité), Parker enquête sur un homme, un inconnu qui harcèle Rebecca dont le père a disparu après une accusation d’abus sexuels sur mineurs. Évidemment, ce n’est pas vraiment un inconnu, et, s’il s’en prend à la fille, ce n’est que parce qu’il veut retrouver le père. Deux hommes vont donc rechercher le père d’une femme. Étonnant quatuor. Parker devra faire face aux hommes creux, aux peintures désespérées du père de Rebecca, à Merrick, un tueur à gages qui sent la mort et à ses propres fantômes. Et comme toujours, vous pourrez ne pas aimer la part fantastique de ce roman mais vous devrez l’accepter pour découvrir ce roman (tome 7). « Juste au moment où Le Devineur pensait en être débarrassé, l’homme s’arrêta. – Orgueil professionnel, lâcha-t-il. – Pardon ? – C’est ça qu’on a en commun. On est fiers de ce qu’on a fait. Tu aurais pu me mentir, mais tu ne l’as pas fait. J’aurais pu te mentir et prendre un de tes sachets de ballons à la con, mais je ne l’ai pas fait non plus. Tu m’as respecté, je t’ai respecté en retour. On est des hommes, toi et moi. Le Devineur ne répondit pas. Il n’y avait rien à dire. Il sentit un goût dans sa bouche. Amer, désagréable. Il avait envie d’ouvrir les lèvres, d’aspirer l’air marin, mais pas maintenant, pas tant que l’homme serait à proximité. Il voulait se débarrasser de lui parce qu’il craignait qu’un peu d’essence ne pénètre en lui par cette seule inspiration et ne pollue son être à jamais. »*

* page je sais plus combien, j’ai perdu la référence.

Si je peux vous parler quelque peu du tome 7, c’est que j’en avais fait une critique à l’époque, ce qui n’est pas le cas pour le tome 8 : Les Anges de la nuit (opus cité). Ce roman est plus centré sur Louis et Angel (et notamment Louis) que sur Parker puisque ce premier cité a été formé par l’élite des tueurs, Les Faucheurs, et le moins qu’on puisse dire c’est que cela s’est mal terminé entre l’ami de Parker et sa caste. Il y a de la vengeance dans l’air.

Étant, par évidence, de moins en moins précis (et intéressant), et, au lieu d’essayer de faire ce dernier, je le laisse, ce mot, à Pierre… mais avant, pour les impatients anglophones, il existe quatre aventures de Charlie Parker non encore traduites…

La contribution au C par Pierre Faverolle

C comme John Connolly

Il ne faut pas confondre Connolly et Connelly. John Connolly est irlandais et Michael Connelly américain. Leur univers littéraire comporte autant de différences que la lettre qui différencie leur nom.

John Connolly donc, écrivain irlandais, a exercé nombre de métiers avant de se consacrer à la littérature, tels que journaliste, barman, fonctionnaire du gouvernement local, serveur et coursier au grand magasin Harrods à Londres. Et c’est le succès de son premier roman, Tout ce qui meurt, qui le convaincra de se consacrer à la littérature.

Dans ce premier roman apparait le personnage de Charlie Parker, flic alcoolique, qui en rentrant chez lui, découvre les cadavres de sa femme et de sa fille horriblement assassinées. Devenu détective privé, il consacre son temps à la recherche de ce tueur en série que tout le monde appelle Le Voyageur.

Si cette première enquête est à classer du côté des thrillers, on y trouve déjà tous les ingrédients qui font le succès de cette série : un ou des tueurs issus de vos pires cauchemars, des scènes visuelles fantastiques pendant lesquelles vous retenez votre souffle jusqu’à vous étouffer, des personnages plus vivants que les vrais, et une psychologie de tous les personnages impeccable.

John Connolly insiste pour apporter une remarquable minutie dans tous ses personnages secondaires, narrant leur passé, les scènes marquantes de leur vie, leurs motivations. Il a ce talent unique de faire vivre des scènes quotidiennes et anodines et de les transformer en pur moment de frayeur. Et il saupoudre tout cela de fantastiques dialogues, y ajoutant des traits d’humour qui vous feront éclater de rire.

L’entourage de Charlie Parker participe beaucoup à l’intérêt de cette série, puisqu’on les voit vieillir et évoluer tout au long de leurs aventures. En premier lieu, le couple homosexuel Angel et Louis, à l’humour décapant et tueurs à gages de profession, mais aussi plus tard les frères Fulci aussi bêtes qu’efficaces dans le rôle de gardes du corps, ou bien les avocats Aimée Price et Moxie Castin, sans oublier le FBI.

Evidemment, comme tout cycle, il faut les lire dans l’ordre tout en sachant que l’on peut découper les dix-sept enquêtes parues à ce jour en plusieurs cycles. John Connolly petit à petit va introduire un aspect fantastique dans ses romans, et transformer Charlie Parker en lien entre les vivants et les morts. Sans déflorer le contenu de ces formidables romans (à part L’ange Noir que je n’ai pas aimé), sachez que John Connolly est le seul auteur à ma connaissance capable de mélanger le roman policier, le roman noir, le roman fantastique, le roman d’horreur tout en y ajoutant une pincée d’humour et une grosse dose de drame. Un incontournable, quoi !

Liste des romans mettant en scène Charlie Parker :

T1. Tout ce qui meurt / T2. Laissez toute espérance / T3. Le pouvoir des ténèbres / T4. Le baiser de Caïn / T5. La maison des miroirs / T6. L’ange noir / T7. La proie des ombres / T8. Les anges de la nuit / T9. L’empreinte des amants / T10. Les murmures / T11. La nuit des corbeaux / T12. La colère des anges / T13. Sous l’emprise des ombres / T14. Le chant des dunes / T15. Le temps des tourments / T.16 Le pacte de l’étrange / T17. La jeune femme et l’ogre.

Pierre Faverolle (blacknovel1)

Merci Pierre

Contrat

(De Mesmeaker Calling)

‘est vrai. Il y a contrat et contrat. Il y a celui qu’on signe et celui qui saigne. Celui qu’on paraphe et celui qui nous agrafe. On antidate parfois le premier, on aimerait postdater le second aux calendes grecques.

Contrat et contrat

Pour les distinguer, nous appellerons le contrat n°1, contrat sûr et le contrat n°2, contrat sur. Le contrat sûr est celui que, les yeux enamourés envers vers futur nouvel éditeur, vous signez les yeux fermés (ou presque, de toute manière, vous ne pouvez pas signer et regarder votre éditeur les yeux fiévreux, faut choisir ou vous risquez de parapher et d’autographier la table). Le contrat sur est celui que quelqu’un qui ne vous apprécie pas particulièrement a mis sur votre tête. Appelons cette personne Damoclès et, vous en conviendrez, un, ce n’est pas commun, et deux, il doit certainement avoir de bonnes raisons de vous en vouloir au point de rémunérer un tueur à gages pour vous faire passer de vie à trépas. Gageons que si, par un pur hasard, vous en connaissez le montant, du contrat sur, et qu’il est inférieur à 100 euros, vous aurez le droit (mais le temps ?) de vous en étonner, voire de vous en plaindre (mais à qui ? – voir plus bas). Si, en revanche, il atteint une somme éhontée, vous pourrez vous demander (et commencer à vous rassurer), si ce ne serait pas, peut-être, une erreur (mais l’autre camp va-t-il s’en rendre compte… à temps ?).

Alors pour le contrat sûr, ce n’est pas peut-être pas si sûr que ça. Je m’explique ou plutôt je vous redirige vers un de nos conseillers en ligne, spécialiste du contrat, ne quittez pas, je vous passe Tante Jeanne-Hortense *.

* Ceux qui n’ont plus vingt ans depuis longtemps, et j’en suis, se souviennent forcément des bons conseils qu’elle prodiguait dans cette cultissime et crypto-biblique revue qu’était Caïn, la revue sur laquelle il fallait garder l’œil, dont le CDAP s’est ingénié à raviver, restaurer, ripoliner (et là, je ne vous fais que les verbes en r) la mémoire pas plus tard qu’au début de cette lettre C (voir première partie).

Gaston, employé de l’année (Hors-série Le Monde, 2022, 93 pages, page 29, 8€50)

Les Bons conseils de Tante Jeanne-Hortense (Caïn n°23, automne 1997, pages 51 à 53)

Alarmée par les angoisses du petit Francis M. (qui tient à garder l’anonymat, notre conversation téléphonique devant rester strictement confidentielle) perdu dans les méandres pervers de la jungle éditoriale, je voudrais ici le faire profiter de ma longue expérience en matière de contrats d’auteurs…

Quelques généralités tout d’abord :

1. Les termes d’un contrat quel qu’il soit déterminent précisément qui engage qui pour faire quoi, à quel prix et dans un laps de temps donné (celui-ci généralement inférieur à votre espérance de vie), plus quelques clauses particulières qui font la joie (et la fortune) des cabinets d’avocats ;

2. Un contrat moral n’a pas plus de valeur que le papier sur lequel il n’est pas écrit (c’est-à-dire grosso modo un pet de lapin avarié), sauf pour : la Corse, la Sicile, les environs de Pigalle, l’ensemble du territoire de l’ex-Union Soviétique, et tout calibre supérieur à 5,66 mm en deçà de 2500 mètres ;

3. Un grand classique : ne signez pas un contrat avant de l’avoir lu (et plutôt deux fois qu’une), et ne lisez pas un contrat que vous n’avez pas l’intention de signer, vous avez sûrement mieux à faire – à moins que ce ne soit un contrat sur vous, auquel cas c’est du mouron que vous avez à vous faire (voir plus bas) ;

4. Un contrat s’établit toujours en deux exemplaires minimum (dont l’un est le vôtre, si vous n’aviez pas compris), signés par les parties, chaque page (s’il en comporte plusieurs) paraphée idem, et toute modification ultérieure, rajout, rature paraphé(s) de même, ce qui vaut pour la mention “penser à ramener le pain” griffonnée dans la marge le cas échéant – sous peine de nullité et de biscuits au petit-déjeuner ;

5. Et finalement, ne signez JAMAIS avec votre sang un document rédigé en lettres gothiques, même si celui qui vous le propose prétend que ce n’est que folklorique ; vous êtes au-dessus de ces enfantillages, que diable !

