Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre F

Attention, vous pénétrez sur un site à prétention littéraire. Vous en connaissez les risques, vous en assumerez les conséquences.*

Bounané 2023 !

* Un livre est une promesse. À vous de la tenir…

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré : « Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime. » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

Si vous avez manqué le début… (ne manquez pas la fin au moins…)

C’est déjà du passé…

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

INVITÉ La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéanceAkkouche / Aztèques dansantsWestlake)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La)Jonquet / Battisti / Bête et la belle (La)Jonquet / Bialot / Bible)

INVITÉ La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black BlocsMarpeau / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une)Pouy / Brouillard au pont de BihacOppel / Bruen)

INVITÉ La contribution au CDAP de Jean-Bernard Pouy (auteur de En attendant Dogo), B comme Bruen.

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craquéDessaint / Cadavres ne portent pas de costards (Les) – Reiner / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuseGranotier / Chuchoteur (Le)Carrisi / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des ponCifs, Condor (Le) Holmas, Michael Connelly)

Lettre C, partie 3 / À télécharger, (John Connolly, Contrat, Cosmix banditosWeisbecker, Coup du bandeau, Couverture (4ème de), Critique, Cuba, Cummins et BACK in ABC).

INVITÉ La contribution au CDAP : C comme Connolly par Pierre Faverolles (blogueur blacknovel1)

Lettre D, partie 1 / Téléchargez ? (Dahlia noir (Le)Ellroy, DamagesKessler, Kessler et Zelman, Del Árbol (Victor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) – Daeninckx et DexterLindsay/Manos Jr)

La contribution au CDAP : D comme Dahlia noir (Le)Ellroy – par François Guérif (éditeur Rivages, Gallmeister)

Lettre D, partie 2 / À télécharger, ici (Dicker Joël / Dictionnaire Amoureux du Polar (Le) de Pierre Lemaitre / DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède / Divulgâcher, Donneur (Le) Akkouche / Doyle (Conan) / Drôles d’oiseaux Camus.

INVITÉ La contribution de Frédéric Prilleux au CDAP (auteur et spécialiste BD polar, blogueur bedepolar) : D comme Dredd (Le Juge)

Lettre E / Cliquez pour télécharger (Edogawa Ranpo, Encrage, É(L’) ou le polar lecture facile et Excipit (et incipit)).

IINVITÉ La Contribution d’Éric Libiot (journaliste écrivain – Clint et moi, On a les héros qu’on mérite) au CDAP avec le E de La Disparition de Perec et Echenoz.

Lettre F

SOMMAIRE

1. Le F par Pierre Lemaitre

avec

Le coup de cœur : Fantômas

Le coup de griffe : Fantômas

Le coup de plume : Le Facteur sonne toujours deux fois

Le coup de corne de brume : Marcelo Fois

2. Le F par François Braud :

Au programme du F : Fanzines, Fausse piste (James Crumley), Faux roman policier, Festivals, Fight club (Chuck Palahniuk)

F par PL (Pierre Lemaitre)

Le coup de cœur

antastique !

PL parle du personnage (pas de l’écriture des auteurs, voir coup de griffe) : « … leur personnage, Fantômas, est exceptionnel, visionnaire. » (p.226)

« … de la revanche sociale… »

Né en 1911, de la collaboration de deux hommes, Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas est moderne : « sadique, cynique, cruel, ce personnage excelle bien des traits qui nous ravissent chez ceux des polars contemporains. » (p.225) Trente-deux volumes publiés entre 1911 et 1913 jusqu’au décès de Pierre Souvestre, qui meurt d’une congestion pulmonaire, plus 11 volumes supplémentaires écrits par Allain. Antihéros criminel, sans visage, poursuivi par le commissaire Juve et le journaliste Charles Rambert alias Jérôme Fandor, Fantômas est amoral jusqu’à l’impossible, « refuse toute contrainte sociale » et va jusqu’à assassiner « son compagnon d’armes, le Bedeau, lors du dernier épisode » (p.227) révèle un PL ravi de telles décrépitudes, d’une telle veulerie. Il y a, pense PL, de quoi, dans cette série, effrayer le bourgeois (« les fantasmes d’une Belle Époque obsédée par les Apaches, les crimes urbains, la précarité de la stabilité sociale… ») et épater le populo (le recyclage des faits divers) mais sans doute aussi « quelque chose de l’ordre de la revanche sociale » (p.228), ce qui n’est pas pour lui déplaire. Comme à de nombreux autres talents, les surréalistes, notamment, mais aussi Queneau, Cocteau, Malraux (je ne vous fais que les noms se terminant en « o »). PL finira par regretter que « le mythe Fantômas [n’ait] aujourd’hui effacé les romans » au profit de ses adaptations cinématographiques dont celles avec De Funès et Marais dont on sent bien qu’en les citant il soupire. « Le personnage de Fantômas maléfique était mort. Fantômas était rentré dans la norme. »

Le coup de griffe

atalement, une médaille a son revers et celle de Fantômas est bien astiquée.

« … écrit avec le pied gauche… »

À tous seigneurs, tout le déshonneur : « … écrit avec le pied gauche… » (p.225), « la légende (…) assure que les auteurs se seraient réparti les chapitres pairs et impairs. C’est (…) possible, les pairs ne sont pas mieux écrits que les impairs. » (p.226) On s’attend même à ce que PL suppose qu’un écrivait les consonnes l’autre les voyelles mais cela ne peut pas tenir, pensez, « trente-deux volumes entre 1911 et 1913 ». En revanche cette hypofertilité virale va peser sur l’avenir du genre naissant : « Par sa sérialité, Fantômas a été parmi les premiers livres participant au discrédit littéraire du polar… »et on sent que l’adjectif « industriel » pointe le bout de son museau, tiens, qu’est-ce que j’écrivais : « … la production industrielle de grande consommation sera la source inépuisable (jusqu’à Simenon) d’une critique rejetant ce genre aux frontières de la littérature. » (p.228)

On comprendra que le projet était révolutionnaire mais que les moyens utilisés pour le réaliser plutôt d’ancien régime. Une excellente idée très mal utilisée. Un bijou pas encore bien taillé. Une espérance qui a fait plus de mal que de bien. On l’aura compris : « Chez Souvestre et Allain, littérairement, tout est mauvais. » (page 226)*

