Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre M (Troisième partie)

Morbleu !

Ce post que vous allez lire est le 790e écrit depuis la création en avril 2016 de broblogblack. Bonne lecture.

Ce projet de « Contre dictionnaire amoureux du polar » (CDAP) est un projet à long terme, très long terme. Il se veut un hommage critique au Dictionnaire amoureux du polar (DAP) de Pierre Lemaitre (Plon), lauréat du trophée 813 Maurice Renault récompensant un ouvrage mettant en avant « le genre que nous aimons »*, « notre objet de passion »**. J’ai relevé le défi de bâtir un contre dictionnaire au sien, un codicille ou plutôt un complément, pas qu’une exégèse ni qu’une critique. Ni éloge, ni hagiographie, ni panégyrique, mais pas non plus de pamphlet, de satire, de diatribe. Juste une petite porte entrouverte par l’auteur dans laquelle je me suis engouffré : « Il y aura des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables, c’est inévitable : c’est un dictionnaire de ce que j’aime, et encore n’ai-je pas pu mettre tout ce que j’aime. » (introduction, page 11). J’ai donc relevé la gageure de combler, de réparer, de contester et, inévitablement, de construire le dictionnaire de ce que j’aime, et encore, sans pouvoir y mettre tout ce que j’aime et avec une difficulté supplémentaire, c’est de ne pas pouvoir (vouloir) revenir en arrière une fois la lettre publiée (pas de vision générale avant la fin). Ce sera le CDAP d’un critique mais aussi celui d’un éditeur (La Loupiote), auteur, directeur de festival (du polar à La Roche-sur-Yon – 85), rédacteur d’une revue (Caïn) et de tous ses souvenirs. Ce sera avant tout le CDAP d’un hannibal lecteur. Chaque lettre donnera lieu à deux parties : une critique des entrées de Pierre Lemaitre et un développement de celles qu’il aurait pu/dû y mettre. Voilà. L’hommage est sincère mais la langue n’est pas de bois. Le maître me pardonnera. FB

* JP Manchette ** JB Pouy

À qui avez-vous affaire ? bio-biblio-2022

tome 27

Si vous avez manqué le débutrendez-vous à la fin !*

* pour retrouver ce qui est déjà du passé : les 26 premiers tomes…

ais ouiiiiii…. vous pouvez lire la 3e partie du M sans avoir connaissance des deux premières ! Mais vous ratez quelque chose. Quoi ? Que du bon. Tenez (tenez-vous mieux dirait Desproges), par exemple, dans le M partie 2, on a causé qualité made in Manufacture de livres avec l’éclairage de Jean-Hugues Oppel (5/5), récurrence avec Antonio Manzini, belle province avec la Mariée de corail de Roxanne Bouchard, culture avec le Masque (et la plume), on s’est délecté avec Memento, régalé avec Mes soixante huîtres (Pouy) et on aurait bien aimé causer avec monsieur un livre par jour, Paul Maugendre, muet depuis le 18 avril 2021 et avec Claude Mesplède qui s’est tu en 2018 évoqué avec tendresse par notre invité Pascal Dessaint (lire sa Contribution)…

Alors noooonnnn…. ce n’est pas nécessaire de lire ce qui a précédé mais c’est vivement conseillé. En attendant de vous rattraper, vous pouvez toujours prendre le train (n°790) en route. En voiture (place 27, voiture 813) Simone !

SOMMAIRE

ême sans insister, vous aurez droit au menu du mois : Métastade et Martyr de la cité (Le) (Gatinet) avec La Contribution de l’auteur, Michalski (Freddy), Microfictions (Jauffret), Mictlán (Rutés), Mikaël, Minuit (Les Éditions de) et Mizio (Francis) et son 5/5.

Métastade et Martyr de la cité (Le) de Thierry Gatinet

« D’où vient la fumée qui fait peur »

on gato ! Esthète de la bonne bouffe et de l’écriture ciselée. Je l’ai publié en 1998 (c’était son premier roman, après avoir publié Vachette’s blues, dont on reparlera à la lettre V) et, le relisant en 2024 (26 ans après, je viens de faire péniblement la soustraction, l’âge…) pour cette notule, je me dis que le bougre a (sa contribution valide le temps du verbe – lire plus bas) du talent morbleu ! Talent confirmé en 2005 au Serpent à plumes (Serpent noir) avec Le Martyr de la Cité. Alors comment se fait-il que le triptyque de la banlieue boîte de son membre manquant qu’est le 3e tome ? Hein ? Qu’attends-tu el gato (son petit surnom) pour t’y (re)mettre ?

Et de votre côté, êtes-vous prêt à partir en voyage en banlieue du 9-3, à Saint-Denis ? Poinçonnez votre ticket et asseyez-vous – si vous trouvez de la place…

« Seuls les perdants m’intéressent. » (p.131)

Métastade est publié à La Loupiote en 1998 – en juin – juste avant la coupe du monde et 1, et 2, et 3 zé-ro ! Thierry Gatinet n’est alors pas un petit poulet de l’année mais ce n’est pas non plus encore un vieux singe du noir. Il a pourtant déjà été remarqué par Les Inrockuptibles avec son précédent et premier livre, Vachette’s blues d’un délicieux blurb : « l’attachante éclosion d’un auteur« .* Et ce n’est pas un coup marketing mais bien ce que l’on ressent à la lecture des lignes de Thierry ; une tonne d’humanité qui nous rend ses personnages et le bonhomme attachants. Parce que ce sont des loosers ? Non, parce que ce sont des êtres humains pétris d’idéaux et de mal-être.

* On aurait dû en faire un bandeau.

« Au début, c’est un peu écœurant de trinquer avec un flic, et puis c’est comme tout, on s’y habitue. » (p.113)

Serge est un pisse copie, journaliste pigiste à Saint Denis. Il a ses habitudes et ses habitués. Mais tout est bousculé ces temps-ci. Le Stade de France (autant de conciliabules et de querelles byzantines pour en arriver à ce nom !) développe sa couronne, « son anneau métallique » (…) « encore inachevé, défiant les lois de la pesanteur » (p.10). Chancre pour les uns, opportunité pour les autres, vaisseau alien pour certains, temple du football pour les autres, chacun chacune le voit comme il l’entend. Il fournit du travail aux uns et de l’argent aux autres, des conversations à tout un chacun et des craintes à ceux comme le vigilant Kobanocla qui est persuadé qu’il est la sentinelle d’une invasion programmée, d’envahisseurs prêts à venir débarquer en masse. Lui seul le sait. Il doit les contrer, quitte à en passer par des dynamitages et des attentats matériels. D’autres, plus pragmatiques, lui reprochent de brouiller la petite lucarne et montent un collectif. Serge lui prend des photos grâce au Leica de Larry et écrit des articles en attendant de terminer son futur premier roman jusqu’à ce qu’on s’en prenne physiquement à lui. Qu’a-t-il dit ? fait ? écrit ? qui gêne au point que son élimination apparaisse comme une solution ? C’est là qu’il pourra compter sur son cercle d’amitié : Doc, le docteur, Pép l’anar espagnol qui cultive son jardin ouvrier et Chevalier le flic : « – J’t’aime bien » Serge. « – Pas moi. – C’est bien pour cela que je t’aime. » (p.114) Et compter sur lui-même.

« – Tes copains, Larbi, tu es sûr d’eux ? – Comme toi de ta femme. – Tu n’as pas autre chose comme comparaison ? » (p.72)

Portraits de gens et peintures de lieux, Métastade est une ode à un territoire et à ses indigènes, à son cosmopolitisme, à ses ombres et ses couleurs, sa lumière et ses tours, ses cages d’escalier suintant la nostalgie et ses bistrots pimentés au zinc. Métastade c’est la phase terminale du grouillement de la vie tant que la mort nous lâche. Métastade c’est l’amour et la famille. Métastade réunit les idéaux et les renoncements.

Servi par une écriture qui danse autour de son sujet pour un jeu de chaises musicales dont on sait qu’à la fin il n’en restera plus qu’une, Métastade est un roman noir dans lequel le héros s’arme d’une pompe à vélo pour se défendre. C’est ça. Chez Gatinet, on ne pète jamais plus haut que son cul mais on écrit au-dessus du cœur.