Alors, pour les contrats d’auteur en particulier…  

– Méfiez-vous d’un éditeur dont la raison sociale serait sise à Panama ou aux îles Bahamas (ou aux Antilles néerlandaises, c’est caïman la même chose), la banque aux Bermudes et l’adresse officielle toujours à Hong-Kong après le 30 Juin 1997. Méfiez-vous de même d’un contrat rédigé en langue étrangère (voir 3.) ; attention: le jargon juridique n’est PAS une langue étrangère. Á moins que vous ne sachiez pas lire du tout – mais si vous ne savez pas lire, il y a de grandes chances que vous ne sachiez pas écrire, auquel cas un contrat d’auteur vous est à peu près aussi utile qu’un chien d’aveugle à un tireur d’élite.

– Parlant pognon, ne vous faites pas trop d’illusions : mêmes aux âmes bien nées, l’à-valoir attend le nombre des années (c’est cornélien, j’en conviens). Cela dit, ne vous laissez pas tondre la laine sur le dos : plus les exigences sont grandes, plus que y’a des sous à la clé – ou alors il faut baisser les exigences (et accessoirement revoir sa syntaxe) ; l’éditeur qui considère qu’on partage les risques mais pas les bénéfices est un filou (ou un fin renard, tout dépend de quel point de vue on se place). Et surtout, n’hésitez pas à engager un expert-comptable habile pour surveiller et protéger vos intérêts ; vous le choisirez de sexe féminin, se prénommant Odette, et vous l’aurez préalablement sauvée de la noyade (ou de tout autre péril), car la reconnaissance d’Odette est gage de bonne santé financière.

– Á propos du droit de préférence (ou “de suite”)… Pas d’argent, pas de roman ! Si l’on veut les fruits de votre production future, il faut les payer d’avance, à moins que votre contrat ne stipule le nombre d’ouvrages demandés, avec des à-valoir en conséquence bien entendu – retour à la case départ (voir 1.). Maintenant, si vous redoutez la bataille juridique (la justice n’est pas systématiquement rendue du côté du bon droit, ça se saurait), recopiez l’annuaire sur le nombre de feuillets requis : le refus d’éditeur vous est garanti, les histoires avec trop de personnages font toujours peur. Et engagez donc également un professionnel de la Loi, de sexe féminin comme votre expert-comptable, et portant cette fois le prénom Prudence : la juriste Prudence est toujours une référence.

– Pour finir, sachez que votre contrat engage aussi vos héritiers. Alors, si vous avez le projet d’arnaquer votre éditeur, optez pour la vasectomie (ou la ligature des trompes selon votre sexe), restez célibataire, préparez soigneusement votre cavale (destinations à éviter: voir 2.) et débarrassez-vous de tous vos parents et collatéraux encore vivants. Á toute chose malheur est bon : si vous avez choisi d’œuvrer dans le roman policier, ces deuils pénibles ne peuvent que nourrir votre imagination et produire d’excellents manuscrits.

Mon conseil : si malgré tout vous vous êtes étourdiment engagé à ramener le pain, choisissez-le de farine biologique et cuit au feu de bois – à la rigueur dans la gueule si vous avez vraiment affaire avec un escroc.

Voilà, mon petit Francis M., j’espère vous avoir été utile, et l’être à d’autres à l’avenir… Car, comme disait le badaud qui soulevait poliment son chapeau en voyant l’employée de maison préparer au four son poulet à l’indienne : à bonne en tandoor, salut !

Merci Tata, cœur avec les doigts

Le contrat sur est celui que quelqu’un qui ne vous apprécie pas particulièrement a mis sur votre tête.

Les choses étant claires pour ce contrat-ci, passons à ce contrat-là, le contrat sur. Train-train quotidien quand c’est votre métier*, le contrat n’est pas franchement agréable lorsqu’il est placé sur votre tête.

* Écouter le podcast d’Alibi

Plusieurs options s’offrent à vous : 1. la fuite, 2. la réplique 3. le coup de fil à un ami policier. Le 1er est celui, c’est amusant, qui vient tout de suite à l’esprit, mettre entre lui et vous le plus de kilomètres possibles sachant qu’à moins d’utiliser une roquette télécommandée par drone, le tueur aura du mal à vous atteindre même avec une lunette à haute précision s’il tire, par exemple, de Paris et que vous vous cachez à Mouilleron-le-Captif. Ha oui, j’ai oublié de vous dire, que la fuite consiste aussi à se cacher car si vous vous déplacez pensez que l’autre le peut aussi. Ce qui rend difficile et peu sûre cette option car jamais vous ne saurez si votre ennemi est à portée de fusil et vivre la tête dans le dos, de nuit comme de jour, n’est pas une vie, autant en finir. La solution n°2 est courageuse mais complétement crétine à moins que vous ne soyez le cousin de Bruce Willis ou un adepte survivaliste fan des films de Liam Neeson. Si vous êtes musclé comme un croque-monsieur fabriqué sans pain de mie, agriculteur avec les vaches à traire au crépuscule ou fonctionnaire au ministère du budget avec un dossier bourré de camemberts excel à livrer sur le bureau de monsieur Ramez à 8h00 pétantes demain matin sans faute, c’est râpé. Autant aller sonner tout de suite à la porte du tueur ou, pour les plus optimistes, cocher la solution 1. La solution n°3 est la solution la plus raisonnable. Après tout la sécurité est un droit et nous sommes dans un État de droit. Ou, je sais, l’État de droit c’est surtout le droit de l’État. Il est à noter que cette solution n’en est plus une quand le tueur, c’est l’État qui le rémunère.

Déjà leur orthographe et leur syntaxe tuent...

Ce contrat sur est un thème majeur du polar. Les personnages qui en font leur métier ou ceux qui en sont les victimes sont légion, du tueur débutant au tueur qui raccroche après le dernier contrat en passant par le tueur qui se pose des questions, à l’éthique pas en toc, et celui qui ne s’en pose pas, professionnel jusqu’au bout de la détente. Vous en rencontrerez dans Nager sans se mouiller de Carlos Salem, Tueur à gages de Graham Greene, Vendetta d’Ellory, Le Tueur de Baldini, Le tueur fou de Baronian, Le Maître de cérémonie de Mestron, La déposition du tireur caché d’Oppel, Un petit boulot de Iain Levison, Le Tri sélectif des ordures de Sébastien Gendron… Il est évident que cette notule n’évoque pas le tueur en série qui, lui, n’a pas besoin de contrat ni d’ordre pour assassiner, il le fait par plaisir et gratuitement. Gâcheur de métier…

Le Contrat de Westlake

En y réfléchissant, il y a bien un troisième contrat, celui de Donald Westlake, qui a soufflé Pierre Lemaître (pages 771-772 du DAP) et qui vous soufflera aussi selon lui ou alors c’est que « Westlake n’est définitivement pas pour vous ». C’est le contrat sûr sur. Deux écrivains : un célèbre, Bryce (et pas Brice, pan sur le clavier de Pierre), qui tourne à vide, n’a plus d’inspiration et un inconnu, Wayne, qui lui carbure et en a à revendre. Le deal est simple : le second écrit sous le nom du premier et ils se partagent les bénéfices. Mais Wayne demande un tout petit truc en plus à Bryce : il doit éliminer sa femme… Le Contrat (The Hook, traduit par Daniel Lemoine, Rivages/noir n°490, 2003, 315 pages, 8€40) est un grand Westlake (y en a-t-il des « petits » ?) à ranger dans le côté sombre de Donald, avec Le Couperet (The Ax, traduit par Mona de Pracontal, Rivages/noir n°375, 2000, 332 pages, 9€15), par exemple. Mais c’est une autre histoire…

Cosmix Banditos (A.C. Weisbecker)

(Dice Calling)

ourut le bruit qu’A.C. Weisbecker était un des scénaristes de Miami viceDeux flics à Miami (la série télévisée, pas le film), qui, après s’être fait greffé deux couilles en or était parti méditer de la lourdeur de l’existence au sud du Rio Grande en s’agrandissant les narines. Les légendes urbaines sont tenaces.

Il est vrai que l’auteur n’avait rien fait à l’époque pour se faire connaître, comme en témoignait sa biographie (voir illustration plus bas et plus haut). Et aujourd’hui, le peu que révèle la toile in english ne nous apprend pas grand-chose si ce n’est que le surf a l’air plus central dans sa vie que la production littéraire ou scénaristique. Peu importe. Nous n’en sommes pas à enfourner le débat l’homme et son œuvre dans le four de la critique littéraire mais à s’esbaudir les zygomatiques à la lecture de ce chef d’œuvre qu’est Cosmix Banditos (Cosmic Banditos, traduit par Richard Matas, 1992, Gallimard, Série noire n°2288, 250 pages).