* C’est ce qu’on serait tenté de dire aussi d’Alias, série imaginée par un auteur de talent Serge Quadruppani et conduite par lui-même (Je pense donc je nuis) et des collègues comme Max Morora (quel pseudo !), Jean-Pierre Bastid, Nicolas Grondin, Alexandre Dumal, Mathieu Imoret-Fall… Héros négatif, @lias dit Alban, dit Le Fossoyeur, dit Psychotronik camoufle sa réelle identité, a pour coûteuses passions le vandalisme et la débauche, est ennemi de toutes les bonnes causes, vole la veuve et dépouille l’orphelin, ne souhaite qu’une chose : plonger le monde dans le chaos et hait les résignés. Quel programme ! La série eut le succès qu’elle méritait disent certains : l’ignorance. Elle n’est pas référencée par Claude Mesplède dans son DILIPO… et a été uppercutée par Johnny Boxeur (alias Jean-Jacques Reboux) dans Caïn n°24 (Hiver 97/98, pages 51 à 55). Le n°2 de la série (La vengeance et l’extase de Morora) est « de la gerbe en continu. De la gerbe qui tache, et qui laisse des traces bien brunâtres. » Ainsi un personnage, prénommée Sasmira, « est violé[e], on lui coupe la langue, la tête, on l’éventre, on la découpe à la tronçonneuse… » et « … quelques pages plus tard, quand le snuff movie tiré du calvaire de Sasmira est envoyé à ses copines« , ces dernières sont présentées ainsi dans le livre : des « gouinasses de [ta] bande de négresses en chaleur » dont nous dit JB que « certaines finissent gazées au Zyklon B dans la cave de leur cité (p.77). » Et Johnny Boxeur d’enterrer la série : « …@lias, laissé pour mort et finalement embarqué dans une benne à ordures, se réveille englouti sous un tas d’immondices, dans un endroit qu’il n’aurait jamais dû quitter : la décharge municipale. » Sacré Jean-Jacques, Johnny Boxeur nous manque autant que toi…

Le coup de plume

Un « paradigme du roman noir« 

adaise ! Voire forfaiture… Ce bon Chandler avait parfois les carreaux sales et Raymond bourrait sa pipe de je ne sais quoi. Comment expliquer autrement cette saillie sur le roman de James Caïn, Le Facteur sonne toujours deux fois ? C’est un « rebut de la littérature, non pas parce qu’il écrit des choses répugnantes, mais parce qu’il le fait de manière répugnante. » ? (page 223) PL craint « que Chandler ne soit complètement passé à côté » de « ce paradigme du roman noir des années 1930 à 1950. » Et il est vrai que c’est vite oublier le talent qu’avait Cain, journaliste de métier (James Cain, Soixante ans de journalisme, Rivages, Écrits noirs, 2005, 329 pages, 21€) qui s’essaye à la nouvelle en 1928 avec Pastorale, l’histoire « des problèmes auxquels deux amants qui projettent de commettre un meurtre se retrouvent confrontés. » Suivront deux autres nouvelles en 1929 et 1933 qui feront dire à Cain qu’il n’est pas fait pour écrire à la troisième personne mais le succès étant là, il va gagner « la confiance dont il a besoin pour s’essayer au roman. Ce qui nous amène au Facteur sonne toujours deux fois. » (page 17)

Qui rebute Chandler. Il n’y a sans doute vu que l’histoire d’une femme fatale, oubliant « sa dimension sociale » : « …. Franck et Cora, en développant une relation bestiale, passionnée, violente, forment un couple à tendance sadomasochiste où celui qui est mû par ses pulsions sexuelles est manipulé par celle qui agit pour assouvir ses ambitions sociales. »

Mais fallait-il s’étonner de cette envolée bassement assassine de la part d’un homme qui affirmait que le polar était « destiné à un public à moitié lettré » ? D’un autre côté, PL écrit, dans un article du monde en 2013 : « S’il avait réussi ses polars, on n’en parlerait peut-être plus. » C’est, selon lui, la quintessence du roman noir par quelqu’un qui a « rarement réussi à bâtir une bonne histoire ».

Alors bon hein. Pour la leçon, on préférera l’avis de Guérif : « Le Facteur sonne toujours deux fois est un chef d’œuvre qui n’a jamais été dépassé. » Car, of course, on sait bien comment est chaussé le cordonnier aussi, ne va-t-on pas demander à un auteur de jouer au critique… si ?

Le coup de corne de brume

La Sardaigne : « une périphérie coloniale à exploiter » ?

ourbir des arguments pour dynamiter notre vieux monde pourri pourrait être le credo de Marcelo Fois. Ce n’est pas un inconnu mais il est dans l’ombre. Pas seulement parce qu’il ne vend pas des palanquées et ne constitue pas de piles à la FNAC (que Marc Villard aime à bousculer par pure vengeance contre l’esprit mercantile d’un goût surfait) mais surtout parce qu’il brouille les frontières : « Je ne suis pas certain qu’on soit encore dans le polar, c’est sombre, mais il n ‘y a pas d’enquête cette fois. » (page 240, à propos de La Lumière parfaite – 2017, Seuil, traduit par Jean-Paul Manganaro).

Aussi PL le met-il en avant. Pour sa Sardaigne natale (il y est né en 1960) qui reste le cadre de la plupart de ses livres, comme « sa trilogie historique dite « Bustianu » [qui se déroule] à Nuoro (…) à l’aube du XXème siècle. » (page 237) Bustianu, « avocat méditatif aux convictions généreuses » enquête dans une Sardaigne du « terroir » méprisée comme « une périphérie coloniale à exploiter » par une Italie métropolitaine centraliste. Cette œuvre, rappelle PL, est « beaucoup plus politique qu’on ne pourrait le penser de prime abord. », notamment Les Hordes du vent. Et ça, ça intrigue, ça accroche, ça interpelle. Sa force résidant à faire du neuf avec du vieux en quelque sorte ; « Bien qu’elle soit située dans le passé, cette trilogie évoque en creux les enjeux contemporains des rapports entre Sardaigne et Italie continentale. » Pour son jugement sans concession des maux de son pays : « La Sardaigne apparaît comme le symbole des travers de l’Italie contemporaine », et de citer : « corruption, détournement de fonds, collusion politico-mafieuse, spéculation immobilière, terrorisme… » Pour ses particularismes aussi : « rites, omerta… »* PL conseille donc des ouvrages plus contemporains mais tout aussi incisifs que ceux de la trilogie Bustianu : Un silence de fer, Plutôt mourir et Ce que nous savions depuis toujours. Enfin pour sa propension à mêler le réel dans l’étrange avec ses Petites histoires noires (nouvelles).