« Des flammes hautes de vingt mètres à partir du dixième étage. Échappées des fenêtres, lèchent les parois bétonnées de la tour. Embrasent, hurlent, luisent, rouges. Rouges comme la banlieue du même nom. Rouges comme le sang des innocents. » (incipit de Le Martyr de la cité)

Roger en a du cœur. À donner plus qu’à vendre. Jardinier de la ville (de Saint Denis), « casier judiciaire vierge », « ouvrier et agréable collègue » (p.103), il élève seul Jean-Marc, son fils, un beau jeune homme noir de 17 ans que lui a abandonné sa mère, droguée, juste après qu’il ait fini par l’adopter alors qu’il n’avait que six ans. Mais Jean-Marc file un mauvais coton et, avec le peu d’argent de poche que lui octroie son père, multiplie fringues, consoles et baskets tel un Jésus de banlieue, un messie du consumérisme. Aussi finit-il par se faire serrer par les Romains du coin pour commerce illégal. Vite relâché, il sera vite repris. Car la vie du père ne séduit pas le fils et Roger le comprend bien. Trop bien. Cela fait trop longtemps qu’il tente de lui expliquer la raison et l’honnêteté, comme son vieux pote Momo qui a « aidé à la construction de routes, d’immeubles, d’écoles, d’hôpitaux, à l’arrivée du tout-à-l’égout, de l’électricité, du téléphone et maintenant du câble. Ce n’est pas rien. » (p.93) et qui rame comme lui pour joindre le 1er au 31. Mais ça, Jean-Marc n’en veut pas. Boomerang. Pour gagner ça ? semble-t-il dire en écartant les mains, paumes ouvertes, tête qui clignote de droite à gauche et de gauche à droite, sourire saignant. Alors Roger décide de changer de braquet, quand il est encore possible de le faire, avant que le Jean-Marc ne sombre définitivement vers la face obscure et ne soit crucifié dans son rôle de rebelle à deux balles. Il va lui donner à son fils ce qu’il veut ; du fric. Et comme il n’en a pas, Roger va le voler. Mais à réussir son coup il pourrait bien tout perdre(p.141)

« Le fric, c’est de la merde. » (p.93)

Le Martyr des cités, c’est un Serge qui aurait vieilli et qui serait revenu des bonnes intentions comme on revient du McDo, légèrement écœuré par le trop bon, comme ils disent. Il a pris du coffre, des coups dans la gueule et a perdu dans le quotidien flou la netteté de sa lucidité. Il croit la retrouver pour vivre une autre vie, quitte à plomber la sienne, pour en bâtir une autre, pour celle de Jean-Marc. Comme son fils ne veut pas du monde de Roger, Roger va lui offrir le monde qui ne semble pas attendre Jean-Marc. Mais le monde est comme les chaises, quand on veut s’assoir sur les deux en même temps, au mieux on se retrouve le cul entre les deux, au pire on se casse la gueule.

Le cœur / les dents

« Un homme a besoin de ses dents pour s’imposer. » (p.178) Serge et Roger en ont et, au risque de se faire casser la gueule, ils avancent parce qu’ils s’en foutent, ils ont un dentier de rechange : leur fils. On est plus fort quand on se bat pour les autres. Moins lucide aussi mais « il y a du bon à être aveugle. On voit mieux ce qui est beau. » (p.178, Le Martyr de la cité)

Thierry Gatinet a aussi écrit Cash cash à Frisco (Hachette, Le Polar du routard, 192 pages, 2000, 4€80)

La Contribution de Thierry Gatinet

Neuf trois fois rien

Saint Denis. Il y a si longtemps. Les Francs Moisins, 13ème étage, vue dégagée sur la banlieue, une seule chambre occupée par un ado. Moi je dors à deux dans la salle à manger, lit pliable déplié la plupart du temps. J’erre dans mes rêves. Je tape chaque soir sur le clavier de l’ordi posé sur une petite table près de la fenêtre. Je tape comme un débutant, avec un doigt de la main gauche et deux de la main droite.

Un moment que je m’y suis mis, que j’ai écrit des nouvelles envoyées à des concours, des revues, des amis pour voir s’ils aiment. Quelques retours encourageants mais j’ai abandonné mon ancien taf pour vivre d’écrire, ce serait bien que ça marche mieux, même si j’ai repris un autre boulot. Il faut bien croûter.

Le Loupiot vient de me publier une longue nouvelle un peu remarquée. Il a confiance en moi. C’est bon. Mais il n’est pas très riche et les ventes ne se bousculent pas non plus. Pourtant il m’encourage, j’en ai besoin.

Depuis que le chantier du Stade de France a démarré à un kilomètre à vol d’oiseau, je sens que c’est mon heure. Je suis au bon endroit, au bon moment. En haut d’une barre d’immeubles construits dans les années soixante par des immigrés portugais qui vivaient dans des bidonvilles au pied de leurs constructions en cours. Mais les temps changent, le luxe arrive, l’odeur de l’argent autour des chantiers et la banlieue rouge redistribue la donne et attire les voraces, les requins sans scrupules. Je le sens. Et j’aime pas l’argent. Enfin, pas pour lui-même. Alors je vais parler des simples comme moi, qui respirent et travaillent pas par goût mais tout simplement pour subvenir à leurs besoins. Me voilà soudain déverrouillé de l’intérieur. Je vais m’impliquer, croire en moi, il serait temps. Chaque fait divers et il y en a, chaque discussion avec mes voisins, dans les cafés ou dans la rue, ce que je vis perso et ce qui arrive à d’autres, tout me touche et m’emballe. Je prends je prends je prends. Un feu d’entrepôt, une visite chez l’adjoint au Maire dans son jardin ouvrier et sa réserve de Morgon au frais sous sa cabane, la rue de la Rèp qui perd ses commerces de bouche au profit des kébabs et des téléphonies. Je prends tout. Je saute sur les détails comme la misère sur le monde, je remplis des carnets de façon anarchique, regarde du haut de ma fenêtre la montagne de sable s’élever au rythme des camions aux roues énormes dans une tornade de poussière. Une sorte de ballet hélicoïdal, un qui grimpe à droite, l’autre qui descend à gauche, et le tas monte à vue d’œil chaque jour vers le ciel, comme une Tour de Babel. Futur béton du vaisseau spatial que nous a présenté la Mairie en maquette et qui a électrisé mes neurones.

Je me documente sur les explosifs à la Cité des Sciences de la Villette et j’écris chaque soir des morceaux, des parties de ce que deviendra le livre. J’articule, désarticule, tourne en rond. J’embellis, je noircis, je déraille, sors du cadre, y reviens en me disant que j’ai peut-être tort. Je ne sais pas vraiment où je vais et comment se relieront les pièces du puzzle. Mais c’est pas grave, pour l’instant je me sens au chaud et je trouve ça pas trop mal écrit. Je dois être bipolaire car des fois aussi je trouve ça nul. J’en ai lu des milliers, toutefois écrire un livre entier, le défi est énorme et l’orgueil me manque parfois. Qui sommes-nous là-haut dans les cités à rêver de littérature ? D’ailleurs est-ce même une littérature que ce noir qui me tend les bras et ses doigts amaigris ? Qu’importe, je suis pris. Les personnages d’abord hésitants finissent par arriver du coin de la rue d’un pas plus affirmé, ou sortent du cabinet de mon médecin qui deviendra le Doc, prêts à parler de leurs difficultés et de leurs espoirs. Mes soirées s’enfilent en solitaire tandis que le sommeil tombe sur mon fils et sa mère endormie non loin de mon clavier frénétique.

La frénésie dure plusieurs mois ou quelques semaines, je sais plus, c’est si vieux ou alors j’ai vieilli. Je jette beaucoup, accumule les versions. Et finalement un soir tout s’enchaîne. L’histoire se met en place presque seule. Je suis dans le brouillard mais je vois soudain clair dans ma nuit. Je fume un paquet de clopes, ouvre la fenêtre pour aérer. Evidemment les sirènes des flics retentissent au loin et au près. Ça dure jusqu’au matin où ma femme me tend une tasse de thé. Que je boirais froid, pas de temps à perdre. Finalement je vais me coucher, rincé alors que mon fils part au collège. Bonne journée Papa. Je souris. J’ai écrit cinquante pages d’un coup et je connais la fin de l’histoire.

Un frisson me parcourt à présent à ce souvenir alors qu’une neige humide tombe sur les montagnes d’Ariège comme sur une estampe chinoise.

Quelle insouciance pubère me tenait alors si présomptueux, à 40 ans déjà passés ? Moi, l’ancien Baba cool avec toutes ses supercheries et ses certitudes, ses excès et ses beaux idéaux. Je me prenais pour qui ?  Néanmoins jusqu’alors j’avais jamais baissé les yeux, j’allais pas commencer maintenant. J’ai relu, corrigé, relu, corrigé trois ou quatre dizaines de fois puis envoyé enfin le tapuscrit de 180 pages au Loupiot. Et j’ai attendu, les fesses serrées, la gorge sèche, l’impression d’exister et risquer d’imploser malgré tout. Putain il n’appelle pas ! Mais si, faut être patient dans ce métier. Il y a bien eu le retour positif, yeah !!! et le retravail en collaboration avec « Mon » éditeur préféré. Et tout le reste qui se réveille à présent dans mes souvenirs comme une armoire pleine dont le contenu me tombe dessus dès que j’en ouvre les portes. Le passé c’est le passé, à part dans les livres. Alors je sors vite de la pièce et referme à clé avant de prendre un sacré coup de vieux.

Pourquoi sommes-nous à cette place ? Qui nous guide ? Quoi nous fait vivant ? Des élans, par moment des lumières, des signes qu’il faut y aller. Rien de mystique, juste du vivant. L’envie existe, pas vraiment définie mais irrépressible, incontournable. Y aller et c’est tout. S’impliquer.

Tout cela étant dit, il est temps d’aller buter les patates au jardin. Buter, ça reste du polar, non ?

Merci Thierry.

Michalski (Freddy)

(1946-2020)

« Qui parle de voyager plus loin »

arles-les-Mines, dans le Pas-de-Calais, dans la même ville où Zola résidait quand il a écrit Germinal. C’est là qu’est né Freddy Michalski, fils de mineur polonais, en 1946. C’est en 2020 que cette force de la nature s’est écroulée à 73 ans. Personne n’y croyait, ni Sabrina Champenois de Libération, ni François Guérif, un de ses éditeurs, Rivages, ni moi. J’ai côtoyé Freddy à la fin du siècle dernier. Il était toujours prêt à parler des auteurs qu’il traduisait. C’était une façon de ne pas se mettre en avant, de se cacher dans l’ombre. La lumière ne l’intéressait que quand elle éclairait des écrivains qui le fascinaient. C’est souvent le lot des traducteurs-trices*, des gens modestes, des soutiers du noir qui donnent leur voix aux autres.