Parmi les livres qu’on n’oublie pas, il y a ceux dont on peut résumer l’intrigue d’une phrase et ceux dont il est impossible ou presque d’en faire un résumé succinct potable. Rafael, derniers jours – The Brave de Gregory McDonald fait partie des premiers et il faudra attendre la lettre R pour savoir pourquoi l’histoire de cet homme qui vend sa vie pour 300 dollars est un livre qu’on n’oublie pas. Cosmix Banditos appartient à la seconde catégorie. On peut évidemment parler du narrateur, Mister Quark, planqué dans la jungle colombienne, recherché pour trafic de cocaïne et d’armes, avec pour seule tribu, José et ses Banditos allumés, High Pockets, un gros chien amateur de Milk Bone Flavor, dont les pets sont d’horribles « fusées dévastatrices et muettes qui vous laisse le regard vitreux » (page 39), un serpent nommé Legs qui aime s’enrouler sur le canon des armes ayant tout juste servi et un livre sur la physique quantique piqué par José à des touristes américains avec un lot de cartes postales. Ces derniers écrits vont bouleverser la vie de Mister Quark qui va n’avoir de cesse d’écrire aux correspondants de Tina, l’adolescente de la famille, pour révéler son infidélité et de réécrire sa vie en fonction des postulats de la physique quantique. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose de cet OLNI (Objet Littéraire Non Identifié).

« Lorsque les chiens agitent la queue, la queue est réellement immobile tandis que tout le reste s’agite.« 

Des associés d’enfer

Comment oublier les gringos Robert et Jim ? Associés à notre héros narrateur, la « Troupe des Comédiens de l’Enfer, ou bien, lorsqu’ils sont séparés, Crétin de l’Enfer et Ennui de l’Enfer » (page 24), les colères du premier sont ouraganesques : « Déjà nous étions flambés au El Panama, en grande partie à cause des crises de fureur de Robert – dont certaines, je dois le dire, étaient justifiées. En de telles circonstances, moi aussi je pourrais balancer une pute par le balcon. » (page 25) et le régime du second survitaminé : « Jim au bord du quai le regardait de haut en vociférant. Un magnum de Dom Perignon dans une main et un magnum 357 dans l’autre. Un gigantesque joint collé aux lèvres et le bas du visage couvert d’une fine pellicule de dope péruvienne. » (page 34) On apprendra dans l’épilogue leur véritable rôle dans cette histoire.

Des transporteurs marginaux

Pour se déplacer, commercer et s’enfuir, nos amis ont besoin de bateaux, d’avions et d’ânes.

Julio, le mécanicien du bateau le Dom Juan (« du fait des fréquentes activités sexuelles menées à son bord durant les deux mois consacrés à sa remise en état à seule fin de pouvoir pulvériser le record de marijuana embarquée sur un navire. » page 24) qui affiche, dans sa cabine, non pas des pin-up mais « des affichettes quadrichromie des derniers moteurs diesel, générateurs et pièces détachées. » (page 31)

Et Flash, « contrabandista itinérant« , le pilote, « De tous mes partenaires, [il] est le plus déséquilibré. » Pilote d’un B29, « il n’a pas sa licence de pilote, et ne l’aura jamais », c’est « un de ces marginaux qui ne se sont pas aperçus que les années 60 étaient passées. ». « Il travaille au contrat coup par coup, d’ordinaire pour des désespérados au bout du rouleau tels que nous autres. » Il a remplacé la jauge à kérosène par un Betamax, ce qui fait du Looney Tune un avion « dans un état épouvantable mais le système acoustique était foutrement au point » (page 83)

Pour trouver le narrateur aux confins de la jungle colombienne, trois jours aller de marche forcée durant, au travers d’une jungle infestée de prédateurs (et trois jours retour) sont nécessaires, à dos d’âne. Ça calme. Les volontaires ne sont pas nombreux : « Personne n’était d’humeur » à se taper la trotte mais « José tira son 45. Le pointa sur le Bandito le plus proche et lui demanda s’il était « sûr » de ne pas être d’humeur. Le procédé connut son plein succès. » (page 79)

Des partenaires à l’esprit ouvert

L’indien prompt à délirer avec qui le narrateur aurait aimé parler « de serpents, de Phénomène Sub-Atomique, coma ou n’importe quoi » (page 86). va se trouver le partenaire idéal pour prêter attention aux « considérations sur la Nature Sous-Jacente de la Réalité » (page 89) prônées par notre narrateur. Il est vrai qu’il est au point : « Il m’expliqua alors que les chiens n’agitent pas réellement la queue, mais que le Grand Esprit se meut de telle sorte que lorsque les chiens agitent la queue, la queue est réellement immobile tandis que tout le reste s’agite. » (page 88) et est capable d’avaler une banane avec la peau sans la mâcher !

Señor Rodriguez est bibliothécaire. « Assommé par un exemplaire fusant des œuvres de William Shakespeare » il est transporté, à dos d’âne, chez le narrateur qui l’abreuve d’explications sur ce qu’il fait ici pour le replacer « dans sa propre perspective. » « J’en étais arrivé à mi-chemin dans ma vulgarisation de la Mécanique des Quanta (…) quand je m’aperçus que Señor Rodriguez, effondré en arrière sur sa chaise, avait perdu connaissance. » Et rien ne semble pouvoir l’en sortir : même une pinte de tequila dans la gorge ou une allumette allumée entre les orteils. (pages 76 à 78).

Une cause sans effet

De personnage loufoque en personnage déjanté, l’intrigue méandre à la merci des revirements du narrateur à coups d’hameçons roublards (« Ça sera intéressant de voir ce qui va suivre. », page 58), d’aveux malheureux (« … malencontreusement les choses ne se passèrent pas exactement comme nous les avions prévues. », page 84) et de semonces existentielles (« … à présent je vais reprend le récit (…) là où nous ne sommes, reprenant là où je me suis interrompu… », page 80).

Alors oui, Cosmix Banditos n’a rien à faire en Série noire mais c’est justement parce qu’il n’a rien à y faire qu’il a toute sa place. C’est ça la mécanique des quanta. Tante-Jeanne Hortense étant absente, demandons à Julien Bobroff : « …prenons un objet quantique comme un électron. Tant que je ne le mesure pas, que je n’essaie pas de voir où il est, il va se trouver à plusieurs endroits à la fois. Comme s’il n’avait pas envie de choisir sa place. Ce qui ne veut pas dire qu’il va très vite, et qu’on ne peut pas le suivre. Il est LITTERALEMENT, à plusieurs endroits à la fois en probabilité.« * Vous avez compris ?**

* Lire l’article de Paris-Match

** « Si vous avez compris ce que je viens de vous expliquer, c’est que je me suis mal exprimé ». Richard Feynman (source citée)***

*** Les notes de bas de pages dans Cosmix banditos sont, pour appréhender les différentes branches de la réalité, d’une grande utilité et, le plus souvent, drôles et convaincantes.

Sous les travers d’une comédie déjantée se cache une réalité pleine de subtilités qui fait pour la physique quantique peut-être plus que tout ouvrage sérieux de vulgarisation scientifique. En lisant Cosmix Banditos, nous prenons une leçon de métaphysique hallucinée à l’aide de la mécanique des quanta. Pas sûr de ressortir capables d’expliquer ce que c’est à quelqu’un qui nous poserait la question mais on aura eu la sensation du vertige d’effleurer l’abime et la certitude absolue d’avoir ri.

Coup du bandeau (Le)

(Blurb Calling)

omment en pas vous refaire le coup du bandeau ? Je m’explique. La rubrique Bang ! dans bbb est un « coup de gueule », histoire de se lâcher, de s’énerver, pas trop, mais un peu quand même. Parce que, merde, je reste humain quoi. Y a pas mort d’homme mais il fallait que ça sorte… Je vais m’attirer des ennuis mais qui ne s’en attire pas, hein… Vous la reconnaissez à ce logo délicieusement suranné et enfantin.

bang

Illustration : don de Mme Pylette

Le coup du bandeau était le n°2 de cette chronique. Je vous le remets là car, au fond, rien n’a changé depuis (1er octobre 2016), ça s’est même aggravé…

Ça m’énerve.

Le coup du bandeau.

Certes, on ne l’avait pas pu venir. Pourtant, il y avait le coup du père François, définitif. Le coup de tête, de Patrick, rédhibitoire. Le coup de Sirocco, merci Roger. Le cou de Cléopâtre, non c’était le nez. Le coupe-chou, bien ras sur la nuque. Le coup franc, pas forcément honnête. Le coup de grâce, non, je tiens à vous conserver vivant. Le coup de gueule, c’est bang, non ?

Mais le coup du bandeau, il est d’un autre niveau. Il est cauteleux.

Vous avez remarqué ? Non ? Les livres, quand ils sortent, désormais, se revêtent d’un bandeau. Non ? Vous n’avez pas fait attention ? Vous êtes bien les seuls. Moi, ça m’agace. Un peu. Ça m’énerve. Beaucoup.

Ça fleurit. Ça pullule. Ça se reproduit même. C’est dingue. Vlatipa que la nouveauté s’orne maintenant d’une belle horizontalité de couleur rouge, le plus souvent, voire fluo jaune citron, avec, dessus, du texte, écrit en gros pour les hypermétropes que nous sommes, quasi aveugles, entubés du bulbe, orphelins de synapses, borgnes d’intelligence.

Ça et là, on peut lire : 2 voix au Goncourt (pas de chance, trois j’aurais acheté mais deux, c’est maigre), Par l’auteur de (j’avais pas lu cet auteur, pourquoi je le lirai maintenant), Déjà 100 000 exemplaires (ha ? la qualité se mesure à la quantité des ventes maintenant ?), Par Dupont Durand (c’est déjà écrit en haut du livre, je suis pas niais) et avec la photo de l’auteur (qu’il est laid), Prix 2016 de l’Amicale des sapeurs-pompiers de Mouilleron-le-Captif (c’est où ça ?), Jouissif (je jouirais si j’en ai envie), Étonnant (pour m’étonner, je lis Desproges, non ?), Consternant (non, là, je déconne mais si je voyais un tel bandeau, j’achèterai, même à découvert), Au cinéma Il faut faire confiance à la nuit (c’est un plus ?), Adapté à la télé (c’est un moins ?), Le dernier Dubois Dujardin (j’ai pas lu le premier), Il faut lire ce livre (je fais ce que je veux), Enfin réédité (était-ce nécessaire ?), Culte (On est dans un pays laïque)…

Je sais bien que c’est un tue-mouches commercial, un attrape-nigaud, un moyen de se faire remarquer car, un livre, aujourd’hui, n’a une durée de vie qui ne dépasse pas trois mois. Certes, mais croyez-vous les zamis, que le remède ne soit pas plus dangereux que le mal ? Hein ?