Si avec tous ces arguments vous n’ouvrez pas un livre de Marcelo Fois, à quoi ça sert que PL il se décarcasse ?

* Ceux et celles qui sont en manque de Sardaigne doivent lire Pulixi.

F par FB (François Braud)

inalement, le F n’est guère beaucoup plus fourni que le E : 9 notules. 2 titres : Facteur sonne toujours deux fois (Le) et Fleuve des ténèbres (Le), 1 personnage, Fantômas et 6 auteurs : Férey, Fernandez, Fois, Freeling, Fronsac, Fruttero & Lucentini.

Je suis souvent raccord, voire d’accord avec les choix de PL mais là, ce n’est pas que je sois en désaccord (ni bâbord ni tribord) mais plutôt fort lointain de lui tant ses choix, je ne les aurais pas fait par méconnaissance : Je connais Grady mais n’ai pas lu Le Fleuve des ténèbres, Fantômas m’est souvent, du moins les rares fois où j’ai essayé, tombé des mains (même si j’ai ri parfois, quand une fois, je cite de mémoire, Fantômas, enchaîné dans une malle dans un train qui tombe d’un pont dans une rivière – j’exagère à peine – reprend sa course effrénée du Crime dans le feuilleton suivant grâce à une astuce dont Allain et Souvestre ne sont pas privés : « Fantômas, se sortant de ce mauvais pas… »), je ne connaissais Ferrandez pour son travail à Alibi sans avoir lu le moindre de ses romans, et Freeling, Fruttero & Lucentini, Fois que de nom et je découvre Fronsac.

Il est donc évident que mon choix aurait validé le roman noir de James Caïn et, évidemment le travail de Caryl Férey. Ce dernier, je l’ai croisé dans des festivals, dans les années 90 quand il débutait chez Balle d’argent, un éditeur rennais. Il avait déjà cette soif de noir qu’il éclusait en trinquant à Crumley et en citant Djian et il avait la bougeotte. On sait ce qu’il en advint. PL l’évoque très bien : « ethnopolar« , la « violence cathartique« , « écrivain baroudeur« , « réquisitoire contre le fascisme ordinaire » (pages 229 à 233). En revanche, ce que PL oublie, c’est sa face noire, celle qui colore le bandeau que son héros irlandais Mc Cash a sur l’œil. Le droit. Le gauche lui est encore vif. Normal. « Mc Cash venait d’avoir cinquante ans et, comme beaucoup de cyniques, ne parlait plus qu’à lui-même. » (1) « Un tendre au cœur dur qui confondait la défense et l’attaque. » (3)Trois romans dépeignent les aventures de ce flic (ex) (néo) borgne, à l’œil fou, à la prothèse qui pleure, père affublé d’une fille, lecteur de Nietzsche, carburant à toutes les drogues possibles, et s’il faut commencer à l’apprivoiser autant que ce soit avec le premier, Plutôt crever (1) (Série noire n°2644) dans lequel Alice et Fred, traqué par Mc Cash, fuient en Bretagne avec une boîte dans laquelle il y a un flingue (dont une balle a servi à flinguer un député) et les Mémoires de Lacenaire. Merci du cadeau. Surtout que le propriétaire, Martial, basque et accessoirement terroriste, veut le récupérer… Suivront La jambe gauche de Joe Strummer (2) – n°467 et Plus jamais seul (3) – n°885 (tous réédités* en Folio policier). Écrits entre 2002 et 2019, ils développent tous une unité d’émotions, une langue qui claque et fouette et l’humanité qui reste encore quand on a tout pris sur la gueule et qu’il ne reste qu’une seule solution : partir « loin d’ici où » crèvent nos « fantômes » (3). C’est vous dire si j’aime…

* il semble que La jambe gauche de Joe Strummer soit un inédit publié directement en Folio

Cependant, ce Férey-là aurait été bien accompagné dans ma lettre F. Lisez plutôt…

Fanzines

outraque. Fagoté comme une photocopie trop sombre. Le Fanzine est souvent considéré comme un brouillon. Et c’en est un. C’est fait avec quatre francs six sous ou deux euros trois centimes, à la main et au feu de bois, ni à faire mais fait quand même. Et bien on a raison. C’est un peu comme les premières parties dans les concerts, on regarde amusé dédaigneux en attendant que ça démarre. Et bien on a tort.

Le fanzine, c’est le crapaud là où la revue fait le bœuf. Le crapaud est cet animal injustement méprisé qui fait le ménage dans le jardin : il avale les vers, les cloportes, les limaces, les mouches, les araignées… Le fanzine s’ouvre à sa passion et fait le travail de sape comme le petit éditeur courageux de province, il découvre, met en avant, encense, ensemence, arrose, désherbe, bine, bine, bine.

Fanzinoland

Petit tour en fanzinologie avec tous les aléas que cela comporte : dates floues, sommaires confus, créateurs trices oublié.e.s, parution aléatoire, existence actuelle non confirmée, bref, vous rectifierez de vous-même et/ou en informerez bbb qui publiera rectificatif sur rectificatif…

Et quelquefois, il pousse tant qu’à la fin il fleurit et tout le monde trouve ça beau. Caïn, deux trois photocopies, agrafées, illustrations collées à la colle Cléopâtre à la parution épisodique irrégulière (numéro 0 en 1988, numéro 28 en 2002) termina chez Baleine et au Seuil avec un dos carré collé, mis en page par des pros, illustré par des caïds (salut Urbs, Jean Annestay et Maud Lenglet) et dépassant allégrement les 220 pages… J’en ai déjà parlé .

Un qui fait peu parler de lui et c’est dommage, il n’a pas que sa longévité à mettre en avant, c’est La Tête en noir de Jean-Paul Guéry. Au départ gratuit en échange d’un timbre, on le trouve désormais en version numérique.

Il y avait aussi L’indic, plus revue que fanzine dès le départ mais qui vient de fermer le ban récemment pour des raisons bassement économiques (le prix du papier) et hautement raisonnables (faire autre chose). Créé en 2008 par Caroline de Benedetti et Émeric Cloche, édité par l’Association Fondu au noir, chaque numéro avait un thème (n°21 : La religion, dans lequel j’avais parlé de Ken Bruen et vous savez comme je suis, dès qu’il s’agit d’évoquer le plus grand auteur de romans noirs vivant, je ne me gêne pas et c’est pas Pouy qui s’en plaindra, hein ?).