* Sur bbb, la parole leur est souvent donnée : Esch, Bondil – qui a présenté Freddy Michalski à François Guérif -, Aslanides, Tadié et bientôt Richard..

Au printemps 1998, avant que Caïn* ne décède – je ne parle pas du meurtrier d’Abel – et ne ressuscite, comme tout bon fanzine crypto-biblique (il ira se faire brûler les plumes, après La Loupiote, chez Baleine le Seuil), Freddy Michalski, avait honoré le monde du noir en écrivant le portrait de Jim Nisbet (décédé en 2018), et, pour le plaisir des aficionados de ce dernier, nous avait « donné » une nouvelle, traduite, évidemment par lui.

* Caïn n°25, La Loupiote, printemps 1998, 30 francs (sic). 1998).

« Je ne traduis presque exclusivement que du roman noir et du thriller. Par choix et par passion. L’intérêt de la littérature noire est qu’elle s’ancre dans une réalité linguistiquement marquée qui se manifeste par une création langagière d’une grande originalité ».*

* dans Libération (voir lien cité)

C’est aussi à cette époque que le premier traducteur français de James Ellroy (Lune sanglante, Rivages/Noir n°27, 1987), salué par Jean-Patrick Manchette, on a les références qu’on mérite, s’était prêté à un court entretien sur son métier. Freddy Michalski a traîné son clavier chez le plus grands : Nisbet donc, Burke, Bunker, Winslow, Palahniuk, Offut ne le délaissant que pour retaper des meubles en Dordogne. C’est donc dans cette région et un de ses festivals qui tapaient noir à l’époque, Bergerac, que je l’avais rencontré pour la première fois. Je le vois encore rire, à table, en nous racontant sa passion de la littérature. J’avais eu la chance, nous avions eu la chance donc de nous entretenir avec lui à Caïn (n°25, 1998). Voici quelques extraits de ce qu’il nous confiait.

Sur les éditeurs et les lecteurs : « Je dois (…) à Ellroy, Guérif et Pierre Bondil d’être traducteur et d’aimer ça. (..) Si les lecteurs d’Ellroy n’ont pas le sentiment d’être face à une traduction, peut-être que le travail de traduction – trahison – translation auquel je me livre touche à peu près juste. S’ils ont autant de plaisir que moi à la traduction, c’est tout le mal que je leur souhaite. Traduire, trahir, lire, tous termes du plaisir, qui ne va pourtant pas sans galères ni arrachage de cheveux ? Mais sans galères ni cheveux, où serait le plaisir ?« 

Sur la traduction : « Disons que, comme dans la vie, il existe bien des formes de la fidélité : fidélité au corps, à l’esprit, à soi-même et à sa propre image de la chose. Parlons encore une fois de plaisir, d’excitation ace à lé découverte d’humilité devant la beauté la beauté, premier pas vers le terrible, disait Rilke -, d’admiration devant la démesure, et de ce cadeau des dieux qu’est le désir, de pénétrer un univers, une écriture, une construction littéraire, de les percevoir, de les goûter, de s’en repaître, sous toutes les formes, explicites ou non, avant que de les restituer, au travers de ce qui en aura été perçu. Sansa aplatir, sans affadir, en en gardant les odeurs et les parfums sans les noyer sous un déodorant d’artifice. Qui dira jamais les beautés d’un corps du texte ? »

Sur l’écriture :  » Je ne me sens pas romancier et si j’accepte de me glisser dans un univers d’écriture, c’est parce qu’il est écrit et n’engage que des mots. Je ne partage ni les fantasmes ni les cauchemars des écrivains que je traduis. Les miens me suffisent mais je doute qu’ils débouchent un jour sur un roman. »

Sur l’humour quand on lui demande de traduire un compliment sur Caïn en anglais, il répond : « I give my tongue to the cat ! Why you don’t ask Ellroy ? »

Son clavier nous manque. Son rire nous manque. Freddy nous manque.

Microfictions de Régis Jauffret

« On verrait l’os de ton visage »

arquée d’un « Je est tout le monde est n’importe qui. », la 4e de couverture donne le ton. Les Microfictions de Régis Jauffret sont des poupées russes. Un 1er opus paru en 2007 (Prix du Livre France Culture – Télérama 2007, Grand Prix de l’humour noir 2007), un 2e, Microfictions 2018 (« Toutes les vies à la fois. », Goncourt de la nouvelle) et un 3e (dernier ?) Microfictions 2022 (« Le monde est une fiction terrible et fabuleuse que les humains se racontent. »), tous chez Gallimard (La Blanche) (respectivement 1024 pages, 1020 pages et 1022 pages, 25€, 25€ et 26€).

« Vivre est simplement une option que je n’ai pas retenue. » (Hamster rétamé dans Microfictions 2022, Gallimard, p.350)

Pourquoi dépenser un pognon de dingues pour acheter trois pavés ? Pour ça :

Les moroses seront renvoyés sans sommation.

Ils enrayent la bonne marche de l’entreprise en prenant des congés maladie pour dépression, insomnies et toutes ces maladies psychosomatiques inventées par la médecine du travail pour ruiner le patronat.

– Les moroses ont la couleur du déficit et dégagent une pestilentielle odeur de faillite.

Cette engeance est un vivier d’alcooliques, de drogués et de suicidaires sont le passage à l’acte sur les lieux de travail cause un tort considérable à notre image. […]

Nous n’obligeons personne à venir frapper à notre porte pour mendier un salaire et des avantages sociaux dans ce pays où depuis longtemps il n’est plus nécessaire de travailler pour survivre. Elles sont légion les aides sonnantes et trébuchantes, les soupes chaudes distribuées à l’œil sur les trottoirs, les douches gratuites assistées par du personnel frottant pour rien le dos des galeux comme les masseuses des spas pour une fortune le corps immaculé des nantis. […]

– Moroses démissionnez et mourez.

Faites-le par amitié pour l’économie de marché tout entière. Sachez comme des rats quitter ce navire où on ne nous laissera plus croquer le moindre croûton. Crevez gratuitement chez vous sans indemnités ni espérance de faire valoir un jour vos droits à la retraite.

– Profitez de la mort pour nous exprimer enfin votre reconnaissance du ventre.

Citation extraite de la nouvelle Emploi facultatif (p.255, Microfictions 2018), citation du jour du 15 juin 2018

C’est droit, déglingué, débauché et désabusé. Je ne vous fais que les d, évidement. Toutes les nouvelles sont classées dans un ordre alphabétique étonnant dont le titre est prélevé dans le corps comme un organe (de Albert Londres à Zoo pour Microfictions, de Aglaé à Zéro baise pour Microfictions 2018 et de Applaudir la France à Zibeline pour Microfictions 2022).

Écrite sur une page et demie, chaque nouvelle est une logorrhée, une voix scindée par trois ou quatre saillies marquées par un tiret de dialogue comme si le confessé s’ouvrait enfin au monde pour y déverser son fiel (« La haine est une espérance, et que le sang coule à flots, comme la bière, le vin chaud. », Le Supplice de Tantale, Microfictions, p.502), comme si la mutique avouait enfin en hurlant son mal de vivre au monde entier (« Notre sang devrait couler chaque mois noir comme l’encre. », Ère nouvelle, Microfictions, p.254).

« La France n’est pas ma fille, vous pouvez bien la foutre. » (Mon ego au goulot, page 635, Microfictions 2022, Gallimard)

Aigres, noires, provocantes, ces histoires, ces microfictions, sont autant de virus se propageant dans notre cortex pour nous resasser l’ultime question : notre vie tiendra-t-elle debout le jour où on l’examinera sans fard ni excuse ? C’est vous qui jugerez.

Cette litanie humaine de vivisection sans anesthésie, sans compassion et sans empathie énumère et égrène les vices, les maladies, les drames de la vie quotidienne d’humains plongés dans un magma qui les noie, les Microfictions de Régis Jauffret tendent à former un tout avec des moins-que-rien, un monde immonde qui est en passe de le devenir ou qui est déjà le nôtre. C’est vous qui lirez.

Mictlán de Sébastien Rutés

« Y a même un chien qui court la tête entre les mains »

al vivre est la donnée la plus partagée dans certaines régions du monde. C’est d’autant plus difficile quand le modèle de la réussite se trouve être votre voisin. C’est vous dire que le Mexique est mal barré. « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des États-Unis ! » aurait dit Porfirio Diaz*.

* président du Mexique de 1876 à 1911, militaire chassé par la révolution se consolant en bouffant du chocolat en Suisse et en matant les p’tites femmes de Paris où il meurt en 1921.

Mictlán de Sébastien Rutés se déroule au Mexique. On suit Gros et Vieux.

Mictlán n’est pas un livre mais un souffle fiévreux, une phrase, un long monologue « entre » ces deux hommes qui doivent conduire sans s’arrêter au volant brûlant d’un camion frigorifique contenant 157 corps de Mexicains assassinés qu’on escamote ainsi des statistiques pour permettre au gouverneur de s’avancer avec l’argument du recul de la criminalité afin d’être réélu dans un fauteuil à son poste.