Remarquez, je pense aux petites mains qui ont plié le bandeau, l’ont enroulé autour du livre tout en pensant au salaire de misère qu’on leur octroie en fin de mois, qui commence, comme chacune le sait le 2.

Ne soyons pas aigris, un bandeau peut toujours servir à quelque chose, un marque-page, par exemple, une règle pour rayer les passages chiants dans le livre, un filtre pour une cigarette qui fait rire…

C’est vrai, je le reconnais, je n’ai jamais eu de bandeau pour mes livres. Aurais-je aimé en avoir un ? Non. Mais s’il fallait que j’en accepte un, je propose les solutions suivantes :

N’avez-vous rien d’autre à faire qu’acheter ce livre ?

Vous êtes vraiment sûr de vouloir lire ça ?

Aucun prix, aucune adaptation ciné ou télé.

Si vous l’achetez, ça fera au moins un exemplaire vendu.

Par un auteur inconnu.

Sur la photo, je me la pète un peu.

La photo a été prise il y dix ans. Bon, vingt.

Écrit à la main sous perfusion de muscadet.

Intraduisible.

Impossible d’en faire un film, un téléfilm, voire une série sur une plate-forme quelconque.

Prix polar de la meilleure page 85 (ça a existé ! Je vous en reparlerai dans un Bang ultérieur, lorsque je m’énerverai sur les prix littéraires).

Le premier et dernier livre de.

Aucune voix au Goncourt, tu m’étonnes…

Prix que je me suis donné moi-même, après réflexion, mûre.

Illisible.

Ça aurait de la gueule, non ?

Bon, de toute façon, je n’en suis pas là. Pas de livre en préparation chez un éditeur, donc pas de bandeau en prévision.

Pas la peine de s’énerver.

Si ?

Si. Ne nous prenez pas pour des cons. Laissez-nous choisir le livre que nous avons envie d’acheter. Pas la peine de ramer, vous attaquez la falaise, comme disait l’autre. Laissez-nous discuter avec le libraire, prendre un livre, pas forcément dans une pile, habillé et mis en avant, avec force arguments commerciaux, sans nous en mettre plein la vue. C’est tout ce qui nous reste. La liberté. Faites pas chier avec vos bandeaux, merde. On est grands. Vous êtes petits. Et toc !

Bleurbez, il en restera toujours quelque chose

Aujourd’hui, 09 août 2022, rien à retirer ? Non. Rien à rajouter ? Si car le blurb nous envahit. Qu’est-ce que le blurb ? Il s’agit d’une phrase, voire une formule, un adjectif écrit, par un nom, important là, célèbre. Du style : Le roi du tartan noir, Ellroy pour un livre de Ian Rakin ou À couper le souffle, Connelly sur le livre d’un « inconnu« *.

* Lire l’article de l’Express

Bon, évidemment, si vous voulez épicer vos promenades littéraires en librairies (à l’instar de Marc Villard qui aime bousculer les piles de Mary Higgins Clark à la FNAC comme il le raconte dans une de ses autofictions), vous pouvez vous amuser à échanger les bandeaux (les auteurs de polar s’amusent bien, ce sont de grands enfants ces Français, dans les festivals, à échanger leur badge) mais le fin du fin, c’est quand même comme je vous le suggérais d’en inventer. Et si ça ne vient pas, on trouve de tout sur la toile, même un générateur de bandeau. Laissez-vous tenter

Couverture (4ème de)

(Bio Calling)

hacun ses marottes. Celle-là, j’en ai aussi parlé dans bang ! Même tarif, même punition, bang ! n°1 (18 septembre 2016). Le thème en est la biographie de l’auteur, vaste enfumage.

La quatrième de couverture est un papier tue-mouches

Aujourd’hui, le bang est tiré dans la tronche des 4ème de couverture. De tout éditeur. Pas de discrimination. Notamment aux biographies succinctes des zauteurs.

C’est marrant, ils ont toujours bourlingué un peu partout dans le monde qui a l’air si petit quand on les lit et qui ont, ça, ça m’énerve, grave, multiplié les petits boulots comme l’autre multipliait les poissons. Et que j’ai été pizzaïolo dans une cantine de fonctionnaires, vendeur de téléphones portables en Amazonie, thanatopracteur stagiaire, testeur de médicaments bio, veilleur de nuits (ben oui, pas une seule), coursier pour une entreprise de parapluies au Ghana, branleur de dindons en Bretagne, technicienne de surfaces en Laponie, livreur de repas à domicile dans les favelas à Rio, épouvantail humain dans des champs de maïs aux States (prononcez Staitsss) … Et, on ne sait pourquoi, ça semble leur donner une aura pour être écrivain, ça semble leur donner une justification pour nous imposer leur prose, ça leur confère une stature, je sais de quoi je cause, j’ai vu, je suis venu, j’ai vécu, je connais la vie, moi.

Et vas-y, aussi, qu’on te balance dans les gencives qu’on vit à Atlanta, à Benet, dans le XVIème, à Sidney, à Mouilleron-le-Captif ou à Honolulu, Bora Bora, Trifouilly-les-deux-oies, entre Europe et et Amérique, sur une des îles des Cyclades, dans un slum à Mumbai, dans la ruralité auvergnate, dans la Vendée profonde, au cœur de la City, quelque part on ne sait où, qu’on travaille à l’université de, au ministère de, dans l’entreprise qui, le studio sans lequel, qu’on aime l’ikebana, la merguez et les séries tévées, qu’on a deux chiens, une femme, attentive, un enfant, dont on taira le nom, un félin de gouttière, un aquarium géant, qu’on a une playlist du tonnerre qui kiffe sa race qu’on vous livre en fin d’ouvrage, une recette de cuisine végétarienne aussi en fin d’ouvrage, un mail, en début d’ouvrage, si vous voulez causer à l’auteur, qu’on est simple et accessible, humain et sympa. Sympa on vous dit. Et simple.

On se sent alors petit, ridicule, routinier, commun, on n’a pas leur carrure nous, leur expérience, on n’est rien, peu. Peut-être un peu quelque chose, non ? Un lecteur qui n’aime pas qu’on lui bourre le mou.

Ça m’énerve…

Une fois, j’ai lu une bio « différente« , c’était celle de Weisbecker dans Cosmix Banditos (lire plus haut) :  On ne sait pas grand-chose de A.C. Weisbecker et A.C. Weisbecker souhaite en rester là. Classe…

Antoine Chainas, Aime-moi, Casanova (Gallimard, Série noire, 2007, 248 pages, 13€90)

Comme quoi.

Ça sert à rien de s’énerver…

Quoique.

Pour ceux qui pensent que je devrais balayer devant chez moi avant de vouloir faire le ménage chez les autres, je vous livre ce que mon ex-éditeur, Ex Aequo, a mis sur ma 4ème de couve de L’enfance des tueurs en 2010 :

Ex-éditeur (éditions de La Loupiote) (il aurait publié ce texte, lui ?) de Pouy, Mizio, Oppel, Raynal (vas-y que je te bourre le mou, genre, je connais du beau monde, moi), François Braud est auteur (ha bon ? On n’avait pas remarqué… On croyait qu’ils étaient crieur de bonnes nouvelles devant Pôle emploi) et critique littéraire (il a lu son livre ?) pour les revues 813, Émancipation (vas-y que je te rebourre le mou, du genre, je suis incontournable) et le site internet Noir comme polar (hé oui les gars, je suis au taquet de la modernité, je publie sur la toile). Il est aussi auteur jeunesse (je diversifie camarade, je n’ai pas qu’une seule corde à mon arc) avec – L’école ça sert à rien chez Casterman (et re vas-y que je te rebourre à nouveau le mou : tu remarques que je ne publie pas chez n’importe qui) – et novelliste polar (je sais aussi faire dans le court). L’enfance des tueurs est son premier roman (la chance que tu as lecteur, tu assistes à un événement, une naissance, tu peux pas savoir ce que tu vas vivre… Sans compter que L’École, ça sert à rien, c’est pas un roman jeunesse peut-être ? Ha oui, c’est jeunesse…).

Le tout avec une photo, genre, je ne me prends pas la tête mais je réfléchis quand même. Oui, je sais, je fais dix ans de moins sur la photo qu’à l’époque de la publication du bouquin. Mais pas de photoshop là-dedans, plus simple : la photo a dix ans de moins que l’édition du livre… Je ne parle même pas du « résumé » du livre : humour décapant qui renoue avec le genre des grands maîtres… ! Une plume trempée dans l’acide. Je recommence à m’énerver…

Et tout ça pour attraper une mouche : vous. Et tout ça pour vendre.

Voyez plutôt. On est mal barré.

L’art d’en dire sans mots dire

Aujourd’hui, 10 août 2022, rien à retirer, rien à rajouter. Enfin, si. J’en rajouterai une petite couche tout de même : les quatrièmes de couverture qui en disent trop. Comme on veut vous faire sortir votre portefeuille en peau d’oursin et que vous rechignez toujours à lâcher un sou (c’est un sou), on badigeonne à mort la quatrième de couverture, non pas avec du fiel, mais avec le miel de l’intrigue, en veux-tu en voilà des péripéties. Bref, si vous avez manqué le début devient un peu si vous avez loupé la fin, je galèje tout juste. La dernière qui m’est passé sous les binocles et m’a escagassé le neurone est celle déjà signalée de Lawrence Block, Le Coup du hasard. Mais si vous voulez lire ce roman (et je vous le conseille), ne la lisez pas morbleu ! Je m’énerve un peu là ; je réglerai ça à la lettre D avec Divulgâcher.