Je vous demanderai de ne pas applaudir…

Qui se souvient de La Mandragore verte ? Le numéro 1 est paru en 1998 et le fanzine avait l’ambition de travailler l’histoire et la critique du genre (polar et SF). Créée par Nathanaël Tribondeau, le fanzine était riche en articles, critiques, dessins, photographies. Je n’en ai pas retrouvé d’exemplaires dans mon fouillis qui me sert de bibliothèque mais je n’en ai pas oublié le ton et la précision. Le Carnet de la noir’rôde ? Animé par Corine Naidet (qui préside 813 aujourd’hui) et Jacques Lerognon, il recense les coups de cœur du trimestre depuis 1996 (fin en 2020). Mauvais genres ? Le fanzine brestois (pas l’émission radio) édité par l’association mgrd, à partir de 2002, chroniquait romans noirs, polars, fantastiques, science-fiction fantasy et bande dessinées. L’Ours polar ? Phagocyté (1998-2009) par l’ex libraire, l’ex éditeur et le « néo » blogueur (milieu hostile) Christophe Dupuis, il excellait dans la concision et a compté jusqu’à plus de 200 abonnés ! La Vache qui lit ? Du regretté Serge Vacher, qui, contre un timbre, vous proposait un édito très personnel et, en 3 pages A4 pliées en 2 en envoyées à l’aide d’un timbre vert, des critiques, des comptes-rendus de conférences, des entretiens, des bibliographies, des infos.

Si vous cherchez un peu, pas loin de chez vous, il y peut-être un fêlé, une siphonnée qui, seul ou seule, voire à deux, avec une asso, une bibliothèque tente, chaque mois, chaque trimestre, quand il peut, quand elle a le temps, de faire vivre une passion en proposant quelques feuilles « mal ronéotypées » mais bourrées d’envie de vous faire lire « ce genre que nous aimons« . Le fanzine se perd, le blog fleurit mais la passion est la même…

Fausse piste de James Crumley

allait-il que PL soit aveugle pour avoir oublié dans son DAP James Crumley ? Impardonnable. Comment passer à côté de ce monstre sacré du Montana capable de décrire en une phrase une nuit d’ivresse : « Une voiture pleine d’ivrognes passa en hurlant sur le pont de Ripley Avenue, puis descendit en trombe par la rampe juste au-dessus de nos têtes, fuyant dans la nuit par les rues noires et trempées, vers le bercail ou vers un autre bar plein de lumière joyeuses et de musique et de danse et de femmes en sueur aux yeux brillants et aux lèvres comme des pétales de rose fanées. » (page 159)

« Mes jours contre vos nuits. »

Fausse piste est le premier roman mettant en scène Milo, privé, alcoolique drogué, deux ex-femmes, un gosse qu’il ne voit pas (élevé par son beau-père flic) des parents alcooliques décédés et éventuellement privé en attendant de toucher un héritage, celui de son grand-père, bloqué jusqu’à ses 53 ans. Après avoir été flic puis fait dans le divorce photos d’adultère à l’appui, le voilà au chômage du fait de l’arrivée sur le marché de la séparation par consentement mutuel. Aussi va-t-il accepter d’enquêter sur la disparition de Raymond Duffy, le frère d’Helen, une rousse incendiaire, fausse candide, qui préfère ne pas (… le dire…. « Si ça ne vous ennuie pas. » page 32) à qui il propose ses jours en échange de ses nuits. « Je crains de ne pas comprendre ce que vous voulez dire. » lâche-t-elle en partant. Envoyée par son ami Dick, il avoue « ne pas avoir réussi à se mettre d’accord sur [ses] honoraires. » Pourtant, il va, pour se faire pardonner, se lancer à la poursuite du frère. Cela lui donnerait l’occasion de reparler avec elle.

Énoncée ainsi, l’intrigue apparaît claire comme de l’eau de seltz mais le cocktail est compliqué (« Je ne lisais même pas de romans policiers parce que je les trouvais trop compliqués. »page 301) tant les personnages pullulent dans ce roman de l’humanité des sans grade qui essayent de trouver un billet, des buveurs qui essayent de trouver un verre, des flics qui essayent de faire leur boulot, des drogués qui essayent de trouver de quoi se, des hippies aux cheveux longs qui essayent de vivre comme ils le souhaitent et un privé qui essaye de tuer le temps jusqu’à ses 53 ans, de se rattraper de son humour alcoolisé, de ne pas se laisser marcher dessus et de comprendre ce qui est arrivé à Raymond Duffy et pourquoi il est autant attiré par sa sœur Helen. Ses yeux verts ?

Fausse Piste de James Crumley illustré par Chabouté (page 371), Gallmeister

Le cœur fendu

Fausse Piste de James Crumley illustré par Chabouté (page 389), Gallmeister

Fausse piste est un grand roman qui coule du début jusqu’à la fin, night and day, comme une gorgée d’eau fraîche en plein été, c’est fluide et ça irrigue tout votre être. C’est aussi frappant qu’un uppercut et sec comme un whiskey sans bière. Enivrant.

Tout sent mauvais dans ce roman : les bas sont cradingues, les hôtels miteux, les fermes crottées, les rues de Meriwether sales, les hippies chevelus, les alcoolos vomissants mais l’écriture est lumineuse (quel souffle !) et, surtout, le portrait de cette humanité d’une tendresse à fendre le cœur. S’il est un écrivain des petites gens, des sans-dents, du bas peuple, des drogués paumés, alcoolos écorchés, hippies allumés, des flics cafardeux, des patrons de bars humanistes, des fermiers violents et autres sans grade perdus, c’est bien James Crumley.

Des perdants magnifiques

Tout est tordu chez Crumley ; le désir, la honte et la soif. Il n’y a plus rien. Plus rien sauf le bonhomme et son écriture, limpide, irrévérencieuse et acide. Comme la rosée du matin, elle se dépose sur chaque brin d’herbe comme s’il était unique. James Crumley laisse le lecteur pantois, la lectrice essoufflée comme s’il écrivait pour eux. Pour nous. Enfin.

Entrer dans un Crumley c’est voyager dans la défaite des sentiments, c’est parcourir les ratés de la vie, c’est mélancoliser l’Amérique des grands espaces.

Fausse Piste de James Crumley illustré par Chabouté (page 235), Gallmeister

Le lire, c’est tenter de comprendre pourquoi et comment la machine s’est déglinguée. Le noir est définitivement la littérature des perdants magnifiques.

Après Fausse piste, on peut enchaîner sur La Danse de l’ours ou sur un autre avatar de James Crumley, C.W. Sughrue avec Le Dernier baiser (traduit par J.M. et illustré par Thierry Murat (même éditeur, Gallmeister).