Mictlán, c’est, en nahuatl, « le lieu des morts », où les défunts accèdent à l’oubli après un long voyage à travers le monde d’en bas (en exergue).

Mictlán, c’est une carte postale reçue du Mexique : « Les ruines d’une église couverte de tags obscènes, un cheval crevé sur le bas-côté, un bordel pour routiers abandonné, encore de l’essence pour quatre heures, peut-être cinq, et cette envie de pisser, mais les ordres sont formels : interdiction de s’arrêter ailleurs qu’aux stations-service pour faire le plein, et encore pas longtemps, ordre du gouverneur à en croire le Commandant, Gros sait ce que ça veut dire’, ça veut dire : si tu t’arrêtes, c’est pour toujours, si tu t’arrêtes pour pisser, autant creuser ta tombe sur le bas-côté au milieu des ordures… » (incipit, page 11). Dans lequel les habitants t’attendent au tournant : « ne t’adresse jamais à un flic, même pour demander ton chemin ; ne regarde jamais personne dans les yeux ; parle-leur toujours dans leur langue ; vérifie la plaque des taxis ; ne leur fais jamais signe dans la rue, attends aux stations, surtout le soir ; ne prends jamais personne en stop, ne t’arrête pas si tu vois un accident ou quelqu’un couché sur la chaussée, ne t’arrête pas aux feux rouges la nuit, ne porte secours à personne, ne demande d’aide à personne, ne monte jamais dans le voiture d’un inconnu… » (pages 75-76)

Vieux et Gros s’épaulent mais se méfient l’un de l’autre selon le bon vieil adage :  « faire la peau à quelqu’un pour ne pas qu’un autre vous fasse la peau » (page 113). « Ils avaient toujours connu ça, les droits des plus forts et les devoirs des plus faibles » (page 45), cet axiome comme une tache de naissance.

Et puis, de toute façon, qu’y a-t-il à espérer ? : « … une graine de haine qui ne demandait qu’à germer, qu’est-ce qui pousse d’autre dans ce désert ?, dans ce pays ?, dans ce monde ? sur un tel terreau de cadavres… » (page 49)

Il fait toujours mal de vivre au sud des States.

Le plus noir dans ce roman, c’est l’écriture de l’auteur, véritable claque littéraire. D’habitude, la forme norme fond sous le fond, ici, la logorrhée musicale des mots soude la fable dans le vif et la rage. Le point est mort, vive la virgule ! Obsédant, sombre, illuminé, violent, ce roman est une expiration, un flot sanguin, un frisson qui aspire à la rédemption, ou, tout du moins, à l’oubli. De ? Ce que l’on est ? Ce que l’on fait ? Où l’on va ?

« Les morts avancent… » (page 151) mais nous, les vivants ? On perd sa vie à la gagner, on court après un salaire, celui de la peur, de la mort, de l’apaisement.

Tout ça pour quoi ? Traverser l’inframonde pour libérer son énergie vitale. Quitter la terre, enfin. Pour gagner le repos éternel. L’éternité ? C’est long. Certains disent, oui, surtout à la fin. C’est plutôt au début, en fait, que c’est long, infini tant que ça dure par que ça peut s’arrêter du jour au lendemain, comme ça, pfuitt. Ça s’appelle la vie. Sur terre. Au Mexique ou ailleurs.

Mictlán, Sébastien Rutés, La Noire, Gallimard, 153 pages, 2019, 17€

Mictlán existe aussi en poche (Folio Policier). Voir l’interview de Stéfanie Delestré sur la création de La Noire, ici, sur BBB. Papier déjà publié le 13 août 2021.

Mikaël

« Qui parle de voyager plus loin »

anger sur la poutre. C’est un peu ce que l’on ressent à la lecture d’au moins deux œuvres de Mikaël : Giant et Harlem. Que ce soit au ciel avec ces géants au sommet d’un géant ou à terre au cœur de Harlem avec Queenie, la femme qui disait non, on perçoit l’abime et le vertige nous enserre le cœur ou l’âme devant la noirceur d’un monde sur lequel nous n’avons prise que par la prise de conscience du mal être que pouvaient être les États-Unis d’Amérique. Le rêve est aussi un cauchemar. Mikaël le sait et le peint avec talent.

« Giants atop a Giant ! »*

* Des géants au sommet d’un géant !, Giant, Tome 2, (p.56), Mikaël

Giant, c’est un Irlandais, un taiseux, tous les mots plus bas que les autres, trois mots avec lui et « on peut dire que nous venons d’avoir une belle conversation !! » (p.37). Il vient de perdre son coéquipier Murphy qui est mort d’une glissade, à cette hauteur, même Dieu ne peut rien pour vous. Dan est embauché comme riveteur, il est tout en gueule et le voilà « outillé pour empiler de l’acier jusqu’à chatouiller les pieds de Saint-Pierre. » (p.11) Comme les copains, Giant et Dan travaillent sur le Rockefeller Center. En hauteur. Et à terre, il faut aussi savoir éviter les dangers et les Ritals. Giant récupère les affaires de Murphy, son indemnité de 50 dollars de l’Union des Travailleurs du Métal et sa correspondance. Mary Ann est inquiète, là-bas, au pays, sans nouvelles. Alors Giant va lui en donner*. Des mots et des billets. De l’espoir en barres.

* en empruntant la machine à écrire de son voisin, un journaliste alcoolique qui ressemble bien à celui de Harlem

Et puis, un jour, « la guerre, la faim, la rancune, la misère… sans aucun doute… (…) la pluie en plus. » (p.24-25, t2), on quitte la terre natale pour arriver là, « dans cette ville tant rêvée » (p.9 t2), pour en arriver là, à côtoyer la mort chaque jour, en haut du ciel sur un chantier où « un accident mortel [arrive] en moyenne tous les dix étages ». (p.24, t2) Alors Mary Ann et ses trois enfants vont le faire ce voyage, pour être aux côtés de Murphy, le mari, le père.

Alternant le bruit et la douleur, les rires et le silence, c’est à la vie de cette classe de misère, cette classe dangereuse, ces ouvriers, ces riveteurs qui mangent, fument, dorment sur la poutre pour un salaire qui entretient ce qu’ils ont fui, la misère et qui risquent leur vie pour la gagner.

Mikaël leur rend, non pas justice, mais hommage en égrenant leur vie à travers des portraits sans concession où l’espoir prend toute forme du moment qu’il diffère du jour harassant, déprimant : un article bavant de dollars, un cliché de propagande, un contrat pour un spectacle, une lettre du bout du monde, un boulot de forçat pour oublier son passé.

Tout, le trait ombré, les couleurs ocre et rouille, la mise en page comme une caméra qui virevolte, les bavardages comme les silences, les regards et la lumière, tout est réussite dans ces deux tomes. Giant est un roman noir graphique qui en dit plus sur les hommes et les femmes qui composent ce tableau que ce que le tableau nous donne à voir. Le décor est le sujet, comme l’illustration double le scénario.

New-York vit. New-York meurt.

Mikaël / Giant, tomes 1 et 2, Dargaud, 2019, 58/56 pages, 15€95 le tome

* Harlem, Tome 2, (p.7), Mikaël

Queenie est la reine des loteries à Harlem. Elle prête de l’argent, fournit du travail tout en récoltant l’espoir sous forme de billets. Bishop un scribouillard, un journaliste qui se confesse au début du récit : « Ce que j’ai fait est impardonnable. Je le sais. » (p.3, Tome 1) Elle, est avant une femme noire, une étrangère, frenchie, venue des Antilles (Martinique). Lui, c’est un enfariné qui couche avec Tillie, qui s’abandonne parfois à une autre farine que la peau de son amant, elle, Tillie, c’est l’amie de Queenie. Queenie va embaucher Bishop pour corriger les écrits qu’elle fait passer hebdomadairement dans le journal dans lequel elle se plaint du racisme et de la corruption des flics comme l’Irlandais McCann et de l’ambition de Dutch le Hollandais qui veut mettre la main sur le quartier des Harlémites. Lui, Bishop, il rêve d’un grand article niveau Pulitzer pour raconter comment une petite noire est parvenue au sommet de Harlem. Elle, Queenie, refuse. Elle ne sait que dire non. Non à l’article, non à Dutch, non à Lucky Luciano. Non. Non. Non.

* Le personnage a réellement existé (on peut lire aussi Queenie, la marraine de Harlem, un roman graphique de Aurélie Lévy et Elisabeth Colomba (Éditions Anne Carrière, 2021)

C’est l’histoire de deux êtres qui n’écoutent pas les autres et qui ont la ténacité nécessaire à accepter la perte de ceux qu’ils aiment. C’est l’histoire d’une guerre des gangs, d’un quartier et d’une ville. C’est l’histoire pyramidale de ses chefs : Queenie, Dutch Schultz, Lucky Luciano… C’est l’histoire de leurs inimitiés et de leurs amours. C’est l’histoire de Harlem par Mikaël, le portrait d’un quartier des années trente, de ses habitants, d’un peuple et d’une nation.

On navigue sur le temps, présent, au cœur de la dispute pour tenir le marché des loteries, passé, aux côtés de Queenie qui n’est pas encore Queenie mais Stéphanie St Clair (1897-1969), une petite fille femme noire qui refuse qu’on lui impose sa vie et qui agit et s’enfuit vers New York. On lui prête deux maris, assassinés, elle n’a que deux amis avec qui elle aime danser.