Tout cela pour dire qu’une quatrième de couverture, c’est tout un art. Et Jeanne Guyon le maîtrise parfaitement chez Rivages.

Critique

(Book Calling)

omment peut-on croire que la critique est facile ? Peut-être en pensant qu’il suffit d’aligner un résumé et un avis. Quoique l’art de pondre un résumé ne se trouve pas à la merci de tous les culs bénis et que celui de donner son avis ne se limite pas à et dépasse quelque peu le « moi je pense que« .

Qu’est-ce qu’une critique littéraire ?

Lire, c’est créer

Une critique littéraire est un réceptacle, un tremplin et un aiguillon.

Il accueille l’objet (papier ou numérique), la palpe, le sent, l’ouvre, le feuillette, le picore, le soupèse. Il finit par le lire, au bureau, avec une feuille de papier pour noter (il peut écrire dedans), dans un fauteuil en cuir en cornant les pages, au lit en collant des balises colorées. Tout dépend de la part de sacré qu’il met dans l’ouvrage. Il le lit. Un moment vient où il sait. Qu’il ira au bout. Qu’il en sera le passeur. Alors, s’arrêtant çà et là quand il pense avoir trouvé un angle, il réfléchit plus qu’il ne lit. C’est là que commence le travail de création. Si un tableau ne vit que par celui qui le regarde disait Picasso alors un livre ne vit que par celui qui le lit.

Alors il peut relire le livre et commencer son rôle de tremplin, rebondir sur l’incipit, entraîner le mot d’une phrase, la phrase d’une citation, le paragraphe d’un extrait. Extraire le suc sans en donner le sucre, la moëlle sans en dévoiler la toile, la sève sans écosser la fève, travailler le latex comme un pré-texte. Elle ressemble en ce sens à l’illustration, qui, parfois, se modèle sur le texte, car, sans lui, elle n’existerait pas, mais s’échigne à aller au-delà de le servir, voire de le desservir mais de l’interpréter.

Critiquer, c’est écrire

Aligner des arguments, c’est permettre à l’aiguillon de commencer son travail sous-jacent de harcèlement. La critique se doit d’être écrite dans ce but : elle n’appartient pas et elle appartient à la littérature. Elle n’appartient pas car elle s’efface derrière, elle y appartient car elle actualise. Elle a la prétention de ces/ses objectifs mais ne les atteint pas toujours tant celui ou celle qui en est à l’origine peut manquer de travail ou de talent diront certains, et que celui qui la reçoit attend toute autre chose et alors, la 4ème de couverture peut tout à fait suffire. Le lecteur peut alors la zapper, la lectrice l’ignorer.

Mais le job, comme disent les Ricains aura été fait. Le point final n’en est pas un. Il appartient, là encore au lecteur, à la lectrice. C’est à eux que revient le dernier acte. Adhérer ou passer à autre chose.

La critique littéraire est de longue haleine. C’est une course de fond dont le but n’est pas d’arriver premier mais bien de terminer la distance. Mais parfois, elle ne la tient pas.

Car il faut dire que la critique littéraire écrite a de la concurrence : la quatrième de couverture (lire plus haut), le nom de l’auteur (lire Le coup du bandeau), un blurb (Jo Nesbo est mon auteur de thriller favori et Harry Hole mon nouveau héros, signé… Michael Connelly), le titre (qui peut résister à La Conspiration des Ténèbres de Roszak ?), la couverture (d’un Rivages/noir), la collection (Le Petit Écart), l’éditeur (Gallmeister) font parfois office de critiques plus efficaces que tous les mots que vous pourrez aligner.

Alors votre plume fielleuse ou mielleuse, vous pouvez vous la mettre où je pense et remiser votre clavier à la jaille face au mastodonte du cinéma, au dinosaure télévisuel, à la Cassandre radiophonique, aux mainstream en papier (Elle, Télérama, Le Monde des Livres, Libé Polar…).

Sans compter que vous n’êtes pas seul.e. Les dizaines de blogs spécialisés (surfes donc sur bibliosurf) peuvent vous décourager. Mais n’oubliez jamais que, parfois, ce que cherche celui qui vous lit, c’est justement autre chose que ce qu’il lit partout ailleurs, quelque chose comme une sincérité originale, une critique mettant en avant un livre de manière la plus franche possible sans souci d’y trouver, en retour, la moindre compensation si ce n’est celle que cela vous a donné envie de lire… ou vous aura éclairé pour ne pas le lire…

Le livre vit quand on le passe

Car vous savez, parfois, à peine le libraire vous a-t-il énoncé le début de son argumentaire, à peine avez-vous lu la première phrase de la critique, que vous savez déjà vous n’achèterez pas le livre dont il/elle parle. Et d’autres fois, un mot, une attitude, un geste et c’est pesé emballé acheté. Une belle part de mystère reste encore dans l’ombre quant à ce qui fait acheter tel ou tel titre, et c’est tant mieux.

Quoi de plus troublant de découvrir une œuvre d’un auteur, de la trouver bluffante et de s’apercevoir qu’on est passé à côté alors que, dans votre bibliothèque, trois ou quatre livres n’attendent que vous.

Et ne pensez pas que dire du mal d’un livre le dessert forcément. Le livre a l’égo du Lego : parlez de moi, en mal ou en bien, mais surtout, parlez de moi. Brique après brique, le mur se construit.

Je pense, au moment où j’écris ces lignes à Salman Rushdie, dans un état critique. John Kennedy Toole est mort de ne pas avoir été lu. Vassili Grossman de l’avoir trop été*. Rushdie ne doit pas mourir de l’avoir mal été. Rien ne justifie de mourir pour des idées** quand certains sont prêts à tuer pour les leurs. Le combat est pipé.

* La formule est de Daniel Pennac.

** Ou alors de mort lente disait Brassens.

Cuba

(Cuba Calling)

uba, Cuba, Cuba si, Cuba, Cuba si !

Le refrain suranné de Ferrat résonne, alors que la nuit tombe et que vous n’avez pas sommeil.

La nuit, si vous partez à rêve découvert, Cuba, c’est de l’insomnie en barre, Cuba, c’est une idée, une idée qui se brise comme verre, comme le plafond se prend pour un ciel.

Bienvenido a Cuba, l’ile où les plages ressemblent toutes à des baies de cochons, les cigares aux cuisses de Carmen, les crocodiles verts à des Lacoste de contrefaçon.

Cuba, c’est le rêve en boîte, la lumière par intermittence, les soins gratuits et l’insécurité inexistante, la monnaie double et le parti trouble. Si Cuba est une idée, elle peut être noire ou fixe, donnée ou reçue. C’est une question d’angle.

Et pour cela, rien de mieux pour trigonométrer un angle que de demander aux rapporteurs que sont les écrivains cubains de noir.

« Dans les histoires policières classiques, en particulier celles qui mettent en scène un inspecteur, on essaie de rétablir l’ordre, de redresser les torts. Dans le genre noir, on se complait nonchalamment dans l’absence de valeurs, et le nœud de l’intrigue est moins un puzzle à résoudre qu’un cul-de-sac. Les romans noirs explorent et exposent, mais refusent de résoudre. » La Havane noir recueil de 18 nouvelles préfacé et présenté par Achy Obejas, Asphalte, traduit par Olivier Hamilton et Marthe Picard, 2013, 311 pages, 22€

Le chef de file, si l’on considère que l’on puisse être un chef parce qu’on accumule talent notoriété et succès, s’appelle Leonardo Padura. Contrairement à de nombreux Cubains, il vit encore à là-bas à La Havane mais sa plume est loin d’être mielleuse, son clavier docile. Auteur d’un cycle sur un flic, Mario Conde, devenu vendeur de livres, Leonardo Padura est un esthète des saisons qui n’épargne ni l’Olympe de la Littérature (ce qu’il met à Papa Hemingway dans Adios Hemingway*), ni son héros, ni lui-même. Dans le 3ème volet du Cycle des 4 saisons, Électre à La Havane, Mario Conde, flic, lycéen toujours nostalgique et écrivain raté (?) fait face à ses préjugés (« je ne supporte pas les pédés« ) et l’auteur fait face à lui-même dans une petite mise en abyme (« Ils parlaient, mal et avec entrain, d’un autre écrivain qui avait eu apparemment un grand succès avec un roman récent et qui écrivait dans les journaux des articles très lus, et ils le traitaient de populiste de merde. Oui, disaient-ils, laissant couler leur fiel sur le plancher du bar, il écrit des romans policiers, il interviewe des joueurs de base-ball et des musiciens de salsa, il fait des articles sur des macs et sur l’histoire du rhum : c’est ce que je te disais, un populiste de merde, qui, eux, étaient des écrivains préoccupés par les valeurs esthétiques et le reflet des contradictions sociales… »).

* « Lisez Adios Hemingway (traduit par René Solis, 2005, Métailié, 148 pages, 9€), vous comprendrez. Il rase pas gratis le Leonardo. Comment qu’il vous torche l’Ernest, comment qu’il s’attaque à la montagne, comment il le dépeint le grand couillu. Avec une telle photographie, c’est étonnant qu’il vive et écrive encore le Leonardo. C’est quand on retrouve un cadavre dans la maison musée de Papa qu’on demanda à Mario Conde, ancien flic devenu libraire, de résoudre l’énigme. L’écrivain était-il plus génial qu’odieux ? Alcoolique ou journaliste ? Monstre ou sacré ? Généreux ou égoïste ? Et que vient faire la culotte d’Ava Gardner là-dedans ? Le Padura, il s’attaque aux mythes littéraires ET cinématographiques ! Il doit être sur leur liste, pas possible autrement. De plus, son héros, un flic, quitte la police mais, de temps en temps, remet le couvert pour la bonne cause. Il y a du Bruen chez Padura. De la graine de Jack Taylor en Mario Conde. Du whiskey dans le rhum. » C’est pas moi qui parle là, c’est Triple S (lire, ).