Fausse piste (The Wrong Case) James Crumley est traduit par Jacques Mailhos et illustré par Chabouté (Gallmeister, 2016, 397 pages, 23€50) et préfacé par Caryl Férey.

Faux roman policier

« Il a fait son boulot » *

* épitaphe souhaitée par Jim Harrison

inalement quel est l’intérêt de cette formule ? De la mettre en avant ? Attention, c’est un faux roman policier ! Est-ce histoire de ne pas se mélanger à un mauvais genre ? Ou à l’inverse le dépasser : c’est bien plus qu’un roman policier, attention !

Peu importe car au final, l’ingrédient est là. On peut appeler une frite une tubercule parmentière parallépipédique saisie à l’huile mais c’est toujours de la patate à la base.

J’ai eu l’idée de cette notule et de ces interrogations il y a des années quand j’ai lu Grand Maître (The Great leader) de Jim Harrison (traduit par Brice Mathieussent) car sous ce titre figuraient les parenthèses encerclant la formule (faux roman policier) – (a faux mystery).

« Les hommes pleurent souvent en silence, mais rarement en faisant du bruit. » (page 392)

Dans ce qui va rester son avant-dernier roman (écrit en 2012, Harrison meurt en 2016*), Big Jim s’adjugeait un dernier double, l’inspecteur Sunderson, qui, à quelques semaines de la retraite (« Soixante-cinq ans, c’est soixante-cinq ans. »page 34*), s’acharne à faire tomber un gourou se faisant appeler Grand Maître. Ce ne sera pas facile attiché d’une gamine de 16 ans, Mona, légèrement exhibitionniste et chargé comme il peut l’être d’alcool. Peut-on être obsédé par une quête quand on pense qu’à la sienne (sa qué quête) qui tourne autour des plaisirs de la chair, de la table et du coude ?

* On couche toujours avec la mort, non ?  » Une fois morts, nous ne sommes que des histoires dans l’esprit d’autrui. » JH, in La Route du retour, cité par François Busnel dans Jim Harrison, Seule terre est éternelle (Gallimard, 2022, 255 pages, 35€)

Loin de Chien Brun, dont l’orignie indienne est douteuse, même pour lui, ce double qu’Harrison ne sera jamais tant il est passé, selon lui, à côté de la défense des Natives, de Dalva, évidemment, ou des héros de sa jeunesse qui aimaient faire sauter des ponts (Un bon jour pour mourir) et les femmes (Nord Michigan), Sunderson ressemble comme deux gouttes de whiskey à Jim Harrison et ce dernier peut ainsi se laisser aller, camouflé derrière son doigt ou son stylo (il écrivait ainsi puis envoyait ses textes à une secrétaire qui les lui tapait), à quelques saillies intéressantes, comme ce qui nous préoccupe ici : « Sunderson ne s’intéressait nullement aux romans policiers, ces livres pour enfants qui égrenaient les recettes du chaos…. » (page 19**) Cette mise en abyme et cette invitation (à ne pas être dans un roman policier) sont, à mon avis, de la provocation du genre, ne venez pas m’emmerder si l’intrigue je m’en bats les synapses et le suspense je me le mets derrière l’oreille : « Xavier sourit et pointa l’index sur Sunderson comme un pistolet. » – page 223**.

** Grand Maître (faux roman policier) – The Great leader (a faux mystery), traduit par Brice Mathieussent, J’ai Lu n°10660, 2016, 414 pages, 7€60). Il y a une autre aventure – le dernier (Eh monsieur Richard, le dernier pour la route ?) « roman de Harrison – de Sunderson, Péchés capitaux (The Big Seven, traduit par BM, 2015, J’ai Lu n°11628, 350 pages, 7€60), dans lequel Sunderson se fait conseilleur littéraire pour un voisin, Lemuel, qui s’entiche de l’idée « de devenir auteur de romans policiers » (page 76) tout en macérant sa vengeance envers son frère Tom qui a tué sa nièce Lily : bienvenue dans la famille Ames, les voisins de Sunderson… Encore un faux roman policier (c’est à nouveau indiqué sous le titre mais pas dans l’original) mais un vrai roman noir burlesque.

« Le crime n’a aucun intérêt« 

Car, le plus souvent, quand ces deux états, binôme majeur du roman policier, font défaut mais que tout le reste y est, c’est qu’on est dans un roman noir écrit par un mineur de fond, de ceux qui creusent encore une fois que le livre est refermé la plaie jamais guérie des maux de l’humanité, en Amérique, le triumvirat sexe pouvoir et religion. Si ça ça n’est pas intégré par « notre objet de passion », y a plus qu’à se mettre au feelgood…

Ou alors relire la page 352** de Grand Maître :  » Comme on pouvait s’y attendre, les chaînes de télé, les journaux et, j’imagine la plupart des écrivains, se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le crime n’a aucun intérêt, il est affreusement prévisible. Rien n’a changé depuis que Caïn a tué Abel. La cupidité, la jalousie, l’instabilité mentale et les problèmes économiques en sont depuis toujours les principaux ingrédients. La religion n’est pas en reste. Aujourd’hui, l’abus de drogue et le désespoir moral épaississent encore la sauce. Le seul intérêt réside dans les circonstances et non dans l’acte lui-même, et ne concerne pas forcément les gens directement impliqués. Les témoins racontent rarement la même histoire. Pour n’importe quel inspecteur, indépendamment de la géographie, une enquête de police implique des heures d’insupportable ennui, parfois entrecoupés d’instants excitants tels qu’on en chie dans son froc. Ces derniers permettent aux junkies de l’adrénaline de rester dans la course. »

On a la même impression, plus nuancée certes, avec Le nom de la rose d’Umberto Eco (ne me dites pas que le génial sémiologue italien a écrit ce pavé pour simplement s’amuser avec Guillaume de Baskerville ? Le titre provisoire, titre de travail, était L’abbaye du crime mais Eco voulait absolument le dépasser afin de ne pas être totalement limité à l’intrigue policière, il avait donc bien d’autres vues… comme celle de montrer le combat d’un homme contre l’obscurantisme et la force du rire : deux cartes majeures du roman noir). Mais aussi surtout avec les livres de Ravey (Adultère), Echenoz (Vie de Gérard Fulmard), Almendros (Faire mouche) ou Vieil (Paris-Brest) (et je ne vous fais là que les auteurs des Éditions de minuit). L’ambiance est là, l’intrigue se noue mais la dénouer semble le souci mineur de l’auteur, le suspense est sacrifié au nom du style et ces faux romans policiers sont ce que le Canada Dry est à l’alcool* : ça en a le goût, la couleur mais pas le degré. Ce sont, sans doute, de faux romans policiers**, mais de vrais romans noirs. Comme le dit Joyce Carol Oates en 2005 : « Un roman noir ou policier, c’est l’élaboration d’une énigme dont la résolution est invariablement moins captivante que l’énigme elle-même. »*** J’approuve si ce n’est qu’elle aurait dû ne garder que l’adjectif noir et oublier celui de policier qui, à mon avis, s’intéresse plus à la résolution qu’à l’énigme… Je reparlerai de cette grande dame du noir que les cravatés de Stockholm attendent sans doute de voir mourir pour lui décerner le Nobel, comme pour Philip Roth