« As ye sow, so shall ye reap » (on récolte ce qu’on a semé)*

* contenu du télégramme envoyé par Queenie au chevet de Dutch à l’hôpital ; il fit les gros titres de la presse à l’époque.

Alternant action et dialogue, planches sombres du présent surchargés de détails et cadres bleutés du passé garnis de sous-entendus, Mikaël offre aux lecteurs sa vision d’une Harlem des années trente dans laquelle les pauvres jouent leur vie à la loterie, se saoulent de musique et tentent de survivre malgré la crise qui met au chômage la moitié d’entre eux. Le frontière entre la légalité et l’illégalité est ténue, la barrière quasi inexistante à tel point que même le maire, les flics n’en connaissent pas les limites et en jouent.

Une balade sombre et mélancolique dans l’âme de la dépression qui ne s’arrête jamais à l’économique…

En veux-tu du Harlem, en voilà : Viper’s dream de Jake Lamar, Harlem shuffle de Colson Whitehead et toute l’œuvre de Chester Himes

Et dire qu’il me reste encore, dans cette série noire sur les années trente aux States, à lire Bootblack (2 tomes chez Dargaud)…

BD achetées en librairie aux Instants libres. Je dois à Hélène la découverte de cet auteur, merci. Papiers écrits en écoutant New-York USA, Serge Gainsbourg et Feeling good de Nina Simone. Ces deux papiers ont fait l’objet d’une précédente publication ici et .

Minuit (Les Éditions de)

« Ou tu t’lèves et on t’tire dessus« 

algré les difficultés de l’époque, 1941 est une année noire, Minuit naît avec pour mission de publier les auteurs en mal de parution. C’est une beau nom que les Éditions de Minuit pour une maison clandestine. Jean Bruller et Pierre de Lescure sont enchantés de cette trouvaille et vont publier en janvier 42 le premier livre d’une longue série : Le Silence de la mer de Vercors (alias Jean Bruller) dans lequel la résistance prend l’allure d’un mutisme qui en dit long sur les intentions de ceux et celles qui se taisent : ils en pensent plus. Suivront une vingtaine d’ouvrages pendant la guerre. La paix, un autre combat est mené : celui d’une littérature de qualité, engagée contre le confort bourgeois. Jérôme Lindon rachète Minuit en 1948 et accompagnera le nouveau roman de Robbe-Grillet, Simon et autres Sarraute et Butor et la dénonciation de la guerre d’Algérie, mettant en avant aussi les sciences humaines (Bourdieu, Derrida) se constituant un catalogue haut de gamme. Rachetée par Gallimard en 2021, Minuit apparaît alors assez loin du « genre que nous aimons ».

Pourtant, au gré de mes lectures, j’ai croisé un certain nombre d’auteurs teintant de noir leur récit tels François Bon (Sortie d’usine, 1982), ami de Didier Daeninckx ou Jean Échenoz (Cheerokee, 1983), vanté par Jean-Patrick Manchette. Depuis cette époque où je n’avais pas encore vingt ans, je lis toujours les 4e de couverture de la maison d’éditions à l’étoile bleue et j’y ai rencontré, de nombreux livres qui ne dépareilleraient pas dans une collection noire. SI Pascal Garnier excellait dans la littérature grise, Minuit excelle dans la littérature beige, ce sang qui refuse la dichotomie, cette annotation dans la marge, l’utilisation du non, rien pour dire tout. En voici quelques exemples.

Envoyée spéciale de Jean Echenoz

C’est un roman banal … : « Constance enlevée, rançon demandée, photo préoccupante, menaces traditionnelles et qu’est-ce qu’on fait ? Situation à vrai dire si banale, comme on en voit tellement souvent, que nous sommes tous un peu embarrassés… » (page 44) … mais d’une actualité brulante : « Je vous demande pardon s’est impatientée Constance, mais vous parlez de quelle affaire ? C’est très simple, a répondu le général, vous allez déstabiliser la Corée du Nord. » (page 183), « … ce pays de merde … » (page 189)

C’est un roman au budget restreint :  « … Gang Un-ok, vu son éducation bilingue en Suisse, s’exprimait dans un français parfait, ce qui nous arrange bien car nous évite la présence d’interprètes, personnages secondaires encombrants sinon témoins gênants dont nous ne saurions que faire ensuite. (page 213)« Nous ne prendrons pas la peine de décrire Gang Dong-bok : il ne va nouer qu’un rôle mineur et nous n’avons pas que ça à faire. » (page 263)

C’est un roman de haut vol de la première à la dernière ligne où le burlesque le dispute au rocambolesque avec le plus grand sérieux du monde, servis par une écriture, dans l’apparente maitrise et la facilité avouée, cache un travail incessant de trouver le mot juste. Revisiter les codes du polar (enlèvement, rançon, espionnage…) en les travestissant est un pur plaisir de l’esprit car, Jean Echenoz l’affirme, « l’intrigue est un mal nécessaire » Jubilatoire.

Jean Échenoz, Envoyée spéciale, Éditions de minuit (Double Minuit , n°120, 2020, 293 pages, 9€). Version intégrale de l’article publié, ici, le 28 février 2021.

Adultère, Yves Ravey

En 1000 signes, pas un de plus pas un de moins (vous pouvez recompter), pourquoi il faut lire ce roman.

Jean tient depuis dix ans une station-service en couple avec Remedios, sa femme. Les deux en faillite. La première périclite faute de client, le deuxième faute de bonheur. La solution semble être trouvée par Walden, le président du tribunal de commerce qui s’occupe de son dossier de dépôt de bilan et sort sa femme qu’il ramène à quatre heures du matin. Ça préoccupe Jean tout ça. Et puis il y a Ousmane, le mécanicien qui réclame son indemnité de licenciement et sa mère qui refuse de l’aider financièrement. Jean doit agir. Il vole alors sa mère et bâtit un plan d’avenir banal : Mes pensées devenaient plus claires désormais, plus fluides, alors que s’élaboraient, en instantané, point par point, les phases successives et à venir de mon projet criminel. L’écriture concise de Ravey fait de cet Adultère un récit de petits moyens qui imaginent qu’agir, c’est forcément mieux, cet ennemi du bien. Des personnages caravagesques mènent une vie de rien. Un livre désespérément humain, jusqu’à sa fin.

Adultère, Yves Ravey, Éditions de Minuit, Double minuit, 2023, 8€. Papier publié le 26 octobre 2021, .

Faire mouche, Vincent Almendros

« Cinq mouches mortes qui reposaient en famille sur les lames du parquet. »(page 17)

Laurentun homme sans histoire, revient dans son village natal isolé au milieu de rien au prétexte du mariage de sa cousine Lucie. Avec Claire. À l’étage, Laurent lui présente sa chambre à lui et sa chambre à elle… Et on frappe. Laurent descend : attends un peu dit-il à Claire.

Roland, l’oncle à la figure rougeaude de paysan, et, à l’allure égarée (treillis kakibottes en caoutchouc crottées de terre et veste de survêtement), qui vit avec sa mère, le guettait lui et sa compagne, enceinte. Ici, ça n’a pas trop changé. Alors on parle de tout et surtout de rien, de la circulation, enfin du beau temps, de la pluie, de la météo pour le mariage de sa fille, Lucie. Ha ! Voilà Claire qui descend et Laurent lui présente… ConstanceOn ne pouvait désormais plus revenir en arrière (page 24).

« Près de la fenêtre, cloué à une poutre, je remarquai également la présence d’un de ces pièges en tortillon, long ruban adhésif marron et collant que des mouches constellaient. » (page 42) 

Puis vient le repas chez sa mère (Tiens, un revenant) : terrine de foie, langue de bœuf sauce tomate persillée, fromage et clafoutis aux cerises. Il faut manger. Et boire. Mais comment oublier qu’un jour, cette mère a fait avaler à son fils de l’eau de javel ? Une vieille histoire : ces souvenirs étaient si anciens que j’avais le sentiment de les inventer (page 30).

Le père de Laurent repose dans l’urne. Mais où est celle de la tante de Laurent, la femme de Roland Avec les années, mon oncle ressemblait de plus en plus à mon père. (page 47)

Et, Luc, le frère de Constance qui cherche à la joindre en téléphonant à Laurent. Elle est partie avec l’autre a-t-il dit à Claire mais à Luc il ne le dit pas et préfère lui laisser l’initiative : : « Vous vous êtes encore disputés ? » (page 58)

Faire mouche est de ce trouble-là. On ne sait pas ce qui est ou qui semble être. On suit Laurent dans ses silences. L’ombre d’un doute plane toujours. Sur l’identité, son rôle social, le sexe et la famille, les enfances errantes et les adultes perdus, les miroirs et les caves, les urnes et les souvenirs, la vie (Constance est enceinte) et la mort (Roland n’a plus que six mois à vivre)…

« En effet, le ventre de la charogne était ouvert, dépecé ou rongé, pourrissant dans un bourdonnement sourd de mouches sombres. » (page 117)

Vincent Almendros écrit le pied debout sur le frein face au mur qui grossit, comme un thrilleur au ralenti, une machination des plus abouties. Contrairement à ce que l’on dit, il n’économise pas les mots, il les use, les taraude, les cloue. C’est parce qu’il accorde plus d’importance à ce que l’on ne dit pas qu’à ce que l’on affirme. C’est dans les ellipses que l’histoire se développe (palimpseste), dans les silences d’un dialogue (l’absence de tirets d’ailleurs les assourdit), dans les interstices des gestes (à l’économe), dans la difficulté qu’ont ses personnages de respirer ou de se regarder dans des miroirs (je ne me reconnaissais pas).