« … l’État, le gouvernement, le parti, tous uniques et imbriqués. » (L’eau de toute parts, Leonardo Padura)

Et il est toujours vivant le Padura. Et on ne peut pas dire qu’il avance couvert : La Transparence du temps (La Transparencia del tiempo, traduit par Elena Zayas, 2018, 429 pages, 23€) est le titre d’un de ses derniers romans, toujours chez Métailié.

Conde a vieilli ; il flirte avec la soixantaine mais reste fidèle à sa vingtaine. Le passé (Passé parfait ou Les brumes du passé) est sacré pour Conde, comme la Vierge noire pour grand nombre de migrants. Révolution cubaine, révolution terrestre. Et si la révolution, c’était tout simplement un voyage qui consiste à aller d’un point A pour y revenir ? Padura est très fort : ce qui compte, nous dit-il, dans un voyage, ce n’est ni le point A, de départ, ni le point B, d’arrivée mais le voyage mis à accomplir la distance entre A et B. Tu peux remplacer A par Battista (Made in Miami) et B par Fidel (machiste-léniniste), si vous voulez. Mais le voyage entre A et B, c’est un mauvais jour :

« On a des mauvais jours et des jours pires. »

C’est sûr. Y a plus de saison là-bas. Détrompez-vous. Les 4 premiers Conde (encore flic) sont un cycle saisonnier. L’hiver avec Passé parfaitVents de carême pour le printemps, L’automne à Cuba, sans commentaire et pour clore le cycle, Électre à La Havane pour l’été.  Le mieux, c’est de le laisser parler… :

– La facilité :  » La seule fois où Mario Conde avait tiré sur quelqu’un, il avait compris à quel point il est facile de tuer : tu vises la poitrine, tu t’arrêtes de penser au moment où tu appuies sur la détente, et la décharge te permet à peine de voir quand le type reçoit la balle, comme un jet de pierre qui le repousse en arrière. Ensuite, il se tord par terre, assailli par la douleur, jusqu’à ce qu’il meure – ou pas. »  (Passé parfaitPasado perfecto, traduit par Caroline Lepage, 2001, page 162, Métailié, 214 pages, 9€50)

Padura Hiver

– La complexité :  » Est-ce que la bite a une idéologie ? «  (Vents de carêmeVientos de cuaresma, traduit par François Gaudry, page 45, Métailié, 2004, 230 pages, 9€50)

Padura printemps

– La probabilité :  » Pour lui et ses amis d’alors, il y avait un axiome irréfutable : c’était à onze ans seulement, à onze ans exactement, à onze ans ponctuellement, que la verge commençait à servir à autre chose qu’à éliminer l’urine plusieurs fois par jour. «  (L’automne à CubaPaisaje de Otoño, traduit par René Solis et Maria Henandez, page 177, Point Seuil, 1999, 7€20)

Padura automne

– Le hasard :  » […] tout était possible s’agissant dudit Alberto Marqués : homosexuel avec une longue expérience de prédateur, politiquement apathique, idéologiquement tordu, être conflictuel et provocateur, attiré vers l’étranger, hermétique, précieux, consommateur potentiel de marihuana et d’autres drogues, protecteur de pédés paumés, homme à la filiation philosophique douteuse, petit-bourgeois rempli de préjugés de classe, selon la classification sans appel d’un manuel moscovite d’évaluation des techniques et procédés du réalisme socialiste… Cet impressionnant curriculum vitae était l’aboutissement des rapports écrits, conjugués, résumés et même cités textuellement, de plusieurs informateurs, successifs présidents du Comité de Défense de la Révolution, cadres de l’ancien Conseil National de la Culture et de l’actuel ministère de la Culture, conseillers politiques de l’ambassade cubaine à Paris et même un prêtre franciscain, qui à une époque préhistorique avait été son confesseur, sans oublier deux amants pervers, interrogés pour des motifs de strict droit commun. Où merde suis-je venu me fourrer ?  » (Électre à La HavaneMáscaras, traduit par R.S. et M.H., pages 43-44, Points Seuil)

Padura été

Padura par ci, Padura par-là, y en a que pour Padura là-bas ?

Que nenni. Padura est l’arbre cubain qui cache la forêt noire cubaine. Petit tour de l’île et des côtes de Floride qui ne sont jamais loin, car, comme le dit… Padura : « … un auteur cubain d’aujourd’hui (…) est d’abord défini comme écrivain en fonction du lieu où il réside : dans l’île ou à l’étranger. » (L’eau de toute partAgua por todas partes, traduit par E.Z., Métailié, 2022, page 114, 395 pages, 24 euros).

La Havane Noir

Il fait chaud là-bas, il fait chaud ici. Allez un verre, rien qu’un… pour accompagner une nouvelle.

Une nouvelle, un Cuba libre.

Plongée dans une ville où le crime a été officiellement banni car c’est une contagion capitaliste, un virus impérialiste, une bactérie occidentale. « Mais telle qu’elle est vécue par ses habitants, la Havane – qui n’est ni l’île des plaisirs pour touristes, ni une utopie marxiste – est une ville pleine de contradictions souvent douloureuses. Son nom veut dire « site de l’eau » dans la langue indigène d’origine, mais elle n’a pas de plages. Son insubordination est légendaire, mais la pénurie et la propagande ont transformé beaucoup de ses citoyens en délateurs soucieux de plaire aux autorités locales. Sa pauvreté est écrasante, mais l’ingéniosité de son peuple et sa capacité d’adaptation le rendent généreux. » C’est Achy Obejas (hors l’île) qui préface et présente ce recueil de 18 nouvelles et dénude une ville : La Havane.

Cuba libre.

« Observe La Havane […], elle est une un jour et différente le lendemain. Elle change de peau, elle est femme et homme, c’est la ville de Chango sacrifié dans un oubli long de cinquante ans… », L’Homme de nulle part, Miguel Mejides (dans l’ïle).

Cuba libre.

Cubain à Cuba ou cubain en Floride : « Vous comprenez, tirer les pleurnichard des emmerdes, c’est une chose. C’est pas un boulot qui me dérange tant que ça. Même si une bonne moitié de mon travail à San Francisco consiste à faire du nettoyage, en fait. S’assurer que les photos disparaissent, que les témoins ne se souviennent pas, que le journaliste des pages mondaines a bien reçu ses petits cadeaux, que la main-courante de la police se perde en route, que les écoutes tombent sur quelqu’un d’autre. Voilà le genre de choses qu’on fait quand on est détective et qu’on bosse pour la haute société et, en cinq ans, je me suis taillé une belle petite réputation. Ce n’est pas très orthodoxe, comme travail, mais au moins je ne m’occupe pas d’histoires de divorces ou de gamins – j’en ai deux de chaque et ce ne sont pas des expériences que j’aimerais particulièrement revivre. Cependant, mon boulot ne consiste pas à me laisser tirer dessus comme à la parade, en particulier dans un pays étranger en proie à une révolution. » Shanghai, Alex Abella (hors l’île).

Cuba lib’.

« Je devrais être habitué à ces interminables pannes d’électricité, omniprésentes depuis mon enfance. Si la lumière du jour est un don de Dieu qui nous a accompagnés jusqu’ici et qui nous accompagnera toujours, la lumière électrique est elle aussi un miracle intangible qui ne dépend pas de notre volonté mais de celle d’un groupe d’hommes qui nous racontent tous les jours qu’il faut économiser ce qu’ils gaspillent, et qui font coïncider les pannes avec les retransmissions des meilleurs programmes radio et télé depuis les États-Unis en direction de la population cubaine. » Ténèbres et Lumière, Moisés Asís (hors l’île).

Cula bibre.

« La théorie de la Merde, selon Yako, c’est tout simple : on sort de la merde, on est de la merde et on retourne la merde, parce que la vie est un merdier. Et on emmerde Einstein et Newton, ce monde de merde et la théorie de l’évolution, le fait d’avoir à se battre pour survivre, toutes ces conneries. Ça a l’air con comme ça, mais on a comme des frissons qui arrivent après le troisième shot de Tiger’s Bone, ça vous secoue la gorge comme un fouet à l’intérieur […] » Le Pont rouge, Yoss (dans l’île).

Buba vivre…

Saint Efferalgan, priez pour nous ! À mélanger tous les crus, on se croit le roi. Une tasse à la fois, un jour après l’autre.

Un thé en Amazonie de Daniel Chavarría (Allá ellos, traduit par Jacques-François Bonaldi,1996, Rivages/noir n°302, 591 pages, 10€60) est une fresque picaresque mêlant aventure et politique, espionnage et suspense, sérieux et légèreté : « Il s’enfermait [dans la volière] quand il avait le petit oiseau. Ce terme, c’est son grand-père, Don Esteban Lorenzo, qui l’avait inventé : durant ses crises, il disait sentir dans la poitrine les battements d’ailes d’un petit oiseau en cage. Don Ramon s’enfermait donc avec une grosse outre volumineuse pleine de Cognac. (…) Et, une fois ivre, il criait comme un possédé, le nez au judas de la porte, insultati sa femme et la domesticité et demandait qu’on lui ouvre. (page 93) » Et là-bas au Brésil, un cruzeiro est un cruzeiro :  » Un jour de pluie, il prit le taxi pour traverser la ville d’un bout à l’autre et quand il voulut payer les 80 cruzeiros que coûtait la course, il s’aperçut qu’il n’en avait que 50. » Le chauffeur n’en démorda pas, il voulait ses 80 cruzeiros. « … alors, fais 30 cruzeiros de marche arrière. » (page 259) Et un espion se doit d’être précis et son message référencé : « B-3 avait reçu à midi l’appel habituel de B-1, qui avait inclus un Ramón Méndez. B-3 devait donc se préparer à recevoir le soir un message de B-1, une fois qu’il aurait émis le sien, comme il le faisait normalement tous les mercredis. Il devait opérer ce soir au point 4. B-3 arriva au carrefour de la 17ème rue de de la Rue D à 8h13. »* Un roman moite et drôle, noir et d’aventure du plus cubain des Uruguayens (arrivé dans l’île en 1969 d’un avion qu’il aurait détourné !).