* vieille publicité

** à l’inverse quand c’en sont de vrais, comme Fausse balle (Série noire n°2295Squeeze play, traduit par Lili Sztajn, 1992, 278 pages) de Paul Benjamin (alias Paul Auster), ils en ont tous les codes mais ils sont bien en-deçà ceux, du même auteur, qui n’en sont pas mais qui, en fait, en sont plus que ceux qui affirment en être. Vous me suivez ? C’est en abandonnant les vieilles badernes du policier que le roman devient noir… Mais ne lisez pas ce que je n’ai pas écrit. Fausse balle est un bon roman mais il n’arrive pas à la cheville de la trilogie new-yorkaise, c’est tout.

*** Joyce Carol Oates présente Moisson noire (Les meilleurs nouvelles policières 2008), Rivages/Thriller, 2008,421 pages, 23€

Festivals

aut-il remonter aux calendes romaines* pour évoquer ce morceau héroïque annuel auquel répondaient des centaines de passionné.e.s en chargeant leur foie tout en délestant leur portefeuille en espérant dénicher la pépite pour compléter une collection, la dédicace de tel dieu ou de telle divinité ou pour tout simplement se sentir chez soi ?

* j’ai lu je ne sais où qu’elles n’étaient pas plus grecques que les frères Gracques.

Le Festival, c’est un peu, au lecteur, son acte de bravoure, à la lectrice, sa médaille militante accrochée à ses yeux brillants, leur moment de gloire, leur Mont Valérian, leur déclaration d’indépendance face à la blanche. Elle y va comme on allait à confesse, il s’y rend comme au bordel, par nécessité. On se reconnaît d’une année sur l’autre comme dans un camping des Landes, avec les emplacements numérotés des éditeurs, la piscine bar, la réception et les allées encombrées.

Cinq nazes

Le plus ancien* que je connaisse était celui de Reims. Créé en 1979 (invité d’honneur Robert Bloch) par (notamment) par les deux Jacques, Baudou (animateur), créateur de l’OULIPOPO (OUvroir de LIttérature POtentielle POlicière) en 73, d’Énigmatika en 75, et Darolles (directeur), le Festival du roman et du film policier va connaître huit éditions. Délocalisé à Grenoble en 1987, 88 et 89, j’y suis allé, en 88, une première fois avec celui qui m’avait intronisé en série noire avec Le Der des ders de Didier Daeninckx (Christophe) et celle qui allait devenir la mère de me filles (Cathy) et une seconde fois en 89 avec mon frère Fabrice. C’est, je crois, autour de ce Festival qu’est née l’idée de bâtir un Festival du Polar à La Roche sur Yon (cinq éditions entre 1989 et 1995 – 88, 90, 91, 93 et 95) au moment même où à Saint Nazaire Sylvette Magne et son association montait Le Festival du Crime (10 éditions de 88 à 97 dont les dernières seront rebaptisées Délits d’encre pour ne pas vexer les plus prudes notables et notaires du coin). Ils se sont multipliés à cette époque et il était rare de trouver un ouiquende sans. C’est vous dire si j’ai voyagé à Vienne, Mauves, Paris, Lamballe, Aubervilliers, Bergerac, Corbeil-Essonnes

* le plus étonnant est sans doute Le Festival de la couille – voir plus bas à Fight Club

Aujourd’hui, ils sont légion (romaine toujours). Certains essèment autour de leur cité, d’autres sont devenus des ogres de programmation (Lyon et son Quais du polar, le FIRN de Frontignan…) et il est rare de ne pas avoir, dans toute manifestation littéraire digne de ce nom, un invité un débat, une exposition « polars » (Impressions d’Europe à Nantes a son débat que j’ai eu l’honneur de modérer de nombreuses fois). Si vous êtes en manque ou curieux de voir comment ça marche ou intéressé par la chose, je vous conseille d’aller mater le calendrier des manifestations de l’ombre qui sont mises en lumière par l’association 813, .

« Pour tout bagage on a vingt ans« 

Des souvenirs j’en ai en pagaille. J’ai tant applaudi au spectacle présentant la pièce de théâtre Un privé à Babylone peut-être parce que j’avais dormi la plupart du temps du spectacle, il fallait bien que je me rattrape, je revois Vargas montant dans un arbre pendant un discours au Festival du crime de Saint Nazaire, elle portait un tee-shirt marin et un jean, j’entends Ellroy hurlant comme un loup à Grenoble pendant qu’il me dédicaçait un roman, souiris en repensnt à Pascal Dessaint, Jean-Hugues Oppel et moi-même, hennissant des chansons de nuit et buvant de… l’eau un soir de festival quand tout était fermé, me souviens des membres du groupe Casse-Pipe s’enivrant avant leur concert à La Roche sur Yon sous le prétexte que le bar leur était gratuit, « t’aurais pas dû », me glissant un des musiciens, me remémore Pouy et Guérif s’engueulant à propos d’un texte de Lebrun au Mans (Les 24 heures du livre) où Caïn, la revue reçut le Trophée 813 Maurice Renault et que la plupart des protagonistes de la revue (sur laquelle il fallait garder l’œil !) dormaient encore (11 heures, c’était le milieu de la nuit), me rappelle des auteurs venant en voiture en 95 au Festival du Polar de La Roche sur Yon pendant les grèves de la SNCF et mon frère soutenant les grévistes devant la presse, ris en pensant à Pennac enlevé par Syreigeol pendant toute une journée, moins à Jonquet s’enfuyant le samedi soir avant un débat le dimanche, et pense avec émotion à un autre débat, plus ancien, payant (!), où il y avait plus d’auteurs et d’organisateurs que de public tandis que Cook expliquait que quand il pleuvait dans ses romans noirs c’est qu’il pleurait sur sa machine à écrire…

Un festival, c’est l’occasion de rencontrer des écrivains, de discuter avec des auteures, d’acheter le dernier dédicacé de, de décerner un prix (qui n’a pas son prix du polar ?), d’éditer un recueil (de nouvelles), d’écouter les spécialistes pérorer sur et les modérateurs modérer, de boire un verre avec, de partager une cigarette avec, de vivre un moment hunique mais attention à votre foie, vos poumons, vos yeux (comm’ des lucarnes), votre cœur (comme un tambour) et votre portefeuille. Je vous aurais prévenus.