Faire mouche fait plus qu’atteindre son but. Il révèle l’art de la tension narrative minimaliste, le point A menant forcément au point B mais le chemin pour y arriver est sinueux, il musarde croyant éviter les pièges en s’y vautrant au son d’une musique des mots qui n’est pas s’en rappeler les plus grands romans noirs.

Minuit excelle dans la littérature beige, ce sang qui refuse la dichotomie, cette annotation dans la marge, l’utilisation du non, rien pour dire tout.

Quelle page, Laurent, veux-tu que je tourne ?

On ne se pose pas la question jusqu’à la 126ème. Ce n’est qu’après. Quand on revient à la page 13. On se dit en relisant Faire mouche que c’est nous qui tournons. Pas les pages.

Faire mouche, de Vincent Almendros, Éditions de Minuit, 2019, 126 pages, 11€50. Papier déjà publié le 29 mars 2020, ici.

Paris-Brest de Tanguy Viel

Paris-Brest

Dans Paris-Brest, l’auteur nous enfonce dans un roman familial de 175 pages (174 en fait) dans lequel le narrateur explique comment il est parti de Brest pour y revenir, comment l’argent a pollué sa vie, comment le cocon familial l’a saoulé. Entre maman qui tend à lui coller une carrière de concierge à l’œil, papa qui se promène caché pour ne pas savoir où sont passés les millions du Stade brestois, grand-mère qui hérite de millions et le fils Kermeur, l’ennemi qui vous veut du bien, Tanguy Viel déroule une écriture incisive, faite de répétitions, qui serpente entre les virgules pour mieux repousser le point. Entre petites lâchetés et humour délicat, l’auteur nous emmène avec lui dans cette famille comme témoin involontaire. Et c’est bien volontairement que nous le suivons jusqu’au bout, du beige dans les yeux…

Paris-Brest de Tanguy Viel, Éditions de Minuit, Double Minuit, 175 pages, 2013, 8€. Papier déjà publié (17 avril 2016).

On pourra aussi de jeter sur les ouvrages de l’iconoclaste Pierre Bayard qui s’y connaît en glose littéraire (Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?) et a révélé La Vérité sur les dix petits nègres ou résolu L’Affaire du chien des Baskerville. Rien que ça. Vous pouvez aussi dévorer ceux de Laurent Mauvignier comme Histoires de la nuit, un « thriller sans action » selon Raphaëlle Leyris dans Le Monde ou « un thriller gâté par trop de méandres » selon Patrick Grainville. Rien que pour cette dichotomie critique, on a envie de se plonger dedans, non ?

Et pour terminer, lire Le Fait divers et ses fictions de Frédérique Toudoire Surlapierre vous plongera dans des abimes de réflexion avec ces binômes réalité fiction avec Capote, Duras (dont le rôle dans l’affaire Grégory est disséqué), Giono et Dominici, Jaenada et Arnaud (La Serpe, lire à la lettre J du CDAP)…

Mizio (Francis)

« Sous tes semelles c’est dur et ça tient »

ais il ne faut pas lui lâcher la bride une seule seconde sinon il est parti. C’est un Atelier Permanent d’Imagination Fictionnelle Frictionelle Fonctionnelle (APIFFF). C’est un juke-box qui marche sans pièce et sans disque (désolé pour les moins de 60 ans, l’homme a tourné le dos à son acné), un jokari sans fil, une application autonome et volage. Discuter avec Francis (je le connais, on se fait la bise), c’est prendre le risque d’entrer dans une dimension inconnue où les bords n’ont plus de bornes et ses dernières sont sans limite. Ça foisonne sec et tant que je le soupçonne d’oublier de descendre les poubelles le mardi soir quand il est parti chez les Macroqa, voire de sauter des repas tant la caféine l’a soudé à sa chaise de bureau (pas pratique de se déplacer jusqu’à la cuisine). Il a les doigts carrés au diamètre des touches de son clavier et les yeux collés à l’écran depuis qu’il croit obtenir le Goncourt en tondant sa pelouse comme Jean-Paul Dubois. Bref, il est impayable mais vous pouvez vous en offrir une tranche car il a commis des livres et sévit partout numériquement (Vis comica).

Cet homme*, jusqu’à hier, il était encore genré, je l’ai rencontré autour de l’année 1996 à l’heure où les modems stridulaient en imitant au final, la commission envoyée, les chasses d’eau, alors qu’il écrivait des nouvelles et que je cherchais à en publier. Ça tombait bien. J’étais tombé sous le charme d’Un quart d’heure pas plus (Lire à U), un récit humoristique narrant l’histoire d’un homme élastique et d’une femme-oiseau (ou l’inverse) sur fond de déclaration d’indépendance de la maison et du jardin d’un certain Ladislas Krobka (les Polonais sont partout, Lire à P). Mais voilà, la nouvelle avait beau me tordre de rire, le sourire de Krobka était bien trop blanc pour être honnêtement publié dans une collection noire. Aussi attendais-je avec impatience et fébrilité qu’il polardise sa fiction. Je lui avais donné un mois. Il m’avoua plus tard l’avoir écrite le dernier soir en une heure. J’ai vu alors défiler le rouleau de mon fax (c’était un temps déraisonnable) jusqu’à terre, vomissant la cinquantaine de pages un soir vers 23h. Un quart d’heure, pas plus sera publiée derrière La Bataille des Buttes-Chaumont de Thierry Jonquet.**

* que j’ai déjà évoqué souvent, comme à la lettre H pour Humour…. ** Je n’avais pas conscience à l’époque de marier un ronchon avec un bouffon. Seul le deuxième a gardé mon amitié, les relations avec le premier passèrent, comme je l’ai déjà expliqué ici de distendues à tendues sans passer par la case détendue. Mais c’est une histoire passée (et Jonquet est décédé) sans relation aucune avec le talent du ronchon en question.

« Brusquement, une patte informe lui attrapa l’épaule, tenta de lui tirer les cheveux. (…) Elle s’engouffra alors] dans le véhicule au bord de l’évanouissement. – Démarre, démarre, ordonna-t-elle hystérique. Narcisse la regarda, décomposé. – C’est un diesel. Soudain la voiture fut secouée, blackboulée. Une force incontrôlable s’en était emparée. Ils se cognèrent la tête contes portières le pare-brise. Les rugissements dehors étaient épouvantables. – MAIS DÉMARRE MERDE, DÉMARRE, gueula en pleurant Flore en pleine crise de nerfs. – PUISQUE JE TE DIS QU’IL FAUT ATTENDRE QUE LA PETITE LAMP S’ÉTEIGNE. » (La Santé par les plantes, pages 118-119, édition originale, La Loupiote, 1997)

Ce fut le début de sa carrière éditoriale internationale et festive (c’est lui qui l’écrit plus bas) et le premier des trois livres que je publiais à La Loupiote. L’ayant sorti du caniveau (vieille blague qui nous unit), il m’était redevable. Ce sera La Santé par les plantes (Lire à S). Le premier, il me fait parvenir les chapitres – par mail cette fois-ci, pas fou – un par un au fur et à mesure de leur écriture. Je lui donne mon avis et lui propose de mettre un titre à chacun (Opération « Quatre virgule huit », Le Perroquet à deux crêtes et touffes rouges sous les ailes, Le Casse-tête Macroqa, etc). Ce sera un succès jamais démenti et même acheté par la célèbre Série noire.* Et même le roman sera traduit en chinois !**

* La Santé par les plantes est un livre réédité chez trois autres éditeurs en papier et deux autres en numérique, dont on lui parle souvent (lire plus bas pour voir si ça l’énerve) ** Il faut me croire sur illustration, là.

Puis Le Pape de l’art pauvre (recueil de nouvelle dont l’éponyme est même devenu un court métrage) dons lequel il montera l’étendue de sa palette en livrant des nouvelles aussi noires (Alice alive) que drôles (Juste une question).

Le mercato a fini par me l’enlever (je ne pouvais plus le payer*), il part écrire chez les autres des livres aussi déglingués que talentueux. Et drôles. Entre autres : L’Agence Tous-Tafs (Flammarion) Tout ce qui tombe du ciel (Mango), Pizza sur la touffe (Éditions la branche), D’un point de vue administratif (Baleine)…

* en fait, La Loupiote tombe malade à l’été 98 – la coupe du monde sans doute – et décède en 2000 sans avoir vu un seul jour se lever au XXIe siècle.

Il a aussi commis car le garçon est protéiforme des livres jeunesse (Ignoble trafic, Le Furêt enquête, Albin Michel) et même des livres à chier : Le Livre à lire aux toilettes (Hébien).