* 813 !

« Y’ a plus de dimanche.« 

« Y’a plus qu’un jour insupportable qui suit un samedi de galères et n tout genre et qui précède un toujours détestable lundi. » (pages 16-17)

La quatrième de couverture nous dit de lui qu’il est l’écrivain cubain le plus lu mais nous avons appris récemment (voir plus haut) comment il fallait lire les quatrièmes de couverture, avec des pincettes. Lorenzo Lunar est né à Santa Clara en 1958 et c’est à Santa Clara que se déroulent ses intrigues, comme celle de La vie est un tango La vida es un tango, traduit par Morgane Le Roy, Folio policier, 2015, 199 pages, 7€20). Léo Martin est commissaire (c’est le parti qui lui a filé le boulot) de quartier (« Le quartier est un monstre. », page 39) qui vit toujours chez sa mère ce qui ne l’empêche pas d’avoir plusieurs maîtresses et « dévore des polars cubains des années 70 (… ) comme Explosión en Tallapiedra (…) où le seul et l’unique coupable, c’est la C.I.A. », pages 45-46). S’il peut fermer les yeux sur des dizaines de petits trafics que génère la rigidité du système cubain, il ne peut, en revanche, détourner la tête quand on commence à buter ses concitoyens pour une histoire de lunettes de soleil volées ! Ce roman est un délice pour qui veut comprendre la vie à Cuba (édition cubaine de 2005) : l’art de faire la queue, la gestion des coupures d’électricité (12 heures par jour), ses putes et son astronaute (« Yusimi à dix-sept ans et plus d’heures de vol qu’Arnaldo Tamayo, le premier, l’unique astronaute cubain. », page 86) l’argent béni qui permet d’acheter de l’huile, du savon, du dentifrice et du papier toilette, les euphémismes à la mode (« … on appelle les chômeurs des demandeurs d’emploi; pour les putes on dit les filles de joie ; on ne dit plus il a volé mais il a emprunté ; quant à être pédé, c’est avoir un petit problème. », page 145), les synonymes (la drogue, ce sont des lunettes de soleil), les affirmations du régime (« À Cuba, on en avait fini avec la prostitution depuis le 1er janvier 1959. », page 170 et « … la baisse vertigineuse de la criminalité. Bagarres : 0% ; vols : 0%, agressions : 0%, Assassinat : 0%, Drogue… La drogue mais qu’est-ce donc ? », pages 182-183).

La vie est un tango est un régal. La vie à Cuba et à Santa Clara inégales.

« Et on a la sécurité de l’emploi, les sons de santé et l’éducation gratuits, un climat agréable ; la plupart des Cubains sont généreux. » (page 161)

Dans l’île jusqu’en 2002, hors depuis, José Latour est considéré « comme un maître du roman noir cubain« , dixit… la quatrième de couverture. Nos amis de La Havane (Havana Best Friends, traduit par Marie Ollivier-Caudray, Éditions du Rocher (thriller), 2005, 318 pages, 20€90) narre la rencontre entre deux touristes (Sean et Marina) et une sœur (Elena) et son frère (Pablo) cubains. Trois jours après le départ des gringos, ce dernier est retrouvé mort, et, les deux touristes reviennent alors pour proposer un drôle de marché à Elena. Un thriller qui nous permet, là encore, de vivre le quotidien des Cubains et Cubaines et qui donne une définition très simple de la liberté, page 118 : « Les seules personnes vraiment libres dans ce pays sont celles qui peuvent décliner une invitation à un meeting politique sans donner d’excuses. » Hé ou, c’est quand on a le pouvoir de dire non sans en subir des conséquences dangereuses pour sa propre vie qu’on peut se dire libre. Alors oui, vous pouvez (pas de verbe devoir) lire ce roman, sans avoir, comme les Cubains et les Cubaines, à faire la queue, même si cela leur permet de s’ouvrir à la critique comparative : « Elles évoquèrent la manipulation de l’information et de l’injustice. Elena critiquait les médias officiels qui condamnaient la peine de mort aux États-Unis tout en passant sous silence le nombre de personnes qui en étaient victimes à Cuba. Carmita approuva, mentionnant que Cuba critiquait la clôture construite par les Américains pour empêcher l’immigration en provenance du Mexique et rappelant qu’à l’époque où l’Allemagne de l’Est existait encore, le gouvernement cubain s’était bien gardé d’émettre la moindre critique à l’encontre du mur de Berlin. » (page 156)

On l’aura compris, le polar cubain est vivace, diversifié, drôle, noir, et, dans l’île ou hors l’île, pas avare de réalisme. Et, comme l’écrit Padura dans L’eau de toute part (page 113) : « … dénoncer ou défendre la politique définit [les écrivains cubains] parfois plus que leur œuvre artistique qui, de ce fait, occupe le second plan. » À nous de leur redonner, ici et là, la place qu’ils méritent : le premier plan.

Cummins

(Migrants Calling)

roire que l’on a le droit d’écrire que sur ce qu’on vit relève de la connerie et rayerait de nos bibliothèques une bonne moitié des chefs d’œuvre de la littérature. Jeanine Cummins est, je pense, une grande auteure. On l’accuse d’appropriation culturelle depuis qu’elle a écrit American Dirt.

J’en ai parlé le 21 septembre 2021. Voilà ce que j’en disais.

De quel côté sont les rêves ?

Une première scène glaçante. Qui vous happe, hache, hameçonne (et je ne fais là que les verbes commençant par ha). Dès l’incipit, « L’une des premières balles surgit par la fenêtre ouverte, au-dessus de la cuvette des toilettes devant laquelle se tient Luca. », vous savez. Vous savez que vous irez au bout. Vous savez que vous ne lâcherez pas ce livre. Vous savez que vous allez voyager aux côtés de Luca et de sa mère, seuls rescapés du massacre de toda la familia réunie lors d’une fête d’anniversaire autour du poulet cuit sur le barbecue. Ça se passe au Mexique. À Acapulco. Loin des images idylliques des plages et des touristes repus de soleil. Le coin est devenu l’un des plus dangereux au monde. Le baron de la drogue (vous avez remarqué, hein ?, j’en parlais récemment, ceux qui dirigent les cartels ont pour titre celui de baron, jamais celui de comte, de marquis, de duc, toujours baron, fin de la parenthèse), ce n’est pas qu’il n’aime pas qu’on parle de lui dans les journaux, il en tirerait même une certaine fierté, mais il n’aime pas trop qu’on s’approche de la vérité, celle qui le dépeint pour ce qu’il est, surtout quand il aimerait passer pour tout autre, notamment aux yeux de sa fille, qui ignore tout de ses activités. Aussi, quand cette dernière lit le journal, elle se pend. Javier, c’st son prénom, devient ivre de chagrin, fou de vengeance et commandite l’extermination de la famille du journaliste qui a osé. Ce journaliste, c’est le père de Luca, le mari de Lydia.

Lydia est libraire. Elle aime conseiller des lectures à ceux qui franchissent le seuil de sa boutique, comme… Javier, par exemple.

Lydia devient une cible. Son fils aussi.

Lydia devient migrante. La fuite comme horizon. Se réfugier aux States.

À bord de la Bestia

Et comme Javier contrôle tout à Acapulco et ses environs, prendre la tangente, avec les milliers de traîne misère, de crève la faim, de clandos à l’aide de la Bestia, ce train qui fonce vers le nord en évitant les tueurs lancés à sa poursuite mais aussi ceux qui se repaissent de la misère : voleurs et policiers.

Car le cartel est partout. Même sur la scène de crime « – Ils vont me tuer aussi, ajoute-t-elle, comprenant seulement au moment où ces mots surgissent que cela pourrait être vrai. L’inspecteur ne tente pas de la contredire. Il n’émarge pas au registre du cartel, mais nombre de ses collègues, oui. Il ne connaît pas leur nom, peu importe en vérité. Il n’a confiance en personne. De fait, sur les deux douzaines d’individus, forces de l’ordre et personnel médical, qui circulent actuellement dans la maison et autour du patio, marquant l’emplacement des douilles, examinant les empreintes, analysant les giclures de sang, prenant des photos, vérifiant les pouls, faisant le signe de croix sur les cadavres des membres de la famille de Lydia, sept sont des salariés réguliers du cartel local. » (page 22)

Loin d’être un thriller, un road movie, American dirt est un roman plutôt noir, un documentaire sur le rêve du migrant et l’amour d’une mère à qui on a tout volé sauf son fils. C’est surtout le livre qui broie l’innocence et l’enfance. Qui fait douter de la bonté : « Il semble impossible que des gens bons – tant de gens bons – existent dans le même monde que les hommes qui tuent des familles entières durant des fêtes d’anniversaire, puis mangent leur poulet auprès des cadavres. » (page 279)

Légitimité et lucidité

L’auteur, Jeanine Cummins, accusé d’illégitimité (elle n’est pas hispanique, shame ! même si elle est née en Espagne) aux States pour appropriation culturelle connaît un véritable succès et l’engouement autour de son premier roman, encensé par Stephen King et Don Winslow, est impressionnant. Le débat fait rage, il nous effleure ici et nous ne le comprenons pas vraiment. Ce que ce livre a de légitime et ça, personne ne le contestera, c’est sa lucidité. Il en manque sans doute un peu à ceux et celles qui mènent ce procès en intention car, le principe même de la littérature n’est-il pas de se mettre à la place de ?