Le festivalier

Si vous passez outre mon conseil hygiénique et financier, vous allez en être. Un ou une. Un festivalier. Une festivalière. « Une race à part » écrivait Olivier Thiébaut dans Les Visiteurs du Noir (le départ), recueil édité par La Loupiote à l’occasion du Festival de Granville de 1998*. Il avait tout compris d’eux, tout saisi d’elles, il faut dire qu’il en faisait partie, il s’est un peu rangé des voitures comme on dit** mais, si vous le croisez et que vous lui parlez de Granville, il n’est pas sûr que vous ayez besoin de mettre une pièce dans le nourrain pour qu’il vous raconte comment c’était un Festival au siècle dernier et qu’il s’attache une poêle aux hanches pour chanter une chanson. En attendant, je vous livre sa préface. Ce n’est qu’un début…

* je n’oublierais jamais ce festival et cette année-là, coupedumondesque, pour de nombreuses raisons pesonnelles mais aussi pour Patrick de Saint-Denis qui m’avait envoyé une photo et m’avait en quelque sorte mis le doigt au clavier et donné un grand coup de pied au cul pour écrire… ma première nouvelle (Un signe). Disparu, il n’est pas mort, puisque je vous parle de lui… Je pense aussi à ceux qui sont passés par La Roche sur Yon dans ces années-là : Izzo, Mesplède Claude et Pierre-Alain, Kristy, Cook, Congiu, Franqueville, Jonquet

** le retour est pour bientôt…

Préface au recueil, pages 7 à 9

Fight Club de Chuck Palahniuk

« La première règle du Fight Club, c’est qu’on ne parle pas du Fight Club. »

orcément tous ceux qui ont lu Fight Club connaissent la règle n° 1 : « La première règle du Fight Club*, c’est qu’on ne parle pas du Fight Club. » Et toutes celles qui ont lu Fight Club connaissent parfaitement la deuxième règle : « La deuxième règle du Fight Club, c’est qu’on ne parle pas du Fight Club. » Pour les autres, cela devrait suffire pour les hameçonner vers ce roman devenu culte après qu’Hollywood s’en soit emparé. « C’est aussi barré que le film** ? » me demandait-on il y a peu. « C’est pire ! » ai-je répondu par pure provocation. En fait, c’est différent. Je ne parle ni du message, ni de l’histoire, ni du truc (le twist) qui fait qu’on se sent piégé le retournement final). Tout y est. Dans le livre. Dans le film. Non, le livre est une expérience de lecture. Le style de Chuck Palahniuk est unique, particulier et particulièrement retors : ellipses, répétitions, digressions apparentes, retour en arrière, conseils au lecteur. À l’époque où le livre est paru (1999) à La Noire chez Gallimard (264 pages, 110 francs – sic***), dirigée par Patrick Raynal, nous (à Caïn) avions demandé à son traducteur, Freddy Michalski, s’il n’y avait pas, chez ce nouvel auteur, un côté religieux, une écriture ciselée comme un prêche, un sermon du dimanche matin d’un méthodiste convaincu, seule la foi compte ou un calviniste intransigeant enseignant la prédestination. Nous étions contents de notre analyse. Freddy l’avait balayé d’un mot ; non. En fait, son écriture est plus chorale, ses phrases de répétition, ses gimmicks, sont ce que la basse est à la musique, une ligne tonique, comme le chœur grec de la tragédie. Nous assistons souvent à un naufrage : ici, dans Fight Club, celui de notre civilisation de l’objet, notre culte de l’appartenance, notre besoin inassouvi de possession, notre fatale opulence (« Il y avait [dans mon réfrigérateur] quatorze parfums différents de sauces salade sans matière grasse, et sept variétés de câpres. » – page 55). La tragédie est en cours, y en a marre, il faut encore aller jusqu’au bout. « Des générations entières travaillent dans des métiers qu’ils haïssent, uniquement pour qu’ils puissent acheter ce dont ils n’ont pas vraiment besoin. » (page 194)

* traduit dans ce roman par club la cogne… pour des raisons de « commodités de lecture » (page 60).

** Film de David Fincher avec Brad Pitt, Edward Norton et Helena Bonham Carter qui fut un échec commercial aux States, un relatif succès à l’international puis un film culte en DVD…

*** réédition en Folio SF (qu’on m’explique un jour !!!), 2013, 304 pages, 9€40

« La deuxième règle du Fight Club, c’est qu’on ne parle pas du Fight Club. »

Au départ, le narrateur est en mauvaise posture : son ami Tyler Durden, projectionniste de cinéma, serveur de banquets lui met le canon d’un revolver dans la bouche et « avec une arme dans la bouche et le canon de l’arme entre les dents, on ne peut plus parler qu’en voyelles. » (page 13) Ils sont tous les deux en haut d’un immeuble qui s’apprête à être réduit en poussière après avoir été bourré d’explosifs. « Quatre minutes. Je colle le canon au creux de ma joue d’un coup de langue et dis : tu veux être une légende, Tyler, mon gars, je vais faire de toi une légende. Je suis ici depuis le tout début. Je me souviens de tout. Trois minutes. » (page 16)

« La troisième règle du Fight Club est deux hommes par cogne. »

Flash-back. Le narrateur est seul, il fréquente les groupes de soutien car « si les gens vous croyaient en train de mourir, ils vous accordaient toute leur attention. » (page 139) Il est aussi insomniaque (« Vous vous réveillez à O’Hare. »), vole d’avion (« Vous vous réveillez à La Guardia. ») en avion (« Vous vous réveillez à Logan. » page 29) pour gérer les défauts de fabrication d’une entreprise de construction automobile afin de résoudre l’alternative : vaut-il mieux rappeler les produits ou indemniser les futures victimes ? Un jour il rencontre Tyler Durden au moment où son appartement explose et va vivre avec lui jusqu’au jour où celui-ci lui demande : « – Je veux que tu me rendes un service. Je veux que tu me frappes aussi fort que tu peux. » (page 66) Le Fight Club est né. Le Fight Club « n’existe que dans le laps de temps qui sépare le début » du Fight Club « et la fin » ( page 61) du Fight Club. L’autodestruction doit mener à celle de notre monde. Comment ? D’abord le pourrir en pissant dans le potage, en pétant sur les meringues, en éternuant sur les endives braisées, en insérant des images pornographiques (« un gros plan d’un pénis rouge et tumescent ou d’un vagin mouillé béant » – page 35) dans un autre film, puis le cerner à l’aide d’une armée de pantalons noirs et, enfin, l’éliminer, c’est le Projet Destruction (dont la première règle est : « on ne pose pas de question » et la deuxième : « on ne pose pas de questions » – pages 158 et 163), le détruire en fabricant des explosifs à partir de graisse humaine…