Mais c’est avec une petite nouvelle qu’il atteint les sommets de son imagination (?) en déclinant une cosmogonie délirante illustrée par Olivier Balez : La Cosmogonie Macroqa (Éditions Treize Etrange). Ce que le grand public, ignare par définition, il rit sans savoir pourquoi, ignore, c’est que cette idée est née en quelque sorte au Mans, au bar, avec Jacques Jamet, co-rédacteur en chef avec môa (comme écrit Francis quand il parle de Lui – c’est mon Dieu) de la revue Caïn (lire à F comme Fanzines). S’étranglant de rire – il a fallu la ranime au muscadet – devant les pitreries scientifiques de Francis, Jacques Jamet est en quelque sorte à l’origine de l’idée de faire de cette idée une nouvelle. Ça partir de là, c’en était finie de l’indépendance d’esprit de Francis ; il était à jamais et encore aujourd’hui – sauf s’il s’est lavé les synapses hier – totalement occupé par cette peuplade, les Macroqa (qui apparaissent pour la 1e fois dans La Santé), et son alter ego ennemi les Vani-vani ; la Guyane n’étant plus depuis, non pas un DROM-COM français (pour les plus âgé.e.s un DOM-TOM) mais un territoire enserré dans le cortex de l’ami-Miz, autonome en tout, dépendant en rien, qui voyage avec Francis depuis cette époque et donnant lieu à des brillantes apparitions dans, outre La Cosmogonie Macroqa déjà citée, Twist tropiques (Baleine) et le roman fleuve et monde Au lourd délire des lianes* (Le Niveau baisse)… Certes l’ethno polar a perdu au fil des années sa noirceur initiale mais on s’en fout car on se fend rudement la gueule et derrière, ça fait sens comme diraient les gens intelligents. La conception de l’humour de Francis (dévoilé sur bbb, ) est au-delà la tarte à la crème même si le garçon place Buster Keaton en haut de l’Olympe du rire et doit être aussi exfiltrée qu’un poutinien d’un thin tank macronien. Il veut rire AVEC et CONTRE.

* J’en parlerai bientôt. Francis a mis 7 ans à l’écrire, je peux bien mettre deux ans à le lire et à le critiquer.

Ne passez pas à côté de Francis Mizio sans le lire (et vous pouvez même lui écrire, lui parler, l’embrasser, l’homme est urbain). Vous louperiez quelque chose. Quoi ? Une minute d’intelligence et de rire. C’est peu mais c’est beaucoup.

Il serait temps ENFIN que l’on fasse mentir une phrase écrite dans les permières lignes d’Un quart d’heure, pas plus : « C’était pas mon jour. D’ailleurs, en y réfléchissant bien ce n’était même pas mon année. » (p.43, La Loupiote, 1996)

J’ai cru bon de laisser à Francis le dernier mot – de toute façon, c’est difficile de le faire taire – et il ne s’est pas privé… Pour le canaliser, je lui ai posé 5 questions.

5/5 avec Francis Mizio

En avez-vous plus qu’assez qu’on vous parle de La Santé par les plantes?

Oui et non.

Non, parce que c’est mon premier roman — et je me souviens de mon émotion quand François Braud mon premier éditeur (il a mal fini lui aussi ; rendez-vous compte : en ce moment, il écrit un dictionnaire !*) m’a remis l’exemplaire dans les mains — ou me l’a jeté au visage, ou j’étais attaché et il me frappait avec — je ne me souviens plus très bien, j’ai eu de l’ITT — et parce que c’est grâce à ce livre que la carrière éditoriale internationale et festive que j’ai connue par la suite a vraiment commencé, que j’ai été accueilli chaleureusement par des centaines de personnes (et pourtant nous étions dans 9 m2 avec une seule toilette). Et puis les festivals, les librairies… Il a été réédité trois fois en papier, deux fois en numérique…

* J’aimerais que cela ne s’ébruite pas, ma mère croit que je suis enseignant… (FB)

Et oui, quoique je le revendiquerai toujours, je trouve qu’il a bien vieilli (les lecteurs pensent que non, mais ils ont peut-être mon âge, les pauvres) et surtout qu’il ne restait qu’à un premier niveau d’humour qui ne me satisfait plus. À force de lire du polar comique gesticulant, je crains avec le recul de n’en avoir en fait écrit « qu’un de plus ». Le cinéma étant plus efficace en la matière, je trouve l’exercice désormais vain, ou du moins pas assez exigeant. En clair, j’attends désormais que le choix de la forme écrite en humour soit justifié et nécessaire, que cela ne soit pas reproductible sous une autre forme plus performante. Cela implique que l’humour doit passer par une exigence plus haute en propos véhiculés, en clins d’œil politiques et culturels adressés à l’intelligence du lecteur, en jeu avec les formes de langage, en effets de style, etc. C’est pourquoi j’ai écrit un pavé comme « Au lourd délire des lianes » pour tenter de le montrer, mais ce n’est plus du polar comique. Alors je me frappe moi-même, car ça intéresse hélas peu de monde, et en plus du coup on me refuse l’ITT.

Quelle est votre définition du roman noir comique?

Ayant une haute opinion de la littérature, je me glisse dans les pas de Proust que je n’ai pas lu, et j’affirme haut et fort que le roman noir comique, c’est mordre dans Madeleine.

Quelle forme d’humour vous semble la plus essentielle à la survie de l’humanité?

L’autodérision. J’imagine Poutine avec ses généraux autour de son immense table blanche. Soudain, il y a un silence, Poutine réfléchit et puis il les regarde tous ces cons à médailles, et il éclate de rire. Il dit « Bon, allez… C’est un peu nul tout ça, non ? À la fin de notre vie, on va regretter ; on se dira qu’on aurait plutôt mieux fait de passer tout ce temps à regarder des chatons sur Facebook. On arrête tout ? ».

Le livre a-t-il un avenir selon vous?

Un jour Jibé Pouy m’a déclaré (je rapporte ses propos en substance, il était tard, on buvait un coup, et je sortais d’ITT), que « le livre ne sera bientôt plus qu’un truc de bouquinistes, de monomaniaques et de collectionneurs. » Je suis désolé d’être porteur d’une mauvaise nouvelle : il a eu raison. Après, je me souviens qu’on s’est resservi et qu’il a ajouté : « si on continue de picoler comme ça, on va être mal. » Et force est de reconnaître qu’il a eu encore raison. Du coup, pour l’avenir du livre, j’en suis convaincu.

Et l’IA dans tout ça?

Ça remonte à loin. Vous me direz si c’est freudien, docteur. Ayant eu un père manipulateur, pervers narcissique amateur presque pro, harceleur mental, qui démontait systématiquement tout ce que je disais et pensais entre deux coups de pompe dans les côtes, j’ai été fasciné, sans doute pour me fabriquer des repères, depuis mon adolescence par la capacité du langage à modifier la réalité, et à exprimer tout et son contraire avec les mêmes moyens. Ça m’a mené tôt à lire énormément et avec frénésie tout et n’importe quoi en littérature, journaux ou prospectus des mormons, puis l’Oulipo, et ensuite encore des bouquins chiants de linguistes ou de narratologie. Déjà en 6e ou 5e, je m’amusais pour tenter d’épater la galerie à montrer que j’étais capable d’écrire sur n’importe quoi, sous n’importe quelle forme (Hélas cela ne marchait pas avec les filles qui préféraient le grand bad boy brun à mâchoire carrée. Seules les institutrices ou les professeurs de français se pâmaient, mais elles avaient de la moustache). Cette capacité à écrire de façon protéiforme m’a permis de gagner ma vie, de toujours plus ou moins me démerder, étant pourtant sans aucun diplôme, et encore actuellement. Aussi, lorsque Midjourney, l’IA générative d’images est apparue, forcément j’ai été happé : créer directement et matériellement des images avec des mots! Qu’on se rende compte ! J’ai donc testé en long et en large les capacités du bouzin. Peu après est arrivé ChatGPT : tu le tortures, tu lui demandes nawouak, tu le pousses dans ses retranchements en créant des dispositifs tordus, et ce bon garçon s’y colle… Il présente même ses excuses s’il n’y arrive pas. C’est mieux qu’un stagiaire acnéique ! Je suis parvenu à lui faire écrire des textes basés sur des postulats complexes, a priori impossibles ou absurdes qui me trottaient depuis des années, mais que je n’aurais jamais écrits vu le temps et l’énergie qu’il m’aurait fallu y consacrer, juste pour l’expérience, pour qu’ils existent — alors que ça n’intéresse que moi de toujours m’assurer de la plasticité et de la perversité du langage, de me prouver qu’on peut l’enchanter comme le neutraliser, le dévitaliser ou le vider de son sens (Papa, désolé, t’as perdu).

Et puis surtout, j’ai voulu m’assurer aussi que quand même, nous tous, restons meilleurs que la machine — et c’est évidemment le cas. Du coup, je donne depuis quelque temps des cours et des ateliers d’écriture avec IA et je m’aperçois en ce moment que cela a tant un effet émancipateur que calinothérapeutique. Et vous savez quoi ? : on s’y marre bien. Et le reste, franchement, ce n’est, comme on dit, que de la littérature.

Merci Francis. Mi casa…

« Mais y a une route, c’est mieux que rien »

À SUIVRE

François Braud

papier écrit en écoutant Gérard Manset, Y a une route, vous aviez remarqué ?

erci à Vali Izquierdo pour ses lettrines…. qui, quand elle ne dessine pas, enfile des perles avec talent, voyez plutôt.

Ça tombera le 1er mai : le muguet, forcément, mais, plus sûrement, évidemment, Monster (Urasawa), Montalbano, Moon river (Fabcaro), Moore (Christopher), Morane Bob (Delbrouck), Mort (La), My absolute darling (Talent), My Home hero (Yamakawa Asaki) et (le Prix) Mystère de la critique.