Animé par un souffle narratif envoûtant, American dirt laissera des traces dans la littérature et en vous. Il vous hantera peut-être en vous laissant un goût amer, comme celui de la ville de Guadalajara : « Cette ville est une sorte de plante carnivore, avec ses rues bleu indigo de fin de nuit. Un élan pousse les migrants qui vont al norte à y affluer, ils y trouvent un accueil, un brin de réconfort, une sécurité relative loin des voies de chemin de fer, aussi s’accordent-ils un ou deux jours pour souffler. Puis trois de plus. Puis cent. Regardez ici, endormis sur un carton dans le coin désaffecté d’un parking, une mère nu-pieds et son tout-petit, en vêtements sales. Là, les yeux vitreux et serrant dans son poing un sac en papier contenant Dieu sait quoi, un adolescent maigre, les bras pleins de bleus, de marques de seringue. Et là, et là ou là, tant de filles très jeunes dont le blanc des yeux scintille dans l’obscurité vacillant sur des hauts talons dans des endroits sombres. »

Tous cherchent l’espoir, toutes ne le trouvent pas mais chacun chacune peut être sûr(e) d’une chose en fouillant « sa mémoire, ce n’est plus la voix de sa mère qui [leur] revient désormais [mais] la pauvreté [] la menace grandissante des cartels, le manque de ressources, la faim omniprésente. » (page 364)

Alors ils marchent, alors elles fuient, vers le nord, vers l’Amérique, dont l’auteure nous dit, dans une postface intéressante sur la genèse de son livre, qu’elle a dû apprendre à manier le mot avec pertinence le mot American. En effet, ce pays sans nom s’est approprié le nom du continent et à part les géographes et les Mexicains – et pour cause – personne ne les nomme États-Uniens ou Estadounidenses. Pourtant, comme l’affirme l’auteure, en reprenant un tag sur le mur-frontière à Tijuana, « Tambien de este lado hay suenos. De ce côté aussi, il y a des rêves. »

Un True Crime familial

Je ne sais si l’auteur a été chaviré au point d’abandonner la fiction (j’espère que non) pour s’adonner au True Crime (appelé par nos cousins québecois documentaire criminel), ces récits littéraires développant de véritables affaires criminelles. Ces livres se mutiplient comme les catastrophes naturelles mais il en est d’excellents (American Predator* de Maureen Callahan, En votre intime conviction** de Clémentine Thiébault…) et Une déchirure dans le ciel (A Rip in Heaven, traduit par Christine Auché) de Jeanine Cummins en fait partie (Philippe Rey, 2022, 366 pages, 21€).

* Il s’agit là de la reconstitution de l’arrestation du plus terrifiant des serial killers des EUA et personne ne connaît son nom : Israël Keyes. On ressort rincé, lessivé, frustré (je ne vous fais que les adjectifs se terminant en é) de la lecture de ce livre. La première règle de tout polar, expliquer tout au lecteur, n’est pas respectée et pour cause, ce n’est pas de la fiction, pire, c’est la réalité.

** Éprouvant et déstabilisant. Il ne tient qu’aux citoyens, aux citoyennes, d’entrer dans une cour d’assises ou un tribunal correctionnel ; les séances sont publiques. Allez-y, vous n’en reviendrez pas. Et ce qui ressort, au fond, c’est que si ce sont les hommes qui sont jugés, les femmes trinquent aussi. On pense aux comptes-rendus que faisaient Dominique Simonnot dans les colonnes de Libération. Alors, évidemment, comment s’étonner que le verdict énoncé, ça crie, ça pleure, ça cogne. Les hommes en prison. Les femmes à la maison. Et les gosses au milieu.

Sélection broblogblack Polars 2022

Un soir d’avril 1991, les deux cousines et le frère de Jeanine Cummins vont être agressés par quatre jeunes hommes sur l’Old Chain of Rocks, « inauguré en 1929 » et « partie intégrante de la mythique route 66 », le pont qui enjambe le Mississippi à la sortie de Saint Louis. Les deux jeunes filles vont être violées et jetées dans le fleuve. Tom, le frère de l’auteure, aussi devra sauter du pont mais lui seul survivra. Cet événement terrifiant nous est raconté par l’auteure, témoin et victime et va développer tous les thèmes propres à ces tragiques faits-divers : la violence déchaînée, la famille détruite et impuissante, la victime culpabilisée, la victime accusée (et qui n’a qu’un souhait : « J’ai besoin de savoir que quelqu’un me croit »page 191), la police dépassée, les journalistes vautours, la justice et son corollaire de la peine de mort…

Un livre cristal multi-facette

Une déchirure dans le ciel est « à la fois le récit d’un crime véritable et de l’autobiographie » (page 12). Car c’est un crime. Car « il s’agit de [sa] famille » : « Julie et Robin Kerry sont [ses] cousines. Tom Cummins est [son] frère. [Ce livre] est leur histoire » (page 13).

Une déchirure dans le ciel est l’histoire de gamins qui batifolaient, « oubliaient leur timidité et embrassaient les derniers vestiges de leur enfance » (page 19).

Une déchirure dans le ciel est aussi l’histoire de la misère et de la négligence (page 50), d’un garçon dont « l’avenir s’annonçait aussi sombre que son passé, et de toute façon, il ne voyait guère de différence entre les deux » (page 52), de quatre garçons qui redoutent « d’aller à la chaise » (page 89) mais dont l’un se vante : « Oui, dit-il en souriant de toutes ses dents. C’était moi » (page 138), d’un « gamin négligé, en colère, inculte et violent » (page 343)

Une déchirure dans le ciel est encore l’histoire des survivants : « La première nuit de leur nouvelle nuit était terminée » (page 220).

Une déchirure dans le ciel est un plaidoyer : « Nous oublions nos victimes » (page 357) écrit par une femme révoltée « qui [voulait] agir pour tenter de changer le fait que la place revenant de droit à Julie et Robin dans [la] mémoire collective soit usurpée par les voyous mêmes qui les [avaient] tuées » (page 358).

Une déchirure dans le ciel est enfin une réflexion sur la peine de mort : « … elle aliène encore davantage les familles qui ont déjà tant souffert. Parce qu’elle retourne le couteau dans la plaie. Parce qu’elle minimise le rôle des personnes qui devraient avoir le plus d’importance. Parce qu’elle donne aux meurtriers l’opportunité de porter un insigne qu’ils ne méritent pas – celui de la victime » (page 361).

Une déchirure dans le ciel est un diamant multi-facette. On y voit tant de choses qu’elles nous aveuglent.

Une déchirure dans le ciel est une plaie qui ne guérit pas mais dont le temps altère la douleur. Une déchirure dans le ciel est une lettre d’amour aux victimes. Je pense à J’étais Dora Suarez de Robin Cook et son roman en deuil. C’est à ce talent-là auquel je pense.

merci encore à Vali Izquierdo pour sa contribution alphabétic, qui, quand elle ne dessine pas enfile des perles avec talent, voyez plutôt.

À suivre…

et dans trois décades : la lettre D (1er octobre)

… La partie 1 sera dédiée, sans doute, au Dahlia noir (Le), Dammages, Del Arbol, Delestré, Der des ders (Le), Dexter et Dicker et s’enorgueillira de la contribution de François Guérif !

BACk in ABC (anomalies, oublis et remerciements)

J’avais promis que je ne le ferais pas mais vous savez bien que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent comme l’avait dit Super Jacquot en 1998. Relisez le tout début de l’article…

J’ai affirmé que PL ne parlait pas de Battisti si ce n’était pour le qualifier de journaliste. Pan sur le clavier ! Page 94 : « Carlotto coupable, pas coupable, les avis sont partagés ; l’affaire rappelle ce que fut, un moment, celle de Cesare Battisti. »

J’ai omis de signaler l’interview de Joëlle Losfeld par Corinne Naidet dans 813, n°141) qui évoque Jean Amila. J’aurais dû parler des Adaptations cinématographiques des romans, d’Aventures à petit budget de Christophe Delbrouck (La Loupiote), de Boccanera, l’héroïne de Pedinielli, de Harry Bosch (voir à Connelly), Brajkocic et son lumineux livre chez Rivages/noir (Chiens féroces), Blacksad intégré à Canardo, Busino notre Suisse, Bussi notre leader des ventes, Brunetti, le commissaire de Donna Leon (peut-être à la lettre V pour Venise), et comment ai-je pu oublier Camilleri ? (lire à M comme Montalbano, son héros), Christian Congiu, premier loupiot avec Théo, tueur de chats (La Loupiote) et Robert Crais… Le temps, la place, l’oubli…

Et comment ne pas remercier les contributeurs : Didier Daeninckx, Gérard Lecas, Pierre Faverolle (et bientôt François Guérif) ? Ceux qui encouragent : Boris Lamot, Pierre Faverolle, Olivier Thiébaut, Jean-Hugues Oppel, Hervé Delouche et Commère, JiBé (et) Baronian, Jean-Paul Guéry et Marc Villard. Ceux qui parlent du CDAP (Jean-Paul Guéry dans La Tête en noir, le plus vieux fanzine de polars) et qui le relais (813) ? Ceux qui le corrigent (François Guérif, 813) ? Et vous, qui le lisez ?

François Braud

écrit en écoutant London Calling des Clash

oui, je sais, il y avait Calogero mais bon…

20 réflexions sur “Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre C (3ème et dernière partie)

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