« La quatrième règle du Fight Club est une cogne à la fois. »

Ce livre qui a fait la réputation de l’auteur et sa fortune, il en parle un peu (et des lèvres de Brad Pitt) dans un recueil de nouvelles au titre plaisant : Le Festival de la couille et autres histoires vraies, Stranger Than Fiction, traduit par Bernard Blanc, Denoël & d’ailleurs, 2005,,297 pages, 22€. Fight Club est un roman transgressif de la décennie d’American Psycho et de Transpotting, dit-il, « des histoires sur des types méchants qui s’ennuyaient et qui étaient prêts à faire n’importe quoi pour se sentir vivants. » Ce qui se joue selon lui dans Fight Club, c’est la liberté : « Le philosophe danois Sören Kierkegaard définit l’angoisse comme la connaissance de ce que nous devons accomplir pour prouver que nous sommes libres, même si cela nous détruit. »** Et des partisans de cette doctrine, il en a rencontrés des dizaines (comme ce jeune homme, cigale qui claque du bec, qui s’est vanté d’avoir fait manger son sperme à Tatcher « au moins cinq fois ».) et en relève autant dans les journaux… « Y’en a pas un sur cent mais pourtant ils existent. »

* dans Le singe pense, le singe fait (pages 272 et suivantes…)

« La cinquième règle » du Fight Club « est pas de chemise ni de chaussures pour la cogne. »

Il faut aller au bout de soi. « Perdre tout espoir était la liberté. » Et n’oubliez jamais : « Nous sommes les gens que vous essayez de piétiner, nous sommes tous ceux dont vous dépendez. Nous sommes ceux-là mêmes qui blanchissent votre linge, vous préparent votre nourriture, vous servent à dîner. Nous faisons votre lit, vous veillons sur vous pendant que vous dormez. Nous conduisons les ambulances. Nous vous donnons vos correspondants au téléphone. Nous sommes cuisiniers et chauffeurs de taxi, et nous savons tout de vous. Nous traitons vos demandes d’indemnisation d’assurance et vos paiements par carte de crédit. Nous sommes aux commandes de la plus petite parcelle de vos existences. » (page 215) « Et nous avons des boulots pour caresser notre haine de classe dans le sens du poil. » (page 85) Ce monde a des relents nauséabonds comme la nausée de la mer quand revient le jusant

La sixième règle du Fight Club, c’est « les cognes durent aussi longtemps qu’il faut. »

En lisant, vous faites partie du plan, vous intégrez le projet, vous en êtes l’essence : « Nous sommes impatients de vous voir revenir parmi nous. » (page 265) Faites « le saut de la foi ». Vivez une « vie authentique ».*

* Le Singe pense, le singe fait, opus cité

« Si c’est votre premier soir au Fight Club, vous êtes obligé de cogner » est la septième règle du Fight Club.

Je viens de le relire Fight Club pour la énième fois. Ça marche toujours. Et je sais que je le relirais. L’envie me prend même de continuer à « redécouvrir » « ce type-là », « le type qui a écrit Fight Club* », Chuck Palahniuk. En lisant, par exemple un autre de ses chefs d’œuvre, Survivant.

* Les prix de consolation, opus cité

François Braud

antastique Vali Izquierdo ! Merci pour sa lettrine. Quand elle ne dessine pas, elle modèle de la pâte et enfile des perles avec talent, voyez plutôt.

À suivre…

la lettre G sera là dès 1er février 2023 !

Au programme, sans garantie sans gaffes, on essaiera de la jouer gagnant-gagnant : Gang de la clé à molette (Le) d’Abbey, Thierry Gatinet, Grand monde (Le) de Lemaitre, Grand soir (Le) de Bulteau, Grand sommeil (Le) de Chandler, Jean-Christophe Grangé, Gravesend (de Boyle) Jean-Paul Guéry, Gunther (de Kerr) et Jeanne Guyon

Avec un tel programme on ne va peut-être pas pouvoir garder tout le monde…

papier écrit en écoutant Léo Ferré, évidement, il veut du noir partout à se crever les yeux alors j’ai glissé quelques-uns de ses mots ici et là, comme À [son] enterrement.

Évidemment, y avait Patrick Fiori mais bon… il était pas dispo, il bosse sur le prochain album de Mimie Mathy, c’est petit, je sais..

19 réflexions sur “Contre dictionnaire amoureux du polar / Lettre F

  1. Salut François, que j’aime ton contre dictionnaire du Polar ! Petite lettre F donc je me permets, en balayant mon mon blog (parce que ma mémoire me fait parfois défaut, enfin, parfois, c’est peu dur !), je me permets d’ajouter Frédéric Fajardie, John Fante (plutôt que Dan Fante, son fils), Peter Farris (plus récent), Ian Fleming (plus pour son personnage de James Bond que ses qualités littéraires), Gillian Flynn (auteure rare ô combien douée) et surtout Larry Fondation, le témoin des bas-fonds. Voilà pour ma petite contribution. Je te souhaite une excellente année, et continue à nous régaler avec tes articles. Amitiés

    Aimé par 1 personne

    • Merci Pierre pour tes encouragements et de me signaler mes oublis. Fajardie, oui, j’y ai pensé mais je trouvais que ça a mal vieilli mais je suis peut-être influencé par son côté m’as-tu-vu dans les salons dans lesquels il ne brillai pas toujours par sa modestie), il faudrait que j’en relise plus sérieusement, Fante, je n’y avais pas pensé et je ne l’ai pas assez lu, Farris,connais mais pas lu Fleming (bof, je ne suis pas fan d’espionnage, ni de son écriture passe-partout), Flynn, c’est un oubli majeur en revanche car c’est une auteure que j’apprécie. Pan sur le clavier. Merci de ta participation toujours constructive.
      A bientôt.
      François

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