C’est déjà du passé…

Lettre A, Partie 1 / Télécharger ? je clique là (ABC du métier (L’) / Alcool / Alibi)

Lettre A, partie 2 / Télécharger ? je clique ici (Amila Meckert / Arme du crime)

INVITÉ La contribution au CDAP : A comme Amila par Didier Daeninckx (auteur de romans noirs : Rions noir, avec Jordan, Creaphis)

Lettre A, partie 3 / Télécharger ? C’est là (Arnaud / Auster / Avis déchéanceAkkouche / Aztèques dansantsWestlake)

Lettre B, partie 1 / Télécharger ? C’est par là (Baronian / Bataille des Buttes-Chaumont (La)Jonquet / Battisti / Bête et la belle (La)Jonquet / Bialot / Bible)

INVITÉ La contribution au CDAP : B comme Battisti par Gérard Lecas (auteur de romans noirs : Deux balles, Jigal)

Lettre B, partie 2 / Télécharger ? Je clique là (Black BlocsMarpeau / Blogs / Brève histoire du roman noir (Une)Pouy / Brouillard au pont de BihacOppel / Bruen)

INVITÉ La contribution au CDAP de Jean-Bernard Pouy (auteur de En attendant Dogo), B comme Bruen.

Lettre C, partie 1 / Télécharger ? Je clique ici (Ça y est, j’ai craquéDessaint / Cadavres ne portent pas de costards (Les) – Reiner / Caïn / Canardo / Cette fille est dangereuseGranotier / Chuchoteur (Le)Carrisi / Chute)

Lettre C, partie 2 / Vous pouvez télécharger le post (Classer/déclasser, Codes et des poncifs, Condor (Le) Holmas, Michael Connelly)

Lettre C, partie 3 / À télécharger, (John Connolly, Contrat, Cosmix banditosWeisbecker, Coup du bandeau, Couverture (4ème de), Critique, Cuba, Cummins et BACK in ABC).

INVITÉ La contribution au CDAP : C comme Connolly par Pierre Faverolles (blogueur blacknovel1)

Lettre D, partie 1 / Téléchargez ? (Dahlia noir (Le)Ellroy, DamagesKessler, Kessler et Zelman, Del Árbol (Victor), Delestré (Stéfanie), Der des ders (Le) – Daeninckx et DexterLindsay/Manos Jr)

La contribution au CDAP : D comme Dahlia noir (Le)Ellroy – par François Guérif (éditeur Rivages, Gallmeister)

Lettre D, partie 2 / À télécharger, ici (Dicker Joël / Dictionnaire Amoureux du Polar (Le) de Pierre Lemaitre / DILIPO (Le) dirigé par Claude Mesplède / Divulgâcher, Donneur (Le) Akkouche / Doyle (Conan) / Drôles d’oiseaux Camus.

INVITÉ La contribution de Frédéric Prilleux au CDAP (auteur et spécialiste BD polar, blogueur bedepolar) : D comme Dredd (Le Juge)

Lettre E / Cliquez pour télécharger (Edogawa Ranpo, Encrage, É(L’) ou le polar lecture facile et Excipit (et incipit)).

IINVITÉ La Contribution d’Éric Libiot (journaliste écrivain – Clint et moi, On a les héros qu’on mérite) au CDAP avec le E de La Disparition de Perec et Echenoz.

Lettre F / Téléchargez le post (Fanzine, Fausse piste de Crumley, Faux roman policierGrand maitre de Harrison, Festivals, Fight Club de Palahniuk).

Lettre G, partie 1 / Cliquez pour le téléchargement (Gang de la clé à molette (Le) d’Abbey, Gendron, Goodis).

IINVITÉ La Contribution de Philippe Claudel (auteur : Les âmes grises, Le Rapport de Brodeck, Crépuscule, pour Edward Abbey).

Lettre G, partie 2 / Téléchargez ici ((Le) Grand monde de Pierre Lemaitre, (Le) Grand soir de Gwenaël Bulteau, (Le) Grand sommeil de Raymond Chandler et le film d’Howard Hawks et Jean-Christophe Grand G (Grangé)).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Hélène Martineau, libraire des Instants Libres au Poiré sur vie (Le Grand monde de Pierre Lemaitre)

Lettre G, partie 3 / Le téléchargement, c’est (Gravesend de Boyle, Jean-Paul Guéry et son 5/5La Tête en Noir, Gunther – héros de Philip Kerr, Jeanne Guyon et son 5/5Rivages).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Stéphanie Benson, auteure (collection Tip Tongue) pour Bernie Gunther de Philip Kerr.

Lettre H, partie 1 / Cliquez ici pour le téléchargement (Haine pour haine (Eva Dolan)Happy ValleyHardy Cliff (Peter Corris), Hannibal et Harris ThomasHole Harry (Jo Nesbo) et Himes Chester (Harlem).

INVITÉ La Contribution au CDAP de Thierrry Maricourt, auteur (Hautes conspirations, La Déviation), spécialiste des littératures nordiques pour Jo Nesbo.

Lettre H, partie 2 / Télécharger la lettre : Hinkson Jake, Homme qui marchait sur la lune (L’) / Howard McCord, Homos privés & flics, Huit cent treize – avec un 5/5 de Corinne Naidet et Humour.

INVITÉ La Contribution au CDAP de Francis Mizio, auteur (Au lourd délire des lianes) pour « Polar humoristique : ce devrait être quoi le job ? »

Lettre I, partie 1 / On clique ici pour télécharger la lettre : I got my mogette working de JB Pouy, Ikigami de Motorô Mase, In8 – avec un 5/5 de Josée Guellil, Ippon de Jean-Hugues Oppel et Iran.

INVITÉ La Contribution de Jean-Hugues Oppel pour I comme Ippon.

Lettre I, partie 2 / Cliquez pour télécharger la lettre : Irlande, Isard, Islande, Italie et Izzo.

INVITÉS Les Contributions au CDAP de Gérard Lecas pour Italie 1 (Scerbanenco), Italie 2 (Pinketts) et Italie 3 (Viola) et d’Hervé Jaouen pour Irlande (O’Flaherty).

Lettre J, partie 1 / Téléchargez le tome 20 du CDAP : J’attraperai ta mort, J’étais Dora Suarez (Robin Cook), Jaenada (Philippe), Jamet (Jacques), Jaouen (Hervé), Je mourrai pas gibier (Guillaume Guéraud), Je vais mourir cette nuit (Fernando Marias), Jeunesse – avec un 5/5 de Clémentine Thiébault – et Jesus vidéo (Andreas Eschbach).

INVITÉ Hervé Commère (auteur de Les Intrépides)- et sa Contribution pour J comme la publication de J’attraperai ta mort.

Lettre J, partie 2 / Cliquez ici pour télécharger le tome 21 du CDAP : JiBé Pouy et Jour de l’Urubu (Le), JJR, Johnson (Robert, pas Craig ni Jack Johnson chantant Taylor, ni le Jack Taylor de Bruen), Jones (Graham), Joy (David), Justice (avec Engrenages) et Justified (série).

INVITÉ La Contribution d’Isabelle Jensen (bibliothécaire et ex-compagne de JJR) en hommage à Jean-Jacques Reboux

Lettre K / On télécharge par le tome 22 (les Vl’à !) du CDAP : Karl Kane (le privé de Millar), Khadra Yasmina, King Stephen (Billy Summers), Krajewski Marek, Krimi (le polar allemand avec un 5/5 de Karole de Benedetti) et Kutscher Volker (et Babylon Berlin) et Kristy Éric.

Lettre L, partie 1 / Je télécharge le fichier , c’est le tome 23 du CDAP : L‘Un seul (Olivier Thiébaut), Lacy (Ed), avec Roger Martin, Lamar (Jake), Larcenet (Manu), Lebrun (Michel) (pape du polar) avec un 5/5 avec Éric Libiot et Lecas (Gérard).

INVITÉ La Contribution de Paul Maugendre (critique) sur L’Enfant de coeur

Lettre L, partie 2 / On télécharge ici ce tome 24 du CDAP, avec au menu : Lemaitre et La Contribution d’Olivier Thiébaut, Levison, Leroy et Les Derniers jours des fauves, Les Lieux sombres de Flynn, Leydier, Libraires, librairies, Lire et livres et un 5/5 d’lène Martineau et les Éditions de la Loupiote.

INVITÉ La Contribution d’Olivier Thiébaut (auteur, voir CDAP, lettre L) pour évoquer Pierre Lemaitre.

Lettre M (Partie 1) / Cliquez ici pour télécharger le tome 25 du CDAP : M le maudit (Lang) et la contribution de François Guérif (M de Losey), McDaniel (Tiffany) et un 5/5 avec Olivia Castillon, McGuffin, Maffieuses (Les) (Dietrich), Malaussène et Malet (Léo).

INVITÉ La Contribution de François Guérif (éditeur) pour M de Losey

Lettre M (Partie 2) / Fichie à télécharger ? (Tome 26 du CDAP) : Manufacture de livres (La) avec un 5/5 de Jean-Hugues Oppel, Manzini (Antonio), Mariée de corail (La) (Bouchard), Masque (Le) (et la plume), Maugendre (Paul), Memento, Mes soixante huîtres (Pouy) et Mesplède (Claude).

INVITÉ La Contribution de Pascal Dessaint

erci de me suivre…

2 réflexions sur “Contre Dictionnaire Amoureux du Polar / Lettre M (Troisième partie)

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